Avis - Femmes et santé : plaidoyer pour un accès ouvert à la première ligne médicale

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Table des matières

Introduction

Le Conseil du statut de la femme s’intéresse, depuis sa création, aux questions qui touchent l’organisation et le financement des services de santé et des services sociaux. Pour le Conseil, le régime public québécois constitue un acquis social extraordinaire qui favorise incontestablement le bien-être des personnes, l’atteinte de l’égalité entre les femmes et les hommes de même que le développement économique et social. Il en est ainsi notamment parce que les soins sont accessibles, sans égard au revenu, et que le régime public est financé de façon solidaire, à partir des impôts généraux.

Le présent avis se penche sur le manque d’accessibilité aux médecins de première ligne dans le système de santé au Québec. Le Conseil estime, à la lumière des comparaisons avec d’autres provinces, que le Québec ne souffre pas avant tout d’un manque de médecins ou de budget. Ce qui est en cause, c’est plutôt l’organisation des soins de première ligne, particulièrement les services médicaux. Le Conseil croit que cette situation est critique actuellement au Québec. Selon lui, il est du devoir du gouvernement d’intervenir au nom des malades, des familles, des plus vulnérables de la société qui n’ont pas accès, dans un délai raisonnable, aux services de santé qu’exige leur état, et ce, de façon à éviter des séjours en établissement (urgences, hôpitaux). En prime, il y a des économies à faire : « Une première ligne forte est associée à une meilleure santé de la population et à de moindres coûts pour les systèmes de santé comparativement aux pays où la priorité est donnée à la médecine spécialisée » (CSBE, 2009).

Au Québec, l’accès aux services de santé pour les plus vulnérables, peu importe leur âge, est un enjeu majeur qui a, selon le Conseil, des répercussions importantes sur les femmes, qu’elles fournissent du soutien à leurs proches ou qu’elles reçoivent elles-mêmes les soins. Les difficultés d’accès aux soins médicaux de première ligne, surtout en cabinet et à domicile, pèsent lourdement sur les Québécoises, particulièrement les mères de famille, en fait de temps d’attente, de responsabilités alourdies, d’épuisement et d’isolement.

Outre qu’elles sont de plus grandes usagères du système de santé, les femmes prodiguent des soins aux membres de leur famille et s’occupent plus que les hommes encore d’amener leurs enfants ou leurs parents âgés à la clinique médicale ou à l’hôpital. Enfin, elles jouent plus souvent le rôle d’aidante auprès de leurs proches malades ou en perte d’autonomie. Pour toutes ces raisons, elles sont, dans une plus large mesure que les hommes, pénalisées par les problèmes d’accès aux soins de santé, lorsqu’il est question de première ligne tout particulièrement. Les périodes d’hospitalisation ou les séjours répétés d’un ou d’une proche aux urgences se traduisent également en perte de salaire et, au bout du compte, en revenu de retraite diminué pour les femmes. Le Conseil croit donc que, en facilitant l’accès aux soins de première ligne, on allégera le fardeau des proches aidantes, des mères de famille, bref de tous celles et ceux qui s’occupent bénévolement des malades.

Le premier chapitre du présent avis consiste en un historique du système de santé et de services sociaux à travers les réformes apportées à l’organisation des soins de première ligne. Le deuxième chapitre expose la situation relativement à l’utilisation des services de santé de première ligne au Québec, à la disponibilité des médecins de famille et au temps d’attente avant d’obtenir un rendez-vous. Les indicateurs choisis seront comparés à ceux qui sont utilisés par d’autres administrations. Le troisième chapitre rappelle l’importance de la première ligne dans un système efficace de soins de santé. Le quatrième chapitre dresse un bilan des initiatives récentes du gouvernement pour améliorer l’accès aux services de première ligne. Au cinquième chapitre, le Conseil propose différentes mesures qui permettraient, selon lui, de résoudre une partie des problèmes d’accès aux soins de santé et donc de faciliter le parcours dans le système de santé des proches aidants, le plus souvent des femmes, et des personnes malades. Enfin, au sixième chapitre, le Conseil formule, en se basant sur son analyse, cinq recommandations à l’intention du gouvernement.

Chapitre I
Historique du système de santé et de services sociaux et de sa réforme

Depuis sa conception, le système de santé québécois a fait l’objet d’une réforme continue, la première ligne de soins étant directement visée par de nombreuses transformations qui ont été apportées à l’organisation des services. Les commissions d’études et les groupes de travail sur le système de santé se sont succédé, chacun proposant des moyens d’améliorer l’organisation, le financement et la prestation des soins afin d’assurer une amélioration de l’état de santé de la population en répondant mieux à ses besoins. Chaque fois, le gouvernement a choisi de miser sur l’organisation d’une première ligne de soins efficace pour assurer la qualité de l’ensemble du système et la maîtrise des coûts. Cela correspond bien à la place prépondérante qu’occupe la première ligne dans l’organisation des services, non seulement en fait de population servie et de volume des services offerts, mais également du fait de son rôle central dans l’accès aux soins spécialisés.

Définition de la première ligne de soins

La Commission d’étude sur les services de santé et les services sociaux définit ainsi la première ligne de soins (2000) :

Porte d’entrée du système de santé, les services de première ligne sont le point de contact de la population avec le réseau. Ils comprennent un ensemble de services courants, médicaux et sociaux, qui s’appuient sur une infrastructure légère de moyens diagnostiques et thérapeutiques permettant de résoudre la majorité des préoccupations et problèmes communs, d’ordre social et médical, de la population.

La première ligne médicale, en termes simples, est formée de médecins généralistes, aussi appelés « omnipraticiens » ou « omnipraticiennes », qui voient les malades en cabinet ou à domicile. Dès qu’il leur faut se présenter aux urgences, faute de médecins généralistes, il s’agit de la deuxième ligne. Assurée par des équipes interprofessionnelles, la première ligne doit diagnostiquer et proposer un traitement aux maladies courantes. Ces équipes interprofessionnelles sont composées des personnes suivantes : des médecins généralistes; des psychologues; des infirmières et des infirmiers; des travailleurs sociaux et des travailleuses sociales; d’autres professionnels et professionnelles de la santé.

Autrement, les médecins généralistes doivent diriger leurs patientes ou patients1 vers un médecin spécialiste et coordonner les soins que ces personnes reçoivent. La première ligne répond ainsi à la majeure partie des besoins en matière de santé de la population. Dans un état de situation portant sur l’organisation des services effectués en 2000, le ministère de la Santé et des Services sociaux estimait que la première ligne pourrait répondre à près de 80 % de la demande de services du territoire auquel les médecins généralistes sont rattachés (MSSS, 2000).

1.1. Naissance du système de santé québécois

En 1961, le gouvernement du Québec adhère au programme d’assurance hospitalisation proposé en 1957 par le gouvernement fédéral. Ce programme se limitait initialement au financement public du secteur hospitalier, mais le gouvernement québécois l’étendra aux frais médicaux, en adoptant, en 1966, la Loi sur l’assistance médicale. En 1968, la Loi sur les soins médicaux entre en vigueur à Ottawa : elle prévoit le partage des coûts des régimes d’assurance maladie entre le gouvernement fédéral et les gouvernements des provinces et des territoires. En 1970, la Loi sur l’assurance maladie est adoptée au Québec. Avec la création de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) est instauré un régime universel, conçu pour offrir les soins et les services de santé à toute la population, selon ses besoins et indépendamment de sa capacité de payer. Trois semaines avant l’entrée en vigueur de la réforme, les médecins spécialistes déclenchent une grève pour protester contre les honoraires prévus dans le nouveau régime d’assurance maladie. Une loi les oblige à retourner au travail dix jours plus tard.

1.2 Commission Castonguay-Nepveu

Au début des années 70, la Commission d’enquête sur la santé et le bien-être social (aussi appelée « commission Castonguay-Nepveu ») recommande de procéder à la création des départements de santé communautaire et des premiers centres locaux de santé (CLS). Ceux-ci seront chargés d’offrir à l’échelle locale un ensemble de services correspondant aux problèmes de santé de la population visée : « L’accent [serait] mis sur une médecine globale, qui veut répondre aux besoins les plus courants, de façon continue et complète, au niveau même où ces besoins surgissent » (Commission d’enquête sur la santé et le bien-être social, 1970). L’argument soutenu par la commission Castonguay-Nepveu était que des soins généraux accessibles et adaptés aux besoins de la population régionale permettraient d’éviter des services médicaux et hospitaliers plus complexes et beaucoup plus coûteux :

Même si d’autres facteurs influencent l’utilisation des soins, on reconnaît généralement que l’importance accordée aux soins généraux et à la médecine globale explique en grande partie les taux relativement élevés des consultations au cabinet et au centre de santé. Bien que le nombre de consultations couvertes par ces régimes soit plus du double de celui qu’on a enregistré ces dernières années au Québec, le recours intense aux soins généraux permet, par contre, de réaliser une utilisation beaucoup plus économique de l’hospitalisation.

1.3. Création des CLSC

La Loi sur la santé et les services sociaux, adoptée en décembre 1971, va élargir la mission des CLS au volet social de l’offre de services, en créant le réseau des centres locaux de services communautaires (CLSC). Ces derniers, qui relèvent de la responsabilité du ministère des Affaires sociales2, sont conçus comme la porte d’entrée du système de santé et de services sociaux. Ils réunissent des équipes multidisciplinaires chargées d’offrir les services cliniques préventifs et curatifs et d’organiser le maintien à domicile lorsqu’une lourde installation hospitalière n’est pas indispensable. L’implantation du réseau des CLSC se fera toutefois au ralenti puisque le dernier de ces centres sera créé en 1989. Il faut dire que les médecins se sont fortement opposés au modèle des CLSC, notamment parce qu’ils devenaient des salariés de l’État. La grande majorité des médecins généralistes est donc demeurée en cabinet, quoique l’on assiste, depuis la fin des années 90, à une augmentation progressive du pourcentage de médecins généralistes qui travaillent en CLSC. Bien qu’ils n’aient jamais joué le rôle attendu de porte d’entrée du système médical, les CLSC sont par contre devenus les principaux lieux d’offre de services de première ligne dans le domaine de la santé, dont les soins infirmiers, les services sociaux et, surtout, les soins à domicile. Par ailleurs, puisqu’environ 80 % des médecins généralistes sont aujourd’hui en cabinet, ce dernier mode représente à l’heure actuelle la principale porte d’entrée du système de santé public pour les soins médicaux.

1.4 Commission Clair

En décembre 2000, la Commission d’étude sur les services de santé et les services sociaux (aussi appelée « commission Clair ») remet son rapport. Elle y pointe les défis qui attendent le système de santé et propose des solutions pour en assurer la viabilité. En plus de la hausse des coûts associée aux percées technologiques et à la découverte de médicaments, le système de santé québécois devra faire face au vieillissement accéléré de la population. À cela s’ajoutent la chronicité des problèmes de santé ainsi que la multiplication des troubles cognitifs et des maladies invalidantes. Une hausse de la demande de soins est donc à prévoir avec, en corollaire, l’augmentation inévitable des coûts. La commission Clair recommande notamment de créer un réseau de services intégrés pour les personnes âgées en perte d’autonomie (CESSSS, 2000) et d’instaurer un régime d’assurance contre la perte d’autonomie, sur une base de capitalisation. Ce régime indemniserait les personnes en perte d’autonomie, en couvrant les coûts des soins de longue durée offerts à domicile ou en établissement d’hébergement (CESSSS, 2000).

Pour faciliter l’accès aux soins de première ligne, la commission Clair a recommandé en outre que la première ligne médicale soit organisée autour de groupes de médecine familiale, qui auraient la responsabilité d’offrir une gamme de services médicaux à une catégorie de population précise. Chaque médecin et son groupe de médecine familiale s’engageraient à fournir les soins de santé de première ligne dans un délai raisonnable, 7 jours sur 7 (CESSSS, 2000).

Groupes de médecine familiale

En 2002, suivant la recommandation de la commission Clair, les premiers groupes de médecine familiale (GMF) sont créés, pour renforcer la relation médecin-patiente, assurer des services de pre- mière ligne 7 jours sur 7 aux personnes inscrites et permettre à tous les Québécois et Québécoises d’avoir leur médecin de famille. Ces groupes réunissent en moyenne de six à dix médecins généralistes qui travaillent en étroite collaboration avec le personnel infirmier. En principe, les heures d’ouverture des cliniques doivent être prolongées pour englober des heures dites défavorables (soir, fin de semaine et jour férié) et des services de garde téléphonique doivent être offerts en dehors de ces heures d’ouverture élargies. À noter que cette approche a été plus rapidement adoptée dans les milieux ruraux et les milieux urbains à faible densité que dans la grande région de Montréal. Environ 240 groupes de médecine familiale sont présentement établis au Québec (MSSS, 2012), mais pas forcément dans les endroits où les besoins sont les plus criants.

Restructuration du réseau

En décembre 2003, le gouvernement du Québec procède à une réorganisation structurelle du système de santé et de services sociaux, dans l’optique de rapprocher les services de la population et de les rendre plus accessibles et mieux coordonnés ainsi que d’en assurer la continuité. La Loi sur les agences de développement de réseaux locaux de services de santé et de services sociaux est ainsi adoptée. Elle transformera le mandat des régies régionales de la santé et des services sociaux en les chargeant de créer les centres de santé et de services sociaux (CSSS). Ces derniers deviendront responsables de la définition du projet clinique et organisationnel sur leur territoire et ils chapeauteront les activités des organismes locaux que sont les CLSC, les hôpitaux et les centres hospitaliers de soins de longue durée. La formation, en juin 2004, de 95 réseaux locaux de services à l’échelle du Québec3 concrétisera cette réforme. Pour la région de Montréal, s’y ajoutera l’établissement de cliniques réseaux et de cliniques médicales associées (CMA) ayant pour objectif spécifique de désengorger les urgences des hôpitaux. Les nouvelles cliniques réseaux auront le mandat d’assurer l’accès aux services spécialisés à la population de leur territoire.

Autres réformes proposées

En juin 2005, en raison des délais d’attente jugés trop longs dans le système public, la Cour suprême a invalidé, dans l’affaire Chaoulli, les dispositions législatives interdisant le recours à l’assurance privée pour obtenir des soins médicaux et hospitaliers au Québec. Ce jugement est survenu alors que le gouvernement avait entrepris de modifier les structures du système de santé et des services sociaux pour en accroître l’efficacité et améliorer la qualité des soins et des services prodigués et au moment où il venait d’injecter de nouvelles sommes pour soutenir cette impulsion donnée au système. Le gouvernement a déposé un livre blanc, Garantir l’accès : un défi d’équité, d’efficience et de qualité (MSSS, 2006), présentant son projet de réforme et les suites à donner à l’affaire Chaoulli, et il a lancé par la suite une consultation publique sur le livre blanc.

Le Groupe de travail sur le financement du système de santé (présidé par Claude Castonguay) a remis son rapport en février 2008. Le ministre de la Santé et des Services sociaux a réagi positivement aux recommandations en vue d’accroître la performance du système et de contrôler la hausse des dépenses publiques en matière de santé, tout en émettant des réserves quant aux propositions qui auraient pour effet d’accroître le financement privé des soins et la production à but lucratif des services.

Le Groupe de travail a proposé plus précisément une réinterprétation des valeurs et des principes à la base du système de santé québécois, en mettant en avant le principe de la liberté individuelle (celle de la personne qui demande des soins et celle de chaque médecin), au détriment du principe de l’accessibilité qui est pourtant à la base des lois québécoises et de la Loi canadienne sur la santé. Le Groupe de travail a aussi proposé :

Pour donner suite aux recommandations du Groupe de travail, le ministre de la Santé et des Services sociaux a formé cinq chantiers de travail et d’implantation. Ceux-ci concernent l’accès aux médecins de famille, la décentralisation et la répartition des ressources ainsi que la performance et la création d’un institut national. C’est ainsi qu’en janvier 2011 l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) a été créé pour remplacer l’Agence d’évaluation des technologies et des modes d’intervention en santé et le Conseil du médicament. L’INESSS a notamment pour mission « de promouvoir l’excellence clinique et l’utilisation efficace des ressources dans le secteur de la santé et des services sociaux » (INESSS, 2012).

En 2009, le Commissaire à la santé et au bien-être publie deux rapports fouillés sur les insuffisances de la première ligne médicale. Au cœur des réformes nécessaires, le Commissaire recommande de modifier en profondeur le mode de rémunération des médecins pour les encourager à prendre en charge les cas lourds, à atteindre des cibles cliniques en fonction des besoins des populations desservies, et à déléguer à d’autres professionnels certaines pratiques cliniques (CSBE, 2009).

Chapitre II
Exposé de la situation relativement à l’accès aux services médicaux de première ligne

Les services médicaux de première ligne sont prodigués en clinique, à domicile et en établissement d’hébergement. Les médecins généralistes qui les assurent ont comme responsabilité de répondre en premier lieu, avant les médecins spécialistes, à un vaste éventail de problèmes de santé pour des personnes de tout âge.

Plusieurs enquêtes permettent de mesurer l’accès qu’a la population québécoise aux services médicaux de première ligne par comparaison avec d’autres provinces. Elles sont présentées brièvement ci-dessous.

Ainsi, le Commissaire à la santé et au bien-être participe, depuis 2009, aux enquêtes du Commonwealth Fund sur les politiques de santé. Il finance un suréchantillonnage qui lui permet de comparer les résultats du Québec avec ceux des autres provinces canadiennes et des pays participants. Le Conseil a utilisé trois de ces enquêtes pour brosser le tableau faisant l’objet de ce chapitre : celle qui portait sur l’expérience de soins de la population en général (CSBE, 2011), celle qui concernait l’expérience de soins des personnes ayant les plus grands besoins en matière de santé (CSBE, 2012) et celle qui présentait les perceptions et les expériences des médecins de première ligne (CSBE, 2013).

Une enquête populationnelle approfondie sur l’expérience de soins à Montréal et dans la région de la Montérégie a été menée conjointement par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) et l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal. Cette enquête portant sur la performance des différents modèles d’organisation des services médicaux de première ligne a donné lieu à la publication de plusieurs études et articles. Le Conseil a examiné les résultats de l’étude intitulée L’accessibilité et la continuité des services : une étude sur la première ligne au Québec (Pineault et autres, 2008).

Pour leur part, l’Institut de la statistique du Québec ainsi que le ministère de la Santé et des Services sociaux mènent, depuis 2004, une série d’enquêtes pour documenter l’expérience de soins, évaluer la qualité des services offerts et mesurer les besoins comblés et non comblés de la population. Dans ce contexte, l’Enquête québécoise sur l’expérience de soins, réalisée en 2010-2011 (ISQ, 2013), apporte un éclairage complémentaire sur certains aspects du fonctionnement du système de santé, comme l’accessibilité, l’efficacité, la sécurité et l’équité. Les premiers résultats de cette enquête ont été publiés en 2013.

Enfin, l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes, conduite par Statistique Canada, porte sur l’état de santé, l’utilisation des services de santé et les déterminants de la santé de la population canadienne. Elle fournit des données annuelles depuis 2007.

Consultations médicales

La population québécoise a tendance à consulter moins souvent les médecins que celle du reste du Canada ou d’autres pays industrialisés. En 2010, 82,3 % des Québécoises et 76,6 % des Québécois déclaraient avoir consulté au moins une ou un médecin au cours des douze mois précédents. En Ontario, 90 % de la population étaient dans ce cas, alors que, pour l’ensemble du Canada, c’était 88 % de la population.

Les femmes sont de plus grandes utilisatrices des services médicaux que les hommes, et ce, pour un ensemble de raisons. L’approche préventive en matière de santé fait davantage partie des habitudes des femmes que de celles des hommes. De plus, leur fonction reproductive détermine, de l’adolescence à la ménopause, un ensemble spécifique de besoins en matière de santé. D’autre part, il faut tenir compte de la longévité supérieure des femmes, leur espérance de vie à la naissance étant de 83,7 ans comparativement à 79,7 ans chez les hommes (ISQ, 2012). Parmi les 65 ans et plus, on compte 56,3 % de femmes contre 43,7 % d’hommes. Chez les 75 ans et plus, l’écart est encore plus important : on dénombre 60,9 % de femmes contre 39,1 % d’hommes (Secrétariat à la condition féminine, page consultée le 18 juin 2013). Cette longévité accrue a un effet direct sur le recours aux soins de santé : il existe un plus grand nombre de femmes âgées vivant seules que d’hommes, ce qui rend leur situation plus précaire lorsqu’elles tombent malades.

La propension à recourir aux services médicaux varie suivant l’âge. L’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes permet de mesurer la portion de la population qui a demandé un avis médical au cours des douze derniers mois. En 2010, au Québec, 84,3 % des femmes et 70,9 % des hommes âgés de 12 ans et plus disaient avoir consulté. À noter que, dans les groupes d’âge inférieurs à 65 ans, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à rencontrer leur médecin et que c’est au début de l’âge adulte (de 20 à 34 ans) que l’écart entre les sexes est le plus important. L’écart diminue dans les groupes d’âge subséquents pour s’inverser à partir de 65 ans. C’est ce qu’illustre le graphique 1.

Graphique 1

Graphique 1
Consultation d’une ou d’un médecin au cours des douze derniers mois, Québec, 2010

Source : Statistique Canada (page consultée le 26 juillet 2013, Tableau 105-0501).

Au Québec, les femmes sont sensiblement plus nombreuses (58,0 %) que les hommes (52,5 %) à déclarer avoir consulté deux ou trois médecins. Seulement 21,1 % d’entre elles n’ont pas consulté de médecin ou l’ont fait une seule fois, en regard de 25,2 % des hommes, alors que 20,9 % d’entre elles ont consulté quatre médecins ou plus, comme l’ont fait 22,3 % des hommes.

Visites aux urgences

Si l’on s’intéresse au nombre de visites aux urgences d’un hôpital au cours des deux dernières années, la part de la population adulte qui y est allée au moins une fois au cours de cette période est plus importante au Québec que dans le reste du Canada et que dans chacun des pays visés par l’enquête du Commonwealth Fund. Alors qu’au Québec 44,1 % des adultes ont déclaré avoir fait au moins une visite aux urgences, c’est le cas de 41,7 % de la population adulte dans le reste du Canada, alors que dans les autres pays le pourcentage varie de 21 % (Allemagne) à 36 % (États-Unis). Les femmes sont à peine plus nombreuses que les hommes à avoir fréquenté les urgences : au Québec, 44,8 % des femmes y sont allées au moins une fois au cours des deux dernières années contre 43,4 % pour les hommes.

La fréquentation des urgences est liée en partie à une difficulté d’accès aux services médicaux de première ligne. Au Québec, dans la population, 45,6 % des personnes interrogées ont déclaré que la dernière fois qu’elles étaient allées aux urgences, c’était pour une affection qui aurait pu être traitée dans leur lieu habituel de soins de première ligne. Ce pourcentage est voisin de celui de l’ensemble du Canada (46,1 %), mais plus élevé que celui qui a été mesuré dans tous les autres pays visés par l’enquête du Commonwealth Fund, exception faite des États-Unis. Les résultats de cette enquête ne permettent pas de comparer les comportements des femmes et des hommes à ce chapitre.

Concernant ceux et celles qui présentent les plus grands besoins en matière de santé, essentiellement dans le cas d’une maladie chronique avancée ou en phase terminale, il n’est pas surprenant de constater que le pourcentage de personnes qui fréquentent les urgences est plus élevé dans ce groupe que dans l’ensemble de la population. Dans ce groupe particulier, les hommes sont plus nombreux que les femmes à se rendre aux urgences. Pendant que 39,0 % des femmes et 35,1 % des hommes qui présentent de grands besoins médicaux n’ont fait aucune visite aux urgences, 27,4 % des femmes y ont fait une seule visite et 33,6 % ont fait deux visites ou plus aux urgences au cours des deux années ayant précédé l’enquête du Commonwealth Fund. Chez les hommes, 30,0 % ont fait une visite aux urgences et 34,9 % y sont allés deux fois ou plus.

Toujours dans ce groupe particulier qui recourt fréquemment aux services de santé, 38 % des personnes déclarent s’être présentées aux urgences pour un problème qui aurait pu être traité par leur médecin de famille, pourcentage légèrement plus élevé qu’ailleurs au Canada (37 %). On constate que les femmes ont, plus souvent que les hommes, eu recours aux urgences pour traiter un problème qui aurait pu être traité par leur médecin de famille : c’est le cas de 39,3 % d’entre elles contre 36,1 % des hommes.

Consultations par téléphone

Contrairement à la fréquence des visites médicales, l’utilisation d’un service téléphonique pour obtenir des conseils médicaux semble plus populaire au Québec qu’au Canada et que dans tous les autres pays, exception faite de la Suède. L’implantation au Québec du service téléphonique Info-Santé explique sans doute cet engouement. Avec respectivement 39 % et 26 % de la population adulte qui dit avoir appelé, au cours des deux dernières années, un service d’aide par téléphone pour obtenir des conseils relatifs à la santé, la Suède et le Québec viennent ainsi tous deux au premier rang pour cet indicateur. Au Canada, cette proportion est de 21 %, tandis qu’au Royaume-Uni elle n’est que de 12 %; en France et en Norvège, elle se situe à 5 %. Soulignons en outre qu’au Québec les femmes sont plus nombreuses que les hommes à recourir au service Info-Santé 8-1-1 : 30,3 % d’entre elles ont répondu avoir utilisé ce service au cours des deux dernières années en comparaison de 21,2 % des hommes.

Utilisation du dossier électronique

La proportion de médecins qui recourent à l’informatique pour la tenue des dossiers dans le principal milieu de soins aux patientes est, au Québec, parmi les plus faibles au Canada. En effet, 35 % des médecins pratiquant au Québec déclarent que les dossiers des patientes combinent le support papier et le support électronique ou qu’ils sont conservés sur support électronique seulement. En Ontario, les deux tiers des médecins (67%) recourent aux dossiers électroniques, tandis qu’en Alberta, la proportion des médecins qui le font atteint 73% (CSBE, 2012).

Accessibilité des services de première ligne

Les difficultés d’accès aux services de première ligne sont observées au Québec depuis plusieurs années. Le Conseil médical du Québec (ancêtre du Commissaire à la santé et au bien-être) constate déjà en 1995 des lacunes sur le chapitre de l’accessibilité aux services, de la continuité des services ainsi que de l’intégration et de la coordination des soins. Le diagnostic du Conseil médical du Québec au regard de l’accessibilité semble encore d’actualité malgré les efforts consacrés au redressement de la situation au cours des dernières années.

En 1995, le Conseil médical du Québec déplore que les médecins n’assurent pas l’ensemble des services attendus de leur part, que les services de base ne soient pas toujours à la disposition de la population 7 jours sur 7, et que ces services soient particulièrement difficiles d’accès pour certains groupes en particulier (personnes âgées dont la condition médicale est lourde, personnes en fin de vie, personnes en perte d’autonomie grave, personnes handicapées, nouveaux immigrants et immigrantes, toxicomanes et personnes vivant en milieu défavorisé). De plus, le Conseil médical du Québec blâme l’organisation déficiente des services qui, malgré un nombre suffisant de médecins de première ligne, ne permet pas aux patientes d’obtenir rapidement un rendez-vous auprès de leur médecin de famille autrement, sans se rendre aux urgences (Conseil médical du Québec, 1995).

En 2009, le Commissaire à la santé et au bien-être réitère le même diagnostic : le nombre moyen de patientes par médecin a reculé de 7%, la productivité des médecins diminue alors que le vieillissement de la population cause une hausse du nombre de visites médicales pour ces patientes vieillissantes et un allongement de la durée de leurs visites. « C’est peut-être moins le nombre de médecins de première ligne qui fait défaut que d’une part, le temps qu’ils consacrent à la pratique médicale – surtout la prestation en cabinet – et d’autre part, ce qu’on leur demande de faire » (CSBE, 2009).

Pourtant, le Québec compte en 2010 plus de 8 000 médecins de famille : 5 500 médecins ont alors 16 ans et plus de pratique; 2 500 en ont 15 ans et moins. Et le nombre de médecins généralistes est passé de 7 565 en 2006 à 8 797 en 2011 (RAMQ, 2012).

En 2012, le quart de la population québécoise (24,8 %) est sans médecin de famille (Statistique Canada, 2013), et ce, sans amélioration significative depuis cinq ans malgré l’augmentation des effectifs. En fait, malgré l’arrivée de 500 nouveaux médecins au cours des cinq dernières années, les médecins généralistes ont réduit leur offre de services de première ligne à la population québécoise. En 2007, chaque généraliste a fourni en moyenne par an 4 600 services médicaux, chacun de ces services ayant été rémunéré en moyenne 37,03 $. Cinq ans plus tard, le nombre de services offerts a baissé à 4 271 et chacun coûte en moyenne 49,47 $. Et pourtant, la rémunération globale des médecins généralistes a augmenté de 35 % pendant le même intervalle (Contandriopoulos, 2012). Pour donner une idée des montants en jeu, le Conseil tient à préciser que cette enveloppe est passée de 1,430 milliard de dollars en 2007-2008 à 1,927 milliard en 2011-2012 (RAMQ, 2012).

Que se passe-t-il donc? Parmi les facteurs importants, une proportion de plus en plus grande des médecins généralistes québécois se consacre à la médecine hospitalière ou à une médecine générale de première ligne qui ne permet pas la prise en charge médicale globale des personnes malades, notamment dans les cliniques où les consultations ont lieu sans avoir pris rendez-vous au préalable et les cliniques médicales à thématique spécialisée, comme on en trouve, par exemple, dans les CLSC (clinique jeunesse, clinique de médecine sportive, clinique de santé mentale, etc.).

Seulement 62 % des heures travaillées par les médecins de famille québécois le sont pour des services de première ligne. En effet, ces médecins généralistes consacrent 38 % de leurs heures au travail hospitalier, un pourcentage nettement plus élevé qu’ailleurs au Canada ou même en Europe où moins de 20 % des heures travaillées par les médecins généralistes le sont en milieu hospitalier. C’est là une situation exceptionnelle qui nuit aux malades non hospitalisés. Il faut comprendre qu’en 1993 le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec a obligé les jeunes médecins à consacrer un minimum de 12 heures par semaine aux activités hospitalières. L’effet pervers de cette mesure est que les médecins généralistes ont pris goût à la pratique en hôpital : c’est une pratique stimulante et valorisée dans leur profession (qui ne nécessite pas de prise en charge à long terme).

La création des groupes de médecine familiale (GMF) ne s’est malheureusement pas traduite par un accès plus grand aux médecins de famille, alors que c’était l’intention initiale et que d’importantes sommes ont été versées à ces groupes. Depuis la mise sur pied des GMF en 2003, le pourcentage de la population québécoise ayant accès à une ou à un médecin de famille a diminué d’un peu plus de 2 % : il est passé de 75,5 % en 2003 à 73,2 % en 2009 (Boulenger et Castonguay, 2012).

L’accès aux services de première ligne peut être mesuré par le pourcentage de Québécois et de Québécoises qui ont leur médecin de famille. L’accès est aussi mesuré par le temps moyen d’attente pour obtenir un rendez-vous auprès d’une ou d’un médecin de première ligne pour les malades en général, mais aussi pour les personnes qui ont recours fréquemment aux services, c’est-à-dire les plus malades, que ce soit pour un rendez-vous non urgent ou urgent. La qualité de l’accès est également évaluée d’après la continuité de leur suivi, donc la possibilité de revoir le ou la même généraliste, c’est-à-dire leur médecin de famille. Les récentes enquêtes du Commonwealth Fund permettent d’estimer ces indicateurs de l’accessibilité.

Accès à une ou à un médecin de famille

Le Québec est de loin la pire province pour la proportion de sa population qui n’a pas de médecin de famille, et ce, malgré son troisième rang sur le chapitre du nombre de médecins généralistes par 100 000 personnes (Gladu, 2007). L’Ontario, province voisine, a près de trois fois moins de citoyennes et de citoyens dépourvus de médecin de famille (8,8 %) (Statistique Canada, 2013). De plus, les délais habituels au Québec pour obtenir un rendez-vous lorsqu’on a une ou un médecin de famille sont parmi les plus élevés au Canada.

Le pourcentage de la population avec médecin de famille est plus faible au Québec que dans la plupart des pays qui ont participé à l’enquête du Commonwealth Fund auprès de la population en général. Ces résultats sont présentés au tableau 1. Cette enquête s’est aussi intéressée à la part de la population qui a un lieu habituel de soins, c’est-à-dire un cabinet, une clinique ou un centre de santé habituellement consulté pour ses soins médicaux. Au Québec, il s’agit surtout des cliniques « sans rendez-vous » (CSBE, 2011). Dans la province, 16 % de la population n’a ni médecin de famille ni lieu habituel de soins : c’est un pourcentage relativement élevé par rapport à celui des autres administrations.

Tableau 1
Taux d’accès à une ou à un médecin de famille ou à un lieu habituel de soins médicaux, 2010
Lieux Médecin de famille Sans médecin de famille, mais avec lieu habituel de soins médicaux* (%) Sans médecin de famille ni lieu habituel de soins médicaux (%)
Québec 72,0 12,2 15,9
Ontario 82,4 5,9 11,7
Canada 78,6 8,8 12,6
Pays-Bas 95,0 4,0 1,0
Norvège 94,0 3,0 3,0
Suisse 88,0 3,0 8,0
France 85,0 4,0 11,0
Nouvelle-Zélande 83,0 13,0 4,0
Australie 79,0 12,0 9,0
États-Unis 76,0 10,0 14,0
Allemagne 75,0 3,0 22,0
Royaume-Uni 64,0 13,0 23,0
Suède 48,0 44,0 8,0

Source : CSBE (2011).

* La catégorie « Sans médecin de famille, mais avec lieu habituel de soins médicaux » désigne une clinique « sans rendez-vous » ou encore le fait que le bureau d’un ou d’une spécialiste peut devenir le lieu habituel de soins de certaines personnes.

Les femmes sont plus nombreuses que les hommes à avoir un médecin habituel. L’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes révèle en effet qu’en 2011 c’est le cas de 80,8 % d’entre elles, alors que seulement 68,2 % des hommes sont dans la même situation. À noter qu’il y a eu peu d’évolution à cet égard depuis 2007, le taux d’accès des femmes ayant même connu un léger recul au cours de la période à l’étude, alors que celui des hommes a gagné 3 points. C’est ce qu’illustre le graphique 2.

Graphique 2

Graphique 2
Taux d’accès à une ou à un médecin de famille, population âgée de 12 ans ou plus, Québec, 2007-2010

Source : Statistique Canada (2012).

Il ne faut pas se surprendre que la différence entre les sexes soit à l’avantage des femmes puisque, comme nous l’avons vu plus haut, elles sont, à tout âge avant 65 ans, de plus grandes usagères du système de santé que les hommes, cette situation tenant surtout au fait que ce sont elles qui portent les enfants. Si les femmes sont plus préoccupées par leur santé que les hommes depuis leur plus jeune âge et si elles font appel plus souvent qu’eux au système de santé et de services sociaux, elles cherchent plus activement à avoir leur médecin de famille.

Temps d’attente pour voir une ou un médecin

Pour ce qui est du temps d’attente pour voir une ou un médecin en cas de besoin, les enquêtes font ressortir qu’il est plus difficile au Québec qu’ailleurs au Canada ou dans les autres pays industrialisés d’avoir un rendez-vous rapidement. En outre, si l’on compare le Canada aux autres pays visés par l’enquête du Commonwealth Fund, il arrive à la fin du classement en fait de temps d’attente, comme le montre le tableau 2.

Tableau 2
Attente pour voir une ou un médecin en cas de besoin, 2010
Lieux Rendez-vous obtenu le jour même ou le lendemain (%) Rendez-vous obtenu dans un délai de deux à cinq jours (%) Rendez-vous obtenu dans un délai de six jours et plus (%) Impossibilité d’obtenir un rendez-vous (%)
Québec 31,8 12,6 50,0 5,6
Ontario 50,2 24,0 24,7 1,1
Canada 45,0 22,8 29,9 2,3
Suisse 92,0 6,0 2,0
Nouvelle-Zélande 75,0 18,0 6,0 1,0
Pays-Bas 73,0 22,0 5,0
Allemagne 69,0 16,0 14,0 1,0
Royaume-Uni 69,0 22,0 9,0
Australie 64,0 21,0 14,0 1,0
France 59,0 25,0 16,0
États-Unis 58,0 24,0 16,0 2,0
Suède 55,0 21,0 23,0 1,0
Norvège 46,0 27,0 27,0

Source : CSBE (2011).

Au Québec, dans la population en général, seulement 27,6 % des femmes peuvent voir leur médecin le jour même ou le lendemain, alors que 36,4 % des hommes le peuvent. Par contre, une proportion équivalente de femmes et d’hommes doivent attendre de deux à cinq jours, tandis que 53,5 % des femmes et 46,1 % des hommes attendent six jours et plus. Chez la population qui présente les plus grands besoins, 47 % des gens au Québec peuvent obtenir un rendez-vous avec une ou un médecin ou encore une infirmière ou un infirmier le jour même, ou le lendemain contre 55 % en Ontario et 54 % au Canada. En fait, dans tous les autres pays, sauf la Suède, les personnes qui ont recours fréquemment aux services de santé sont proportionnellement plus nombreuses qu’au Canada à obtenir un rendez-vous le jour même ou le lendemain.

Le Sondage national des médecins mené en 2010 donne un éclairage sur leur perception du temps d’attente pour obtenir un rendez-vous. Lorsqu’on leur a demandé d’estimer le temps d’attente imposé à une personne qui communique avec leur cabinet pour un premier rendez-vous non urgent, 10,9 % des médecins ont répondu que celle-ci pouvait obtenir un premier rendez-vous la même semaine; 8,2 %, dans un délai d’une à deux semaines; 19 %, dans un délai de deux à quatre semaines; 18, 8 %, dans un délai de quatre à huit semaines; et 16,5 %, dans un délai de plus de huit semaines. La situation diffère lorsqu’il s’agit d’une demande urgente. En effet, 37,4 % des médecins de famille québécois ont répondu voir la personne malade le jour même, ou le lendemain; 28,3 %, dans un délai d’une journée à une semaine; et 5,9 %, après plus d’une semaine. Les réponses des autres médecins sont partagées entre les trois catégories suivantes : « Pas certain », « Sans objet » et « Non-réponse ».

La possibilité d’obtenir des services médicaux le soir, la fin de semaine ou un jour férié, sans se rendre aux urgences, a été mesurée par les enquêtes du Commonwealth Fund. Au Québec, dans la population en général, obtenir des soins est facile ou très facile pour à peine 23,1 % des gens, tandis que 69,9 % estiment que c’est difficile ou très difficile (6,9 % estiment que ce n’est pas nécessaire). Les hommes semblent mieux servis à ce chapitre puisque 25,5 % d’entre eux ont trouvé facile ou très facile d’obtenir des soins la fin de semaine ou durant un jour férié contre 21,0 % des femmes.

Au Québec, pour 73,3 % des femmes et 66,3 % des hommes, il est donc difficile ou très difficile d’obtenir des services médicaux le soir, la fin de semaine ou un jour férié. À remarquer que le Québec obtient de moins bons résultats à ce titre que le reste du Canada et que la plupart des autres pays qui ont participé à l’enquête du Commonwealth Fund.

Du côté des personnes qui présentent les plus grands besoins médicaux, l’accès est heureusement un peu plus facile, même si, encore là, le Québec se situe au dernier rang des provinces et des pays visés par l’enquête du Commonwealth Fund. En effet, 34 % des répondants et des répondantes du Québec jugent facile ou très facile d’obtenir des soins médicaux en dehors des urgences, le soir, la fin de semaine ou un jour férié, contre 41 % en Ontario et 38 % dans l’ensemble du Canada. À l’étranger, le pourcentage varie de 43 % pour l’Australie à 78 % pour le Royaume-Uni. Au Québec, les hommes semblent avantagés par rapport aux femmes, 36,1 % d’entre eux jugeant facile ou très facile d’obtenir des soins, alors que la proportion n’est que de 31,8 % chez les femmes.

Enfin, il faut souligner que la situation semble se détériorer au Québec quant à l’accès aux services médicaux de première ligne dans le cas des personnes qui ont fréquemment recours aux services de santé, parmi lesquelles on trouve le plus souvent des malades âgés, atteints de maladies chroniques ou en fin de vie. Le pourcentage des personnes dans l’une ou l’autre de ces situations pour qui il est très facile ou assez facile d’obtenir des soins en dehors des urgences le soir, la fin de semaine ou un jour férié est passé, selon l’enquête du Commonwealth Fund, de 39 % en 2008 à 34 % en 2011.

Chapitre III
Importance de la première ligne médicale

Les médecins de première ligne ont comme responsabilité de répondre, avant les médecins spécialistes et avant les urgences des hôpitaux, aux problèmes de santé de toute la population, peu importe l’âge, particulièrement dans le cas des jeunes enfants, des malades en fin de vie et des personnes âgées vulnérables.

Au Québec, comme nous l’avons vu précédemment, les délais pour avoir accès à une consultation quand on est malade sont plus longs qu’ailleurs, sans compter le fait que le quart de la population n’a pas de médecin de famille. Le principe de la prise en charge exige pourtant une continuité de soins en accès ouvert, ce qui signifie pour les personnes visées pouvoir rencontrer leur médecin de famille dans un délai maximal de trois jours en cas de besoin, que ce soit au cabinet ou à domicile, notamment pour celles qui ont de la difficulté à se déplacer.

La prise en charge par une ou un médecin de famille offre aussi l’avantage de suivre plusieurs membres d’une même famille, ce qui permet, du coup, de saisir dans son ensemble les problématiques qui les concernent. Le fait de bien connaître ses patientes permet à chaque médecin d’offrir une consultation de meilleure qualité, mais aussi de réduire les consultations aux urgences et, de ce fait, les coûts globaux des soins. C’est le modèle de soins que l’on trouve en Occident dans la plupart des systèmes publics de santé, par exemple en France, en Belgique, en Scandinavie ou au Royaume-Uni.

Les cliniques en accès ouvert sont organisées en fonction de la rapidité de réponse de chaque médecin de famille qui se donne comme priorité quotidienne de voir les personnes les plus malades que compte sa clientèle. Les médecins qui adoptent cette pratique consacrent une part importante de leur temps aux rendez-vous pris le jour même ou dans les jours précédents. Il leur est possible de déléguer notamment à une infirmière certains examens ou le suivi lorsque la maladie chronique est stable. Au moment d’une visite pour un problème urgent, la ou le médecin en profite pour renouveler les ordonnances ou effectuer des examens de routine, ce qui permet de réduire le nombre de visites de routine dans son horaire de travail. De cette façon, il lui est aisé de prendre en charge plus de personnes sans augmenter son nombre d’heures de travail ni refuser les rendez-vous urgents. L’accès ouvert permet aux médecins de première ligne de raccourcir leur liste d’attente. Cependant, le modèle d’accès ouvert en cabinet est trop peu utilisé au Québec, particulièrement dans les milieux urbains.

Selon une enquête réalisée par le Commonwealth Fund, 55 % des médecins répondants québécois réservent un moment de leur journée de travail pour offrir des rendez-vous d’urgence pris le jour même. C’est le résultat le plus faible de l’ensemble des pays comparés. Au Canada, 76 % des médecins travaillent ainsi. Ce pourcentage dépasse les 90 % dans certains pays comme le Royaume-Uni et les Pays-Bas (CSBE, 2013).

La situation est encore plus critique pour les personnes retenues à domicile, essentiellement celles qui sont en fin de vie ou qui sont atteintes d’une maladie chronique grave, mais qui ne nécessitent pas de soins hospitaliers. Dans les CLSC, les services infirmiers à domicile sont de plus en plus développés et s’adaptent à une clientèle toujours plus lourde. Toutefois, il est difficile, sinon impossible, pour le personnel infirmier des CLSC de suivre seul, sans médecin, des cas médicalement lourds ou instables. C’est pourtant ce qui se passe dans la plupart des régions du Québec. Ce problème, dont l’ampleur peut être évaluée indirectement par les statistiques de lieux de décès, explique en partie la congestion dans les urgences québécoises.

En effet, les lieux de décès reflètent la pénurie médicale en matière de soins à domicile, à tout le moins pour les personnes en fin de vie, qui représentent les cas les plus aigus des services de soins à domicile. Seulement 8,3 % des Québécois souffrant d’une maladie chronique fatale4 sont décédés à domicile entre 1997 et 2001, comparativement à des pourcentages avoisinant 25 % aux États-Unis et au Royaume-Uni (INSPQ, 2006). Ces données reflètent l’absence de soins médicaux à domicile structurés au Québec et surtout de soins palliatifs à domicile. Ce sont les proches aidants, le plus souvent des femmes, qui vivent dans l’isolement à domicile avec une personne gravement malade, sans soutien médical approprié. Ces cas exigent pourtant un suivi médical serré en raison des nombreuses complications possibles.

Les médecins de famille québécois font très peu de visites à domicile, beaucoup moins que leurs collègues français, anglais ou belges : alors qu’au Québec la majorité des généralistes pratique en cabinet, à peine 2,3 % de tous les services médicaux facturés par ces médecins sont des services à domicile (RAMQ, 2006).

Il faut noter qu’à l’heure actuelle très peu de jeunes médecins optent pour la pratique à domicile et la prise en charge à domicile de personnes vulnérables ou en fin de vie. Cela s’explique notamment par le fait qu’une très faible proportion de l’enveloppe budgétaire destinée à rémunérer les médecins de famille est consacrée aux visites à domicile, alors que cette pratique se révèle exigeante et que les consultations prennent plus de temps qu’en cabinet, sans compter les déplacements pour se rendre à domicile.

En 2003, le Conseil de la santé et du bien-être s’inquiétait déjà de la baisse importante du taux de visites à domicile des médecins de famille québécois qui entraînait, selon lui, un taux accru d’hospitalisation en fin de vie, faute de disponibilité de services organisés quant aux soins palliatifs dans la communauté. À l’approche de la mort, on n’a souvent d’autre choix que d’envisager l’hospitalisation (CSBE, 2003).

De plus, selon le rapport du Vérificateur général paru au printemps 2013, les membres du personnel professionnel affectés aux services à domicile ne passent qu’une faible partie de leur temps de travail au domicile des personnes âgées. Selon ce rapport, le délai d’obtention des services à domicile est si long que la tâche des proches aidants en est gravement alourdie (Vérificateur général du Québec, 2013).

Si le Conseil du statut de la femme soulève ce manque d’accessibilité aux services de première ligne, c’est parce qu’il pénalise bien sûr les malades, mais aussi plus particulièrement les femmes, car les personnes jouant le rôle de proches aidants sont majoritairement des femmes. On estime que de 70 à 85 % des tâches – soins, accompagnement, préparation de repas, entretien de la maison, etc. – qui permettent le maintien à domicile des personnes vieillissantes sont assumées par des proches, en règle générale des membres de la famille, souvent une ou deux personnes, la plupart du temps une femme, une conjointe, une fille ou une bru, généralement âgée de 50 ans et plus. Les personnes que l’on appelle les « proches aidants » sont en fait majoritairement des « proches aidantes ».

Selon le Conseil des aînés, le Québec comptait, en 2006, 1 034 230 personnes dans un rôle de proches aidants, soit 18 % de l’ensemble de la population âgée de 15 ans et plus. Près de 60 % de ces personnes étaient des femmes, proportion qui pouvait atteindre 75,0 % lorsqu’il est question « du principal aidant », et elles assumaient de 80 à 90 % des soins et des services prodigués. En outre, parmi les personnes qui consacrent dix heures et plus par semaine aux soins et aux services prodigués à une personne âgée, 66,1 % sont des femmes. La contribution des proches aidants représenterait 8,7 millions d’heures par semaine, contribution dont la valeur financière est estimée à 5,4 milliards de dollars.

En général, l’engagement des proches aidants envers un conjoint ou une conjointe malade ou encore auprès des parents vieillissants s’étend sur une longue période de temps. Ainsi, en 2002, 25 % des proches aidants exerçaient ce rôle pendant au moins trois ans; 33 %, depuis six ans ou plus, dont 20 % depuis onze ans ou plus (Conseil des aînés, 2008). Les femmes étant plus nombreuses à être « principale proche aidante », les conséquences sur leur état de santé ou leur niveau de stress, sur leur vie professionnelle et leur revenu sont, comme on peut s’y attendre, plus lourdes. En 2008, parmi les personnes âgées de 45 à 64 ans qui cumulaient, en une semaine, 40 heures d’emploi sur le marché du travail et au moins 4 heures de soins à des proches, les deux tiers des femmes avaient subi une diminution de leurs heures de travail ou une baisse de leur revenu ou encore avaient dû demander un réaménagement de leur horaire de travail (Conseil des aînés, 2008). En comparaison, ce sont la moitié des hommes qui avaient dû composer avec de tels réaménagement.

Les sacrifices au quotidien de ces femmes pour arriver à conjuguer leur travail et leurs responsabilités à l’égard de leurs enfants, en plus des soins à donner à une personne en perte d’autonomie, font qu’elles risquent véritablement de s’épuiser à la tâche. De plus, l’engagement personnel des femmes est sous-estimé, car les statistiques sur les proches aidants ne comprennent pas le temps que les femmes passent à s’occuper de leurs enfants (handicapés ou non ou encore ayant des besoins spéciaux). Dans un tel contexte, il est essentiel de procurer à la personne dont elles ont la charge des soins médicaux de première ligne appropriés, en cabinet ou à domicile, et ce, dans les délais qu’exige sa condition, de façon à éviter le stress et la fatigue associés au fait de se rendre aux urgences ou dans des cliniques « sans rendez-vous ». Étant donné le caractère très féminin de ce bénévolat essentiel au fonctionnement de la société, le Conseil souscrit à une des mesures du Plan d’action en santé et bien-être des femmes 2010-2013 du ministère de la Santé et des Services sociaux et il en fait l’une de ses recommandations :

De plus, le Conseil fait sienne la recommandation qu’émettait le Commissaire à la santé et au bien-être dans Construire sur les bases d’une première ligne de soins renouvelée : recommandations, enjeux et implications, 2009 :

Chapitre IV
Initiatives récentes pour améliorer l’accès

À la suite des consultations menées en 2006 sur l’organisation et le financement des services de santé et des services sociaux, le gouvernement a adopté plusieurs mesures destinées à améliorer l’accès de la population aux services de première ligne.

4.1 Informatisation du dossier de santé

En avril 2006, le gouvernement lance le Plan d’informatisation du secteur de la santé et des services sociaux dans le but d’améliorer la qualité et l’accessibilité des soins de santé offerts à la population. Il s’agit alors de mettre au point un dossier de santé électronique utilisable à la grandeur du territoire québécois, soit le Dossier de santé du Québec, lequel comprendra notamment des informations sur les médicaments prescrits à l’échelle individuelle ainsi que les résultats d’analyses, d’examens de laboratoire ou d’imagerie médicale.

Le Québec a connu des difficultés importantes dans l’informatisation du dossier de santé, tant pour la planification de cet outil que pour les ressources budgétaires à y allouer. Les rapports successifs du Vérificateur général du Québec ont critiqué l’éparpillement des initiatives et la difficulté de mesurer les progrès accomplis et les coûts réels du programme (Vérificateur général du Québec, 2013).

Après la réalisation de projets pilotes sur le territoire de l’Agence de la santé et des services sociaux de la Capitale-Nationale et auprès de la population des territoires des agences de l’Estrie, de Lanaudière et de Montréal, les adaptations nécessaires ont été apportées au dossier de santé électronique. La Loi concernant le partage de certains renseignements de santé a été sanctionnée le 18 juin 2012. En vertu de cette loi, des actifs informationnels seront mis en place pour permettre le partage des renseignements en matière de santé entre les personnes-ressources et les spécialistes autorisés. Les renseignements sont divisés en six domaines cliniques : « Médicament », « Laboratoire », « Imagerie médicale », « Immunisation », « Allergie et intolérance » et « Sommaire d’hospitalisation ».

La Loi institue le système de gestion des ordonnances électroniques de médicaments dans l’optique de permettre le partage des ordonnances dans un environnement sécurisé. Elle crée trois registres qui permettront l’identification unique des personnes recevant des services, des personnes-ressources et spécialistes du secteur de la santé et des services sociaux autorisés de même que des organismes ou des lieux de prestation des services. Cette loi définit en outre les règles encadrant la communication, l’utilisation et la conservation des renseignements en matière de santé dans l’optique d’assurer la protection de cette information et d’apporter des aménagements à la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels. En outre, la Loi concernant le partage de certains renseignements de santé prévoit des modifications à la Loi sur la santé publique afin de revoir le fonctionnement du registre de vaccination et de fixer les règles de communication des renseignements qu’il contient.

Le Conseil appuie les objectifs visés par le projet Dossier de santé du Québec, soit l’amélioration de l’offre de soins et la coordination des services donnés par le personnel professionnel en raison d’une meilleure communication entre ses membres, quel que soit le lieu de soins : en cabinet, à domicile ou en milieu hospitalier. Les malades et leurs proches pourront enfin bénéficier du transfert d’informations médicales sur le plan professionnel, ce qui réduira les examens et les risques d’erreurs médicales.

Délégation d’actes : de nouvelles responsabilités confiées aux pharmaciennes et aux pharmaciens

Le ministre de la Santé et des Services sociaux5 a présenté, en novembre 2011, un projet de loi visant à accroître le rôle des pharmaciennes et des pharmaciens en matière de suivi de la thérapie médicamenteuse des patients. Le projet de loi no 41, Loi modifiant la Loi sur la pharmacie, a été adopté et sanctionné dès décembre 2011. En décembre 2012, les ordres professionnels que sont le Collège des médecins du Québec et l’Ordre des pharmaciens du Québec ont adopté les règlements découlant du projet de loi no 41 (communiqué du 10 décembre 2012). Finalement, par le Décret 600-2013 qui fut adopté le 12 juin 2013, le Conseil des ministres a décidé que la nouvelle Loi sur la pharmacie6 entrerait en vigueur le 3 septembre 2013.

Six activités professionnelles pourraient s'ajouter ainsi à la liste des activités des pharmaciennes et des pharmaciens. Il s’agit de :

  1. prolongation d’une ordonnance pour une période déterminée;

  2. adaptation d’une ordonnance rédigée par une ou un médecin;

  3. substitution thérapeutique d’un médicament en cas de rupture d’approvisionnement;

  4. administration d’un médicament à des fins de démonstration;

  5. prescription de certains médicaments lorsque aucun diagnostic n’est requis; et

  6. prescription et interprétation d’un examen de laboratoire.

Pour le Conseil du statut de la femme, le fait de permettre aux pharmaciennes et aux pharmaciens d’intervenir dans des situations cliniques simples sans avoir à obtenir l’accord préalable du médecin traitant fera gagner un temps précieux aux médecins, ceux-ci pouvant alors réserver leurs échanges avec les pharmaciens pour les situations cliniques complexes. Une telle délégation d’actes nous semble donc capable de favoriser un meilleur accès à la première ligne de soins pour la population à condition que ces services soient gratuits ou remboursables.

4.3 Diffusion d’ordonnances collectives

Toujours dans le but de favoriser l’interdisciplinarité des professionnels de la santé et d’ainsi améliorer l’accès de la population aux soins des médecins là où leur expertise est indispensable, le ministre de la Santé et des Services sociaux a conclu une entente avec le Collège des médecins du Québec, l’Ordre des pharmaciens du Québec ainsi que l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec pour faciliter la diffusion des ordonnances collectives nationales. L’entente en question a permis de reconnaître au personnel infirmier le pouvoir d’administrer les médicaments visés par une ordonnance collective. Cette entente permettra d’offrir une meilleure prise en charge de la clientèle qui souffre d’une maladie chronique; les ordonnances toucheront les médicaments servant à traiter l’hypertension artérielle, le diabète ou la dyslipidémie ou encore à prévenir la formation de caillots sanguins.

En vigueur depuis le 15 avril 2013, cette mesure est vue comme un levier important pour améliorer l’accessibilité des services de santé à la population québécoise en favorisant une meilleure utilisation des compétences professionnelles. Le Conseil approuve la valorisation du rôle du personnel infirmier et croit que les infirmières praticiennes et les infirmiers praticiens pourraient se voir confier la responsabilité de coordonner les services à la personne, notamment après la sortie de l’hôpital ou dans le cas de problèmes chroniques de santé.

4.4 Soins à domicile et assurance autonomie

Les soins à domicile permettent d’éviter des jours d’hospitalisation et donc des coûts pour le système public de santé. Dans le cas des soins palliatifs de fin de vie, les coûts hospitaliers évités pourraient être encore plus importants puisque c’est dans des cas lourds et complexes que ces soins sont prodigués. L’expérience de certaines organisations (CSSS d’Arthabaska-et-de-l’Érable et CSSS du Sud-Ouest–Verdun) a suffi à démontrer qu’il est possible de créer une équipe de soins palliatifs sans coûts supplémentaires. Pour chacune des régions, les soins à domicile pourraient être organisés par les CLSC et intégrés au panier de services assurés.

Le ministre de la Santé et des Services sociaux a proposé, en mai 2013, un nouveau cadre pour coordonner l’offre des services aux personnes en perte d’autonomie. Il s’agit d’instaurer un programme d’assurance autonomie qui permettrait aux personnes âgées, de même qu’aux personnes handicapées, de demeurer à leur domicile en y recevant les soins et les services que nécessite leur état. Une consultation sera menée à l’automne 2013, portant sur les orientations et les modalités de ce programme qui sont présentées dans le livre blanc publié au printemps 2013, L’autonomie pour tous.

En vertu de ce programme, une allocation de soutien à l’autonomie serait attribuée à chacune des personnes qui ont besoin d’aide à domicile, après évaluation de ses besoins et préparation d’un plan de services. L’aide prendrait la forme d’heures de services à domicile ou d’une allocation financière pour l’achat de services selon la capacité de payer des usagers. En coordonnant de la sorte l’offre de soins et de services pour le maintien à domicile, le programme pourrait établir des normes provinciales d’accès aux services en fonction du degré de perte d’autonomie et, ainsi, restaurer une certaine équité dans l’attribution des services selon les différentes régions. Soulignons qu’un problème de disparité régionale quant à la distribution des ressources et quant au nombre d’heures de services à domicile consacrées, en moyenne, à chaque personne âgée a été soulevé par le Vérificateur général dans son rapport pour l’année 2013-2014.

Le Conseil compte étudier plus à fond le livre blanc sur l’assurance autonomie afin d’évaluer l’impact de ce programme sur les femmes, qu’elles soient bénéficiaires de cette assurance, proches aidantes ou employées auprès des personnes âgées.

Chapitre V
Solutions pour améliorer l’accès aux soins de première ligne

À l’heure actuelle, la proportion de la population qui n’a pas de véritable accès à une ou à un médecin de famille est encore trop importante et les délais d’accès aux services sont toujours fort longs. Il est urgent de mettre en place des actions plus musclées, notamment pour amener les médecins à prendre le virage du système axé sur la personne. Cela passe, entre autres, par la formation des futurs médecins de famille pour encourager la pratique de première ligne en accès ouvert avec prise en charge de patientes vulnérables à long terme, que ce soit en cabinet ou à domicile. Les lieux d’enseignement pour les médecins devraient donner priorité à l’apprentissage de ces pratiques.

Organisation des soins

Il faut revoir l’organisation des soins pour que les malades soient reçus en première ligne dans des délais raisonnables. Les cliniques de première ligne (cabinet ou CLSC) doivent être ouvertes le soir, la fin de semaine ou un jour férié afin que l’on puisse s’y rendre plutôt que d’aller aux urgences. Plusieurs méthodes plus ou moins coercitives sont envisageables :

D’autres aspects de l’organisation des soins nuisent présentement à leur accessibilité. Certains GMF obligent toutes leurs patientes à venir consulter leur médecin au moins une fois par année, quel que soit leur état de santé, si elles veulent demeurer inscrites sur les listes. On peut s’interroger sur la pertinence de ces rendez-vous de routine pour des gens en pleine santé, alors que les véritables malades, pour leur part, ne sont pas vus prioritairement par les mêmes médecins. On peut également remettre en question le refus de certains médecins de faire des prescriptions de routine ou de diriger une personne, par téléphone, vers un ou une spécialiste et d’exiger que cette personne prenne rendez-vous. Ces rendez-vous mobilisent le précieux temps de bureau des médecins et empêchent encore une fois les malades d’avoir accès à des soins de première ligne.

Un système efficace de soins de santé de première ligne devrait permettre d’éviter les visites multiples de personnes vulnérables dans des cliniques « sans rendez-vous » et aux urgences. Les médecins qui travaillent dans les établissements de première ligne (CLSC, GMF) doivent suivre leurs propres patientes, en continu, plutôt que de les diriger vers des cliniques « sans rendez-vous ».

Il faut encourager l’organisation de la pratique médicale en accès ouvert, ce qui signifie voir sa patiente qui est malade dans un délai de deux à trois jours. L’important investissement fait au cours des dernières années dans les GMF doit s’accompagner d’une obligation de suivi en accès ouvert des patientes par leur médecin de famille, ainsi que par les autres membres du personnel professionnel de la clinique.

Il est donc recommandé :

Rôle des médecins de première ligne

Au Québec, les médecins sont rémunérés par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) qui administre les régimes publics d’assurance maladie et d’assurance médicaments. Le système de rémunération des médecins est le résultat d’ententes négociées entre le ministre de la Santé et des Services sociaux et les fédérations de médecins, soit la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) et la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ).

Essentiellement, le gouvernement du Québec accorde à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec une enveloppe globale pour l’ensemble de la rémunération de ses membres. Selon le Conseil, une redistribution de ces sommes en faveur de la prise en charge en accès ouvert des patientes de première ligne est nécessaire. Il faut avoir le courage politique d’affronter les puissantes corporations médicales afin de faire les réformes nécessaires. Malheureusement, ces corporations protègent avant tout les conditions de travail de leurs membres et leur qualité de vie. Elles obtiennent depuis des années, grâce à leur pouvoir de négociation, d’importantes hausses de rémunération sans pour autant consentir à offrir une plus grande disponibilité de leurs membres à la population. Il n’y a plus de lien entre la rémunération élevée des médecins et leur rendement. Selon Sid Ahmed Soussi, sociologue du travail et professeur à la Faculté des sciences humaines de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), « les médecins défendent encore la logique de marché, alors même qu’il n’y a pas de marché au Québec, puisque la médecine y est un monopole, un business à risque zéro, clientèle fournie et garantie de paiement par l’État » (Dongois, 2013). Pourtant, il est évident pour de plus en plus de spécialistes de la question que les pratiques de première ligne les plus lourdes doivent être mieux rémunérées que les pratiques moins exigeantes, et ce, afin d’inciter les médecins à changer leur pratique. Il en va de la santé des Québécoises et des Québécois ainsi que de la santé de leurs proches aidants.

Différentes modalités de rémunération s’appliquent au Québec, selon les milieux où les médecins pratiquent : y sont en vigueur la rémunération à l’acte, le salariat, la capitation, le tarif horaire et une rémunération mixte. Après une brève description de chacune, le Conseil se penchera sur l’influence qu’elle peut avoir sur le travail des médecins.

Suivant la rémunération à l’acte, un tarif précis est associé à chaque acte médical accompli, indépendamment de la durée qui lui sera consacrée dans les faits. Au fil des années et des ententes intervenues, de nombreuses modulations se sont ajoutées à la grille tarifaire. Par exemple, le tarif de base d’un acte est majoré si celui-ci est effectué dans un territoire reconnu comme insuffisamment pourvu en professionnels ou en professionnelles de la santé ou encore si le service est donné de façon urgente, en dehors des heures normales de travail de chaque médecin.

Le salariat consiste en un tarif horaire qui représente un paiement à l’heure. Il est offert aux médecins qui travaillent en CLSC. Quel que soit le nombre de personnes vues ou d’actes accomplis, la rémunération demeure la même.

La capitation prévoit un montant forfaitaire qui sera versé à chaque médecin pour chaque inscription à sa pratique. Ce montant est modulé en fonction du sexe et de l’âge des personnes inscrites, pour tenir compte du niveau de complexité des cas.

La rémunération à tarif horaire s’applique à la période de temps que chaque médecin consacre à des activités professionnelles telles que voir des malades, enseigner, effectuer de la recherche ou assurer la gestion des services médicaux.

La rémunération mixte en vigueur en ce moment combine le tarif horaire et un paiement à l’acte. Il existe plusieurs cas de figure : un montant fixe attribué par période de temps travaillé et un supplément sont ajoutés en fonction du nombre d’actes accomplis; il y a une combinaison de tarif à l’acte et de capitation selon laquelle un montant forfaitaire annuel est donné à chaque médecin à l’acte pour chaque personne dont le nom est inscrit à sa pratique. Cette dernière formule est aujourd’hui le principal mode de rémunération en vigueur au Québec, soit le paiement à l’acte avec l’ajout de montants annuels variant selon le nombre d’inscriptions.

Dans l’ensemble, la part de la rémunération des médecins généralistes qui est associée à la rémunération à l’acte représente 68 % des dépenses de la RAMQ pour leur rémunération totale, en 2007.

Des analyses ont mis en évidence les effets des modalités de la rémunération des médecins sur le volume de soins et sur leur qualité. Pour Claude Castonguay, « le paiement à l’acte favorise le volume de soins, de tests et de services, au détriment des besoins de soins continus et de prise en charge des patients » (Castonguay, 2012). Il peut donc en résulter une surconsommation de services et une exclusion de la clientèle la plus lourde. L’expert André-Pierre Contandriopoulos, professeur titulaire au Département d’administration de la santé de l’Université de Montréal, a ajouté ceci lorsque le Conseil l’a rencontré7 : « On aimerait que la rémunération soit déterminée en fonction de la responsabilité assumée par les omnipraticiens dans la prise en charge de leurs patientes. »

Le Conseil n’a pas la prétention de proposer ici une solution miracle à cette question complexe. Cependant, il est clair selon lui que la rémunération à l’acte doit être revue en profondeur de façon à inciter les médecins généralistes à véritablement prendre en charge, en continu, les plus vulnérables, que ce soit en cabinet ou à domicile. Il faut donc une rémunération mixte, qui combine le paiement à l’acte et la capitation, ce dernier concept devant être mieux défini. Dans les groupes de médecine familiale (GMF), par exemple, le paiement par capitation ne peut pas dépendre seulement du nombre d’inscriptions, mais il doit être lié impérativement au nombre de personnes réellement suivies (et prises en charge selon le mode de l’accès ouvert) par les mé- decins généralistes, c’est-à-dire qui sont vues rapidement par leur médecin quand elles sont malades et demandent un rendez-vous non prévu. Le Conseil croit que cette révision des tarifs peut être faite sans que l’enveloppe globale de rémunération des médecins généralistes, qui se chif- frait à 1,937 milliard de dollars en 2011-2012, soit augmentée. Il s’agit de trouver une formule de partage entre rémunération à l’acte et capitation qui incite vraiment les médecins généralistes à revoir leurs façons de faire afin de prendre en charge un plus grand nombre de patientes. Les besoins des plus vulnérables quant aux soins de première ligne doivent devenir le critère essentiel pour déterminer les niveaux et les moyens de rémunération les plus efficaces.

Dans le cas des médecins payés à taux horaire, il est impératif de prévoir que la majeure partie de leur rémunération sera liée au nombre de personnes prises en charge au moment d’une consultation au CLSC, mais également à l’occasion d’une visite à domicile. Étant donné que l’on évalue ces temps-ci l’efficience de plusieurs autres membres du personnel professionnel dans les CLSC, il serait équitable de faire une démarche identique auprès des médecins à tarif horaire qui sont également rémunérés à même les fonds publics. D’autant plus que, bien qu’il soit facile de croire que le salariat augmente la qualité de la prestation médicale, le lien entre ce mode de rémunération et la qualité des soins n’est pas clair. Par ailleurs, l’effet pervers du salariat est qu’il n’incite pas chaque médecin à prendre en charge davantage de patientes (Boulenger et Castonguay, 2012). Le ministère de la Santé et des Services sociaux est conscient du problème, puisque, depuis 2012, 10 % de la rémunération des médecins en CLSC est liée au nombre de personnes prises en charge. C’est un début certes, mais ce n’est pas suffisant pour changer les pratiques médicales.

En conséquence, le Conseil recommande :

Conclusion

Individuellement, bien des médecins ont déjà compris qu’il leur fallait être plus souples et accroître leur disponibilité pour répondre aux besoins de celles et ceux qui les consultent et leur éviter de se rendre aux urgences ou dans une clinique « sans rendez-vous ». Toutefois, les statistiques indiquent qu’il y a encore beaucoup de résistance dans la profession médicale à suivre véritablement les patientes, c’est-à-dire à organiser la pratique pour prendre en charge, dans un délai raisonnable, les personnes qui tombent malades. Comme les médecins ont un revenu confortable assuré par l’État grâce à un système public de santé, il leur faut, en retour, contribuer à améliorer la situation. De son côté, le ministère de la Santé et des Services sociaux doit recourir aux outils à sa disposition – notamment la rémunération – pour amener la profession médicale à prendre un virage qui va profiter aux malades et au million de personnes, majoritairement des femmes, qui jouent le rôle de proches aidants au Québec.

Les pistes de solution sont connues : plusieurs ont même fait partie des priorités du ministère de la Santé et des Services sociaux au cours des dernières années. Le Conseil croit qu’il est plus que temps de les mettre en pratique pour renforcer la première ligne médicale et donner accès, de façon équitable, à toute la population à des soins gratuits et de qualité. De plus, comme le gouvernement actuel fait de l’assurance autonomie une des priorités de son mandat, il serait essentiel et conséquent que les personnes en perte d’autonomie aient droit à un suivi médical à domicile.

Recommandations du Conseil du statut de la femme

Le Conseil du statut de la femme recommande au gouvernement :

  1. Que le ministère de la Santé et des Services sociaux mette en place des services de répit à l’intention des personnes qui agissent comme proches aidants auprès des personnes âgées en perte d’autonomie;

  2. Que soient développés et implantés des outils ayant pour but d’accroître les capacités des proches aidants à participer aux soins de la personne aidée et que cette participation en tant que proches aidants soit soutenue, dans le contexte des soins de première ligne;

  3. Que le ministère de la Santé et des Services sociaux prenne les moyens nécessaires pour s’assurer que les médecins généralistes consacrent un nombre minimal d’heures à leurs patientes, que ce soit en cabinet ou à domicile, et que les cliniques de première ligne soient ouvertes le soir, la fin de semaine et les jours fériés. Il est impératif que les mesures mises en place favorisent l’accès ouvert (au minimum 70 % des plages horaires libres durant la semaine) afin que ces personnes puissent voir leur médecin quand elles sont malades;

  4. Que le ministère de la Santé et des Services sociaux impose à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec l’enseignement d’une pratique de première ligne axée sur les besoins des patientes afin que l’accès ouvert devienne la norme au Québec;

  5. Que le ministère de la Santé et des Services sociaux revoie en profondeur le mode de rémunération des médecins en CLSC afin de les inciter à prendre en charge plus de patientes, que ce soit en cabinet ou à domicile;

  6. Que le ministère de la Santé et des Services sociaux revoie le mode de rémunération des médecins généralistes en clinique afin de les inciter à suivre, en continu, une clientèle plus lourde (qui nécessite des soins primaires immédiats), que ce soit en cabinet ou à domicile.

Bibliographie

  1. Pour alléger le reste du texte, nous avons choisi le féminin comme genre générique chaque fois qu’un doublet aurait été nécessaire, sauf à l’intérieur des citations.
  2. Le ministère des Affaires sociales est devenu depuis lors le ministère de la Santé et des Services sociaux.
  3. À la suite d’une fusion en 2011, le nombre de CSSS est passé à 94.
  4. Ce pourcentage s’élève à 9,7 % chez les personnes décédées d’un cancer.
  5. Le titulaire du ministère était alors le Dr Yves Bolduc. Le Dr Réjean Hébert lui a succédé, à la suite des élections du 4 septembre 2012.
  6. LRQ, chapitre P-10.
  7. André-Pierre Contandriopoulos a accepté de répondre aux questions du Conseil lors d’une rencontre tenue le mercredi 24 avril 2013.