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Commentaires sur le projet de loi no 62, Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État



Le 10 juin 2015, la ministre de la Justice, Mme Stéphanie Vallée, déposait à l’Assemblée nationale le projet de loi no 62, Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État et visant notamment à encadrer les demandes d’accommodements religieux dans certains organismes. Cette loi a pour but de définir les responsabilités des employés d’organismes publics en matière de respect de la neutralité religieuse.

Le Conseil du statut de la femme, dont la mission est de promouvoir et de défendre les droits et les intérêts des Québécoises auprès du gouvernement du Québec, s’est penché à plusieurs reprises sur la question de la neutralité religieuse de l’État et de la laïcité durant les deux dernières décennies (en 2014, 2011, 2010, 2007, 1997 et 1995). Pour le Conseil, la neutralité religieuse de l’État est une des conditions fondamentales de l’avancée vers l’égalité des sexes. Les positions du Conseil se sont toutefois transformées au fil du temps, en fonction des contextes et des nouveaux enjeux sociaux. La réflexion féministe sur la laïcité n’est pas achevée, au Conseil comme plus largement dans la société québécoise, et il n’existe pas de consensus sur cette question.

Pour le Conseil, il est primordial que la discussion sur la laïcité et la neutralité religieuse de l’État se poursuive. Cette discussion doit s’appuyer sur l’ensemble des connaissances et des données dont il faut tenir compte pour défendre les droits de toutes les femmes du Québec. Les débats des dernières années sur la diversité religieuse, la neutralité de l’État en la matière et la laïcité, tant ceux de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, mieux connue sous le nom de « commission Bouchard-Taylor », que ceux ayant entouré le projet de loi no 60, communément appelé la « Charte des valeurs », n’ont pu apaiser les inquiétudes. Ainsi, une partie de la population perçoit certaines pratiques religieuses comme des menaces qui planent sur l’héritage de la Révolution tranquille et les acquis en matière de droits des femmes et d’égalité entre les sexes. En même temps, les enjeux de l’intégration des femmes issues de l’immigration et la cohabitation de différentes appartenances religieuses et culturelles imposent une capacité d’écoute et d’ouverture qui n’est pas toujours au rendez-vous. Les débats ont révélé des clivages importants sur ces questions.

Arrivée depuis peu à la tête du Conseil, j’ai privilégié, pour l’instant, un rappel des positions générales que ce dernier a déjà énoncées dans le passé et qui sont liées aux propositions spécifiques du projet de loi no62. Si un débat plus large sur la question de la définition de la laïcité de l’État venait à s’imposer, les membres du Conseil du statut de la femme poursuivraient leur réflexion collective.

Droit fondamental des femmes à l’égalité

Malgré l’évolution du débat de société et des positions du Conseil, celui-ci s’est toujours prononcé en faveur d’un renforcement des règles communes, particulièrement celles touchant le droit fondamental des femmes à l’égalité. Ce droit ne devrait pas être mis en péril par des préceptes religieux ni par des pratiques culturelles. Le Conseil a donc pris position pour une législation qui assure l’égalité face au fait religieux en matière de droit familial (âge minimal requis pour le mariage, rejet de l’arbitrage religieux pour les questions familiales), de droit du travail, de droit à l’éducation (écoles publiques mixtes, curriculum scolaire unique obligatoire, disparition des cours d’éducation religieuse, subventions aux écoles privées conditionnelles au respect des règles garantissant l’égalité entre les sexes, etc.) et de droit à l’intégrité physique et à la sécurité.

Obligation de neutralité religieuse

L’actuel projet de loi no 62 vise d’abord à affirmer l’obligation de neutralité religieuse chez le personnel d’organismes publics, qui doit notamment veiller à ne pas favoriser ni défavoriser une personne en raison de l’appartenance ou non à une religion. Cette obligation de neutralité touche aussi le personnel du domaine de la santé, qui ne pourrait pas invoquer des convictions personnelles ou religieuses pour « ne pas recommander » ou « ne pas fournir » des services professionnels. Le Conseil appuie cette position, puisqu’elle contribuera à éviter que des intervenants du milieu de la santé refusent à leurs patientes, par exemple, l’accès à des mesures de régulation des naissances et à la contraception pour des motifs religieux, comme cela s’est vu dans les dernières années aux États-Unis1 .

Visage découvert et signes religieux

Le projet de loi no 62 propose aussi l’obligation pour le personnel d’organismes publics, de services de garde et du milieu de l’enseignement d’avoir le visage découvert dans l’exercice de leurs fonctions et lors de la prestation de services, sauf pour des raisons de conditions de travail ou des exigences propres à l’emploi. Il précise qu’un accommodement pourrait être possible s’il ne comporte pas de danger pour la sécurité et s’il n’empêche pas l’identification de la personne ni la communication requise par l’emploi. En 2007, 2010 et 2011, le Conseil affirmait l’importance que les services publics soient donnés et reçus à visage découvert, mais il ajoutait aussi que le fait de statuer sur cette obligation n’est pas suffisant et ne doit pas servir de prétexte pour faire l’économie d’un débat de fond sur la laïcité au Québec et sur le port de signes religieux ostentatoires par les représentantes et les représentants de l’État.

Accommodements et égalité entre les sexes

En matière d’accommodements pour un motif religieux, le Conseil appuie, dans la continuité de ses positions passées, la proposition du projet de loi no 62 qui veut que « l’accommodement demandé respecte le droit à l’égalité entre les femmes et les hommes ». Il s’agit d’une position historique du Conseil, qui a toujours affirmé que la liberté religieuse ne doit pas être comprise, interprétée et appliquée de manière à porter atteinte à l’égalité entre les sexes.

Place du religieux dans l’éducation

Le Conseil veut aussi souligner le fait que le projet de loi no 62 donne une place importante à la neutralité religieuse dans les services de garde et les centres de la petite enfance. En effet, il y est inscrit la nécessité de ne pas orienter l’admission des enfants selon une appartenance religieuse ainsi que l’interdiction d’activités qui permettraient la transmission d’une croyance, d’un dogme ou d’une religion spécifique. Le Conseil souligne toutefois que la neutralité religieuse de l’État dans le domaine de l’éducation devrait aller plus loin que l’interdiction d’enseigner la religion dans les services de garde. En effet, cet enseignement devrait être retiré des écoles, notamment par l’abolition du volet « culture religieuse » du cours Éthique et culture religieuse tel qu’il est actuellement conçu. Le phénomène religieux pourrait être étudié dans le cours Histoire et éducation à la citoyenneté, dans une perspective globale, historique, culturelle et sociologique, au même titre que les autres courants de pensée. De même, le financement public des écoles privées, notamment à caractère confessionnel, devrait faire l’objet d’un réel débat public et parlementaire.

En somme, le Conseil ne peut que soutenir la position du projet de loi no 62 sur l’égalité entre les femmes et les hommes comme principe central dans la réflexion autour des accommodements pour motifs religieux. Néanmoins, il tient à rappeler que l’obligation de la prestation et de la réception de services à visage découvert est une mesure trop spécifique et limitée pour clore le débat sur la laïcité et la neutralité religieuse de l’État.

1 Intéressant à lire : CORNIOU, Marine (2015). « Objection de conscience : quand elle menace les patients », Québec Science, [en ligne], (page consultée le 18 octobre 2016).

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