Résumé - Avis Une mixité en chantier : Les femmes dans les métiers de la construction

Ce document est la version HTML accessible du Résumé - Avis Une mixité en chantier : Les femmes dans les métiers de la construction, disponible en format PDF sur le site Web du Conseil du statut de la femme.

Table des matières

Contexte

Il faut se réjouir des avancées des femmes dans de nombreux domaines qui leur étaient autrefois interdits. Le droit et la médecine sont aujourd’hui cités en exemple pour illustrer les gains réalisés. Cependant, au-delà des progrès accomplis par les diplômées issues de l’enseignement supérieur, que savons-nous des travailleuses qui exercent un métier manuel ou technique ? À cet égard, ce que vivent les femmes dans l’industrie de la construction soulève de nombreuses questions fondamentales liées aux inégalités qui perdurent entre les femmes et les hommes. Avec la publication du présent avis, le Conseil du statut de la femme souhaite approfondir certaines de ces interrogations et propose des recommandations pour favoriser l’accès des femmes à ce secteur d’activité traditionnellement masculin et leur maintien dans ce type d’emploi.

Les effectifs féminins sur les chantiers de construction se trouvent cantonnés dans quelques métiers, pour la plupart liés à des tâches de finition ou de décoration, qui exigent de la minutie et un certain sens de l’esthétique, des qualités attribuées traditionnellement aux femmes.

La « dernière taverne »

Le milieu de la construction est un monde à part, renfermé sur lui-même. Ce secteur d’activité économique distinct est régi par sa propre loi et fonctionne selon des règles particulières. C’est aussi le secteur le plus traditionnellement masculin pour les femmes au Québec : on y dénombre plus de 98,7 % d’hommes. C’est l’un des derniers bastions masculins sur le marché du travail, avancent certaines personnes. D’autres en parlent comme de l’ultime refuge de la culture masculine, la « dernière taverne » ! La venue des femmes y est perçue comme menaçante. La force physique, l’endurance aux conditions de travail difficiles, la fierté, la solidarité, un certain goût pour le risque sont quelques-unes des compétences et des valeurs qui caractérisent la culture des chantiers de construction.

Un chef de chantier, rencontré à Baie-Comeau à l’occasion d’une visite du Conseil dans la région de la Côte-Nord, traduit bien ce que beaucoup de travailleurs pensent de la présence des femmes sur les chantiers de construction :

Ben des gars ne veulent pas avoir de femmes ici, ils me disent que ce n’est pas leur place, que la job est trop dure. Ils disent : “Envoie-moi ça en arrière de son lave-vaisselle !”

Pourtant, plusieurs femmes désirent intégrer ce secteur d’activité et possèdent toutes les compétences voulues pour y faire leur place. Elles souhaitent, comme les hommes, bénéficier des avantages qu’offrent les métiers de la construction.

Les travailleuses qui se conforment aux normes et aux règles du milieu sont acceptées ou tolérées. Parfois, l’une d’entre elles deviendra la one of the boys. Alors, on dira d’elle : « Elle, est capable, mais c’est une exception ! » Ainsi, on évite que la présence des femmes dans ce milieu se généralise et devienne alors la règle. L’arrivée des femmes sur les chantiers constitue souvent un changement majeur dans la vie et les habitudes des travailleurs de la construction.

Objectifs et présentation de l’avis

Avec cet avis, le Conseil souhaite analyser les obstacles qui limitent l’accès des femmes aux programmes d’études et aux emplois liés aux métiers de la construction et faire la lumière sur les raisons qui expliquent leur désertion des chantiers. Dans l’industrie de la construction, le genre masculin prédomine, et la présence des femmes dans ce secteur demeure encore une exception.

Pour l’élaboration du présent avis, le Conseil a rencontré plus d’une vingtaine de personnes venant de différents horizons : des travailleuses des métiers de la construction ont généreusement raconté leur histoire, des entrepreneurs et des représentants syndicaux ont partagé avec nous leur point de vue et des représentantes de groupes de femmes, touchées par la question des travailleuses dans l’industrie de la construction, ont contribué à enrichir notre réflexion.

Cet avis est en partie le fruit de ces rencontres. Outre qu’elle offre un espace de parole aux actrices et aux acteurs engagés sur le terrain, l’approche privilégiée nous a permis d’élargir nos questionnements et de mieux ancrer dans la réalité les éléments proposés par la recherche et la littérature. De plus, des extraits de témoignages livrés par des travailleuses de la construction, ainsi que des morceaux choisis des entrevues réalisées avec différentes personnes, renforcent et illustrent l’analyse réalisée dans cet avis.

Portrait

Le profil des travailleuses

En 1996, l’industrie de la construction comptait à peine 200 travailleuses pour environ 100 000 hommes, soit l’équivalent d’un maigre 0,2 %.

Dans son rapport publié en 1996, le Comité sur l’accès des femmes dans l’industrie de la construction se fixait comme objectif, pour 2006, de faire grimper à 2 000 le nombre de femmes dans les métiers de la construction. Pour y arriver, l’industrie de la construction adoptait en 1997 un programme d’accès à l’égalité (PAE) comprenant 18 mesures volontaires. Quinze ans plus tard, on compte à peine 1,3 % de femmes sur les chantiers. En effet, on dénombre 2 067 travailleuses sur une population de 159 166 personnes réparties dans les 26 corps de métiers et occupations de la construction (CCQ, 2012b).

En 2011, 59 % des femmes sont titulaires du certificat de compétence « apprenti » (octroyé à une personne ayant une expérience pratique d’au moins 150 heures chez un employeur inscrit à la Commission de la construction du Québec) comparativement à 32 % des hommes. Les travailleuses se concentrent principalement dans 4 des 26 métiers de la construction. Cependant, elles représentent plus de 4 % de la main-d’œuvre apprentie dans seulement 4 métiers .

Main-d’œuvre – Certificat de compétence « apprenti »
Compétences Pourcentage (%) de femmes
Calorifugeur ou calorifugeuse 6,0
Carreleur ou carreleuse 4,0
Peintre 16,0
Plâtrier ou plâtrière 6,0

Source : CCQ (2012a).

À peine 18 % des femmes sont titulaires du certificat de compétence « compagnon » (octroyé à un apprenti ou à une apprentie qui a effectué quatre périodes d’apprentissage sur un chantier de 2 000 heures chacune et qui a réussi l’examen de qualification provinciale), alors que la proportion est de 50 % pour les hommes. En 2011, on compte seulement 4 métiers dont la proportion de femmes s’élève à plus de 1 %.

Main-d’œuvre – Certificat de compétence « compagnon »
Compétences Pourcentage (%) de femmes
Calorifugeur ou calorifugeuse 3,0
Carreleur ou carreleuse 1,1
Peintre 3,6
Plâtrier ou plâtrière 1,9

Source : CCQ (2012a).

Le salaire

Dans l’industrie de la construction, le taux de salaire horaire des hommes et des femmes est le même puisqu’il est déterminé par les conventions collectives. Par ailleurs, dans les faits, on observe un écart important entre le salaire annuel moyen des travailleuses et celui des travailleurs. En 2005, les hommes gagnaient 26 590 $ par année comparativement à 13 642 $ pour les femmes (Statistique Canada, 2006). Différentes raisons liées à la discrimination systémique que vivent les travailleuses de la construction expliquent cet écart :

Enjeux

Sur les chantiers du Québec, certaines femmes sont ostracisées, harcelées et intimidées. Malgré leurs compétences, plusieurs d’entre elles n’arrivent pas à se faire reconnaître par leurs pairs ou par leur employeur, ni même par leur syndicat comme des travailleuses à part entière. Elles suscitent fréquemment la méfiance à toutes les étapes de leur trajectoire pour accéder au monde du bâtiment. C’est un véritable parcours de la combattante, au cours duquel chaque étape franchie exige de la persévérance et une détermination farouche.

Au total, 62 % des travailleuses quittent les chantiers après cinq ans et la plupart n’y remettront plus jamais les pieds. (CCQ, 2011).

Les témoignages d’élèves ou de travailleuses que le Conseil a rencontrées rappellent que « faire sa place » à l’école ou sur les chantiers relève bien souvent de l’exploit et que le prix à payer pour réaliser ses rêves est parfois très élevé. Certaines d’entre elles vont s’appliquer, avec plus ou moins de succès, à se transformer pour répondre aux attentes, aux règles et à la culture du milieu. « C’est elle qui est chez nous, qu’elle s’adapte à nous autres », clament les « gars de chantier ». Pour y arriver, la plupart des femmes devront faire leurs preuves, parfois même en faire plus que leurs collègues pour démontrer, hors de tout doute, qu’elles sont à la hauteur. D’autres se forgeront une carapace afin de devenir imperméables aux insultes ou aux humiliations. Presque toutes disent qu’il faut avoir du caractère pour entreprendre un tel projet et s’y accrocher. Pourtant, plusieurs d’entre elles n’y arrivent pas et capitulent.

Parmi les travailleuses de la construction qui abandonnent les chantiers, 50 % le font car elles en ont assez de la discrimination dont elles sont victimes. C’est d’ailleurs le premier facteur invoqué par les femmes qui abandonnent ce secteur (CCQ, 2008). D’autres encore, après s’être exercées sans succès à la difficile gymnastique de la conciliation travail-famille, baissent les bras. En outre, plusieurs jeunes femmes quittent les chantiers pour fonder une famille, puis renoncent à y revenir sachant qu’à leur retour elles ne pourront bénéficier de mesures ou de politiques leur permettant de concilier leur travail avec leurs nouvelles obligations familiales. Ces désertions se révèlent douloureuses, car les travailleuses doivent quitter un métier qu’elles adorent. Leur retrait a aussi pour effet de renforcer l’opinion de bien des travailleurs, voire de certains employeurs, à savoir que les femmes n’ont pas leur place sur les chantiers de construction.

Un parcours semé d’obstacles

Les principaux obstacles auxquels les jeunes filles et les femmes doivent faire face pendant leur formation s’apparentent aux difficultés qu’elles devront surmonter lorsqu’elles seront sur les chantiers. Comme dans bien des occupations traditionnellement masculines, la majorité de ces obstacles est liée à leur statut minoritaire dans les groupes : isolement, harcèlement sexuel ou sexiste, obligation de prouver leurs compétences pour être acceptées par leurs confrères et préjugés de certains enseignants (MELS, 2005 : 53). À l’heure actuelle, les difficultés que vivent les travailleuses de la construction en emploi sont :

  1. La discrimination à l’embauche;
  2. Le harcèlement sexuel et sexiste;
  3. Des mesures et des politiques inadaptées en matière de santé et de sécurité au travail;
  4. L’absence de mesures pour concilier le travail et la famille.

Sans surprise, tous les préjugés à leur égard déjà relevés en formation et en recherche d’emploi les rattraperont en force. En outre, le manque de confiance des employeurs dans leurs capacités, en particulier en ce qui a trait à leur force physique, est courant en emploi et largement partagé par leurs collègues masculins.

Le fardeau de l’intégration

Il est plus aisé, et certainement plus acceptable socialement, de croire que les prétendues lacunes biologiques, psychologiques et professionnelles imputées aux femmes expliquent l’échec de l’intégration plutôt que de remettre en question les valeurs, les normes et les façons de faire de l’industrie de la construction qui, depuis toujours, excluent les femmes. Il apparaît donc normal de miser sur le développement d’interventions et de mesures qui encouragent les femmes à se forger une carapace, à avoir la « bonne attitude », à s’adapter à la culture masculine, voire à se transformer pour y faire leur place. Malheureusement, cette manière de procéder ne met pas les travailleuses à l’abri de la discrimination, du harcèlement ou de l’intimidation qui sévissent sur les chantiers.

Le Conseil estime que le fardeau de l’intégration des travailleuses dans les métiers de la construction ne doit pas reposer uniquement sur les épaules des femmes. Il faut reconnaître que les obstacles qui se posent sur le parcours professionnel des femmes pour intégrer l’industrie de la construction relèvent peu de leurs caractéristiques personnelles, mais davantage d’une discrimination systémique qui s’exerce à leur endroit.

Recommandations

À la lumière de cette analyse, le Conseil considère que ce n’est pas tant le manque de force physique ou l’absence de compétences qui restreignent la participation des femmes dans l’industrie de la construction, mais bien les préjugés entretenus dans cette culture masculine. Des préjugés qui sont fortement enracinés, non seulement chez les acteurs du milieu de la construction, mais aussi partagés par plusieurs personnes, souvent à leur insu.

La représentation sexuée des compétences contribue à maintenir la ségrégation professionnelle des emplois avec, à la clé, des conséquences désastreuses sur la vie personnelle, économique et sociale des femmes. Le Conseil insiste dans le présent avis sur l’importance de poursuivre le travail pour désamorcer, à la source – dans la famille, à l’école et sur le marché du travail – les stéréotypes sexuels.

Le taux d’abandon des femmes sur les chantiers de construction est deux fois plus élevé que celui des hommes après cinq ans. Manifestement, encourager la diversification professionnelle chez les femmes ne suffit pas. Il importe d’agir rapidement sur le maintien en emploi des travailleuses puisque, au rythme actuel, l’entrée des femmes sur les chantiers ne suffira pas à remplacer les départs, pas plus qu’à répondre aux besoins de main-d’œuvre anticipés. Il faut que les efforts déployés pour favoriser l’accès des femmes aux métiers traditionnellement masculins s’accompagnent de mesures qui leur permettront de bénéficier des mêmes avantages et des mêmes droits que les hommes lorsqu’elles seront en emploi. Les actions entreprises de manière globale, qui auront pour objet d’augmenter le bassin des candidates prêtes à envisager ces métiers, tout en veillant à faciliter leur intégration et leur maintien dans ces emplois, seront gagnantes.

Le Conseil croit également qu’il est urgent d’agir pour que cessent le harcèlement, l’intimidation et la discrimination que subissent de nombreuses femmes sur les chantiers. Au Québec, il existe des lois édictées pour protéger la santé, la sécurité et la dignité de toutes et de tous dans les différents secteurs de l’activité économique. Pourtant, il apparaît clairement à la lecture du présent avis que, dans le secteur de la construction, les droits fondamentaux des travailleuses sont souvent bafoués. À cet égard, le projet de loi n°1 sur l’intégrité en matière de contrats publics et de sous-traitance publique (L.Q. 2012, c. 25) en est un bon exemple puisqu’il constitue un moyen pour s’assurer que l’intégrité gouverne l’octroi et la gestion des contrats publics. Toutefois, le Conseil aurait souhaité que dans cette notion d’intégrité soient incluses les valeurs de respect, d’intégrité et d’égalité, telles qu’elles sont défendues par le gouvernement québécois à l’égard de toute travailleuse ou de tout travailleur. Bien que la situation des femmes dans l’industrie de la construction soit alarmante, il n’y a rien dans ce projet de loi pour rappeler qu’au Québec le harcèlement et la discrimination sont interdits en milieu de travail et que les personnes qui contre-viennent à cette règle sont sanctionnées.

Enfin, les enjeux de la situation des femmes dans la construction vont aussi au-delà des mesures actives d’embauche ou des politiques pour contrer la discrimination et le harcèlement sexuel. Ces mesures s’avèrent essen- tielles certes, mais le Conseil est d’avis qu’avant tout la culture masculine de l’industrie de la construction doit évoluer.

Les différentes étapes du parcours des femmes qui mènent à l’exercice d’un métier dans l’industrie de la construction sont liées les unes aux autres. Cette réalité doit imprégner les actions mises en place pour favoriser l’entrée et le maintien des femmes dans ce secteur d’activité.

Le Conseil recommande donc :

Sur le plan légal et structurel

  1. Que les entreprises de la construction qui souhaitent bénéficier de contrats publics ou de sous-traitance publique soient tenues d’embaucher des femmes et que cette disposition constitue une condition pour participer aux appels d’offres. L’objectif global est que l’industrie de la construction compte 3 % de femmes, soit l’équivalent de la moyenne canadienne, d’ici trois ans.

  2. Que l’Autorité des marchés financiers refuse d’octroyer à une entreprise l’autorisation préalable à l’obtention d’un contrat public ou d’une sous-traitance publique, ou qu’elle puisse la révoquer, en cas de condamnation pour harcèlement, discrimination ou atteinte aux droits fondamentaux des travailleuses. Ces dispositions devraient être mentionnées de manière explicite dans l’annexe I du projet de loi n°1 afin d’informer clairement les parties intéressées de leur existence : la Loi sur les normes du travail, la Loi sur la santé et la sécurité au travail, la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, le Code civil du Québec, la Charte des droits et libertés de la personne, le Code criminel, etc.

  3. Que la Commission de la construction du Québec vérifie, au moment de l’inspection des chantiers, que la mise en œuvre et le respect des politiques internes pour contrer le harcèlement sont appliqués par les employeurs de l’industrie de la construction.

    Une travailleuse de la construction s’exprime ainsi :

    Le syndicat par rapport [au harcèlement] ne sait pas trop quoi faire parce que les gars, ils sont des syndiqués comme moi. Alors, le syndicat se retrouvait pris en sandwich. Oui, j’ai eu du soutien du syndicat : de l’écoute. Mais des actions, non !

  4. Qu’un volet de sensibilisation et de prévention du harcèlement et de la discrimination soit créé à l’intérieur du programme de formation obligatoire reconnu par la Régie du bâtiment du Québec sur la gestion de la santé et de la sécurité au travail, destiné aux employeurs, et qu’il constitue une condition pour l’obtention ou le renouvellement de leur licence.

  5. Qu’une équipe relevant directement de la présidence soit créée à l’intérieur de la Commission de la construction du Québec pour soutenir les travailleuses qui souhaitent porter plainte. Cette équipe devrait recevoir une formation appropriée pour être en mesure de répondre aux besoins des travailleuses au regard du respect de leurs droits, notamment dans les cas de harcèlement, de discrimination ou de retrait préventif.

  6. Que les associations syndicales de la construction se donnent une politique pour contrer le harcèlement sexuel et la discrimination sur les chantiers et offrent un programme de sensibilisation et de prévention destiné aux représentants syndicaux qui interviennent sur les chantiers.

Sur le plan éducatif et social

  1. Que se poursuivent les initiatives mises en place par le Secrétariat à la condition féminine à la suite de la mise en œuvre du Plan d’action gouvernemental pour la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes 2011-2015, et ce, pour favoriser une socialisation non stéréotypée des jeunes.

  2. Que le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, en collaboration avec les écoles des métiers de la construction, conçoive des ateliers pratiques de construction et les propose aux élèves. Que le personnel de ce ministère ainsi que les conseillères et les conseillers d’orientation en formation soient davantage conscientisés et formés pour fournir aux élèves de l’information scolaire et professionnelle non stéréotypée.

    Sophie, plâtrière et enseignante de plâtrage, affirme ceci :

    Pourquoi tout le monde se blesse ? Parce que les travailleurs ne sont pas réchauffés, parce qu’ils ne sont pas prêts physiquement à subir ça. Ce sont des grosses journées, tu es tout le temps debout. Les filles ne sont pas musclées comme les gars au départ. Mais, tu vois aussi des gars qui ne sont pas tellement en forme. Par exemple, celui qui a chaud parce qu’il a un surplus de poids. Il est capable de la faire la job, mais moi je suis plus en forme. Il y a une différence là, et ce n’est pas parce que je suis une fille et que lui c’est un gars. II est moins en forme que moi, c’est tout. C’est un peu la leçon à donner à tout le monde : “Faut que vous soyez en forme, car c’est un métier qui peut être difficile” .

    Mary Woollstonecraft, féministe britannique, affirmait déjà ce qui suit à la fin du XVIIIe siècle dans son ouvrage Défense des droits de la femme: « Ce n’est que lorsque les femmes auront les mêmes chances de développer leur potentiel physique qu’on saura jusqu’où s’étend la supériorité naturelle de l’homme. »

  3. Que les écoles des métiers de la construction du Québec s’inspirent de modèles d’intervention qui ont fait leurs preuves, tels que Femmes, de l’école au chantier et Women Building Futures en Alberta, pour mettre en place des mesures particulières qui favorisent :

    1. Le recrutement des filles et des femmes qui souhaitent y étudier;

    2. Le soutien des filles et des femmes pendant leur formation, leur recherche d’emploi et leur intégration en emploi;

    3. L’éducation des employeurs et des syndicats de l’industrie de la construction à la gestion des équipes mixtes.

  4. Que la Commission de la construction du Québec, conjointement avec les ministères et les autres partenaires visés, élabore une campagne de publicité portant sur les femmes et les métiers de la construction avec un plan de communication particulier destiné aux employeurs de ce secteur.

Sur le plan de la santé et de la sécurité

  1. Que la Commission de la santé et de la sécurité du travail soit mandatée pour s’assurer, à l’occasion des inspections de chantiers, que les travailleuses disposent d’équipements sécuritaires adaptés à leur morphologie.

Sophie, plâtrière et enseignante de plâtrage, précise les risques qu’elle a courus :

Sur un chantier, j’ai été obligée de mettre un harnais qui n’était pas adapté pour les femmes. Il peut y avoir des risques pour les filles. Les points d’ancrage pour les harnais ne sont pas les mêmes. Moi, j’avais attaché quelque chose pour que ça me passe entre les deux seins, mais ce n’était pas parfait. J’avais averti un collègue de rester proche : ”Si je crie, viens me chercher !”

Valérie Bell, électricienne et formatrice en santé et sécurité au travail, se prononce sur un aspect pratique :

Sur un grand chantier industriel, les travailleuses et les travailleurs doivent porter des gants. D’habitude, les compagnies achètent des gants one size large qui ne sont pas adaptés aux femmes parce que nos mains sont plus petites. Alors, comme femme, on revendique des gants à notre mesure. C’est une raison d’efficacité et de sécurité. Donc, la compagnie va nous commander une vingtaine de paires de gants à notre taille. Et là, tu vois arriver plein de gars sur le chantier qui viennent prendre nos gants, car, pour la première fois de leur vie, ils vont porter des gants qui leur font. Ils ne sont plus maladroits parce qu’avec des gants trop grands tout le monde est maladroit. Ils prennent tous nos gants !

Conclusion

Dans l’industrie de la construction, le genre masculin prédomine manifestement, et la présence des femmes dans ce secteur demeure une exception. Comme dans bien d’autres milieux traditionnellement masculins, cette marginalité augmente le risque pour les travailleuses d’être victimes de harcèlement et de discrimination. Qui plus est, la réglementation singulière qui s’applique dans cette industrie limite les recours des femmes qui se trouvent alors le plus souvent isolées et démunies. Le Conseil souhaite que des actions vigoureuses soient entreprises pour augmenter l’embauche de femmes dans les métiers de la construction.

À ce jour, toutes les mesures mises en place dans le Programme d’accès à l’égalité dans la construction ont un caractère volontaire. Le Conseil croit, à la lumière des maigres résultats obtenus jusqu’à maintenant, que des mesures plus contraignantes doivent être appliquées pour obliger les employeurs à embaucher des femmes. En effet, de l’avis de plusieurs, il faut viser l’atteinte d’une masse critique de femmes dans ce secteur. Une augmentation significative du nombre de femmes dans un milieu traditionnellement masculin comme celui de la construction peut aussi en encourager d’autres à investir ce secteur et, du même souffle, contribuer à éliminer certains préjugés relatifs à leurs compétences. L’atteinte d’une masse critique peut également permettre de faire évoluer la culture et les pratiques du milieu de la construction, et ce, au profit de tous et de toutes.

On les qualifie encore de pionnières, ces femmes qui osent s’aventurer sur les territoires traditionnellement masculins, en particulier celles qui travaillent dans les métiers de la construction. Il est vrai que ces travailleuses ont une certaine parenté avec ceux et celles qui, aux premiers temps de la colonie, se sont installés sur de nouvelles terres pour les défricher. C’est avec acharnement que des femmes se fraient aujourd’hui un chemin dans ces contrées inhospitalières à leur endroit. Malgré leur présence encore discrète, et en dépit des obstacles, elles s’imposent de plus en plus dans l’industrie de la construction. Certaines d’entre elles sont grandes et costaudes; d’autres, plus petites, presque menues. Plusieurs ont une solide force de caractère; d’autres, un peu moins. Elles ont chacune leur histoire de vie, parfois bien singulière. Elles possèdent des forces et des faiblesses différentes, mais toutes partagent une véritable passion pour leur métier. La croyance selon laquelle il existe un profil type pour devenir une travailleuse de la construction ne doit plus tenir. Toutes les femmes qui aspirent à travailler sur un chantier, selon leurs compétences et leurs champs d’intérêt, doivent pouvoir le faire.

Selon le Conseil, il est nécessaire que les travailleuses s’établissent de plus en plus sur les territoires traditionnellement occupés par les hommes. Car elles contribuent ainsi, par leurs compétences et leur engagement personnel, à l’évolution inévitable de ces secteurs. Désormais, les travailleuses de la construction ne devront plus être perçues comme des pionnières, car elles sont là pour rester.