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Commentaires sur la planification de l’immigration au Québec pour la période 2017-2019



Voici la lettre que la présidente du Conseil du statut de la femme, Mme Julie Miville-Dechêne, a fait parvenir le 26 juillet 2016 à Mme Anne-Marie Larochelle, Secrétaire de la Commission des relations avec les citoyens, au sujet de la Politique québécoise en matière d’immigration, de participation et d’inclusion.

Le 10 février 2016, le Conseil du statut de la femme a présenté en commission parlementaire un mémoire concernant le projet de loi sur l’immigration au Québec, qui a depuis été adopté. Le ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion a par la suite dévoilé sa nouvelle Politique québécoise en matière d’immigration, de participation et d’inclusion.

À l’occasion de la présente consultation, le Conseil désire rappeler quelques inquiétudes transmises en février 2016.

Puisque, comme le souligne la ministre dans le cahier de consultation, « les enjeux et objectifs de cette nouvelle politique ont servi d’assise aux orientations […] proposées pour planifier notre immigration », le Conseil souhaite avant tout s’exprimer sur les nouveaux objectifs de la Politique et la stratégie l’accompagnant. Il commentera ensuite les orientations de la planification de l’immigration pour les deux prochaines années.

La Politique québécoise en matière d’immigration, de participation et d’inclusion

À la lecture de la nouvelle Politique québécoise en matière d’immigration, de participation et d’inclusion, le Conseil a constaté avec satisfaction que des principes qui lui sont chers y sont affirmés.

Tout d’abord, la Politique reconnaît la complexité des discriminations subies par les personnes immigrantes. Elle affirme ainsi qu’une personne peut faire face à des obstacles parce qu’elle est d’une minorité racisée1, mais également en raison de son sexe, de son âge, de sa religion, de sa classe sociale, de son orientation sexuelle, etc. (p. 14). Le Ministère ajoute que répondre à de telles situations exige de mettre en place des interventions plus ciblées, par exemple pour lever les obstacles à la participation économique des femmes immigrantes et racisées. Comme le rappelle la Politique, et malgré l’engagement du Québec en faveur de l’accès à l’égalité en emploi, le marché du travail est encore difficilement accessible à ces femmes (p. 40). À cet égard, une étude menée par le Conseil au sujet des femmes maghrébines et du marché du travail est citée dans le document gouvernemental. La Politique réitère également l’importance des programmes d’accès à l’égalité en emploi (p. 43).

La Politique souligne aussi que les personnes immigrantes de la catégorie du regroupement familial peuvent vivre des situations particulières de vulnérabilité découlant du parrainage. Ce risque avait également été signalé par le Conseil en commission parlementaire. En effet, le parrainage place la personne immigrante dans une situation de dépendance juridique, économique et sociale à l’égard de la personne garante, et ce pour une période de trois ans (dans le cas d’un conjoint ou d’une conjointe). Cette dépendance est établie dans l’engagement entre la personne garante et le gouvernement québécois. À la page 25 de la Politique, on peut lire qu’« [a]fin de veiller à ce que le parrainage n’entraîne pas de situation de vulnérabilité, particulièrement pour les femmes, l’information sur les services disponibles, notamment en cas de violences sexuelles, doit être transmise de manière systématique, tant aux personnes parrainées qu’aux garantes et garants ». Le Conseil considère que les informations nécessaires sur la violence conjugale et les services disponibles devraient également faire l’objet d’une présentation systématique.

Par ailleurs, le Ministère reconnaît qu’il est nécessaire de mettre en place des mesures de soutien supplémentaires pour favoriser l’intégration de certains groupes, notamment des femmes, en misant sur des services personnalisés, conçus pour répondre aux « besoins particuliers des personnes en situation de vulnérabilité » (p. 28).

Finalement, dans la section sur les valeurs démocratiques, le Ministère réitère l’importance de la lutte pour l’égalité entre les sexes, afin que l’égalité de droit se transforme en égalité réelle (p. 37).

Si ces éléments ont réjoui le Conseil, celui-ci a toutefois constaté que les différentes mesures proposées dans la Stratégie d’action en matière d’immigration, de participation et d’inclusion ne semblent pas intégrer les principes cités précédemment. En effet, si la Politique reconnaît que les femmes immigrant suivant le principe du regroupement familial sont plus sujettes à être exposées à différentes formes de violence, en raison de leur dépendance à l’égard de la personne qui les parraine, la Stratégie demeure floue quant aux actions à mettre en place pour mieux les soutenir. De plus, bien que le moyen d’action A de la mesure 1.1.32 prévoie le renouvellement des méthodes de promotion et de diffusion de l’information et la révision des documents qui s’adressent aux personnes garantes et parrainées, on n’y mentionne pas comment les femmes subissant ces problèmes seront jointes. Par ailleurs, aucune des mesures n’aborde la question de l’interaction entre les différentes discriminations.

Alors que l’objectif 2.2 traite des actions à mener pour atteindre une égalité réelle, peu de moyens d’action semblent viser spécifiquement les femmes. Même si le Ministère reconnaît que les immigrantes peuvent vivre des problèmes propres à leur catégorie, notamment en matière de discrimination, de reconnaissance de leurs compétences ou d’accès à différents services ou espaces publics, ces enjeux ne semblent pas explicitement pris en compte dans la stratégie d’action.

Le Conseil accueille toutefois de façon très favorable les mesures visant à sensibiliser la population québécoise à la diversité culturelle et à son apport à la société, ainsi qu’au respect des valeurs démocratiques québécoises, parmi lesquelles le principe d’égalité entre les femmes et les hommes. La mesure destinée à fournir de l’information et de l’accompagnement aux personnes des minorités ethnoculturelles victimes de discrimination et de racisme semble offrir une avenue pertinente pour soutenir leur accès aux différents espaces sociaux.

Les orientations de la planification de l’immigration pour la période 2017-2019

Le document de consultation sur la planification de l’immigration pour la période 2017-2019 contient neuf orientations visant à déterminer la composition et les caractéristiques de l’immigration québécoise pour les deux prochaines années. Le Conseil aimerait partager quelques pistes de réflexion sur celles-ci.

Le Conseil réitère qu’il est important que le nouveau système d’immigration, visant un meilleur arrimage entre les besoins du marché du travail et la sélection des personnes immigrantes de la catégorie de l’immigration économique, ne reproduise pas certaines inégalités entre les femmes et les hommes. Plusieurs des orientations proposées touchent l’immigration de type économique, notamment en établissant les caractéristiques des personnes reçues dans la sous-catégorie des travailleurs qualifiés. L’orientation 5, par exemple, propose que la proportion des candidates et des candidats sélectionnés dans la sous-catégorie des travailleurs qualifiés détenant une formation en demande soit d’au moins 70 %. Le Conseil s’interroge sur la voie qu’empruntera le Ministère afin de s’assurer que la sélection de l’immigration économique n’entraîne pas une sursélection d’hommes. En effet, d’une part, entre 2011 et 2015, le Québec a accueilli davantage d’hommes que de femmes dans la catégorie de l’immigration économique. De plus, parmi les personnes immigrantes de cette catégorie, les premiers requérants sont plus souvent des hommes. D’autre part, on sait que dans la précédente grille utilisée pour sélectionner les candidates et candidats à l’immigration, les domaines d’études permettant d’obtenir un plus grand nombre de points étaient largement liés aux secteurs traditionnellement masculins, alors que les professions et emplois majoritairement féminins en valaient moins. Par ailleurs, qu’il soit ou non question d’immigration, le Conseil rappelle que les secteurs d’emploi majoritairement féminins, souvent liés au soin des personnes, gagneraient à être davantage valorisés, surtout dans le contexte du vieillissement de la population.

Dans la même veine, l’orientation 3 propose d’augmenter à au moins 40 % la proportion de personnes immigrantes de la sous-catégorie des travailleurs qualifiés ayant un statut de travailleur temporaire ou d’étudiant étranger au moment de leur sélection. Il est capital que le Ministère permette un accès réel à la résidence permanente pour l’ensemble des travailleuses temporaires, y compris celles œuvrant dans des secteurs d’emploi traditionnellement féminins et peu qualifiés, souvent soumises à des conditions précaires les exposant à une grande vulnérabilité.

En conclusion, le Conseil juge que la Politique québécoise en matière d’immigration, de participation et d’inclusion – pierre angulaire de la planification de l’immigration pluriannuelle – comporte plusieurs principes porteurs qui peuvent contribuer à réduire les inégalités de sexe. La prise en considération de l’interaction entre les différents facteurs de discrimination et les situations de vulnérabilité vécues par certaines femmes, précarisées par leur immigration, est un de ceux-là. Toutefois, le Conseil souhaiterait avoir l’assurance que ces principes se traduiront en actions concrètes dans la stratégie du ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, ce qui ne semble pas être le cas actuellement.

  1. La racisation désigne le processus par lequel un groupe de personnes est catégorisé comme une race (Marshall GORDON [dir.] [1994]. The Concise Oxford Dictionary of Sociology, Oxford, Oxford University Press, p. 549).
  2. Mesure 1.1.3 : Réaffirmer l’engagement profond du Québec à l’égard du principe de réunification familiale ainsi que sa volonté de partager avec la communauté internationale l’accueil des personnes réfugiées et de répondre à d’autres situations humanitaires.

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