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Autorité des marchés publics – Lettre au président de la Commission des finances publiques



Voici la lettre que la présidente du Conseil du statut de la femme, Mme Eva Ottawa, a fait parvenir le 21 septembre 2016 à monsieur Raymond Bernier, président de la Commission des finances publiques, au sujet du projet de loi no 108, Loi favorisant la surveillance des contrats des organismes publics et instituant l’Autorité des marchés publics.

J’ai pris connaissance avec intérêt du projet de loi no 108, Loi favorisant la surveillance des contrats des organismes publics et instituant l’Autorité des marchés publics. Comme l’a dit en conférence de presse le président du Conseil du trésor, cette instance aura pour mission de s’assurer que les contrats publics sont accordés selon un processus intègre, équitable et transparent. Le Conseil du statut de la femme approuve la création d’une telle instance et y voit un excellent instrument pour relancer la lutte contre la ségrégation professionnelle qui pénalise les femmes, et particulièrement celles qui sont victimes de discrimination croisée (par exemple les femmes autochtones, celles qui sont membres de minorités visibles et les femmes handicapées).

À titre de présidente du Conseil du statut de la femme, je désire vous exposer ma vision du rôle que pourrait jouer l’Autorité des marchés publics pour favoriser l’accès des femmes aux métiers traditionnellement masculins.

Le fait que les femmes se concentrent dans des métiers traditionnellement féminins est considéré comme l’une des causes de la faiblesse relative de leurs revenus. Les pays membres de l’Organisation des Nations unies ont lié ce phénomène à la discrimination systémique envers les femmes. C’est pourquoi, en signant la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (1979), les États membres ont décidé d’adopter des programmes d’accès à l’égalité pour augmenter la représentation des femmes dans les métiers qui semblaient réservés à la main-d’œuvre masculine. Le Québec s’est rapidement engagé à respecter cette convention (décret du 20 octobre 1981) et le gouvernement a adopté des dispositions législatives pour la mettre en vigueur. Entre autres mesures, le gouvernement a choisi d’inciter les employeurs à mettre en place des programmes d’accès à l’égalité en emploi.

Des plans d’action ont ainsi été mis en œuvre afin de favoriser le démarrage de programmes d’accès à l’égalité en emploi dans les secteurs parapublic et privé. En outre, la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics est venue inscrire, pour une bonne partie du secteur public1, un objectif d’équité en emploi.

Le programme d’obligation contractuelle s’applique au Québec depuis 1987. Il contraint les entreprises qui sont en relation d’affaires avec le gouvernement à implanter un programme d’accès à l’égalité en emploi à l’égard des groupes cibles2 et à le démontrer aux autorités compétentes. Les entreprises visées sont celles qui emploient plus de 100 personnes, lorsqu’elles réalisent pour le gouvernement un contrat s’élevant à 100 000 $ ou plus ou lorsqu’elles reçoivent une subvention de cette ampleur.

Aujourd’hui, l’obligation contractuelle fait partie du cadre normatif de la gestion contractuelle du gouvernement du Québec. Puisque l’Autorité des marchés publics devra s’assurer que la gestion contractuelle de tout organisme public désigné par le gouvernement s’effectue conformément au cadre normatif, la vérification de l’application d’un programme d’équité en emploi incombera à cette instance. Je tiens donc à attirer votre attention sur le rôle que pourrait jouer l’Autorité des marchés publics afin que l’attribution et l’exécution des contrats publics favorisent en fait les progrès en matière d’équité en emploi.

Tout en reconnaissant que les femmes ont fait de grandes avancées sur le marché du travail au cours des trente dernières années, le Conseil du statut de la femme constate qu’elles continuent d’être largement sous-représentées dans certaines professions ou certains métiers parmi les mieux rémunérés. C’est ce qui nous pousse à croire que l’objectif d’améliorer l’équité en emploi pour les femmes mérite plus que jamais d’être poursuivi. Dans les métiers et les professions de la construction, par exemple, les femmes n’occupent que 1,4 % des emplois, selon les données les plus récentes (Commission de la construction du Québec, 2015).

Or, les plans d’accès à l’égalité semblent complexes à élaborer et à mettre en œuvre. On l’a vu, dernièrement, avec la préparation du Programme d’accès à l’égalité des femmes dans l’industrie de la construction 2015-2024, publié en mars 2015. Ce programme, conçu par la Commission de la construction du Québec en réponse à une demande du gouvernement, a requis une vaste consultation de la Commission auprès de ses partenaires pour que ses objectifs fassent consensus. Aucun bilan de ce programme n’a encore été réalisé, mais le Conseil du statut de la femme reste à l’affût de cette première évaluation.

Quant aux mesures embrassant l’ensemble des secteurs économiques, on déplore l’absence d’objectifs chiffrés ainsi que le manque de suivi des résultats atteints au Québec par les programmes d’accès à l’égalité que mettent en place les entreprises privées.

L’Autorité des marchés publics dont la création est prévue dans le projet de loi no 108 serait, aux yeux du Conseil du statut de la femme, l’instance tout indiquée pour donner un nouveau souffle au programme d’obligation contractuelle. En effet, elle pourrait mesurer les progrès enregistrés dans les plus grosses entreprises en matière d’accès à l’égalité. Pour cela, il faudrait toutefois que le législateur profite du dépôt du projet de loi pour affirmer explicitement cette responsabilité de l’Autorité.

L’État alloue plus de 20 milliards de dollars par année à la réalisation de contrats publics. Les importants donneurs d’ouvrage que sont le ministère des Transports et les autres ministères et organismes du secteur public québécois ont le pouvoir d’infléchir l’évolution du marché du travail en s’assurant que leurs fournisseurs prennent les moyens à leur disposition pour favoriser l’accès à l’emploi des groupes sous-représentés.

Je demeure persuadée que l’Autorité des marchés publics aura la capacité de briser la ségrégation professionnelle en stimulant la mise en place de programmes d’accès à l’égalité.

  1. Les ministères et organismes dont le personnel est nommé et rémunéré en vertu de la Loi sur la fonction publique sont visés, tandis que les sociétés d’État ne le sont pas.
  2. Initialement, les trois groupes cibles du programme d’obligation contractuelle étaient les femmes, les minorités visibles et les personnes autochtones. Les personnes handicapées s’y sont ajoutées en 2009.

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