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Plan d’action gouvernemental pour contrer la maltraitance envers les personnes aînées 2017-2022 – Lettre au sous-ministre adjoint aux Aînés



Voici la lettre que la présidente du Conseil du statut de la femme, Mme Julie Miville-Dechêne, a fait parvenir le 5 mai 2016 au sous-ministre adjoint aux Aînés, monsieur Christian Barrette, au sujet du Plan d’action gouvernemental pour contrer la maltraitance envers les personnes aînées 2017-2022.

En avril 2016, le Conseil du statut de la femme (Conseil) a été invité à se prononcer sur le document de consultation sur le Plan d’action gouvernemental pour contrer la maltraitance envers les personnes aînées 2017-2022 (PAM 2017-2022) réalisé par le Secrétariat aux aînés du ministère de la Famille (Gouvernement du Québec, 2016). Cette initiative fait suite au premier Plan d’action gouvernemental pour contrer la maltraitance envers les personnes aînées 2010-2015 (PAM 2010-2015) qui a été lancé en 2010 par le gouvernement du Québec (Gouvernement du Québec, 2010). Le Conseil souhaite attirer l’attention sur le manque de prise en considération des inégalités entre les sexes dans la stratégie gouvernementale pour lutter contre la maltraitance envers les personnes aînées. Il profite également de l’occasion pour faire part d’un projet de recherche qu’il s’apprête à démarrer et qui pourrait se révéler utile à la réflexion du gouvernement sur la question.

La prise en compte des inégalités de sexe dans la lutte contre la maltraitance envers les personnes aînées

Le Secrétariat s’appuie sur la définition de la maltraitance envers les personnes aînées proposée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2002, une définition qui est très utilisée dans les travaux sur le sujet (James et al., 2015) :

Il y a maltraitance quand un geste singulier ou répétitif, ou une absence d’action appropriée se produit dans une relation où il devrait y avoir de la confiance, et que cela cause du tort ou de la détresse chez une personne aînée (Gouvernement du Québec, 2016, p. 21).

Cette définition comprend notamment la violence physique, psychologique et sexuelle ainsi que l’exploitation financière.

La section 5.2 du document de consultation est intitulée « Profil de la personne aînée victime de maltraitance ». Elle débute ainsi : « Toutes les personnes aînées peuvent être touchées par la maltraitance, sans exception. Bien entendu, des facteurs de vulnérabilité et des facteurs de risque peuvent prédisposer certaines personnes à subir de la maltraitance » (Gouvernement du Québec, 2016, p. 24). Le Secrétariat considère que les facteurs de vulnérabilité correspondent à des caractéristiques individuelles, alors que les facteurs de risque sont « plus souvent liés à l’environnement ». Trois exemples de facteurs de vulnérabilité sont donnés, soit l’état de santé, les pertes cognitives et les problèmes de santé mentale. Les conflits familiaux, la cohabitation avec un ou plusieurs proches, le mauvais état de santé d’un proche aidant et l’isolement sont cités à titre d’exemple du côté des facteurs de risques (p. 24). Le Conseil a été étonné de constater que les inégalités de sexe n’aient pas été considérées ici. En effet, la maltraitance englobe différentes formes de violence et il est bien documenté que la violence constitue un phénomène fortement marqué par le genre (CSF, 2015). Diverses données indiquent d’ailleurs qu’il serait pertinent de mieux prendre en compte cet élément dans la problématisation de la maltraitance envers les personnes aînées. Statistique Canada fait ainsi état de différences entre les femmes et les hommes âgés en matière de violence familiale à l’échelle canadienne :

Des différences selon le sexe ont également été observées chez les aînés victimes de violence familiale, bien qu’elles soient moins prononcées que chez leurs homologues plus jeunes. Selon les données déclarées par la police, en 2013, le taux de violence familiale à l’endroit des femmes âgées était supérieur (+26 %) à celui observé chez les hommes âgés (62,7 par rapport à 49,7 pour 100 000 personnes âgées). Ce résultat correspond au risque accru de violence familiale en général, et de violence conjugale en particulier, auquel les femmes sont confrontées. (Statistique Canada, 2015, p. 65)

Au Québec, l’écart entre les femmes et les hommes était encore plus marqué (+ 51 %) : le taux de victimisation était de 67,1 pour 100 000 femmes âgées, comparativement à 44,4 pour 100 000 hommes âgés (Statistique Canada, 2015, p. 78). Des données du Ministère de la Sécurité publique vont dans le même sens. En 2010, 2040 infractions à l’endroit de personnes aînées ont été déclarées à la police1, principalement des voies de fait (49,7%) et des menaces (22,3%)2. Le ministère rapporte des différences importantes entre les femmes et les hommes en ce qui a trait à la relation avec l’agresseur :

Les femmes âgées sont plus victimes d’un membre de la famille que les hommes. En 2010, 43 % d’entre elles en ont été victimes comparativement à 19 % des hommes, et la personne en cause était le conjoint ou l’ex-conjoint (16 % comparativement à 4 %), leur enfant (17 % comparativement à 8 %) ou un autre membre de la famille (10 % comparativement à 6 %) […]. Par contre, les femmes ont été moins violentées que les hommes par une relation d’affaires (4 % comparativement à 8 %) et une simple connaissance (25 % comparativement à 35 %). (MSP, page consultée le 26 avril 2016)

Une étude réalisée à l’aide des données de deux cycles de l’Enquête sociale générale de Statistique Canada (1999 et 2004) arrive à la conclusion que les femmes aînées sont plus susceptibles que les hommes aînés d’être victimes de maltraitance financière à l’intérieur du couple (Poole et Rietschlin, 2012, p. 133). Chez les ainés comme chez les plus jeunes, la violence conjugale et la violence familiale font plus de victimes parmi les femmes que parmi les hommes et elles prennent différentes formes (violence sexuelle, violence physique, violence matérielle, etc.).

Le document de consultation présente aussi deux données préoccupantes. Premièrement, lorsqu’il est question des statistiques de la Ligne Aide Abus Aînés3, il est indiqué que « plus de 70 % des présumées victimes sont des femmes ». La « possibilité d’un phénomène de féminisation des victimes de maltraitance » est alors mentionnée (Gouvernement du Québec, 2016, p. 25). Deuxièmement, les données recueillies par l’équipe spécialisée en matière de lutte contre l’exploitation des personnes aînées de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse indiquent que 71 % des victimes présumées étaient des femmes. Ainsi, parmi les plaintes concernant les personnes âgées, plus de 7 sur 10 concernaient une femme (p. 25). Peu d’informations sont données sur les situations qui ont conduit à ces appels et à ces plaintes. Il y aurait donc lieu de procéder à une analyse plus poussée de ces données (nature des gestes, lien entre la personne maltraitante et la victime, etc.) pour déterminer si certaines tendances peuvent être dégagées pour les femmes et pour les hommes. Le Secrétariat ne peut pas se limiter à constater un possible « phénomène de féminisation des victimes de la maltraitance ». Il doit creuser la question plus en profondeur.

Le Conseil a constaté que le PAM 2010-2015 ne faisait pas non plus une très grande place à l’analyse différenciée selon les sexes. À l’exception d’une mesure ciblant les agressions sexuelles4, peu d’attention a été accordée aux questions liées au genre. Le Conseil a cherché à vérifier si certains éléments ont été fournis pour justifier ce choix. Ce passage fournit peut-être une piste d’explication :

[…] en raison de leur poids démographique plus important, les femmes seraient plus touchées que les hommes par la maltraitance. Cependant, une fois les données pondérées selon le poids démographique, les experts précisent que les hommes sont presque aussi souvent en situation de maltraitance que les femmes, mais que le dépistage s’avère souvent plus complexe dans leur cas. Cet état de situation pourrait être mieux documenté, ce qui permettrait de mieux adapter les programmes d’intervention. (Gouvernement du Québec, 2012, p.25)5.

Le gouvernement aurait-il délaissé le genre comme axe de réflexion en raison d’une prévalence de la maltraitance jugée similaire chez les deux sexes? Quelques remarques s’imposent ici. D’abord, nous n’avons pas trouvé de travaux indiquant que les hommes et les femmes sont globalement également victimes de maltraitance6. Plusieurs études consultées par le Conseil indiquent au contraire que le fait d’être une femme est associé à un plus grand risque d’être victime pour certains types de maltraitance (violence conjugale et violence familiale). En ce sens, l’affirmation suivante, tirée de la section « Mythes et réalités » du site Internet du ministère de la Famille, nous apparaît inexacte :

En réalité, toutes les personnes peuvent être victimes de maltraitance, peu importe leur statut social ou leurs revenus. Ainsi, tous les aînés risquent, de façon égale, de subir éventuellement de la maltraitance. (MFA, page consultée le 26 avril 2016, notre soulignement)

Le Conseil considère que référer à la maltraitance de façon globale a pour effet d’invisibiliser le fait que certains types de violence sont subis principalement par les femmes. Le Conseil pense ainsi que le Secrétariat devrait éviter de traiter la maltraitance comme un ensemble homogène.

Au-delà des enjeux entourant la prévalence des différents types de maltraitance chez un sexe ou l’autre, le Conseil pense qu’il est crucial de tenir compte des différences entre les femmes et les hommes pour réfléchir à la manière de prévenir la maltraitance et d’y répondre. Dans le cas de la maltraitance financière, par exemple, la situation d’une femme veuve qui n’a pas géré les finances du ménage alors que son conjoint était vivant (conformément à une division traditionnelle des tâches au sein du couple) n’est pas la même que celle d’un homme âgé qui a été responsable de ces opérations tout au long de sa vie adulte. Le veuvage et le faible niveau de littéracie financière ont d’ailleurs été identifiés comme des facteurs susceptibles de conduire à une plus grande vulnérabilité à l’égard de la maltraitance financière (Beaulieu et al., 2015, p. 491). Plusieurs chercheures rappellent aussi que les ressources destinées aux femmes victimes de violence ne sont pas toujours adaptées aux besoins des femmes plus âgées. Par exemple, certaines femmes âgées désirent quitter un conjoint violent, mais elles ne se sentent pas prêtes à demeurer dans une résidence pour personnes âgées. Elles souhaiteraient se tourner vers une maison d’hébergement, mais ces ressources ne sont pas toujours en mesure de recevoir des personnes à mobilité réduite ou qui ont d’autres besoins spécifiques (par exemple, des femmes qui ont certaines restrictions alimentaires ou dont la prise de médicaments doit être encadrée). De plus, le fait de ne pas avoir occupé un emploi sur le marché du travail pendant une longue période de leur vie peut faire en sorte qu’il est très difficile, pour des raisons financières, d’envisager de quitter un conjoint violent (James et al., 2015; Montminy et Drouin, 2004).

Le Secrétariat souligne, à juste titre, que les personnes aînées ne « constituent pas un groupe homogène » et il insiste sur l’importance de tenir compte de la diversité sociale des personnes âgées (Gouvernement du Québec, 2016, p. 34). Il invite ainsi le lectorat à fournir des pistes de réflexion pour mieux tenir compte des réalités des personnes aînées autochtones, des personnes aînées des communautés ethnoculturelles, des personnes aînées lesbiennes, gaies, bisexuelles ou transgenres, des personnes aînées avec une incapacité et des personnes aînées inaptes. Les mêmes cinq critères de diversité7 avaient fait l’objet d’une attention particulière dans le PAM 2010-2015. Le Conseil ne peut que saluer la volonté de tenir compte de la diversité sociale des personnes âgées. Il considère toutefois qu’il est primordial que les différences entre les femmes et les hommes fassent elles aussi l’objet d’une réflexion approfondie dans le cadre de l’élaboration du prochain plan d’action. Le Secrétariat devrait aussi tenter d’adopter une approche intersectionnelle, c’est-à-dire réfléchir aux intersections entre les différentes formes d’oppression que peuvent subir certaines personnes (ex. : une femme aînée avec un handicap; une femme aînée autochtone, etc.).

Le projet de recherche entrepris par le Conseil du statut de la femme

Dans le document de consultation, le Secrétariat invite à la réflexion sur le concept de bienveillance. Le Conseil trouve qu’il s’agit d’une piste intéressante. Il amorce de son côté un projet de recherche qui sera centré sur le care, une notion qui présente une certaine parenté avec celle de bienveillance. Qu’est-ce que le care? Comme point de départ, le Conseil retient la définition qui a été proposée par la politologue Joan Tronto et sa collègue Berenice Fisher :

Au niveau le plus général, nous suggérons que le care soit considéré comme une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre « monde » de sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde comprend notre corps, nous-mêmes et notre environnement, tous éléments que nous cherchons à relier à un réseau complexe, en soutien à la vie. (Tronto, 2009, p. 13)

Le care fait à la fois référence à une disposition mentale (« se soucier de ») et à un ensemble d’activités (« prendre soin de »). Les travaux sur le care nous serviront à analyser l’organisation des soins et des services destinés à soutenir les personnes en perte d’autonomie liée à la vieillesse. Les théoriciennes du care nous invitent à décrire le travail de care tel qu’il se réalise au quotidien, mais aussi à nous interroger, de façon critique, sur la division sexuelle de ce travail et sur la dévalorisation sociale de celui-ci. Si certains écrits sur le care s’intéressent presque exclusivement aux personnes qui effectuent le travail de care, nous souhaitons nous inspirer des travaux qui tiennent compte à la fois des pourvoyeuses de care et des bénéficiaires du care (Tronto, 2009; Molinier, 2013).

La recherche sera structurée autour du degré de perte d’autonomie des personnes âgées. Nous rencontrerons des personnes qui vivent ou travaillent à domicile, dans des résidences pour personnes âgées, des ressources de type familial, des ressources intermédiaires et des centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD). Nous nous intéresserons ainsi aux conditions de vie des personnes âgées et des personnes qui les entourent (proches et bénévoles), de même qu’aux conditions de travail des différentes catégories de travailleuses œuvrant auprès des personnes âgées.

D’emblée, nous pensons qu’il est impossible de définir a priori ce qu’est le « bon care », tant il dépend des préférences de chacune et chacun. Nous pensons toutefois qu’il faut mettre en place des dispositifs (ou renforcer les mécanismes existants) qui permettraient à toutes et à tous d’exprimer leurs besoins et leurs préoccupations. Nous réfléchissons aussi à la possibilité de suggérer le développement d’outils qui rendraient explicites les attentes et les besoins des personnes âgées en perte d’autonomie dans diverses situations.

Il fera plaisir au Conseil d’échanger avec le Secrétariat tout au long de la réalisation de ce projet de recherche. De plus, le Conseil est convaincu que l’expertise du Secrétariat pourrait lui être d’une grande utilité dans la réalisation de ce mandat.


  1. Bien que certains des gestes considérés n’entrent pas dans la définition de la maltraitance puisqu’ils ont été commis par des étrangers (22 %) ou par une personne non identifiée (7 %), ces données sont éclairantes à plusieurs égards (MSP, page consultée le 3 mai 2016). Le Conseil a choisi de présenter les données de 2010 parce que le ministère fournissait plusieurs indications sur les différences entre les femmes et les hommes.
  2. Parmi les autres catégories, on retrouvait les vols qualifiés (10 %), le harcèlement criminel (5,8 %), les appels téléphoniques harcelants ou harassants et l’intimidation (5,8 %), les agressions sexuelles et autres infractions sexuelles (2,4 %), les extorsions (2 %) les enlèvements ou séquestrations (1,2 %). La négligence criminelle ou les autres infractions entraînant la mort, les tentatives de meurtre ou complots en vue de commettre un meurtre et les meurtres ont totalisé 0,9 % des infractions (MSP, page consultée le 4 mai 2016).
  3. La création de cette ligne était l’une des quatre mesures structurantes du PAM 2010-2015.
  4. Il s’agit de la réalisation, par le Secrétariat à la condition féminine, d’un dépliant intitulé Les agressions sexuelles contre les personnes aînées existent et marquent profondément (SCF, 2010).
  5. Les études qui sont citées à l’appui de ces affirmations (Kosberg, 2009; Yaffe et al., 2007) n’indiquent pas que la prévalence de la maltraitance est globalement la même pour les femmes et les hommes. En effet, la première étude ne présente aucune donnée statistique; elle traite des difficultés à dépister la maltraitance chez les hommes aînés et du manque de ressources pour les hommes de manière générale (Kosberg, 2009). La seconde étude, réalisée au Canada, rapporte une prévalence plus importante de la maltraitance chez les femmes que chez les hommes : ce phénomène toucherait entre 9,1 % et 9,7 % des hommes ainés et entre 13,6 % et 15,2 % des femmes du même groupe d’âge (Yaffe et al., 2007, p. 48). Considérant qu’il s’agit de deux pourcentages relativement bas, la différence entre les deux (entre 3,9 points et 6,1 points) est considérable. L’étude de Yaffe et ses collègues cite une recherche américaine indiquant que les hommes âgés seraient plus victimes d’abandon que les femmes âgées (Mouton et al.,2001, cité dans Yaffe et al., 2007, p. 48). Cette étude indique toutefois aussi que les femmes seraient plus nombreuses à subir de la maltraitance physique, psychologique, sexuelle et financière ainsi que de la négligence (Mouton et al., 2001, p. 17-18).
  6. Voir la note précédente.
  7. C’est-à-dire l’appartenance à une nation autochtone, l’appartenance à une communauté culturelle, l’orientation sexuelle, la présence d’une incapacité et l’inaptitude. Soulignons que le fait d’être transgenre ne correspond pas à une orientation sexuelle particulière. L’ « orientation sexuelle » est toutefois le libellé utilisé dans le document.

Références


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