40 ans de présence et d'action - À travers l'oeuvre de ses présidentes

Ce document est la version HTML accessible du 40 ans de présence et d'action - À travers l'oeuvre de ses présidentes, disponible en format PDF sur le site Web du Conseil du statut de la femme.

Le Conseil du statut de la femme

Le Conseil du statut de la femme est un organisme d’étude et de consultation créé en 1973. Ses activités s’articulent autour de deux grands mandats : conseiller le gouvernement sur tout sujet qui touche l’égalité, le respect des droits et le statut de la femme et informer le public, les femmes en particulier, sur leurs droits et l’évolution de leurs conditions de vie. En réponse aux requêtes de la ou du ministre responsable, le Conseil émet des avis et formule des recommandations sur tout sujet concernant l’égalité, le respect des droits et le statut de la femme. Il peut également, de son propre chef, saisir la ou le ministre de toute question qui, selon lui, nécessite l’action gouvernementale. Le Conseil effectue les recherches qu’il juge utiles ou nécessaires, pour documenter les conditions de vie des Québécoises et pour déceler les nouveaux enjeux de l’égalité. Présent sur tout le territoire québécois, le Conseil accompagne les groupes de femmes en région et sensibilise les décideurs locaux et régionaux à leur cause.

Le Conseil du statut de la femme est dirigé par la présidente, qui est nommée par le gouvernement du Québec pour un mandat de cinq ans. Dix membres désignées par le gouvernement après consultation auprès des associations féminines, des universités, des groupes socio-économiques et des syndicats entourent la présidente. Ensemble, les membres et la présidente adoptent les études et les avis qui seront déposés officiellement au gouvernement. La diversité des membres fait écho à la diversité des intérêts et des opinions des femmes du Québec. Le Conseil réunit également les sous-ministres ou leurs déléguées membres en provenance des ministères suivants : Services sociaux; Éducation, Loisir et Sport; Travail; Justice; Emploi et Solidarité sociale; Culture et Communications; de même que du Conseil du trésor. Ces membres ne prennent pas part aux votes.

Le Conseil du statut de la femme relève de la ministre ou du ministre désigné par la première ministre ou le premier ministre. À la suite de l’élection générale du 4 septembre 2012, Mme Pauline Marois, première ministre du Québec, a nommé Mme Agnès Maltais ministre du Travail, ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale et ministre responsable de la Condition féminine. Mme Maltais est ainsi devenue la ministre responsable du Conseil du statut de la femme et du Secrétariat à la condition féminine.

Introduction

Les anniversaires sont des occasions pour les institutions d’apprécier le chemin parcouru, de considérer avec quels bagages, à travers quels méandres et autour de quels obstacles elles sont parvenues à s’acquitter de leur mission jusqu’à ce jour.

L’année 2013 marque, au Québec, le 40e anniversaire du Conseil du statut de la femme. Il faut se rappeler que la création de cet organisme gouvernemental s’inscrivait dans la continuité de la mobilisation des femmes pour la reconnaissance de leurs droits. L’histoire des années qui ont vu le Conseil naître, s’organiser, se tailler une place dans l’espace public et prendre part au débat de façon de plus en plus assurée a été façonnée par le courage et l’audace des présidentes qui, toutes, ont gagné d’importantes victoires pour les femmes.

Les femmes ont fait d’immenses progrès. Elles sont de plus en plus instruites, mais elles subissent encore de la discrimination systémique dans de nombreux domaines. Selon une perception largement répandue, l’égalité entre les femmes et les hommes est atteinte et les initiatives pour améliorer la condition féminine seraient moins nécessaires. C’est le mythe de l’« égalité-déjà-là ». D’où l’importance de préciser quels sont les obstacles, de proposer des pistes d’action et de continuer la lutte pour l’égalité. Le Conseil poursuit donc étroitement les objectifs liés à sa mission de conseiller le gouvernement et d’informer la population.

Depuis 40 ans, le Conseil exerce une vigilance constante pour que les décisions prises par l’État demeurent respectueuses des besoins et des intérêts des femmes et que ces décisions favorisent l’égalité de celles-ci avec les hommes. Le Conseil agit comme un organisme phare qui éclaire les actions gouvernementales en matière d’égalité. Il contribue ainsi aux orientations du Québec sur les plans économique, politique, social et culturel en mettant en lumière les obstacles à l’atteinte de l’égalité et en suggérant aux décideuses et aux décideurs des solutions appropriées pour la faire progresser.

Un progrès tangible vers l’égalité de fait commande que cette valeur soit soutenue non seulement par les femmes de tous horizons, mais aussi par tous les acteurs sociaux. Le Conseil multiplie et diversifie ses interventions par différentes activités de communication, notamment celle qui consiste à cibler les jeunes pour les inciter à promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes.

Enfin, le Conseil consolide ses actions, centrées sur sa mission, en maintenant une indépendance d’opinion qui lui a valu, au fil des années, sa réputation d’intégrité et de crédibilité. En effet, la performance du Conseil repose entièrement sur les compétences, l’expérience et l’efficacité de son personnel. Il met donc tout en œuvre pour préserver cette expertise par la formation de son personnel et par une organisation du travail adaptée et efficiente, dans un contexte de compression des dépenses de l’État québécois.

Le document que nous vous présentons en cette année anniversaire veut retracer l’histoire du Conseil, à travers l’œuvre des femmes visionnaires qui ont présidé à sa destinée. Les positions que ces femmes ont défendues étaient en harmonie avec les exigences d’une société en changement et les convictions d’un mouvement des femmes dynamique et solidement implanté. Ce document reprend à grands traits et en l’actualisant l’historique publié à l’occasion du 35e anniversaire du Conseil du statut de la femme sous le titre 35 ans de présence et d’action pour une société plus égalitaire.

Les origines immédiates du Conseil du statut de la femme

Madame Marie-Claire Kirkland-Casgrain

À la faveur d’une résurgence du mouvement féministe, le regroupement, en 1966, de la plupart des organisations féminines québécoises en une fédération, la Fédération des femmes du Québec (FFQ), a donné une nouvelle cohésion au mouvement des femmes.

C’est à cette époque que le gouvernement fédéral a mis sur pied la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada : la commission Bird, du nom de sa présidente, Florence Bird. La Commission a remis son rapport en décembre 1970.

La FFQ, qui avait participé activement aux travaux de cette commission, a transposé au Québec l’une des principales recommandations du rapport de la commission Bird : celle de constituer un « Office1 de la femme ». En novembre 1971, la FFQ a ainsi présenté un mémoire au premier ministre dans lequel elle proposait la création d’un tel office au Québec, allant jusqu’à élaborer un programme d’action.

En réponse à cette revendication, Marie-Claire Kirkland, alors ministre des Affaires culturelles, dépose, le 12 décembre 1972, le projet de loi no 63, Loi sur le Conseil du statut de la femme. Le projet de loi ne sera adopté qu’à la session parlementaire suivante, en juillet 1973. Paradoxalement, lors du débat sur ce projet de loi et de son adoption à l’unanimité, aucune femme ne siégeait au Parlement québécois, la marraine du projet de loi ayant démissionné en février 1973. Le premier ministre Robert Bourassa nomme, comme ministre responsable du Conseil du statut de la femme, Fernand Lalonde, ministre d’État au Conseil exécutif.

L’accueil réservé aux recommandations de la commission Bird et à la revendication de la FFQ a sans doute été favorisé par des événements externes. En effet, en 1972, l’Organisation des Nations Unies (ONU) avait donné l’exemple d’un engagement officiel des gouvernements en faveur de l’amélioration de la condition féminine. La Commission de la condition féminine de l’ONU avait décrété que le milieu de la seconde décennie vouée au développement était la période tout indiquée pour consacrer 1975, l’Année internationale de la femme; le Canada adhère à l’idée de la tenue d’une année dédiée à la condition féminine. La création, en 1973, du Conseil du statut de la femme, au Québec, et du Conseil consultatif canadien sur la situation de la femme, au Canada, s’inscrit donc nettement dans un contexte international propice à l’implication des gouvernements dans la promotion des droits des femmes.

Mais la FFQ a-t-elle obtenu, avec « l’Office de la femme », l’organisme qu’elle réclamait ? Pas exactement. Dans son mémoire au premier ministre, la FFQ rappelle qu’elle avait souhaité davantage qu’un rôle consultatif pour le Conseil et demande que celui-ci soit doté d’un pouvoir quasi judiciaire. Néanmoins, elle y restera active, plusieurs membres de la Fédération étant nommées à l’assemblée du premier Conseil.

Dans son rapport annuel, le Conseil observe cette année-là qu’ « en donnant suite aux mémoires de la Fédération des femmes du Québec et à certaines recommandations de la Commission royale d’enquête sur la condition de la femme au Canada, le gouvernement du Québec a posé un premier geste qui permet aux femmes de participer directement à l’élaboration des politiques et des lois qui touchent tous les aspects de leur vie. La femme est ainsi en mesure d’influencer les décisions gouvernementales parce que, pour la première fois, elle peut se manifester officiellement ». Par le fait même, certaines femmes craignent que le gouvernement considère le Conseil du statut de la femme comme porte-parole privilégié, voire unique, des Québécoises, et que l’influence du mouvement des femmes s’en trouve affaiblie.

En revanche, une grande partie du mouvement féministe considère qu’en créant le Conseil, l’État québécois a pris conscience du rôle qu’il pouvait jouer dans l’amélioration des conditions de vie des femmes et qu’il a reconnu la légitimité de leurs revendications.

Partir du bon pied

Madame Laurette Champigny-Robillard (1973-1978)

C’est le 28 septembre 1973 que le gouvernement nomme la première présidente du Conseil du statut de la femme, Laurette Champigny-Robillard. Elle avait participé, au sein de la FFQ, à la création du Conseil. Sitôt après la nomination des membres, le Conseil tient sa première réunion, à Québec, les 11 et 12 décembre 1973.

À cette époque, le monde occidental s’ouvrait à la promotion des droits des femmes. Sur la scène internationale, une campagne de l’ONU, à deux ans de l’Année internationale de la femme, encourageait les gouvernements à s’occuper des droits des femmes. Dans un nombre croissant de pays, les femmes investissaient massivement le marché du travail. Pourtant, l’éducation et les valeurs dominantes demeuraient fortement marquées par la division sexuelle du travail.

Laurette Champigny-Robillard s’est rapidement employée à asseoir sur des bases solides l’administration et l’organisation du Conseil du statut de la femme. Le Service de la recherche entreprend donc ses activités en novembre 1973 avec deux agentes. Il alimente les réflexions et les prises de position des membres du Conseil. Le plan général de recherche, élaboré au cours des quatre premiers mois d’existence du Conseil, lui sert de programme de travail et couvre tous les champs d’intérêt des femmes.

En mars 1974, le Conseil avait déjà identifié trois priorités d’action : l’égalité des chances dans la fonction publique, la mise en place de garderies et l’étude des valeurs sociales ou l’analyse de la transmission des valeurs, par l’éducation et les médias.

Pour alimenter ses recherches, le Conseil a mis sur pied un centre de documentation. Faisant œuvre de pionnières, les premières responsables ont d’ailleurs élaboré un système de codification « maison » parce que, dans les systèmes traditionnels disponibles à l’époque, le sujet « femme » n’était pas décomposé de façon assez précise pour répondre aux besoins de l’organisme. Le Centre de documentation, bientôt appelé à se développer d’une façon remarquable, comptera finalement parmi les plus importants du genre dans le monde francophone.

Depuis le tout début des activités du Conseil, le Service de l’information renseigne le public sur les droits des femmes par des contacts avec les médias et des conférences. Il le fait aussi par la publication d’un bulletin d’information, le CSF Bulletin. Le Service Action-Femmes, chargé de répondre aux demandes individuelles des femmes, de les conseiller, de les appuyer dans leurs démarches, de recevoir les plaintes et de diriger les plaignantes vers les services compétents, est créé en octobre 1974.

VIRE-VIE, un programme de sensibilisation au processus d’orientation scolaire des adolescentes.

Au moment où le Conseil du statut de la femme amorce son action, la discrimination en emploi est perçue comme condamnable, mais elle n’est pas formellement interdite par une charte ni par une loi. Dans ses premières interventions, le Conseil choisi donc de s’attaquer aux lois les plus ouvertement discriminatoires, particulièrement dans le domaine du travail et des avantages sociaux.

Un an après avoir été nommée, Mme Champigny-Robillard résume ainsi les enjeux : « Le Conseil du statut de la femme s’est intéressé à plusieurs autres domaines touchant la femme, particulièrement à l’éducation, mais il s’est fixé, dès sa première réunion, les priorités suivantes pour les femmes au travail : obtenir des lois pour régir les congés de maternité, la parité de salaire et l’élimination de la discrimination en emploi2. »

En mai 1974, le Comité de coordination des relations intergouvernementales du gouvernement du Québec reconnaît le Conseil comme maître d’œuvre des activités qui se tiendront au Québec pour l’Année internationale de la femme, en 1975. À ce titre, le Conseil devient responsable de la coordination entre le gouvernement québécois, ses ministères et organismes, les ministères fédéraux concernés, le Secrétariat de l’Année internationale de la femme (organisme fédéral spécialement créé à cette occasion) et les groupes, associations et individus qui désirent souligner cet événement.

Le Conseil lance, à l’automne 1974, un vaste programme de recherche dans le domaine de la transmission des valeurs et des représentations sociales. Les premiers résultats sont une analyse des stéréotypes masculins et féminins dans les manuels scolaires (publiée en septembre 1975) et l’élaboration d’un cours destiné aux futures enseignantes et futurs enseignants sur le sexisme. Du reste, ce cours sera inscrit au programme de formation des enseignantes et des enseignants de la plupart des universités québécoises. Plus tard, afin d’établir un mécanisme d’évaluation du sexisme dans les manuels scolaires, le Conseil collaborera avec le ministère de l’Éducation. C’est encore de concert avec ce dernier, ainsi qu’avec l’Institut national de recherche scientifique (INRS), qu’il mettra sur pied VIRE-VIE, un programme de sensibilisation au processus d’orientation scolaire des adolescentes.

En collaboration avec le Secrétariat fédéral de l’Année internationale de la femme, il a organisé une série de rencontres régionales à travers tout le Québec, permettant d’identifier 14 sujets jugés prioritaires par les Québécoises, et un forum national dans la Capitale : « Carrefour 75 », duquel découlera un programme d’action « pour corriger les situations injustes3 ». Ce forum a connu un rayonnement formidable sur tout le territoire. « La couverture de cet événement par la presse en général a été telle qu’il est permis de faire mention de Carrefour 75 comme un des grands événements de l’année 1975 au Québec4. »

Une série de recommandations ont été formulées à l’occasion de ce rassemblement, certaines d’entre elles s’adressant directement au Conseil du statut de la femme. C’est ainsi que Consult-Action est mis sur pied à l’automne 1976, en réponse aux demandes exprimées lors de Carrefour 75. Ce service offre un soutien aux groupes organisés ou en voie de formation pour définir leurs besoins, rechercher et développer les ressources du milieu et présenter des projets. En plus d’assurer les liens entre le Conseil et les groupes de femmes, il vise à appuyer les groupes de femmes dans la recherche de solutions collectives. Situé à Montréal, Consult-Action dessert toutes les régions du Québec.

Dans les avis qu’il publie en 1975 et en 1976, le Conseil pose les principes qui le guideront dans ses prises de position ultérieures. Il développe la conviction que l’égalité socio-économique passe par l’autonomie économique des femmes, et qu’il est essentiel, pour y parvenir, qu’elles accèdent à un emploi justement rémunéré. Il établit donc, par exemple, que les services de garde à l’enfance sont des services sociaux nécessaires, au même titre que l’éducation et la santé et demande que ces services soient développés suivant les besoins des familles. Dans un autre secteur, il considère que l’interruption volontaire de grossesse ne doit plus relever du domaine criminel, mais être considérée comme un service de santé dont il faut assurer l’accessibilité. Par ailleurs, le Conseil croit que l’égalité juridique des époux, telle qu’elle est proposée par l’Office de révision du Code civil, est essentielle à leur égalité socio-économique. Il pense aussi que la réforme du droit de la famille ne peut s’accomplir sans une révision de l’appareil judiciaire pour que soit solutionnée la problématique des compétences constitutionnelles en matière de mariage et de divorce.

Avec ses 300 recommandations, le document Pour les Québécoises : égalité et indépendance connaît un franc succès auprès de la population. Le gouvernement adopte d’emblée les propositions du Conseil et en fait sa politique officielle.

Le 17 mai 1977, le Conseil des ministres confie au Conseil du statut de la femme le mandat d’effectuer une étude en profondeur sur une politique d’ensemble de la condition féminine. Le défi est de taille et requiert toutes les ressources de l’organisme ainsi que la collaboration d’un comité interministériel et de ses groupes de travail; Consult-Action est alors chargé de mener une vaste consultation auprès des associations féminines.

Le 23 octobre 1978, le Conseil du statut de la femme remet au gouvernement un rapport intitulé Pour les Québécoises : égalité et indépendance. Ce document, de 335 pages, décortique tous les aspects de la condition féminine et formule plus de 300 recommandations. Tiré à 28 000 exemplaires, il connaît immédiatement un grand succès auprès de la population, puisqu’il se retrouve au troisième rang des best-sellers québécois au cours du mois de novembre 1978. Les journalistes ont accueilli cette publication comme un événement politique, au même titre que celle d’un livre vert ou blanc du gouvernement. Le Conseil estime que l’accueil positif fait à ce document est révélateur d’une évolution de l’opinion publique en matière de condition féminine.

Le gouvernement adopte d’emblée les propositions du Conseil et en fait sa politique officielle. Pour appliquer cette politique, le premier ministre nomme Mme Lise Payette ministre d’État à la Condition féminine. La nouvelle ministre détient, au sein du gouvernement, une place beaucoup plus importante que les ministres qui l’ont précédée comme « responsables du Conseil du statut de la femme ». En effet, en accédant à ce poste, la ministre d’État reçoit la mission de défendre l’ensemble des dossiers concernant les femmes, au Conseil des ministres et au Comité des priorités du gouvernement. Pour l’assister dans sa tâche, le gouvernement met sur pied, dès décembre 1978, un groupe de travail qui deviendra, en 1979, le Secrétariat à la condition féminine. Le groupe est chargé de coordonner l’action gouvernementale en matière de condition féminine.

Son mandat de cinq ans expiré, Laurette Champigny-Robillard quitte le Conseil après le dépôt du rapport sur la politique d’ensemble. Elle laisse en héritage un organisme doté d’une structure administrative solide et un document fondamental qui fera office, au Québec, de première politique en matière de condition féminine.

L’autonomie des femmes et la vie associative

Madame Claire Bonenfant (1978-1984)

Claire Bonenfant est nommée présidente du Conseil du statut de la femme le 1er décembre 1978. Durant le mandat de Mme Bonenfant, le contexte est marqué par le renforcement des assises de l’intervention gouvernementale en faveur des droits des femmes. Le gouvernement confie la responsabilité de la condition féminine à une ministre d’État et crée le Secrétariat à la condition féminine pour appuyer la ministre. La Charte des droits et libertés de la personne, adoptée en 1975, fera l’objet, durant ce mandat, d’une consultation publique sur des propositions d’amendement.

La nouvelle présidente fera bientôt de l’autonomie économique des femmes la principale préoccupation du Conseil, y voyant une condition sine qua non de l’émancipation des femmes. L’intensification des liens entre le Conseil et les groupes de femmes compte aussi parmi les principales préoccupations de la nouvelle présidente. Aussi l’un des objectifs du Conseil pour cette période est-il la présence de l’organisme en région. Le Conseil dotera chaque région d’un bureau simplement en déconcentrant les services de Consult-Action. Dans une première phase, en 1979-1980, le Conseil s’implante à Québec, Montréal, Hull, Trois-Rivières, Chicoutimi et Sherbrooke.

Et, en 1981-1982, une deuxième phase permettra d’assurer la présence du Conseil en Gaspésie, sur la Côte-Nord et dans le Nord-Ouest québécois.

Pour intensifier les liens du Conseil avec les groupes de femmes, la présidente se servira de ses nouveaux bureaux régionaux. À compter de 1982, les agentes du Conseil du statut de la femme en région sont d’ailleurs étroitement associées à la mise sur pied, à travers le Québec, des tables de concertation des groupes de femmes. Encore aujourd’hui, ces agentes poursuivent leur travail d’information et de soutien auprès des représentantes des groupes.

Autre priorité du Conseil : débusquer les stéréotypes sexistes dans la publicité. En s’attaquant à ce nouveau domaine de la transmission et des représentations sociales, le Conseil du statut de la femme poursuivra donc, durant le mandat de Mme Bonenfant, l’œuvre de Mme Champigny-Robillard contre les stéréotypes.

Naissance de la Gazette des femmes

Sous la présidence de Mme Bonenfant, le Conseil transforme en un magazine féministe le bulletin qu’il avait créé dès sa formation afin de mieux diffuser le fruit de ses recherches auprès des groupes et d’informer la population des avancées féministes.

En octobre 1979, le Bulletin du CSF est donc remplacé par la Gazette des femmes, un magazine féministe dont la présentation est plus recherchée, visuellement plus attrayante et qui comprend des chroniques, des dossiers et des articles d’intérêt général. Depuis ses débuts, le magazine est distribué gratuitement par abonne- ment à celles et ceux qui en font la demande.

Offensive contre la publicité sexiste

L’utilisation de l’image corporelle de la femme dans la publicité inquiète Mme Bonenfant et la pousse à engager le Conseil dans une action contre la publicité sexiste. Pour définir les modalités de cette action, elle met donc sur pied un comité sur la publicité non sexiste.

Sur la recommandation du Comité, le Conseil décide de recueillir les plaintes relatives à des messages publicitaires sexistes et de faire des interventions auprès des annonceurs. Le prix Déméritas, créé en 1980, sera attribué au message jugé le plus sexiste. L’année suivante, le prix Éméritas sera décerné à celui qui contribue le mieux à briser les stéréotypes. Ces prix ont connu, pendant plusieurs années, une grande popularité auprès de la population québécoise. Le Conseil a produit, en outre, une brochure d’information et de sensibilisation : La publicité sexiste, c’est quoi ? et a participé au Salon de la publicité. En 1982-1983, il renforce son action en établissant des mécanismes de collaboration avec des acteurs influents du monde de la publicité : le Conseil des normes de la publicité et la Confédération générale de la publicité.

Durant le mandat de MMme Bonenfant, le Conseil prend part au projet Pareille, pas pareils visant une éducation égalitaire des filles et des garçons. Il participe également aux colloques sur la violence organisés sur tout le territoire et il préside un comité interministériel pour l’établissement d’un protocole médical d’intervention auprès des femmes victimes d’agression sexuelle.

La nomination d’une ministre chargée spécifiquement de la condition féminine et la création du Secrétariat à la condition féminine transforment les rapports du Conseil avec le gouvernement. Dorénavant doté d’un organisme dont la fonction est de coordonner l’action gouvernementale en matière de condition féminine, le gouvernement fera moins appel au Conseil pour ce genre de fonctions et celui-ci peut se consacrer essentiellement aux responsabilités pour lesquelles il a été créé : conseiller le gouvernement et informer la population.

Le Conseil, ayant fait du développement de l’autonomie économique des femmes sa principale préoccupation, organise un forum sur la question. En octobre 1983, plus de 1 000 femmes se réunissent ainsi à Montréal sous le thème « Les femmes : une force économique insoupçonnée », pour discuter de leur condition économique. Les participantes s’intéressent autant à la situation économique des femmes sur le marché du travail qu’à la valeur économique de leur travail dans la sphère privée. Elles cherchent ensemble un dénominateur commun entre celles qui sont sur le marché du travail et celles qui travaillent au foyer. Ce « premier forum sur les femmes et la question économique au Québec, un précédent au Canada et fort probablement dans le monde 5», est un événement majeur selon la presse féministe.

Sous la présidence de Mme Bonenfant, le Conseil exercera sa responsabilité de conseiller le gouvernement en participant aux délibérations d’importantes commissions parlementaires. C’est en 1979, lors de l’étude du projet de loi no 89 sur la réforme du droit de la famille, qu’il exprime, pour la première fois de son histoire, son point de vue en commission parlementaire. Les positions qu’il a alors présentées en matière de droit de la famille alimenteront les travaux du Conseil pendant une décennie.

En octobre 1981, la présidente défend un mémoire devant la Commission de la justice, sur les propositions d’amendements à la Charte des droits et libertés de la personne. Le Conseil demande notamment que la grossesse, le harcèlement sexuel, l’âge et le handicap physique soient reconnus comme motifs de discrimination. Il demande aussi que la Commission des droits de la personne (CDP)6 obtienne les pouvoirs d’imposer, de réglementer et de contrôler les programmes d’accès à l’égalité. Par la suite, le Conseil a collaboré avec la CDP pour la préparation du Règlement sur les programmes d’accès à l’égalité qui devait être adopté en 1985.

Pour informer la population sur les conditions de vie des femmes, le Conseil entreprend la production de recueils statistiques. Chiffres en main, paru en 1981, inaugure la série de ces recueils en rendant accessibles, dans un même volume, des données sur différents aspects de la vie des femmes : travail, éducation, démographie, famille, fécondité et communautés culturelles. Cet ouvrage sera mis à jour sous le titre Les femmes, ça compte, en 1984 et en 1990, et comprendra notamment des données inédites des recensements canadiens de 1981 et de 1986.

À la fin du mandat de Claire Bonenfant, au printemps de 1984, le Conseil dispose d’une structure régionale développée qui lui permet d’entretenir des liens étroits avec les groupes de femmes. Il offre aux milieux intéressés des documents utiles et appréciés sur la condition féminine des Québécoises. Claire Bonenfant a beaucoup contribué, en outre, à sensibiliser les femmes et la société à la valeur économique de l’ensemble de la production sociale des femmes et à l’importance de leur autonomie économique.

Sortir la maternité du laboratoire et rejoindre de nouveaux interlocuteurs

Madame Francine C. Mckenzie (1984-1988)

La troisième présidente du Conseil du statut de la femme, Francine C. McKenzie, entre en fonction le 28 mars 1984. Cette époque est caractérisée par la naissance, survenue quelques années plus tôt, du premier « bébé-éprouvette » et par la répétition de l’exploit, deux événements qui ont donné lieu au développement des technologies reliées à la procréation humaine. Au Québec, la réforme du Code civil se poursuit et le gouvernement se prépare à présenter une première politique familiale intégrée.

La naissance du premier « bébé-éprouvette », en 1978, a suscité de prime abord l’admiration du public et un engouement des médias pour ces progrès de la science. Cependant, des femmes et quelques intervenants des milieux scientifique, juridique et religieux émettent des réserves quant à la pertinence, sur le plan de l’éthique et du respect de la personne humaine, d’orienter la recherche scientifique dans une direction qui risque de bouleverser l’ordre naturel des choses et de porter atteinte à la dignité des personnes.

Francine C. McKenzie est très consciente des enjeux éthiques que représente ce type de développement scientifique ainsi que des conséquences qu’il pourrait avoir sur l’autonomie reproductive des femmes. Les nouvelles technologies de la reproduction deviennent donc une priorité pour le Conseil; l’intérêt pour ces questions se prolongera au-delà du mandat de Francine C. McKenzie. Appuyé d’un comité d’expertes et d’experts de différentes disciplines, le Conseil s’engage dans un important programme de recherche qui aura comme résultat la publication de six études. Ces réflexions l’amèneront à formuler des recommandations au gouvernement sur la question, à partir d’une perspective féministe et humaniste.

Sa connaissance du sujet permet en outre au Conseil d’amorcer un large débat sur les problématiques de l’intégrité de la maternité et du contrôle de la fécondité, interpellant les milieux du droit, de la médecine, de la biologie et de l’éthique. Il élargit le débat aux groupes de femmes en produisant deux vidéos et un guide d’animation sur la question et en publiant une brochure, Enjeux, qui examine, sans ambages et dans un langage accessible, les enjeux des nouvelles technologies de la reproduction.

Le point culminant de ces années de réflexion, de sensibilisation et d’étude est la tenue du Forum international sur les nouvelles technologies de la reproduction. Le forum a réuni une quarantaine de spécialistes internationaux et 500 participantes et participants à Montréal, les 29, 30 et 31 octobre 1987. Il se dégage des conférences et des discussions tenues à cette occasion que la maternité et la science ne font pas toujours bon ménage. C’est sous le titre de Sortir la maternité du laboratoire que les actes du forum ont été publiés à l’hiver 1988.

Ce débat incite d’ailleurs le ministère de la Santé et des Services sociaux à mettre sur pied le Comité interministériel de travail sur les nouvelles technologies de la reproduction. Par la suite, le Conseil sera invité à participer, en tant qu’expert, à plusieurs rencontres internationales sur le sujet.

Le gouvernement publie à cette époque le Livre vert sur la politique familiale. Lors de la vaste consultation dont celui-ci fait l’objet, le Conseil établit que toute politique familiale doit être compatible avec l’avancement des femmes dans la société, l’autonomie des personnes et le soutien aux familles. La réforme du Code civil portant sur le droit des personnes et des successions est, pour le Conseil, l’occasion de rappeler les principes d’inviolabilité de la personne de la mère et de demander que les droits de l’épouse soient mieux protégés en cas de décès du conjoint. L’année suivante, il élabore une position sur le partage des biens familiaux en cas de divorce.

Le Conseil place l’atteinte de l’autonomie par les femmes au sommet de ses préoccupations et insiste particulièrement sur l’autonomie économique. Il organise donc une tournée de sensibilisation aux questions économiques s’adressant aux femmes du Québec en s’associant à la troupe de théâtre Parminou réputée pour sa technique de théâtre-intervention. Il présente aussi un mémoire à la Commission consultative sur le travail (commission Beaudry) recommandant des mesures pour améliorer les conditions d’emploi des femmes. En outre, le Conseil mène des recherches sur l’équité salariale et le revenu minimum garanti et élabore des avis sur l’aide sociale et la fiscalité. Sur ce dernier sujet, il produit un guide d’animation et la vidéo Fi$c-Égalité afin de démystifier la fiscalité et de cerner les enjeux qui concernent les femmes.

Convaincu que les choix scolaires et professionnels des femmes déterminent les conditions de leur autonomie, le Conseil du statut de la femme trouve inquiétante l’orientation d’une proportion importante de filles vers les options traditionnelles. Ce choix entretient la ségrégation professionnelle et cause une inégalité systé- mique sur le marché de l’emploi. Afin d’inciter les filles à diversifier leurs choix, il lance, en 1985, conjointement avec le ministère de l’Éducation et celui de la Science et de la Technologie, un guide sur les carrières non traditionnelles pour les filles : Explorons de nouveaux espaces. Destiné aux élèves du secondaire, aux enseignants et au personnel spécialisé en orientation, le guide est distribué gratuitement, en 50 000 exemplaires, dans les écoles du Québec.

En 1986, le Conseil fait part au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) de ses inquiétudes face au contenu souvent violent et sexiste des vidéoclips principalement destinés aux jeunes. À la suite de cette première intervention, le Conseil effectue une étude sur cette question, crée une table de concertation pour sensibiliser les partenaires de l’industrie et les groupes en cause et mène une campagne de sensibilisation auprès des jeunes. L’étude, confiée à François Baby, de l’Université Laval, sera publiée par le Conseil sous le titre Sexisme dans les vidéoclips à la télévision. Elle met le doigt sur le sexisme et la violence qu’on retrouve dans ce média.

Le mandat de Francine C. McKenzie s’est terminé prématurément, la mort l’ayant emportée le 10 juin 1988. Au cours de ce mandat, le Conseil s’est particulièrement illustré par ses initiatives et ses travaux se rapportant au débat sur les nouvelles technologies de la reproduction, par la multiplication de ses interlocuteurs et la diversité de ses actions. Il a par ailleurs continué d’accompagner les Québécoises dans leur cheminement vers l’égalité. La diversité de ses actions, son expertise en matière de condition féminine et la diversité de ses collaborateurs en font un partenaire reconnu dans le milieu sociopolitique.

Avec les femmes, de tous les débats

Madame Marie Lavigne (1988-1995)

Entrée en fonction le 1er novembre 1988, Marie Lavigne arrive à la direction du Conseil du statut de la femme alors que le Québec connaît des changements structurels importants. Le mouvement de régionalisation se concrétise d’abord par le transfert de responsabilités du gouvernement vers les municipalités et par la création des nouveaux organismes que sont les régies régionales de la santé et des services sociaux et les conseils régionaux de développement. Sur le plan des politiques sociales, commence à souffler un vent favorable au désengagement de l’État. C’est aussi l’époque du débat sur la décriminalisation de l’avortement.

Le contexte social dans lequel évolue le mouvement des femmes a beaucoup changé depuis la création du Conseil. La modification du cercle familial, le vieillissement de la population et l’apport varié des membres des communautés culturelles au développement de la société québécoise, sans parler de la diversification des mouvements féministes, sont des facteurs qui conditionnent désormais la poursuite des objectifs généraux d’égalité et d’indépendance. Les enjeux se sont morcelés; les obstacles deviennent plus subtils, donc plus difficiles à déceler, et les gains, moins évidents.

Sur cette toile de fond, le Conseil doit privilégier des avenues inédites pour poursuivre sa mission. Il travaille donc à tisser de nouvelles alliances, à accroître le partenariat et à resserrer les liens avec les groupes qui le nourrissent de leurs expériences multiples. En contrepartie, il accentue ses efforts pour outiller les groupes en information afin qu’ils puissent mieux affronter les défis qu’ils doivent relever.

Marie Lavigne entreprend, au début de son mandat, une tournée des régions du Québec afin de saisir les préoccupations des groupes de femmes et d’ainsi permettre au Conseil de dégager des orientations ayant la plus large perspective possible de la condition féminine. Durant son mandat, le Conseil donne priorité à l’autonomie économique des femmes, à la question démographique, à la violence faite aux femmes, à la publicité sexiste et à la participation des femmes aux instances du pouvoir.

Les changements démographiques et surtout le ton alarmiste du discours dominant sur les enjeux du vieillissement et de la décroissance de la population poussent le Conseil à s’engager dans le débat. Pour analyser les principaux aspects de l’évolution démographique dans une perspective féministe, il commande une étude exploratoire à deux démographes et de former un groupe de recherche.

Les travaux de ce groupe seront publiés dans Au cœur des changements démographiques : des femmes font le point. Le Conseil a par ailleurs produit, en mars 1992, un avis dans lequel il indique qu’il n’adhère pas à l’analyse négative des conséquences de l’évolution démographique proposée par le gouvernement. Il est plutôt d’avis que la société doit chercher à s’adapter aux nouvelles réalités afin que les femmes puissent matérialiser leur désir d’enfants et que les personnes âgées voient reconnaître leur rôle et leur apport.

Les événements tragiques survenus à l’École Polytechnique de Montréal, le 6 décembre 1989, ont révélé le phénomène de la violence faite aux femmes avec une acuité nouvelle. Ils ont amené le Conseil à envisager la question dans une perspective plus globale qu’il ne l’avait fait jusqu’alors. Un important programme de recherche conduit à la préparation de cinq états de situation et alimente la réflexion du Conseil. En avril 1993, il dépose ainsi son avis Pour que cesse l’inacceptable : avis sur la violence faite aux femmes, par lequel il recommande à l’État de prévoir une intervention globale face à ce phénomène.

Par ailleurs, le Comité sur la publicité sexiste revoit l’ensemble de ses activités. Il étend d’abord son champ d’action aux vidéoclips et à d’autres véhicules de l’image des femmes. Ensuite, devant l’évolution rapide de la publicité, il réévalue ses approches et ses critères d’analyse. Une nouvelle étude portant sur les vidéoclips et sur la publicité, intitulée Les femmes dans les vidéoclips : sexisme et violence, révèle la persistance des stéréotypes.

Le Conseil, particulièrement par l’entremise des agentes en région, poursuit sans cesse ses efforts afin que les femmes prennent la place qui leur revient dans les différents lieux de pouvoir qui se sont multipliés à l’échelle locale et régionale. Par exemple, le Conseil collabore, en 1993, avec le ministère des Affaires municipales dans une opération d’information et de sensibilisation à l’occasion des élections municipales sur les enjeux des élections locales pour les femmes afin de les inciter à participer et à se porter candidates. Le Conseil et le Ministère renouvelleront leur coopération à quelques reprises par la suite.

Avec la publication de Pour une réelle démocratie de représentation : avis sur l’accès des femmes dans les structures officielles du pouvoir et de l’étude Femmes et démocratie de représentation : quelques réflexions, le Conseil entend apporter sa contribution au débat déjà vivant dans le mouvement féministe sur la participation des femmes au pouvoir et sur les moyens d’y arriver. Tout en étant conscient que seuls un travail de sensibilisation de la population et des détenteurs du pouvoir – et un engagement des femmes elles-mêmes – pourront permettre aux femmes d’exercer enfin leur part de pouvoir, le Conseil propose des mesures visant à apporter une véritable égalité des chances dans le processus électoral.

Lorsque le gouvernement renouvelle le mandat de Marie Lavigne à la présidence du Conseil du statut de la femme, le 31 octobre 1993, l’organisme se trouve en pleine célébration de son 20e anniversaire sous le thème Avec les femmes, de tous les débats.

Pour souligner ses vingt ans, le Conseil a retenu deux thèmes principaux : le développement régional et le féminisme. Différentes activités, qui se déroulent en trois temps, se greffent à ces thèmes. Le Conseil organise d’abord une série de trois colloques sur le développement régional. Par la suite, le féminisme est abordé au cours d’une série de conférences-débats tenues à l’automne 1993. Ces conférences devaient permettre de constater le chemin parcouru, d’esquisser les priorités et de faciliter le dialogue sur le féminisme avec les femmes et les hommes de toutes les générations.

Les vingt ans du Conseil ont aussi été soulignés, le 21 octobre 1993, lors d’une cérémonie officielle à l’Assemblée nationale, où fut adoptée une motion soulignant l’entrée en vigueur de la Loi sur le Conseil du statut de la femme et les vingt ans d’engagement gouvernemental en faveur des femmes.

Au cours du deuxième mandat de Marie Lavigne, le souci du Conseil pour la sécurité économique des femmes est très manifeste. L’organisme prend position sur la refonte du Régime de rentes du Québec et dans le débat sur les pensions alimentaires pour enfants. Il se prononce pour l’adoption de règles québécoises de fixation des pensions, pour celle d’un système universel, automatique et obligatoire de perception et pour la « défiscalisation » des pensions alimentaires pour enfants.

Quelles mesures envisager pour favoriser l’autonomie économique des femmes ? À l’approche du Sommet sur l’économie et l’emploi, le mouvement des femmes revendique des investissements publics dans le développement de l’économie sociale. Le Conseil du statut de la femme organise alors un colloque où les possibilités de l’économie sociale seront examinées de fond en comble. Tout en reconnaissant la capacité de l’économie sociale de créer des emplois, le Conseil invite les décideurs à la vigilance afin que l’économie sociale ne donne pas naissance à de nouvelles inégalités dont les femmes feraient les frais.

La présence dans la société québécoise d’un nombre croissant de personnes appartenant à des groupes culturels variés pose un défi au regard des accommodements à offrir sans remettre en question les fondements de l’identité québécoise. Le principe de l’égalité entre les sexes fait partie de ces fondements. Souhaitant prendre position sur le port du hijab à l’école, le Conseil rend publique sa réflexion. Il y conclut que l’interdiction du hijab dans les écoles publiques n’est pas la solution à privilégier parce que les jeunes filles risquent de se retrouver dans des écoles privées religieuses, hors du lieu d’intégration à la société québécoise que constitue l’école publique. Il demande par ailleurs au gouvernement d’élaborer une politique de gestion de la diversité culturelle.

Le Conseil participe, à l’automne 1993, au Forum sur l’emploi et appuie, en 1995, la Marche des femmes contre la pauvreté, notamment en produisant un document de statistiques sur les femmes et la pauvreté. Enfin, comme il l’avait fait à l’occasion d’étapes antérieures du débat constitutionnel, il présente, en mars 1995, un mémoire à la Commission sur l’avenir du Québec sur l’avant-projet de loi sur la souveraineté du Québec. Il diffuse également un document d’information sur les femmes et la constitution afin d’aider les citoyennes et les groupes à participer au débat sur le sujet dans chaque région.

La crise des finances publiques interpelle le Conseil non seulement comme enjeu sociopolitique, mais aussi parce qu’en tant qu’organisme gouvernemental, il est directement touché. Le Conseil voit en effet son budget diminuer de 14,5 % entre 1994-1995 et 1996-1997, ce qui l’oblige à revoir son organisation et les services qu’il offre à la population. Le Service Action-Femmes qui fournissait, depuis 1974, de l’information sur une base individuelle est aboli. La Gazette des femmes doit mettre fin à sa distribution gratuite par abonnement. À partir de l’automne 1994, ce magazine est vendu par abonnement et, dès l’hiver 1995, distribué en kiosque.

Ce passage de la gratuité à la vente a forcément eu un effet sur le tirage du magazine : le tirage moyen, qui était de 60 000 en 1993, est descendu à 15 380 en 1995-1996 pour remonter à 23 250 en 2001-2002.

Le 29 septembre 1995, après huit années à la présidence du Conseil du statut de la femme, MMme Marie Lavigne quitte son poste pour prendre la direction d’un autre organisme gouvernemental.

Au cours du mandat de Mme Marie Lavigne, le Conseil du statut de la femme a adapté ses orientations et ses actions aux nouvelles structures régionales en tenant compte du contexte économique difficile. Habitué à s’adresser à un pouvoir centralisé, il a établi de nouveaux liens et a appris à composer avec les nombreux décideurs qui façonnent les conditions de vie des femmes. Dans une société caractérisée par la diversité culturelle, le Conseil a su tisser de nouvelles alliances avec les groupes de femmes.

En 1995, le Conseil appuie la cause de la Marche des femmes contre la pauvreté Du pain et des roses, en produisant un document de statistiques sur les femmes et la pauvreté.

De l’audace et de l’action

Madame Diane Lemieux (1996-1998)

Diane Lemieux, lorsqu’elle accepte la présidence le 29 avril 1996, n’est pas une étrangère au Conseil du statut de la femme puisqu’elle était membre du Conseil depuis janvier 1995.

MMme Lemieux est arrivée à la présidence dans le contexte d’une réorganisation des services gouvernementaux. La mondialisation des marchés et la crise des finances publiques complètent la toile de fond sur laquelle le Conseil du statut de la femme veut faire évoluer les conditions de vie des femmes d’ici.

La vie des femmes est de plus en plus influencée par des décisions prises au palier régional. Le gouvernement est à préparer une nouvelle politique de soutien au développement local et régional et il s’apprête à tenir le Sommet sur l’économie et l’emploi. Il déposera bientôt un projet de loi sur l’équité salariale.

Dans ce contexte, l’intérêt du Conseil pour les conditions de vie des femmes du Québec se manifeste d’abord par l’actualisation des 16 dossiers socio-économiques régionaux dont dispose le Conseil. Ces outils permettent aux agentes et aux groupes de femmes de mieux cibler leurs interventions auprès des instances locales et régionales. Les agentes en région, qui participent à plusieurs conférences administratives, s’assurent que les analyses du Conseil sont connues et prises en compte par les acteurs régionaux.

Au début du mandat de Diane Lemieux, le gouvernement décide d’ajuster la politique en condition féminine aux nouvelles structures régionales et entreprend une consultation en vue de définir la cinquième orientation de cette politique qui portera précisément sur la place des femmes dans le développement régional. Le Conseil soutient activement le Secrétariat à la condition féminine dans la consultation et dans l’élaboration du Programme d’action 1997-2000 pour toutes les Québécoises.

Le Conseil prend également position sur la Politique de soutien au développement local et régional. Il s’agit de s’assurer que les engagements du gouvernement en matière de condition féminine sont intégrés par les instances locales et régionales. Dans le contexte de la mondialisation, les réformes qui s’annoncent risquent d’affaiblir le pouvoir de l’État; pour un temps, le Conseil s’attardera donc à la préservation des acquis des femmes davantage qu’à la conquête d’avancées franches.

C’est dans cet esprit qu’il intervient lors du Sommet sur l’économie et l’emploi, à l’automne 1996. Il fait parvenir aux participantes et aux participants une déclaration officielle intitulée Repartir du bon pied avec 3,7 millions de femmes. Dans cette déclaration, il fait état de la situation des femmes sur le marché du travail et des obstacles qu’elle comporte et il propose des avenues favorables à une plus grande égalité entre les sexes. Le Conseil transmettra de plus aux quotidiens son analyse des résultats et des engagements pris au cours du Sommet.

Le Conseil participe à la commission parlementaire qui étudie un projet de loi éminemment important pour les conditions de travail des salariées québécoises : le projet de loi sur l’équité salariale. S’il accueille favorablement l’idée d’une telle loi, il insiste sur l’importance de trouver le moyen qu’y soient assujetties les entreprises de petite taille en rappelant que les coûts de l’inaction à cet égard sont élevés pour les femmes.

Une politique familiale progressiste est également nécessaire pour soutenir l’insertion en emploi des mères. C’est ce que défend le Conseil dans son avis La société et les familles : miser sur l’égalité et la solidarité. Il y analyse les nouvelles dispositions de la politique familiale et les mesures fiscales proposées par le gouvernement. Le Conseil se dit favorable à une assurance parentale, au développement de services de garde accessibles et à une allocation familiale unique. Il déplore toutefois le fait que les allocations familiales perdent leur caractère universel : en devenant sélectif, le soutien apporté aux familles à faible revenu est largement assumé par les familles de la classe moyenne plutôt que par l’ensemble des contribuables.

En 1995, le gouvernement tient les États généraux sur l’éducation, une vaste réflexion sur l’éducation au Québec. Le Conseil répond à l’appel. Il émet d’abord un avis en réponse à certaines questions posées par les commissaires et produit un jeu de fiches d’information à l’intention des groupes de femmes qui désireraient intervenir. Il est aussi convié aux assises nationales. Dans chacune de ses interventions, le Conseil rappelle l’importance de l’éducation dans la conquête de l’autonomie des femmes.

La question de la diversité culturelle et religieuse donne lieu à plusieurs actions du Conseil. Il dépose un mémoire lors des audiences publiques tenues par le Conseil des relations interculturelles en septembre 1996. À propos des accommodements à mettre en place pour accueillir des personnes aux croyances et aux cultures distinctes de celles de la majorité, il demande au gouvernement de poser des balises pour assurer le respect des valeurs fondamentales de la société et le maintien des acquis des femmes. Le Conseil publie un avis, Droit des femmes et diversité, qui tente de répondre aux questions touchant le respect de l’égalité entre les sexes et les accommodements raisonnables. L’apport de cet avis fut surtout de dépasser l’approche du cas par cas en proposant une analyse basée sur les principes féministes.

Le Conseil se prononce une deuxième fois, en 1996, sur les « nouvelles technologies de la reproduction7 » en réponse au mandat que lui a confié la ministre déléguée à la Condition féminine. Il produit donc un avis devant guider l’intervention gouvernementale dans le dossier des technologies de reproduction humaine : La procréation médicalement assistée : une pratique à encadrer. Fidèle à ses prises de position antérieures, le Conseil y demande d’encadrer certaines pratiques et d’en interdire d’autres, tels le clonage et le choix du sexe en fonction de critères non médicaux.

Les technologies de l’information sont devenues un outil incontournable. Le Conseil expose donc, devant la Commission de la culture sur les enjeux liés à l’expansion de l’inforoute, sa crainte que les femmes soient laissées pour compte dans le projet de l’autoroute de l’information.

Le 18 mars 1998, l’Assemblée nationale adopte une motion pour rappeler que la Loi sur le Conseil du statut de la femme a été adoptée en mars 1973 et pour rendre hommage aux personnes qui ont contribué à l’avancement des droits des femmes. À l’occasion d’une réception officielle, le premier ministre, M. Lucien Bouchard, souligne la contribution du Conseil et l’évolution des conditions de vie des femmes. Pour rejoindre les plus jeunes, le Conseil a préparé des documents sur l’histoire des droits des femmes qui s’adressent au milieu scolaire.

Il en fallait de l’audace pour tenir un colloque où seraient soumises au débat public des questions risquant de mettre en lumière les contradictions du féminisme. C’est ce que fait le Conseil en mai 1998, en tenant, pour son 25e anniversaire, le colloque Marcher sur des œufs, en collaboration avec l’Institut de recherches et d’études féministes de l’UQÀM. Au programme, des discussions sur les enjeux du féminisme, autour de questions posées sans détour : dévalorisation ou déqualification du rôle maternel : est-ce la faute du féminisme ? Le droit des femmes à l’intégrité physique peut-il avoir une limite ? Le féminisme « paternaliste » ou quand les féministes réclament la chose et son contraire. Les solutions de corrections ont-elles un avenir ?

Ayant vivement encouragé les femmes à s’engager dans la vie publique, Mme Diane Lemieux annonce sa démission de la présidence du Conseil du statut de la femme, le 2 novembre 1998, précisément pour poser sa candidature à l’élection générale qui doit se tenir à la fin du mois.

Femme d’action, de stratégie et de vision

Madame Diane Lavallée (1999-2006)

Le 23 juin 1999, la présidence du Conseil du statut de la femme est confiée à Diane Lavallée. Le féminisme d’État est un terrain familier pour elle qui a déjà occupé le poste de secrétaire générale associée à la Condition féminine.

C’était l’époque des négociations en vue de créer la Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA). Au Québec, le gouvernement prépare une révision du Code du travail et s’apprête à tenir un vaste sommet pour établir les bases de la première politique québécoise de la jeunesse. Un collectif populaire qui commence à faire parler de lui allait bientôt convaincre le gouvernement d’adopter une loi contre la pauvreté. Cette époque est également marquée par la montée de l’antiféminisme et par une remise en question de plus en plus vive des programmes publics inspirés par la solidarité sociale.

Avec Mme Lavallée à sa tête, le Conseil aura pour priorités l’amélioration et le maintien des conditions de travail des femmes, la conciliation des temps sociaux, la lutte contre la pauvreté des femmes et l’établissement de liens avec la génération montante, dans un souci de legs féministe.

À l’automne 1999, le Conseil s’est invité à la préparation du Sommet du Québec et de la jeunesse, en publiant deux documents à l’intention des membres des chantiers du Sommet, pour les sensibiliser à la problématique propre des jeunes femmes. Par la suite, durant l’élaboration de la politique jeunesse, le Conseil a formulé ses recommandations dans un mémoire intitulé Pour une jeunesse en marche vers l’égalité entre les femmes et les hommes.

En avril 2002, le Conseil publie un portrait des femmes âgées de 15 à 29 ans. Des nouvelles d’elles : les jeunes femmes du Québec réunit les données statistiques portant sur les divers aspects de la vie des jeunes femmes d’ici à l’aube du XXIe siècle. C’est le second d’une collection de portraits des Québécoises qui comptait déjà un titre : Les femmes âgées du Québec. La collection sera enrichie, en 2005, d’un nouveau titre : Les femmes immigrées du Québec, un portrait actualisé de ces femmes venues d’ailleurs et de leurs conditions de vie.

La libéralisation des marchés et la concurrence débridée qui s’ensuit semblent menacer les conditions de travail des petits salariés, au rang desquels on compte beaucoup de femmes. Le Conseil profite du Sommet de Québec, au printemps 2001, pour publier un avis et une brochure sur la ZLÉA qui fait part de sa réflexion sur le projet d’intégration économique. Il propose des pistes d’action afin que ce projet contribue au mieux-être des populations et qu’il soit porteur d’une plus grande égalité entre les femmes et les hommes, au Sud comme au Nord.

Conscient que la pauvreté affecte tout particulièrement les femmes, le Conseil tient à se prononcer sur les orientations gouvernementales en matière de lutte contre la pauvreté. Il dépose, en 2002, le Mémoire sur la Stratégie nationale de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale et sur le projet de loi no 112, dans lequel il recommande notamment au législateur de protéger les conditions d’emploi de la main-d’œuvre, de développer les centres de la petite enfance et d’accroître l’aide au logement.

Soucieux des conditions de vie des travailleuses du Québec, le Conseil publie Travailler autrement : pour le meilleur ou pour le pire ? Les femmes et le travail atypique. Cette étude analyse le développement des formes de travail dites atypiques et dépeint les conséquences néfastes de ce phénomène qui touche une part grandissante de la main-d’œuvre. Suivra un avis dans lequel le Conseil formule des recommandations pour que les lois du travail continuent de protéger les conditions d’emploi des personnes salariées.

Au début des années 2000, le Conseil crée les Prix ISO familles en s’associant au Conseil de la famille et de l’enfance, au Conseil consultatif du travail et de la main-d’œuvre, au ministère de la Famille et de l’Enfance et au ministère du Travail pour les réaliser. Ces prix visent à encourager, chez les employeurs, la multiplication des initiatives pour faciliter la conciliation de la famille et du travail et à développer une culture de la conciliation travail/famille dans les entreprises. Les organisations lauréates proviennent d’horizons variés : syndicats, milieu coopératif, universités, secteurs public et privé. Encore une fois, le Conseil a agi en précurseur puisque, après deux années de succès, le concours sera repris par le ministère de l’Emploi, de la Solidarité sociale et de la Famille.

Les jeunes femmes sont nombreux à choisir une carrière universitaire, ce qui implique le prolongement de la période des études et son chevauchement avec celle de la maternité. C’est pourquoi le Conseil a émis, en février et en août 2004, trois avis traitant des conditions de vie de la population étudiante et des défis à relever pour que les femmes participent pleinement et équitablement à la société du savoir.

En novembre 2005, le Conseil dépose le Mémoire sur l’avant-projet de loi remplaçant la Loi électorale. Il y fait valoir que le mode de scrutin n’a pas de vertu en soi pour favoriser l’élection de femmes et il affirme préférer le statu quo en cette matière à des changements aux conséquences incertaines. Il propose des mesures pour inciter les partis politiques à présenter des candidates et à les faire élire.

Au chapitre de la santé, le virage ambulatoire se poursuit. En mai 2000, le Conseil émet un avis, Pour un virage ambulatoire qui respecte les femmes, dans lequel il évalue le coût du virage ambulatoire, particulièrement élevé pour les femmes. C’est parmi elles, en effet, que l’on trouve l’immense majorité des proches aidantes, ces personnes sur qui repose le maintien des malades à la maison.

En mars 2006, le Conseil publie deux mémoires à propos du système de santé et de services sociaux. Il y demande le maintien d’un système public universel et équitable de même que l’encadrement des cliniques privées et la création de cliniques coopératives ou à but non lucratif. Lors de la consultation sur le projet de loi no 89, Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée et modifiant d’autres dispositions législatives, il se montrera en accord avec l’intention de légiférer, tout en recommandant d’adopter une véritable loi- cadre plutôt qu’une simple structure de réglementation.

Afin de se rapprocher des jeunes et d’entretenir des relations avec la relève, le Conseil a mis sur pied, pour la première fois de son histoire, un groupe de travail composé à la fois d’hommes et de femmes. Des groupes de discussion sont tenus avec des élèves du secondaire, des cégépiens, des universitaires et de jeunes travailleuses et travailleurs. Le Conseil mène de plus un sondage sur son site Internet et développe une section jeunesse dans ce site. Il produit un numéro spécial de la Gazette des femmes, qui se transforme pour l’occasion en Gazette des filles.

Sur la question controversée de la prostitution, le Conseil publie, en mai 2002, une importante étude intitulée La prostitution : profession ou exploitation ? Une réflexion à poursuivre. Il en ressort que celle-ci est largement le fait de groupes criminalisés qui se chargent du recrutement auprès de jeunes fugueuses particulièrement vulnérables. Cette étude adopte une perspective novatrice en s’intéressant aux clients et aux proxénètes et en établissant un lien entre la prostitution et le trafic des femmes.

Le magazine la Gazette des femmes demeure le document du Conseil le plus lu. L’abondant courrier des lectrices témoigne de l’intérêt que suscitent les articles, les chroniques et les dossiers de la Gazette des femmes, tout comme les nombreux prix prestigieux décernés au magazine féministe ou à ses journalistes attestent de la qualité de la publication.

Pour l’an 2000, le magazine a fait peau neuve en rafraîchissant sa présentation graphique et rédactionnelle. Cette transformation visait à joindre une clientèle plus jeune et à renforcer la crédibilité du périodique comme chef de file de l’information en condition féminine. La Gazette des femmes s’associera à Québec Science pour publier, dans son numéro de mars-avril 2004, un dossier spécial sur les femmes en sciences.

Le 30e anniversaire du Conseil du statut de la femme a été souligné en grand. Le colloque Réfléchir sur 30 ans a permis à des spécialistes d’ici, d’Europe et des États-Unis de porter un regard sur la situation et d’explorer de nouvelles voies favorables à l’égalité entre les femmes et les hommes. On s’interroge sur l’avenir du féminisme dans un contexte où le rôle de l’État s’amenuise, où la relève est incertaine et où s’affirme un courant antiféministe, parfois avec virulence. Par la suite, des militantes se rencontrent pour discuter de stratégies. Au Spectrum de Montréal, un spectacle réunissant plus de 40 artistes rappelle les grands moments du féminisme, à l’aide de chansons, de monologues et de théâtre.

En février 2004, la ministre responsable de la Condition féminine confie au Conseil un mandat à deux volets :

  1. définir un concept d’égalité, le plus large possible, applicable dans le contexte québécois;

  2. produire un avis sur les orientations et les axes d’intervention en vue de définir une future politique gouvernementale de la condition féminine qui incorporerait des alliances plus soutenues avec l’ensemble des acteurs de la société québécoise.

Le Conseil dépose son avis en septembre 2004. Vers un nouveau contrat social pour l’égalité entre les femmes et les hommes fait le point sur les avancées des Québécoises et sur les obstacles qui empêchent d’en arriver à une véritable égalité dans les faits. La démarche qui y est proposée se compose de trois leviers d’action : les approches spécifique, transversale ou sociétale. Le Conseil demande que des budgets suffisants soient alloués au parachèvement de l’égalité et que les élus et les acteurs sociaux deviennent imputables des progrès en matière d’égalité. Il propose aussi la mise sur pied d’une commission parlementaire quinquennale qui se pencherait sur la question de l’égalité des sexes et suggère de créer une table des partenaires de l’égalité.

En commission parlementaire, les personnes et les groupes intéressés font valoir leur point de vue sur les orientations proposées. Plus d’une centaine de mémoires sont alors déposés. La commission parlementaire a permis d’élargir le débat à l’ensemble des acteurs de la société, ralliant tant les hommes que les femmes à la poursuite de l’égalité. Dans son rapport, la commission recommande que l’analyse différenciée selon les sexes soit généralisée à tout l’appareil de l’État, que les structures actuelles en condition féminine soient maintenues et que la ministre responsable élabore une nouvelle politique ainsi qu’un plan d’action. Un mécanisme annuel de reddition de comptes des priorités d’action devrait être prévu dans tous les ministères et organismes gouvernementaux et la Commission des affaires sociales devrait siéger tous les trois ans pour évaluer l’implantation de la politique.

En mars 2006, le Conseil reprend une réflexion amorcée au cours des années 1990 sur les enjeux de la diversité religieuse. Celle-ci fait maintenant partie de la trame sociale du Québec. Il tient un colloque à Montréal sous le thème L’affirmation religieuse menace-t-elle l’égalité des sexes? Diversité de foi, égalité de droits. En suscitant le dialogue entre les femmes de confessions et d’origines diverses, le Conseil tente de mieux connaître les besoins des femmes des minorités religieuses et de s’assurer qu’elles disposent de toute l’information sur leurs droits. Il veut faire émerger des stratégies permettant de concilier les droits et la liberté religieuse.

Le 5 avril 2006, Mme Lavallée quitte la présidence du Conseil pour devenir curatrice publique. Les années de gouvernance de Mme Lavallée ont été marquées par une continuité dans l’action et par une large réflexion afin d’ajuster aux réalités actuelles le concept d’égalité des sexes. Elle a su cerner les principaux enjeux qui interpellent les femmes du Québec et se mettre à l’écoute de la nouvelle génération et de ses aspirations, tout en reconnaissant le travail des pionnières. Son mandat a été marqué par des interventions devant des auditoires très variés et touchant tous les aspects de la vie des femmes.

Femme de débat et de droit... engagée sur la scène internationale

Madame Christiane Pelchat (2006-2011)

Christiane Pelchat est nommée présidente du Conseil du statut de la femme le 29 novembre 2006. Les transformations résultant, sur le marché du travail, de la libéralisation du commerce se sont approfondies et la diversification culturelle de la société québécoise est devenue plus marquée. Le ressac contre le féminisme se poursuit tandis qu’on assiste à un morcellement des enjeux féministes. Le Conseil doit donc donner priorité à la consolidation des acquis des femmes, ce qui convient très bien au profil de la présidente, avocate spécialisée en droit administratif et en droit de la personne.

Les lignes directrices de l’engagement de la nouvelle présidente sont la protection du droit à l’égalité, l’autonomie économique des femmes et la protection du système public de santé. Avec elle à sa tête, le Conseil poursuit l’intégration et la sensibilisation des jeunes au projet d’une société égalitaire, élargit ses partenariats et assure une diffusion plus large des enjeux de l’égalité. Enfin, Mme Pelchat, convaincue que l’objectif fondamental du féminisme est l’émancipation de toutes les femmes, saisit les occasions de partage des avancées québécoises avec les gouvernements de pays en développement.

Lorsque Mme Pelchat arrive à la présidence du Conseil, le gouvernement rend publique la politique gouvernementale pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Cette politique définit six orientations principales et, il faut le souligner, est fortement influencée par les recommandations formulées en 2004 par le Conseil du statut de la femme. La politique s’articule autour des orientations suivantes : la promotion de modèles et de comportements égalitaires, l’égalité économique entre les femmes et les hommes, une meilleure conciliation des responsabilités familiales et professionnelles, des approches en santé adaptées aux spécificités des femmes, le respect de l’intégrité des femmes et leur sécurité ainsi qu’une plus grande participation des femmes aux instances décisionnelles.

Dans l’alignement de cette nouvelle politique, le Conseil du statut de la femme élabore un plan stratégique pour les années 2007 à 2012, grâce auquel il mènera à bien sa mission de conseiller le gouvernement et d’informer le public sur les conditions de vie des femmes et sur les enjeux en matière d’égalité au sein de la société québécoise.

Christiane Pelchat défend une position juridique importante à l’occasion du dépôt, en septembre 2007, de l’avis Droit à l’égalité entre les femmes et les hommes et liberté religieuse, qui pose l’égalité entre les femmes et les hommes comme un droit inaliénable, ne devant souffrir d’aucun accommodement raisonnable. Aussi, avant même que soient conclues les audiences de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles (communément appelée la « commission Bouchard-Taylor »), l’avis convaincra le gouvernement d’amender la Charte. La ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine présente, le 12 décembre 2007, le projet de loi no 63, Loi modifiant la Charte des droits et libertés de la personne, pour inscrire, dans le préambule et dans la Charte, l’égalité entre les femmes et les hommes comme valeur fondamentale de la justice, de la liberté et de la paix. Le projet de loi est adopté et sanctionné en juin 2008.

Par ailleurs, le Conseil reprend l’élaboration de portraits des conditions de vie des femmes de chaque région, abordant les aspects économique, social et culturel. L’étude approfondie de la situation des femmes en région et la formulation de recommandations spécifiques sont des outils très utiles aux groupes de femmes. Les avis régionaux apportent un éclairage qui contribue à mieux comprendre les particularités régionales.

Le Conseil prend une part active à l’arrimage de la politique gouvernementale pour l’égalité entre les femmes et les hommes avec les politiques régionales. Lorsque, en mai 2008, la ministre responsable de la Condition féminine annonce la conclusion de vingt ententes en faveur de l’égalité, elle sait que les bureaux régionaux du Conseil y ont contribué de façon déterminante. Avec la 21e en voie d’être conclue, ces ententes couvrent toutes les conférences régionales des élus du Québec. Le Conseil a également accompagné, en 2007, la création de cinq nouveaux organismes régionaux de soutien à l’entrepreneuriat féminin par le ministère du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation.

En 2008, Mme Pelchat présente à la Commission de l’économie et du travail un avis portant sur le bilan de l’application de la Loi sur l’équité salariale. Dans cet avis intitulé Poursuivre la démarche de l’équité salariale, le Conseil soutient non seulement la nécessité de maintenir la Loi, mais l’importance de la renforcer. De fait, malgré une réelle amélioration de la rémunération des femmes, certaines entreprises tardent à réaliser l’exercice d’équité salariale. Le coût de ce retard est lourd à supporter pour les femmes salariées.

Relativement au système de santé, le Conseil publie un important document de réflexion, Pour en avoir « vraiment » pour notre argent : un système public de santé, qui commente le rapport du Groupe de travail sur le financement du système de santé. Il se montre particulièrement critique à l’égard des propositions qui auraient pour effet d’accroître la place du privé dans le financement et dans l’offre des services médicaux ou hospitaliers ou de fragmenter les ressources pour une même clientèle. Pour le Conseil, l’accessibilité aux soins, selon les besoins et sans égard aux revenus, doit continuer de primer sur la liberté individuelle. Ce principe demeure le meilleur garant des droits collectifs et constitue une condition essentielle à l’atteinte de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Mandaté par la ministre responsable de la Condition féminine pour se pencher sur les effets de « l’hypersexualisation » sur les jeunes, le Conseil rend public, en juin 2008, son avis intitulé Le sexe dans les médias : obstacle aux rapports égalitaires. Dans cet avis il examine, en les reliant, trois phénomènes : la forte présence de la publicité et d’Internet dans la vie des jeunes, l’abondance de messages à contenu sexuel dans les médias et les effets probables de tels messages sur la socialisation des jeunes. Il conclut à une influence négative des contenus sexuels sur la jeunesse, à moins qu’une éducation préventive soit dispensée. Les parents, les intervenants en éducation et les médias sont invités à agir. L’avis jouit d’un accueil favorable dans les milieux intéressés (groupes de femmes, milieux de la recherche et de l’éducation).

Sur la scène internationale, la présidente du Conseil contribue, en mars 2008, au Projet d’appui à l’égalité des femmes et des hommes au Mali, financé par l’Agence canadienne de développement international et exécuté par le Centre d’étude et de coopération internationale (CECI). Il s’agit de partager le savoir-faire du Québec avec le gouvernement malien, qui souhaite se doter d’une politique d’égalité entre les femmes et les hommes. Au Rwanda, MMme Pelchat participe aussi à l’École femmes, politique et gouvernance dans le cadre du Projet de renforcement de la gouvernance, initié par l’École nationale d’administration publique et l’Institut rwandais d’administration publique.

L’année 2008 marque par ailleurs le 35e anniversaire du Conseil. À cette occasion, le Conseil publie La constante progression des femmes, un document abondamment illustré qui de met en évidence les avancées permises par les grandes Québécoises qui ont façonné l’histoire.

En 2010, alors que la loi interdisant la polygamie est remise en question devant les instances juridiques de la Colombie-Britannique, le Conseil s’exprime sur les enjeux de l’éventuelle légalisation de cette pratique au Canada. Afin d’éclairer la prise de position à l’égard de ce sujet complexe, il publie, en novembre, La polygamie au regard du droit des femmes, un avis qui démontre que la polygamie perpétue la subordination des femmes et nie leur droit à l’égalité. Par conséquent, le Conseil prône son interdiction légale et recommande de renforcer les actions allant en ce sens.

Dans cet avis, le Conseil estime qu’il est temps d’affirmer la laïcité de l’État dans la Charte québécoise des droits et libertés, un principe essentiel à l’atteinte de l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

Lors des consultations sur le deuxième plan d’action pour l’égalité entre les femmes et les hommes, le Conseil dépose un avis synthèse. Contre l’idée trop répandue que l’égalité est déjà atteinte, il décrit les inégalités flagrantes qui perdurent. Il propose une stratégie combinant des actions empruntées à trois approches : spécifique, sociétale et transversale. Il faut déraciner les stéréotypes sexuels et sexistes qui empêchent les femmes d’accéder aux métiers les plus payants et font qu’elles consacrent moins de temps au travail rémunéré que leurs collègues masculins. Un système de santé public et accessible est aussi essentiel pour les femmes : elles le consultent beaucoup de façon préventive et sont le plus souvent celles qui prennent soin de leurs proches.

Par ailleurs, les sociétés qui bénéficient de subventions ou de contrats publics devraient être tenues de mettre en place un programme d’accès à l’égalité, incluant des mesures pour féminiser leur conseil d’administration. En matière de financement des partis politiques, la Loi électorale devrait être modifiée de façon à ce que l’allocation annuelle versée à un parti politique soit augmentée proportionnellement au pourcentage de candidates présentées par ce parti à la précédente élection générale. Enfin, pour que le Québec demeure à l’avant-garde en matière d’égalité entre les sexes et de développement durable, il faut lier ces deux notions dans les plans d’action.

En 2010, le Conseil publie La gouvernance des entreprises : où sont les femmes ? Dans les cent plus grandes entreprises du Québec, les conseils d’administration ne comptent que 15,8 % de femmes et la situation est à peine meilleure du côté des entreprises qui investissent dans la recherche-développement. L’avis examine les différences régionales et sectorielles et tente d’identifier les facteurs qui les expliquent. Ce sont surtout les pratiques institutionnelles conservatrices, les stéréotypes sexuels et le partage inégal des responsabilités domestiques et familiales qui seraient à l’origine de la faible représentation des femmes dans les conseils d’administration. Le Conseil recommande alors la mise en place d’une certification Égalité afin d’inciter les entreprises à féminiser leur gouvernance et leur direction.

En mars 2011 paraît Affirmer la laïcité, un pas de plus vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Dans cet avis, le Conseil affirme qu’un Québec respectueux de l’égalité entre les sexes ne peut continuer d’avancer sur la voie de la « laïcité ouverte ». Il propose un concept de laïcité qui transcende les différences culturelles, religieuses ou ethniques. Prenant appui sur la politique québécoise de l’interculturalisme, il insiste pour que la laïcité soit reconnue comme principe de l’identité québécoise, au même titre que la primauté du français et que l’égalité entre les sexes. Le Conseil recommande en outre, afin de refléter le visage neutre de l’État, l’interdiction, pour ses agentes et ses agents, de manifester leurs croyances religieuses sur les lieux de prestation des services, que ce soit par le port de signes religieux ostentatoires ou par la pratique de rituels religieux. L’affirmation de la laïcité permettrait, selon lui, de gérer efficacement et harmonieusement les revendications religieuses dans l’espace étatique, de répondre adéquatement aux demandes découlant de l’instrumentalisation de la foi, de la montée de la droite religieuse et des intégrismes, de préserver la cohésion sociale et de promouvoir les droits des femmes.

La Gazette des femmes, véhicule privilégié de communication du Conseil, continue à jouer son rôle de sensibilisation à grande échelle. De 2006 à 2011, le magazine aborde des sujets aussi variés que la laïcité, la polygamie, les accommodements raisonnables, les femmes en politique, l’hypersexualisation, les rapports égalitaires chez les jeunes et le mouvement des femmes dans la reconstruction d’Haïti. En décembre 2007, la Gazette des femmes se transforme, pour une deuxième année consécutive, en édition spéciale intitulée la Gazette des jeunes. Ce numéro, récipiendaire du grand prix Zénith 2008 dans la catégorie « Qualité rédactionnelle », a été distribué dans toutes les écoles secondaires du Québec.

Le 3 août 2011, Mme Pelchat est nommée déléguée générale du Québec au Mexique et quitte alors la présidence du Conseil. Les années de sa présidence auront été marquées par l’affirmation des phénomènes religieux au Québec et par l’affrontement entre la liberté religieuse et le droit à l’égalité. Par ses prises de position, le Conseil a influencé le débat au sein de la société. L’apport capital de Christiane Pelchat à la discussion sur la laïcité devait d’ailleurs être reconnu par le Mouvement laïque québécois qui lui a décerné le Prix Condorcet-Dessaulles 2012.

La Gazette des jeunes remporte le prix Zénith pour sa qualité rédactionnelle.

Femme de communication et de débat

Madame Julie Miville-Dechêne (2011- )

Le 15 août 2011, Julie Miville-Dechêne devient la présidente du Conseil du statut de la femme. Elle entreprend, dès le début de son mandat, une tournée des régions du Québec. Intéressée à comprendre les perceptions, les blocages et les nouvelles idées à explorer, elle rencontre des citoyennes et des citoyens ainsi que des groupes de femmes.

Issue du monde journalistique, Mme Miville-Dechêne souhaite rejoindre les jeunes pour les intéresser aux enjeux de l’égalité. C’est dans cette optique qu’elle investit les médias sociaux : blogue, Twitter. À ses yeux, le débat est nécessaire, que ce soit à propos de la place des hommes dans la lutte pour l’égalité ou de certains concepts féministes comme le patriarcat dans la société québécoise actuelle.

Le 16 novembre 2011, la présidente dévoile le webzine Gazettedesfemmes.ca. Après 32 ans de parution de la Gazette des femmes sur papier, le webzine remplacera le magazine du même nom. C’est un succès : un an après sa mise en ligne, la Gazette des femmes enregistre 12 231 visites sur son site en un mois. Fidèle à sa mission, la publication sur le Web continue d’explorer des enjeux qui touchent à l’égalité des sexes, en plus de sujets qui divisent les féministes, tel le regard porté sur les femmes au foyer ou la pertinence d’une réflexion sur les avortements tardifs. Il permet un débat avec les internautes sur des enjeux de fond.

Le Québec a vu se transformer le portrait de sa population immigrée au cours des dernières décennies. À l’automne 2011, la présidente dépose en commission parlementaire l’avis du Conseil Mémoire sur le document de consultation intitulé « La planification de l’immigration au Québec pour la période 2012-2015 ». Devant la Commission des relations avec les citoyens, elle soutient que le processus de sélection des candidats à l’immigration ne tient pas suffisamment compte des caractéristiques des femmes conjointes. De plus, la présidente fera une intervention remarquée aux États généraux sur la situation des femmes immigrantes et racisées du Québec, en janvier 2012, dénonçant l’injustice dont sont victimes des enseignantes venues du Maghreb, lorsque leurs diplômes ne sont pas reconnus.

Le Conseil recommande dans cet avis d’intervenir à la fois au niveau juridique, pour continuer à pénaliser ceux qui exploitent la prostitution d’autrui, et au niveau social, par la prévention et la protection des personnes à risque.

Julie Miville-Dechêne croit que le Conseil du statut de la femme doit représenter toutes les femmes, celles qui sont au bas de l’échelle comme celles qui, dans l’entreprise privée, se heurtent au « plafond de verre ». Elle ouvre donc un dialogue avec les femmes d’affaires. Présidente d’honneur du gala annuel de l’Association des femmes en finance du Québec, elle s’adresse, en avril 2012, à près de 850 professionnelles du secteur de la finance. Mme Miville-Dechêne incite ces femmes à être solidaires de celles qui sont dans le besoin.

Lorsqu’en mars 2012, la Cour d’appel de l’Ontario ordonne la décriminalisation des maisons de débauche, la présidente du Conseil tient à prendre position dans le débat, faisant valoir que peu de prostituées ont vraiment choisi de vendre leur corps au plus offrant et qu’elles ont besoin d’aide extérieure pour sortir du cercle vicieux de la prostitution. La présidente soutient que les tribunaux ontariens privilégient les droits individuels de certaines « travailleuses du sexe » au détriment du droit collectif à la dignité des femmes. Elle refuse de croire qu’un tel changement législatif pourrait aider les femmes prostituées. Il ne ferait au contraire que faciliter leur exploitation par les proxénètes.

Quelques semaines plus tard, en mai 2012, le Conseil du statut de la femme publie un avis important et audacieux selon plusieurs observateurs : La prostitution : il est temps d’agir. Le document lance un appel clair : la prostitution est une forme d’exploitation sexuelle inacceptable dans une société comme celle du Québec, qui a fait de l’égalité entre les sexes une valeur fondamentale. Pour étayer sa position, le Conseil s’appuie sur les recherches les plus récentes touchant la prostitution à travers le monde. Afin d’être bien ancré dans la réalité et de proposer des solutions réalistes, l’avis s’appuie sur des témoignages de femmes vivant ou ayant vécu dans le milieu de la prostitution et sur ceux de personnes qui œuvrent auprès d’elles. La présidente se rend elle-même sur le terrain et participe à la collecte de ces témoignages, afin de comprendre la réalité de ces femmes et de pouvoir défendre en connaissance de cause les conclusions de cette recherche. La force de ces témoignages et de leur analyse permet de contrer le discours des « travailleuses du sexe », pour qui la prostitution est un métier comme un autre, qu’il faut légaliser.

Dans son avis, le Conseil recommande au gouvernement du Québec de faire pression sur le gouvernement fédéral pour qu’il décriminalise les personnes prostituées tout en continuant de punir les clients de la prostitution et les proxénètes, une approche qui a porté ses fruits en Suède. Sur le plan social, il recommande de développer les services spécialisés pour aider les personnes prostituées et les victimes de la traite à quitter ce milieu. Une campagne de sensibilisation devrait être menée dans tout le Québec pour décourager les clients d’acheter des services sexuels en montrant les nombreux préjudices humains et sociaux de la prostitution. D’autre part, il y aurait lieu d’informer les jeunes filles afin d’éviter qu’elles tombent dans les griffes de proxénètes.

En octobre 2012, le Conseil du statut de la femme dépose un avis sur le Plan Nord québécois : Les femmes et le Plan Nord : pour un développement nordique égalitaire. Dans cet avis, le Conseil s’inquiète des coûts sociaux du développement entrepris – pénurie de logements, demande excédentaire de services, décrochage scolaire des filles et des garçons lié aux conditions salariales alléchantes qu’offrent les entreprises minières – qui risquent d’être portés en bonne partie par les femmes. Du côté des avantages économiques du développement du Nord, l’immense majorité des emplois créés dans les chantiers miniers, routiers ou hydrauliques bénéficierait à la population masculine. Le Conseil en conclut que, si rien n’était fait pour amener plus de femmes à exercer les métiers traditionnellement masculins et bien rémunérés, le développement du Nord québécois pourrait faire reculer la marche vers l’égalité en creusant les écarts de revenus entre les femmes et les hommes. L’avis pointe aussi du doigt la difficulté d’intégrer des travailleurs permanents non-résidents dans les communautés nordiques.

Le Conseil croit qu’il est du devoir du gouvernement de se préoccuper en priorité des femmes autochtones, en leur offrant de la formation sur place pour qu’elles puissent apprendre un métier en demande. Encore une fois, l’avis comporte une recherche terrain, bon nombre d’entrevues et des exemples d’actions menées par les entreprises minières pour intégrer les femmes et les autochtones à la main-d’œuvre.

Le webzine Gazette des femmes et l’activité du Conseil et de sa présidente sur les médias sociaux renforcent le rayonnement des messages de l’organisme et l’adhésion de la population aux valeurs d’égalité entre les sexes, en particulier chez les jeunes.

Dans le souci de communiquer au plus grand nombre les enjeux liés à l’égalité entre les femmes et les hommes, la production d’une série de capsules vidéo a été amorcée au début de l’année 2012. Diffusée dans le webzine Gazette des femmes ainsi que sur le site Web du Conseil du statut de la femme, cette série intitulée D’elles à nous a pour but de rappeler aux jeunes femmes l’histoire des Québécoises : ce qui apparaît aujourd’hui aux jeunes femmes comme des droits qui ont toujours existé est en fait le fruit de la lutte de femmes engagées. Le concept consiste en un entretien de quelques minutes entre une citoyenne engagée, qui a contribué à l’atteinte de l’égalité entre les femmes et les hommes, et une jeune femme connue du grand public. L’une vient témoigner d’une partie de l’histoire des femmes tandis que l’autre offre une occasion de résonnance et d’identification chez les femmes des plus jeunes générations. Trois capsules ont été réalisées en 2012 et une autre au début de l’année 2013. Ces conversations intergénérationnelles ont porté sur l’accès aux congés de maternité et parentaux, la lutte menée contre les publicités sexistes et la planification des naissances.

Cette brochure destinée aux jeunes retrace les moments phares et les grands enjeux entourant la lutte – toujours actuelle – pour le droit à l’avortement, le libre choix des femmes et le plein accès aux services.

Le droit à l’avortement est précieux et fragile, même après 25 ans de reconnaissance officielle au Québec. Pour aider les plus jeunes à comprendre ce qui motive les Québécoises à lutter encore pour conserver ce droit et rendre pleinement accessible le libre choix, le Conseil du statut de la femme publie, en 2013, une brochure qui retrace les luttes menées pour la planification des naissances et la reconnaissance du droit à l’avortement au Québec et qui explique les enjeux et les mythes entourant l’avortement.

Mme Miville-Dechêne a mis son talent de communicatrice au service de l’égalité entre les femmes et les hommes. Elle propose une vision féministe inclusive et pragmatique, qui sait reconnaître les progrès accomplis et faire les nuances qui s’imposent à propos des inégalités qui subsistent entre les femmes et les hommes.

Conclusion

Depuis 40 ans, le Conseil du statut de la femme accompagne les Québécoises et les Québécois dans la construction d’une société égalitaire. Au cours de ces années, les femmes ont fait des progrès substantiels au Québec, dans leur marche vers l’égalité avec les hommes. Elles ont accédé en grand nombre au marché du travail ainsi qu’aux études supérieures et leur présence à l’Assemblée nationale est devenue plurielle. Un réseau de services de garde s’est mis en place, permettant aux mères de faire carrière, malgré le fait qu’elles continuent de porter sur leurs épaules une large part du poids de la domesticité. En politique, dans le milieu syndical, dans le monde des affaires, dans la fonction publique ou dans les universités, elles parviennent peu à peu à imposer leurs vues.

Cependant, les obstacles sur le chemin d’une égalité réelle sont encore nombreux. La vigilance s’impose donc, tout particulièrement devant l’apparition de nouveaux obstacles comme le relativisme culturel ou la perception erronée que l’égalité de fait soit déjà atteinte. La conquête de l’égalité s’inscrit dans un contexte sociopolitique en perpétuel changement, étant donné les influences de la mondialisation, de la démographie, de l’étiolement de la social-démocratie, des attaques ouvertes contre le féminisme et les acquis des femmes. Le Conseil adopte une stratégie d’ouverture à cet égard. Il entend accentuer le développement d’alliances et de partenariats qui contribuera à modifier les mentalités et favorisera la réponse sociétale aux besoins des femmes.

En tant que structure gouvernementale qui agit en faveur de l’égalité des sexes, le Conseil du statut de la femme occupe une place privilégiée. À la fois capable d’analyse, d’action et d’influence, il puise dans l’énergie et l’expérience des groupes de femmes une connaissance concrète des réalités, enrichit sa réflexion à la source des travaux des féministes du milieu universitaire et collabore avec les autres féministes d’État du Secrétariat à la condition féminine et du réseau des responsables de cette question, dispersées dans les différents ministères et organismes gouvernementaux.

Actuellement, dans un contexte de modernisation du rôle de l’État et de restructurations majeures sur le plan économique, l’État détient encore, selon le Conseil, une mission prioritaire et essentielle dans la création d’un environnement favorable à l’atteinte de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Bibliographie