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La prostitution sécuritaire : une illusion dangereuse



Lettre ouverte de la présidente du Conseil au journal Le Devoir Décriminaliser les clients et les proxénètes va-t-il assurer une plus grande sécurité aux personnes prostituées? Rien n’est moins certain!

Le gouvernement fédéral tient, jusqu’au 17 mars, des consultations en ligne pour connaître l’avis de la population sur l’encadrement de la prostitution. Le but est d’alimenter sa réflexion à la suite de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Bedford. En décembre dernier, la Cour a invalidé les lois interdisant de faire de la sollicitation, de vivre des fruits de la prostitution et de tenir une maison de débauche. Les juges ont conclu que lois canadiennes en matière de prostitution mettent à risque les personnes prostituées et compromettent leur sécurité. La Cour a suspendu l’application de sa décision pour un an, afin de permettre à Ottawa de réviser le Code criminel.

La prostitution est une activité dangereuse en soi. Peu importe qu’elle soit pratiquée de façon clandestine ou non, elle s’accompagne régulièrement de violence et porte atteinte à l’intégrité physique et psychologique de celles qui la pratiquent.

Idéologie? Pas si l’on confronte cette idée à l’expérience vécue sur le terrain. Entre 70 % et 90 % des femmes qui se prostituent ont subi des agressions physiques (viols, coups, blessures graves, menaces, etc.) de la part de leurs clients. Qui plus est, la majorité des femmes prostituées souffrent du syndrome de stress posttraumatique. Et saviez-vous que leur taux de mortalité est 40 fois plus grand que la moyenne nationale? Sécuritaire, vous dites?

La décriminalisation n’assure pas la sécurité des femmes prostituées; elle favorise plutôt l’expansion et la banalisation de ce commerce qui exploite les femmes vulnérables. Une étude du gouvernement écossais a évalué les résultats des stratégies de légalisation ou de décriminalisation adoptées par certains pays, dont l’Australie et les Pays-Bas. Échec sur toute la ligne : une plus grande implication du crime organisé, une hausse de la prostitution juvénile et une explosion du nombre de femmes et de fillettes étrangères trafiquées dans la région. Dans les pays qui ont opté pour la légalisation (aux Pays-Bas, par exemple, les deux tiers des hommes ont déjà eu recours à une prostituée), nombreuses sont les femmes à témoigner de conséquences sur leurs relations de couple. Car une fois légalisée, la prostitution est légitimée, promue, et cela pousse plus d’hommes à consommer du sexe tarifé. Ce modèle réduit les femmes à des objets sexuels.

Bas résille et talons aiguilles : une vision glamour de la prostitution

Avez-vous remarqué qu’il existe une certaine fascination autour du monde de la prostitution? La plupart des gens se confortent dans l’image glamour de la pretty woman (en référence au film américain sorti en 1990 mettant en vedette Julia Roberts et Richard Gere) : une escorte de luxe, libérée sexuellement, qui a choisi ce mode de vie. C’est d’ailleurs cette image que les médias nous renvoient, la plupart du temps. Cette vision est assurément moins dérangeante; elle nous permet d’occulter la réalité des personnes prostituées vulnérables, pauvres, aux prises avec des problèmes de toxicomanie ou, de santé physique et mentale, qui exercent souvent cette pratique sous la contrainte. Plus facile de nier que de se demander si elles ont besoin d’aide, et si oui, que faire!

Ces personnes, nous les voyons et entendons rarement. J’ai eu l’occasion d’aller à leur rencontre un soir de mai 2010. En compagnie du sergent du Service de police de la Ville de Montréal Steve Fortin, j’ai passé une partie de la nuit à ratisser le quartier Hochelaga-Maisonneuve. Là, le visage de la prostitution n’a rien à voir avec l’image un peu idyllique véhiculée. La soixantaine de femmes prostituées qui arpentent les trottoirs sont aussi, règle générale, des femmes sous l’emprise de la drogue, très abîmées par leur consommation de crack. En quelques années, ces toxicomanes deviennent extrêmement maigres, cernées, défaites, infectées par des ITS, prêtes à tout pour obtenir 20 $ d’un client, le prix d’une fellation.

Tout comme l’avocat des trois requérantes dans l’affaire Bedford, le Conseil reconnaît qu’un petit nombre de personnes prostituées peuvent tirer profit de ce commerce lucratif. Mais cela ne doit pas nous empêcher de nous poser les vraies questions et d’aborder ce problème de fond.

Peut-on vraiment penser que la prostitution résulte d’un choix libre et éclairé sachant que la moyenne d’âge d’entrée dans la prostitution se situe entre 14 et 15 ans au Canada? Que près de 80 % des femmes adultes prostituées ont commencé alors qu’elles étaient mineures? Que 8 femmes prostituées sur 10 ont vécu des violences sexuelles, physiques et psychologiques dans l’enfance ou dans leur couple avant de se prostituer? Que diverses enquêtes révèlent que 89 % d’entre elles souhaitent quitter la prostitution?

Dans les faits, la prostitution et la traite profitent surtout à des réseaux internationaux de trafiquants, qui recrutent, achètent et vendent des femmes et des fillettes contraintes par la pauvreté, la violence ou le leurre à se prostituer. Qui rêverait de ce « métier » pour sa fille?

Criminaliser les clients et les proxénètes, pas les personnes prostituées

Le gouvernement fédéral n’a d’autre choix que de réécrire la loi. Nous souhaitons qu’au terme sa réflexion, le Canada s’inspire de pays comme la Suède, et tout récemment la France, qui ont choisi de pénaliser les clients, mais de décriminaliser les femmes prostituées et de soutenir, par des services spécialisés, celles qui veulent quitter ce milieu.

La légalisation de la prostitution rime mal avec une société égalitaire.

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