Avis - Une mixité en chantier - Les femmes dans les métiers de la construction

Ce document est la version HTML accessible du Avis - Une mixité en chantier - Les femmes dans les métiers de la construction, disponible en format PDF sur le site Web du Conseil du statut de la femme.

Table des matières

Tableaux et graphique

Remerciements

À l’issue de la rédaction du présent avis, le Conseil du statut de la femme est convaincu que sa réalisation n’aurait pas été la même sans la collaboration et la générosité d’un grand nombre de personnes.

En premier lieu, nous tenons à remercier toutes les travailleuses des métiers de la construction qui ont accepté de nous rencontrer en entrevue, en particulier : Mona-Lisa Fortin, Karyne Prégent, les membres du Comité des ouvrières de la construction rattaché à la Fraternité inter-provinciale des ouvriers en électricité (FIPOE); Valérie Bell, Annie Barrette, Louise Gauthier, Isabelle Taillon et Nathalie Fournier, les travailleuses au chantier de la Romaine; Carole, Marianne, Fernande, Chantale et Michèle.

Nos remerciements vont également au directeur de l’École des métiers et occupations de l’industrie de la construction de Québec (EMOICQ), Martin Durocher, qui nous a ouvert les portes de son école pour nous permettre de rencontrer Sophie Vézina et Hélène Parent, enseignantes, ainsi que Martine Dorion, conseillère pédagogique, et Annie Richard, psychoéducatrice, que nous remercions aussi chaleureusement.

Le travail de recherche sur le terrain au projet de la Romaine a été grandement facilité par Marthe Nadeau, conseillère en impacts socioéconomiques chez Hydro-Québec, à qui le Conseil exprime toute sa gratitude. Il tient également à remercier les spécialistes et personnes-ressources du projet de la Romaine, de même que les chefs de chantier et chargés de projet pour le temps précieux qu’ils nous ont accordé.

Le Conseil remercie également Christine Riverin, directrice, et Jocelyn Bussières, contremaître, chez RCI Entrepreneur général Rénald Côté inc. Mines et construction, qui nous ont accueilli à Baie-Comeau.

Les remerciements du Conseil s’adressent aux professeures Marie-Josée Legault, de la Téluq, et Annie Pilote, de l’Université Laval, pour leur précieuse collaboration.

Le Conseil tient en outre à exprimer sa gratitude envers toutes les personnes qui ont accepté de partager leurs connaissances et leurs expériences concernant la situation des femmes dans les métiers de la construction en Alberta, notamment : Lynne Harder, de la Construction Owners Association of Alberta; Ryan Timmermans, de la Catholic Labor Association of Canada; Jill Drader, travailleuse et enseignante dans le secteur de la construction; JudyLynn Archer, présidente de Women Building Futures (WBF); Élise, travailleuse sur les chantiers de sables bitumineux du Nord de l’Alberta; Amanda, opératrice de grue et diplômée du programme WBF.

Enfin, le Conseil remercie les organismes et les associations syndicales qui ont partagé avec nous leurs points de vue et leurs connaissances.

Avant-propos

La situation des femmes dans les métiers de la construction démontre avec éloquence que l’égalité entre les femmes et les hommes n’est pas encore atteinte. Bien que des avancées importantes aient été réalisées dans plusieurs secteurs d’activité, ce que vivent les femmes dans l’industrie de la construction est l’illustration, quasi caricaturale, que notre société tolère, aujourd’hui encore, que les femmes soient exclues de pans de notre économie aussi importants que celui de la construction.

Sur les chantiers du Québec, certaines femmes sont discriminées, harcelées et intimidées. Malgré leurs compétences, plusieurs d’entre elles n’arrivent pas à se faire reconnaître par leurs pairs, leurs employeurs et même par leur syndicat comme des travailleuses à part entière. Nombreuses sont celles qui suscitent la méfiance à toutes les étapes de leurs parcours pour accéder au monde du bâtiment. On doit ici parler d’un véritable parcours de la combattante, où chaque étape franchie se fait à l’arraché, à force de persévérance et de détermination farouche.

En 1996, l’industrie de la construction comptait à peine 200 travailleuses pour environ 100 000 hommes, soit l’équivalent d’un maigre 0,2 %. Dans son rapport publié en 1996, le Comité sur l’accès des femmes dans l’industrie de la construction se fixait comme objectif, pour 2006, de faire grimper à 2 000 le nombre de femmes dans les métiers de la construction. Pour y arriver, l’industrie de la construction adoptait en 1997 un programme d’accès à l’égalité (PAE) comprenant 18 mesures volontaires. Quinze ans plus tard, on dénombre tout juste 1,3 % de femmes sur les chantiers, soit 2 067 travailleuses, sur une population de 159 166 personnes réparties dans les 26 corps de métiers et occupations de la construction (CCQ, 2012a).

Les témoignages d’étudiantes ou de travailleuses nous rappellent que « faire sa place » à l’école ou sur les chantiers relève bien souvent de l’exploit et que le prix à payer pour réaliser ses rêves est parfois très élevé. Certaines d’entre elles s’appliqueront, avec plus ou moins de succès, à se transformer pour répondre aux attentes, aux règles et à la culture du milieu. « C’est elle qui est chez nous, qu’elle s’adapte à nous autres », clament les « gars de chantier ». Pour y arriver, la plupart des femmes devront faire leurs preuves, parfois même en faire plus que leurs collègues pour démontrer, hors de tout doute, qu’elles sont à la hauteur. D’autres se forgeront une carapace afin de devenir imperméables aux insultes ou aux humiliations. Presque toutes disent qu’il faut avoir du caractère pour entreprendre un tel projet et s’y accrocher. Pourtant, plusieurs n’y arrivent pas et tombent, vaincues au combat. Les chiffres à cet égard sont éloquents : les deux tiers (62 %) des travailleuses désertent les chantiers après cinq ans et la majorité n’y remettront plus jamais les pieds (CCQ, 2011). Parmi elles, 50 % disent partir parce qu’elles en ont assez de la discrimination dont elles sont victimes. C’est d’ailleurs le premier facteur invoqué par les femmes qui abandonnent ce secteur (CCQ, 2008). D’autres encore, après s’être exercées sans succès à la difficile gymnastique de la conciliation travail-famille, baissent les bras, vaincues par les horaires de travail du secteur de la construction qui exigent la présence de la main-d’œuvre dès l’aube sur les chantiers. La débrouillardise a ses limites lorsqu’il faut trouver une personne pour garder les enfants dès cinq heures du matin! En outre, plusieurs jeunes femmes quittent les chantiers pour aller fonder une famille puis renoncent à y revenir, car elles savent que, à leur retour, elles ne pourront bénéficier de mesures ou de politiques leur permettant de concilier leur travail avec leurs nouvelles obligations familiales. Ces désertions, douloureuses pour les travailleuses elles-mêmes, car elles sont unanimes à affirmer qu’elles adorent leur métier, ont aussi pour effet de renforcer l’opinion de bien des travailleurs et même de certains employeurs, à savoir que les femmes n’ont pas leur place sur les chantiers de construction…

La faible représentation de la main-d’œuvre féminine dans ce secteur repose en grande partie sur la perception que les femmes ne peuvent répondre aux exigences physiques de certains métiers de chantier. Le manque de force physique des femmes est sans aucun doute le préjugé le plus tenace que doivent affronter les travailleuses qui désirent faire leur place dans le monde de la construction. Pourtant, les données recueillies dans un sondage réalisé par la Commission de la construction du Québec (CCQ) (2008) révèlent que les exigences liées à la force physique ne constituent pas un motif d’abandon pour la majorité des travailleuses de la construction interrogées.

Le milieu des chantiers de la construction est un milieu dur et éprouvant tant pour les femmes que pour les hommes. En ce moment, l’industrie peine à retenir ses travailleuses, mais aussi ses travailleurs : 36 % des hommes entrés comme apprentis quittent les chantiers après cinq ans (CCQ, 2011). Pourtant, d’un point de vue économique et social, le Québec ne peut se permettre une telle hémorragie de ses ressources humaines dans un secteur d’activité en plein essor. En ce sens, l’apport des femmes à ce secteur est essentiel pour accroître la qualité et la diversité du potentiel économique du Québec.

Le dépôt du projet de loi no 33, éliminant le placement syndical et visant l’amélioration du fonctionnement de l’industrie de la construction, a été l’occasion de faire des constats à propos de l’état actuel de l’industrie de la construction. Les propos de certaines personnes venues témoigner en commission parlementaire révèlent des tensions, des malaises et des insatisfactions chez plusieurs actrices et acteurs de ce milieu relativement au climat qui règne sur les chantiers. Des travailleuses ont aussi profité de cette tribune pour dénoncer la discrimination dont elles sont victimes. Cette prise de parole des travailleuses et leur participation à la recherche de solutions durables se révèlent incontournables et peuvent même contribuer, de façon plus globale, à créer un climat plus sain, plus sécuritaire et plus harmonieux au sein de l’industrie.

Le taux d’abandon des femmes sur les chantiers de construction est deux fois plus élevé que celui des hommes après cinq ans. Il faut donc agir rapidement sur le maintien en emploi des travailleuses puisque, à ce rythme, les entrées des femmes sur les chantiers ne suffiront plus à remplacer les départs. Par ailleurs, on doit aussi s’activer en amont afin de créer un bassin de travailleuses formées qui, une fois entrées sur les chantiers, seront assez nombreuses pour contribuer à faire évoluer la culture masculine des chantiers de construction. Bien qu’il soit indispensable d’augmenter le nombre de candidates formées, il faut également que, après l’obtention de leur diplôme, celles-ci soient en mesure d’intégrer l’industrie de la construction, ce qui, pour le moment, se fait très difficilement pour la grande majorité d’entre elles. À vrai dire, on ne peut dissocier les différentes étapes du parcours que les femmes doivent entreprendre pour exercer un métier dans l’industrie de la construction. Il importe donc d’agir dans un esprit de continuité où chaque étape aura un impact sur la suivante.

À ce jour, le fardeau du changement semble reposer entièrement sur les épaules des femmes elles-mêmes. Pour réussir véritablement l’intégration et le maintien des femmes dans les métiers de la construction, comme dans tous les métiers non traditionnels d’ailleurs, tous les acteurs du milieu, et ce, peu importe leur niveau hiérarchique, doivent impérativement s’engager dans le processus pour changer les façons de faire et les manières d’aborder la question de la place des femmes dans l’industrie de la construction. Concrètement, cela veut aussi dire que tous et toutes (parents, personnel enseignant, organismes de femmes engagés dans l’employabilité, élèves, employeurs, syndicats, travailleurs et travailleuses) ont un rôle à jouer pour faciliter l’accès des femmes à l’industrie de la construction et leur maintien dans cette dernière. Toutes ces actions réunies doivent poursuivre un objectif commun et partagé, soit que toute personne doit pouvoir choisir le métier qui correspond à ses champs d’intérêt et à ses compétences dans un milieu où ses droits fondamentaux seront respectés.

Avec tous les grands projets à nos portes (Plan Nord, travaux miniers et d’infrastructures, etc.), quelle sera la contribution des femmes à la construction de ce vaste chantier québécois? Toutes les femmes qui le désirent et qui ont les compétences pour le faire ont le droit d’être des bâtisseuses, d’être valorisées socialement et reconnues pour leurs habiletés manuelles et techniques. Selon le Conseil, elles doivent être parties prenantes de ces enjeux, par fierté d’y contribuer, mais aussi pour obtenir leur juste part des retombées.

Introduction

En 2011, la ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine a confié au Conseil du statut de la femme le mandat de produire un avis sur la situation des femmes dans les métiers de la construction. La ministre constatait que, malgré la mise en place en 1997 du Programme d’accès à l’égalité (PAE) pour les femmes dans l’industrie de la construction, celles-ci avaient de la difficulté à intégrer ce secteur et à s’y maintenir. Pour la ministre, cette problématique compromettait l’égalité entre les femmes et les hommes : c’est pourquoi elle a interpellé le Conseil afin qu’il examine de plus près cette question. De façon plus précise, elle demandait au Conseil d’analyser les obstacles qui limitent l’accès des femmes aux programmes d’études et aux emplois dans les métiers de la construction ainsi que les raisons pour lesquelles elles désertent en si grand nombre les chantiers. En outre, la ministre souhaitait que le Conseil propose des pistes de solution et des recommandations.

Dès 1993, le Conseil recommandait que la Commission de la construction du Québec (CCQ) élabore et mette en œuvre un PAE pour les femmes dans l’ensemble de l’industrie de la construction (CSF, 1993 : 48). Trois ans plus tard, on assistait à la création d’un PAE dans l’industrie, géré par la CCQ qui proposait alors 18 mesures regroupées sous quatre thèmes :

Quinze ans plus tard, il semble bien que les objectifs du programme n’aient pas été atteints puisque aucun réel progrès n’a été observé tant du côté de l’augmentation des femmes en formation dans le domaine de la construction que du côté de l’accès des femmes à cette industrie et de leur maintien dans cette dernière.

Dans son plan d’action gouvernemental pour l’égalité entre les hommes et les femmes 2011-2015, la ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine demandait à la CCQ, en collaboration avec les groupes de femmes, les syndicats et les associations patronales, de relancer le programme d’accès à l’égalité des femmes dans l’industrie de la construction (SCF, 2011 : 65). La relance de ce programme devrait permettre l’atteinte de trois objectifs :

La CCQ a réalisé un bilan du PAE en 2012 et, à la suite de différentes consultations du milieu, la relance d’un tout nouveau programme d’accès à l’égalité pour les femmes dans le domaine de la construction devrait être présentée en 2013.

En octobre 2012, le Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail (CIAFT) présentait les résultats d’une étude sur la situation des travailleuses de la construction au Québec. Dans son rapport de recherche, l’organisme propose des recommandations pour :

Peu de temps après, une coalition québécoise pour les femmes de la construction se créait afin « de regrouper les forces vives concernées par les enjeux entourant les travailleuses de la construction » (Coalition québécoise pour les femmes dans la construction, 2012). L’objectif de cette coalition est de revendiquer des changements « effectifs et durables » pour assurer l’amélioration des conditions des travailleuses dans les métiers de la construction.

La publication du présent avis ajoute une voix supplémentaire, pour faire état de la situation des femmes dans les métiers de la construction.

Depuis plusieurs années, un nombre important de recherches ont porté sur les difficultés que vivent les femmes dans les occupations majoritairement masculines. Par ailleurs, peu d’écrits ont paru sur la situation des femmes dans les métiers de la construction. De fait, la sous-représentation des femmes dans ce secteur d’activité ne semble pas vraiment avoir été étudiée avant les années 90 (CSC, 2010 : 71). Il apparaît aussi que la situation des femmes dans les secteurs de la technologie, des sciences et de l’administration est mieux documentée que la situation de celles qui exercent des métiers axés sur les tâches manuelles ou de production (Gingras, Savard et Robidoux, 2006 : 6). À cet égard, Geneviève Dugré souligne que les études sur les femmes dans les métiers traditionnellement masculins englobent de nombreux domaines, allant des métiers de cols bleus à l’ingénierie, en passant par différentes techniques, mais que peu traitent précisément de l’industrie de la construction (Dugré, 2006 : 26).

Pourtant, le milieu de la construction demeure un intrigant objet d’étude. C’est un monde à part, renfermé sur lui-même, un secteur de l’activité économique distinct régi par sa propre loi et des règles de fonctionnement qui lui sont bien particulières. C’est aussi le secteur le plus traditionnellement masculin pour les femmes au Québec : on y dénombre en effet plus de 98,7 % d’hommes. Certaines personnes disent qu’il serait l’un des derniers bastions masculins sur le marché du travail. D’autres en parlent comme de l’ultime refuge de la culture masculine ou, de façon plus imagée, comparent l’univers des chantiers à la chambre des joueurs de hockey ou, pour les travailleurs plus âgés, à la « dernière taverne ». Un monde à préserver, une manière de vivre et d’être comme dans un club privé où la venue des femmes est perçue comme menaçante. La force physique, l’endurance aux conditions de travail difficiles, la fierté, la solidarité, un certain goût pour le risque sont quelques-unes des valeurs qui caractérisent la culture des chantiers de construction. C’est un monde d’hommes dont les femmes sont, en pratique, aujourd’hui encore, exclues. Un chef de chantier, rencontré à Baie-Comeau à l’occasion d’une visite du Conseil sur la Côte-Nord, traduit bien ce que beaucoup de travailleurs pensent de la présence des femmes sur les chantiers de construction :

« Ben des gars ne veulent pas avoir de femmes ici, ils me disent que ce n’est pas leur place, que la job est trop dure. Ils me disent : "Envoie-moi ça en arrière de son lave-vaisselle!" ».

Pourtant, plusieurs femmes désirent intégrer cette chasse gardée masculine et possèdent toutes les compétences voulues pour y faire leur place. Elles sont solides, déterminées, passionnées et souhaitent, comme les hommes, bénéficier des avantages qu’offrent les métiers de la construction.

Les intentions de l’avis et ses particularités

Pour le Conseil, aborder la question de la situation des femmes dans les métiers de la construction, parler des obstacles qu’elles y rencontrent et des difficultés qu’elles y vivent est une occasion de rappeler que, malgré les avancées, tout n’est pas réglé pour les femmes qui souhaitent intégrer un secteur traditionnellement masculin et y survivre. Jusqu’à maintenant, les gains en matière d’égalité des sexes sur le marché du travail se sont faits davantage dans certains domaines, tels que l’université, le droit, la médecine ou le milieu des affaires et de la politique, plutôt que dans les milieux professionnels ou techniques où les travailleuses et les travailleurs ont un niveau de scolarité peu élevé (Bailey et Gayle (1993), cités dans Beauchesne (1999 : 343)). Poser le regard sur des secteurs aussi hermétiques à la présence des femmes que peut l’être celui de construction permet non seulement d’analyser toute la complexité des obstacles, mais ouvre aussi la porte à une réflexion pour trouver de nouvelles pistes d’action concrètes possiblement transférables à d’autres secteurs traditionnellement masculins.

La démarche méthodologique

L’avis repose sur deux axes : 1) les faits révélés par la recherche, les études et les rapports réalisés sur le sujet des femmes dans les métiers de la construction; 2) les données recueillies sur le terrain qui ont permis au Conseil de façonner et de compléter sa réflexion.

Les sources d’information accessibles dans la littérature ont été répertoriées afin de tracer le portrait le plus fidèle possible de la situation actuelle des femmes dans les métiers de la construction.

Sur le terrain, le Conseil a rencontré plus d’une vingtaine de personnes venant de différents horizons : des travailleuses des métiers de la construction ont généreusement raconté leur histoire; des entrepreneurs et des représentants syndicaux ont partagé avec nous leur point de vue; et des représentantes de groupes de femmes, touchées par la question de travailleuses dans l’industrie de la construction, ont contribué à enrichir notre réflexion.

Les objectifs de la consultation

À toutes les personnes que nous avons rencontrées, nous avons demandé de nous proposer des pistes de solution qui, selon elles, permettraient d’améliorer la situation des femmes dans les métiers de la construction. Le présent avis est donc, en partie, le fruit de ces rencontres. Outre qu’elle offre un espace de parole aux actrices et aux acteurs engagés sur le terrain, l’approche privilégiée a permis d’élargir nos questionnements et de mieux incarner dans la réalité les éléments proposés par la recherche et la littérature. De plus, des extraits de témoignages livrés par des travailleuses de la construction, ainsi que des morceaux choisis des entrevues réalisées avec les personnes visées, renforcent et illustrent l’analyse réalisée dans cet avis.

La démarche de consultation

Les noms des personnes à rencontrer ont été transmis au Conseil par des centrales syndicales, Hydro-Québec et des groupes de femmes. Ainsi, des travailleuses membres de la CSN-Construction ou de la FTQ-Construction ont été longuement interrogées, notamment parce qu’elles militent activement au sein de leur organisation syndicale pour améliorer la condition des femmes dans l’industrie de la construction. Nous avons aussi choisi de rencontrer des femmes qui sont non seulement des travailleuses ou des ex-travailleuses de chantier, mais aussi des enseignantes dans une école des métiers de la construction. Enfin, pour mieux connaître la réalité et le point de vue de travailleuses qui se trouvent sur un chantier isolé et à baraquement1, le Conseil a poussé sa tournée de consultation jusqu’au complexe hydroélectrique de la Romaine dans la région de la Côte-Nord.

Les considérations méthodologiques

Il s’agit donc ici d’une recherche terrain qui n’a pas de prétention scientifique, l’échantillonnage n’ayant pas été fait selon une démarche méthodologique particulière. Le Conseil a plutôt choisi de rencontrer les travailleuses dans le contexte d’un entretien semi-directif d’une durée d’environ une heure. Dans certains cas, ces entretiens se sont tenus en groupe de quatre ou cinq travailleuses pour des raisons de logistique. Le plus important, lors de ces entretiens, était d’établir un lien de confiance qui a permis aux personnes interviewées de se livrer en toute liberté. En outre, certains propos des répondantes et répondants nous ont quelquefois amené à poser de nouvelles questions pour obtenir davantage de précisions sur un thème précis. Lors des entretiens avec les entrepreneurs, les représentants syndicaux ou les intervenantes de groupes de femmes, des grilles d’entrevue adaptées aux objectifs visés ont été créées. La vingtaine d’entrevues réalisées ont, pour la grande majorité, été enregistrées, avec le consentement des répondantes et des répondants. Les entretiens ont eu lieu dans des salles de réunion, sur des chantiers ou dans un restaurant.

1. La situation des femmes sur le marché du travail

Des avancées certaines, mais des inégalités persistantes

Le taux d’emploi des femmes n’a cessé de progresser au Québec au cours des 30 dernières années. En 1976, ce taux se situait à 37,4 % et il a atteint 56,7 % en 2011. À noter que le taux d’emploi des hommes, quant à lui, a baissé pendant la même période : il est passé de 70,5 % en 1976 à 63,6 % en 2011 (CSF, 2012 : 10).

La participation plus importante des femmes au marché du travail n’est pourtant pas garante d’égalité. Bien que les femmes aient accès, en principe, à toutes les occupations et à toutes les formations, des inégalités persistent, dans les faits, entre les femmes et les hommes quant aux salaires, à la reconnaissance professionnelle et aux conditions de travail. Cette situation est en réalité le reflet de l’inégalité qui perdure malgré tous les efforts consentis, et ce, dans les espaces de vie des femmes et des hommes, tant privés que publics. En effet, peu importe que les hommes et les femmes consacrent le même temps aux activités productives, les femmes investissent davantage de temps que les hommes dans les activités domestiques. En 2010, les femmes accordaient 3,7 h/j aux tâches domestiques comparativement à 2,5 h/j pour les hommes (ISQ, 2013 : 3-4). Sur le plan de l’éducation, les femmes sont de plus en plus nombreuses à fréquenter les établissements d’enseignement où elles réussissent très bien, à tous les ordres d’enseignement (CSF, 2012 : 5). Au secondaire, au collégial et à l’université, elles obtiennent leur diplôme dans une proportion plus élevée que leurs confrères. Cette situation est identique en formation professionnelle au secondaire et en formation technique au collégial (l’MELS, 2010 : 19).

Toutefois, les femmes sont concentrées dans un nombre restreint de secteurs de formation. Ainsi, en formation professionnelle, plus de quatre femmes sur cinq étudient dans seulement quatre secteurs : Administration, commerce et informatique; Santé; Soins esthétiques; Alimentation et tourisme. En formation technique, près de trois femmes sur quatre se trouvent dans seulement deux secteurs : Administration, commerce et informatique; Services sociaux, éducatifs et juridiques (l’MELS, 2010 : 15).

Les choix d’orientation que font les femmes ont un impact direct sur leur revenu. En effet, les options qu’elles privilégient traditionnellement offrent, en général, des conditions salariales moins intéressantes que celles qui sont adoptées majoritairement par les hommes. C’est ce qui explique en grande partie les écarts importants qui persistent entre le revenu total des femmes et celui des hommes. Ainsi, selon des données de 2009, le revenu d’emploi des femmes travaillant à temps plein toute l’année correspond à 79 % de celui des hommes comparativement à 79,4 % en 2000 (CSF, 2012 : 13). De plus, en 2011, l’écart salarial entre les femmes et les hommes était de 2,70 $ l’heure, une baisse de seulement 0,29 $ l’heure comparativement aux résultats de 2001 (ISQ, 2012 : 166).

La ségrégation professionnelle, toujours une question d’actualité

La ségrégation professionnelle se manifeste par la concentration des femmes dans un éventail réduit de professions et par leur faible représentation dans les emplois traditionnellement masculins (CSF, 2010b : 61). En effet, en 2006, plus de sept femmes sur dix (78,7 %) sont rassemblées dans le tiers (173) des 506 professions, tandis que sept hommes sur dix (73,3 %) sont répartis dans les deux tiers (334) de ces professions (Asselin, 2010 : 6). Cette ségrégation sexuelle notée sur le marché du travail reflète en grande partie la ségrégation sexuelle des choix de formation. À titre d’exemple, on observe, en formation professionnelle au secondaire, que les filles sont absentes des deux tiers des options offertes et, au collégial, de près de la moitié. Les élèves inscrites en 2008-2009 en formation professionnelle au secondaire ont choisi d’étudier dans les programmes traditionnellement féminins que sont la santé, l’assistance et les soins infirmiers, le secrétariat, la comptabilité, l’assistance à la personne en établissement de santé, la coiffure ou l’esthétique, tandis que leurs compagnons d’études ont opté pour la charpenterie-menuiserie, la mécanique automobile, l’électricité, le soudage-montage, l’électromécanique de systèmes automatisés ou le transport par camion (l’MELS (2010), cité dans CSF (2010b : 62)).

La diversification professionnelle : un éventail de possibilités

De 1991 à 2006, les données de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) révèlent une légère diversification professionnelle pour chacun des sexes. Cependant, comme nous l’avons vu précédemment, la concentration dans un nombre restreint de professions est plus importante chez les femmes que chez les hommes.

En principe, toutes les portes sont ouvertes aux femmes en matière d’orientation scolaire et professionnelle, alors pourquoi persistent-elles, aujourd’hui encore, à occuper un nombre si restreint d’occupations? À cette question, la majorité d’entre elles répondent que c’est d’abord leurs champs d’intérêt personnels qui les ont guidées vers ce choix. Cependant, est-ce si simple? En réalité, il y a une multitude de facteurs qui influent sur leurs choix d’orientation scolaire et professionnelle, dont la persistance des stéréotypes sexuels, la socialisation et la division sexuelle du travail.

Selon ces stéréotypes, il existerait des valeurs dites « féminines » et des valeurs dites « masculines ». Tout au long du parcours de socialisation des garçons et des filles, ces valeurs sexuées sont transmises et consolidées par la famille, les médias et le personnel du milieu scolaire. En bout de course, les garçons comme les filles font des choix en fonction des attentes stéréotypées liées à leur sexe. Les garçons s’orientent davantage que les filles vers les professions qui correspondent aux valeurs masculines (technicité et force physique), dont les disciplines à forte teneur technique ou scientifique, tandis que les filles se dirigent vers des occupations qui rejoignent les valeurs féminines (relations humaines et représentation), soit des occupations plus artistiques ou sociales (ARTE (2005), cité dans CSF (2010a : 78)). La division sexuelle du travail est donc le prolongement « naturel » des choix d’orientation distincts des garçons et des filles sur le marché du travail. Cela n’est pas sans conséquence dans le cas des femmes, puisque, sur le marché du travail, on accorde historiquement une valeur économique et sociale plus importante au travail masculin qu’au travail féminin. Cela se traduit, pour les femmes, par des revenus en général moins importants, des conditions de travail moins intéressantes et des possibilités d’avancement plus restreintes. Par ailleurs, si certaines d’entre elles décident d’aller à l’encontre des attentes stéréotypées que l’on entretient à leur égard, en osant s’aventurer dans des secteurs habituellement réservés aux hommes, elles risquent d’éprouver beaucoup de difficulté à se faire accepter et subiront aussi les conséquences de leurs choix : discrimination, harcèlement sexiste et sexuel et isolement.

La position du conseil sur ce sujet au cours des dernières années

En 2010, le Conseil rappelait l’importance de la diversification des choix professionnels chez les jeunes filles et ses conséquences sur la suite de leur parcours. En effet, aux yeux du Conseil, l’objectif de diversification des choix scolaires s’avère crucial, car c’est en choisissant leur domaine d’études que les jeunes filles peuvent devenir autonomes (CSF, 2010b : 85). Depuis 2002, le Conseil insiste également pour que les métiers féminins, notamment ceux qui se trouvent dans le secteur tertiaire où la concentration des métiers traditionnellement féminins est importante, soient reconnus à leur juste valeur, notamment en offrant aux travailleuses de ces secteurs une meilleure rémunération (CSF, 2002 : 18).

Par ailleurs, dans son plan d’action gouvernemental pour l’égalité entre les femmes et les hommes 2011-2015 (SCF, 2011 : 46), le gouvernement du Québec se donne comme objectif d’encourager la diversification professionnelle en favorisant la concertation en matière d’accès des femmes aux métiers non traditionnels :

Il importe de consolider la concertation des divers acteurs gouvernementaux, pour assurer ainsi un continuum entre la formation, l’intégration et le maintien en emploi ainsi qu’une meilleure intégration de l’objectif de l’égalité et de déconstruction des stéréotypes chez les acteurs visés.

Dans le plan d’action gouvernemental en question, on souligne aussi la persévérance dont font preuve les organismes qui se consacrent à cette question et l’on propose maintenant de mettre en place un modèle d’intervention concerté et cohérent sur le plan national et régional. C’est ainsi qu’un comité interministériel, piloté par le ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine (MCCCF), a été créé et qu’un mandat a été confié au Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail (CIAFT) afin de mettre en évidence les pratiques exemplaires et les stratégies gagnantes en matière de mixité en emploi réalisées au Québec depuis les dix dernières années. Le but de ce comité est de créer un modèle de concertation et de partenariat pour favoriser l’accès des femmes aux métiers majoritairement masculins et leur maintien en emploi.

La participation des femmes aux métiers non traditionnels

On entend par « métiers et professions traditionnellement masculins » un domaine d’activité où l’on trouve moins de 33,3 % de femmes. On parle alors de sous-représentation (l’MELS, 2011) Ces professions sont regroupées principalement dans les secteurs des sciences naturelles, de l’ingénierie, de l’informatique et de la sécurité publique. Ce- pendant, c’est surtout dans les métiers liés aux transports et à la machinerie de même que dans le secteur primaire que les femmes sont particulièrement sous-représentées.

« Rosie, la riveteuse »

L’affiche très populaire de Rosie, la riveteuse, représente les six millions d’Américaines qui ont travaillé dans les usines d’armement au cours de la Seconde Guerre mondiale. Au Canada et au Québec, nous avons eu notre version de « Rosie ». Les hommes étant partis au front, les femmes prennent le relais, principalement à des postes de production industrielle de guerre. Cette soudaine pénurie de la main-d’œuvre masculine amène les femmes à devenir conductrices de tramways et de camions, préposées au nettoyage des locomotives, soudeuses, mécaniciennes, peintres et électriciennes dans des ateliers de fabrication d’avions et de chars d’assaut (Auger et Lamothe (1981), cités dans Dumont (2001 : 11)). Au début, les femmes sont accueillies avec beaucoup de réserve par les employeurs : ceux-ci mettent en doute leurs compétences pour exécuter un travail traditionnellement réservé aux hommes. À leur grande surprise, les femmes se révèlent aussi efficaces que les hommes, et parfois même plus! Toutefois, le retour des hommes au pays sonne le glas de cette avancée des femmes sur le marché du travail. Pour permettre aux hommes de réintégrer leur emploi, les gouvernements québécois et canadien s’empressent de mettre un terme aux programmes qui facilitaient l’effort de guerre des femmes : les garderies à grande échelle sont fermées et l’exemption totale d’impôt octroyé au mari est abolie. Libérés par l’urgence de la guerre, les préjugés sur la capacité des femmes à exécuter des tâches habituellement dévolues aux hommes reviennent alors en force. Les femmes retourneront au foyer ou dans des métiers traditionnellement féminins où elles reprendront, à contrecœur pour plusieurs d’entre elles, des activités peu valorisées socialement, non rémunérées ou sous-payées (Dumont, 2001 : 11-12).

Depuis, on observe une évolution quant à la capacité des femmes à faire leur place dans différentes sphères d’activité longtemps considérées comme des chasses gardées masculines telles que la médecine, le droit ou la comptabilité. Cependant, pour de nombreuses femmes, en particulier celles qui n’ont pas de diplôme universitaire, les rôles sociaux n’ont pas vraiment changé et leurs choix sur le marché du travail demeurent en grande partie traditionnellement féminins (CIAFT, 2011 : 43).

Une main-d’œuvre par défaut

Actuellement, dans plusieurs régions du Québec, on observe une rareté de la main-d’œuvre technique qualifiée dans différents secteurs d’activité. Cette situation de pénurie pourrait permettre aux femmes d’investir des milieux de travail habituellement réservés aux hommes : « À cause des pénuries, il n’y a plus de sexe pour les employeurs, il faut des employés, peu importe le sexe! » (CIAFT, 2011 : 64).

L’industrie de la construction n’échappera pas à ce besoin criant de main-d’œuvre au cours des prochaines années. La forte activité économique prévue dans ce secteur, la mobilité de la main-d’œuvre et les nombreux départs à la retraite anticipés devraient, en principe, favoriser l’embauche de femmes et de personnes immigrantes. Toutefois, on sait que le milieu de la construction est un secteur peu enclin à l’embauche d’autres effectifs que les jeunes hommes francophones blancs. La nécessité prendra-t-elle le pas sur la tradition? Pour le moment, rien ne l’indique. C’est ce qu’a constaté Karyne Prégent, charpentière-menuisière, qui regrette le manque d’intérêt des employeurs pour l’embauche de femmes sur les chantiers :

Quand [les employeurs] nous embauchent, la plupart du temps, c’est parce qu’il y a des deadlines et qu’ils sont un petit peu mal pris. Et là, ça presse! La fille, il va l’engager quand il sait que, dans un mois et demi, il devra fermer son chantier et parce qu’il n’a pas de gars disponibles pour finir la job. Nous sommes les dernières rentrées et les premières à sortir. Le gars, lui, l’employeur va l’engager du début jusqu’à la fin du contrat. Malheureusement, les femmes, nous sommes les bouche-trous!

Par ailleurs, qu’arrivera-t-il aux travailleuses une fois la pénurie de main-d’œuvre passée? Jennifer Beeman, du Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail (CIAFT ), s’interroge : « N’est-ce pas une autre manière de voir les femmes comme une main-d’œuvre d’appoint et périphérique à utiliser en temps de crise plutôt qu’une main-d’œuvre avec laquelle les employeurs peuvent bâtir leur avenir? »

La pénurie de main-d’œuvre dans les secteurs traditionnellement masculins, dont celui de la construction, peut constituer une occasion à saisir pour les femmes, mais à condition que les employeurs et les autres acteurs du milieu s’engagent à bien les accueillir en mettant en place pour elles des mesures d’intégration et de maintien en emploi.

1.5. Le marché du travail et ses perspectives : des impacts sur les choix des femmes

Selon les prévisions à long terme d’Emploi-Québec (2011a : 4), les travailleuses et les travailleurs hautement qualifiés bénéficieront des besoins de main-d’œuvre appréhendés. Par ailleurs, les départs massifs à la retraite anticipée2 créeront aussi des besoins de main-d’œuvre pour la grande majorité des métiers et des professions de même que pour tous les niveaux de compétence. Dans ce contexte, les personnes qui désirent intégrer ou réintégrer le marché du travail auront l’embarras du choix.

Des perspectives d’emploi si favorables peuvent-elles avoir un impact sur les choix de carrière des femmes? Il semble bien que oui. Déjà on observe dans certaines régions du Québec, où le taux de chômage est très bas, que les femmes à la recherche d’un emploi trouvent facilement et rapidement un emploi traditionnellement féminin. À cet égard, Wilma Rodrigues, intervenante dans un organisme spécialisé en développement de la main-d’œuvre féminine de la région de Québec, décrit ce qu’elle observe :

En ce moment, avec un taux de chômage de 5 %, les possibilités d’emploi sont excellentes pour les secrétaires et les commis-comptables. Les perspectives dans le domaine des soins de santé sont aussi très bonnes. D’autant plus que la région de Québec n’a pas vraiment une culture industrielle. On est dans une économie de services ici.

Une intervenante travaillant dans les municipalités régionales de comté (MRC) de La Haute-Yamaska et de Brome-Missisquoi, consultée à l’occasion de la rédaction d’un rapport produit en 2011 par le CIAFT, souligne que, dans un contexte où le taux de chômage est bas, les femmes se trouvent plus facilement un emploi traditionnellement féminin peu qualifié. Elles préféreront donc intégrer le marché de l’emploi rapidement plutôt que d’en- treprendre une longue période d’exploration et d’études : « Celles qui restent sur le chômage vivent souvent de lourdes problématiques » (CIAFT, 2011 : 56).

Malheureusement, ces emplois si aisément trouvés offrent trop souvent des conditions de travail précaires et des salaires médiocres. Ce sont en grande majorité des femmes qui occupent les emplois les moins bien rémunérés dans les secteurs des services. Elles sont vendeuses, caissières, serveuses, commis de bureau ou aides-infirmières.

Pour sa part, la chercheuse Marie-Josée Legault démontre que la ségrégation sexuelle des emplois est encore très présente au Québec et que ce sont les femmes qui en paient le plus gros prix (Legault, 2011 : 24) : « À la différence des emplois plus qualifiés, les emplois les moins qualifiés présentent une très grande différence de salaires selon qu’ils sont principalement masculins ou féminins. Qui plus est, cette différence est un phénomène généralisé et favorise les emplois masculins. »

Il est paradoxal de constater que la vigueur du marché du travail risque, du même souffle, d’appauvrir davantage les femmes en les maintenant dans des secteurs d’activité traditionnellement féminins, des emplois peu qualifiés et reconnus pour offrir de mauvaises conditions de travail.

1.5.1. Les métiers traditionnellement masculins : toujours une option intéressante pour les femmes?

Au cours des 30 dernières années, le gouvernement et différents organismes du milieu ont multiplié leurs efforts afin d’encourager les femmes à envisager des options plus prometteuses sur le marché du travail. À ce jour, on doit reconnaître que toutes ces énergies déployées ont permis de faire des gains, surtout pour les femmes qui ont un haut niveau de scolarité, mais, selon la chercheuse Marie-Josée Legault (2011 : 55), pour les moins scolarisées, on piétine :

On remarque une augmentation de la scolarité et de l’emploi pour les femmes, et par conséquent de grands progrès des femmes dans les professions, les emplois de cadres et de cols blancs. Mais peu de pays ont vraiment résolu le problème de l’accès des femmes peu scolarisées à des emplois décents. Chez les hommes du même niveau de scolarité, la situation est très différente; les emplois d’artisans, de métiers qualifiés et spécialisés, d’ouvriers spécialisés sont des emplois bien mieux payés que les emplois féminins détenus par des personnes de même niveau de scolarité (Legault, 2011 : 55).

En général, les métiers traditionnellement masculins offrent aujourd’hui encore de meilleures conditions de travail et des salaires plus intéressants que les métiers où les femmes se trouvent fortement représentées. Selon les données recueillies par le CIAFT, les salaires offerts dans les dix principales professions masculines sont toujours plus élevés que ceux qui le sont dans les dix principales professions féminines (CIAFT, 2011 : 27 et 28).

Tableau 1.1 Salaires dans les dix principales professions féminines* selon le sexe, Québec, 2005
# Principales professions féminines Taux de féminité (%) Salaires annuels moyens
Femmes ($) Hommes ($) Ratio F/H
1 Personnel de secrétariat 98,3 31 288 47 992 65,2
2 Vendeurs ou vendeuses et commis-vendeurs ou commis-vendeuses 48,2 23 733 36 865 64,4
3 Personnel de soutien familial et de garderie 83,7 22 310 32 318 69,0
4 Commis de travail général de bureau 86,6 33 290 39 443 84,4
5 Commis des finances et de l’assurance 84,0 33 929 44 672 76,0
6 Enseignants ou enseignantes, conseillers ou conseillères pédagogiques, (enseignement primaire et secondaire) 72,2 47 207 52 639 89,7
7 Caissiers ou caissières 87,0 18 428 22 093 83,4
8 Professionnels ou professionnelles en sciences infirmières 88,6 51 535 54 199 95,1
9 Personnel des services des aliments et boissons 72,4 18 828 24 927 75,5
10 Personnel administratif et de réglementation 66,6 43 715 57 560 75,9

Source : Statistique Canada (2006), cité dans CIAFT (2011 : 27).

* En 1891, les dix emplois les plus occupés chez les femmes étaient par ordre de priorité : domestique, couturière, enseignante, fermière, tailleuse, vendeuse, aide-ménagère, blanchisseuse et modiste. Selon Statistique Canada, les types de professions choisis par les femmes ont peu changé depuis cette époque (Comité permanent de la condition féminine, 2010 : 3).

Par ailleurs, les salaires des femmes sont toujours inférieurs à ceux des hommes, et ce, dans les professions tant féminines que masculines (CIAFT, 2011 : 29).

Tableau 1.2 Salaires dans les dix principales professions masculines selon le sexe, Québec, 2005
# Principales professions masculines Taux de féminité (%) Salaires annuels moyens
Femmes ($) Hommes ($) Ratio F/H
1 Conducteurs ou conductrices d’automobile, opérateurs ou opératrices de transport en commun 5,9 32 361 37 769 85,7
2 Professions en informatique 22,9 56 668 61 342 92,4
3 Vendeurs ou vendeuses et commis-vendeurs ou commis-vendeuses 48,2 23 733 36 865 64,4
4 Nettoyeurs ou nettoyeuses 31,5 21 872 31 043 70,5
5 Membres des corps législatifs et cadres supérieurs ou cadres supérieures 21,4 79 913 112 904 70,8
6 Commis à l’expédition et à la distribution 28,2 32 832 37 275 88,1
6 Manœuvres, transformation, fabrication, services publics 30,8 23 949 36 676 65,3
8 Mécaniciens ou mécaniciennes de véhicules automobiles 1,3 31 589 36 322 87,0
9 Directeurs ou directrices de la vente au détail 41,2 31 469 47 841 65,8
9 Charpentiers ou charpentières et ébénistes 3,4 24 094 36 578 65,9

Source : Statistique Canada (2006), cité dans CIAFT (2011 : 28).

En outre, accéder à un métier non traditionnel ne veut pas dire nécessairement pour les femmes une amélioration de leurs conditions de travail. De fait, les hommes et les femmes exerçant le même métier peuvent se voir confier des tâches selon une division traditionnelle des rôles sociaux. Par exemple, une étude sur les cols bleus réalisée dans la fonction publique révèle que, à l’intérieur du même métier, on confiait aux femmes des tâches qui demandaient de la précision et aux hommes des tâches exigeant plutôt de la force physique (Dumais et Courville (1995), cités dans Plouffe (2011 : 13)). Dans certains secteurs d’activité, comme celui de la construction, la division sexuelle des tâches aura des conséquences directes sur le salaire annuel et l’avancement professionnel des travailleuses, soit l’accession au titre de « compagnon ».

Certes, il est possible d’améliorer les conditions socioéconomiques des femmes en les encourageant à se diriger en plus grand nombre vers les métiers non traditionnels, mais « une fois la mixité des professions et des emplois améliorée du point de vue statistique, l’égalité des salaires et des chances en matière de promotion et d’évolution professionnelle n’est nullement garantie » (Achin, Méda et Wierick, 2005 : 107).

Alors, bien qu’il soit important d’encourager la diversification professionnelle chez les femmes, il faudrait aussi insister sur l’accès à une véritable égalité professionnelle entre les femmes et les hommes en matière de rémunération, d’avancement professionnel ou de conditions de travail, et ce, quel que soit le métier en cause ou la profession exercée. Dans un même ordre d’idées, on fait fausse route si les efforts déployés pour favoriser l’accès des femmes aux métiers traditionnellement masculins ne s’accompagnent pas de mesures qui leur permettront de bénéficier des mêmes avantages et des mêmes droits que les hommes lorsqu’elles seront en emploi. En ce sens, il est important d’envisager les actions entreprises de manière plus globale, dans une perspective où l’on se préoccupera non seulement d’augmenter le bassin des candidates prêtes à envisager ces options, mais aussi de veiller à faciliter leur intégration ainsi que leur maintien dans ces emplois. Offrir aux filles et aux femmes la possibilité d’accéder à des emplois qui correspondent à leurs goûts et qui leur proposent des conditions salariales avantageuses est toujours un objectif actuel et pertinent, mais il faut aussi veiller à ce qu’elles puissent garder leur emploi, et ce, dans un environnement qui respecte leurs droits. De plus, se préoccuper du maintien en emploi des femmes qui ont choisi d’occuper un métier non traditionnel est essentiel, car si elles abandonnent en cours de route, déçues des conditions de travail qui leur sont offertes en emploi, les gains obtenus seront alors réduits à néant. Finalement, ces désertions des femmes à l’égard des milieux traditionnellement masculins peuvent aussi avoir pour effet de renforcer la croyance que celles-ci n’y ont pas leur place.

2. L’industrie de la construction

Un portrait de l’industrie de la construction

L’industrie de la construction est l’un des plus importants parmi les grands secteurs socioéconomiques du Québec. Selon la CCQ3, la contribution de cette industrie à l’économie québécoise s’élève, en 2011, à 46 milliards de dollars de dépenses d’investissements, soit 14 % du produit intérieur brut (PIB) québécois. De plus, cette industrie génère 237 500 emplois directs en moyenne par mois, soit un emploi sur 20 au Québec. Au total, plus de 159 000 personnes salariées actives sur le marché du travail4 créent une masse salariale de 6 milliards de dollars. Toujours en 2011, on dénombre 156,1 millions d’heures travaillées dans ce secteur, un niveau qui surpasse le volume record atteint en 1975 qui s’élevait alors à 155,8 millions d’heures. Selon les évaluations de la CCQ, la croissance de l’industrie de la construction devrait se poursuivre au cours des années à venir. En effet, près de 170 millions d’heures pourraient être travaillées en 2015.

Différents facteurs, dont le taux de roulement des personnes salariées ainsi que leur vieillissement, auront un impact sur les besoins de main-d’œuvre à venir dans l’industrie de la construction. Selon la CCQ (2006b : 17), le défi démographique et économique de ce domaine d’ici 2025 pourrait être, d’une part, d’attirer une relève qui se fera plus rare et, d’autre part, d’ouvrir ce secteur à d’autres catégories de personnes sur le marché du travail, soit les femmes, les autochtones ainsi que la population immigrante. En effet, l’industrie de la construction au Québec demeure un monde composé de jeunes hommes, francophones et blancs. En 2011, la proportion de femmes dans le secteur de la construction québécois se chiffre à seulement 1,3 % (CCQ, 2012b : 4). C’est donc un milieu homogène avec 87,1 % d’individus de langue maternelle francophone comparativement à 81,8 % pour l’ensemble des secteurs de l’activité économique. Enfin, selon les données de Statistique Canada, on ne comptait en 2001 que 6,3 % de population immigrante parmi la population active de la construction comparativement à 10, 5 % dans l’ensemble des industries (CCQ, 2006b : 19).

Depuis 1993, l’industrie de la construction se divise en quatre principaux secteurs d’activité : 1) la construction institutionnelle et commerciale; 2) la construction industrielle; 3) la construction de génie civil et voirie; et 4) la construction résidentielle. En 2011, on observe une hausse d’activité dans tous ces secteurs. La grande majorité des entreprises, soit 82 %, a moins de cinq employés ou employées.

Les métiers et les occupations de la construction

Au Québec, le secteur de la construction compte 26 métiers et une trentaine d’occupations, dont 6 sont des occupations spécialisées.

Pour exercer un métier sur les chantiers de construction, il faut être titulaire d’un diplôme d’études professionnelles (DEP) et avoir obtenu une garantie d’emploi d’une durée d’au moins 150 heures d’un employeur inscrit auprès de la CCQ. Cette mesure permet d’obtenir le certificat de compétence « apprenti ». De plus, pour exercer un métier de la construction, il faut démontrer sa qualification en se soumettant à un régime d’apprentissage. Par exemple, pour obtenir le certificat de compétence « compagnon » du métier d’électricien ou d’électricienne, l’apprenti ou l’apprentie doit avoir effectué quatre périodes d’apprentissage sur un chantier de 2 000 heures chacune (8 000 heures au total) afin de pouvoir se présenter à l’examen de qualification provinciale. La réussite à cet examen donne accès au certificat de compétence « compagnon ».

Pour accéder aux occupations sur un chantier de construction, il faut posséder un certificat de compétence « occupation » délivré par la CCQ qui atteste la réussite du cours Connaissance générale de l’industrie de la construction d’une durée de 15 heures. Le nombre de places réservées pour ce cours dépend des besoins en fait de main-d’œuvre estimés annuellement par l’industrie de la construction. Une personne exerçant déjà une activité sur les chantiers, à titre de manœuvre, par exemple, doit se plier à certaines conditions minimales d’entrée, soit être âgée au moins de 16 ans et avoir réussi le cours de santé et de sécurité au travail sur les chantiers de construction. Au total, 23 % des femmes ont obtenu le certificat de compétence « occupation » comparativement à 18 % pour les hommes (CCQ, 2012a : 48).

Enfin, pour accéder aux occupations spécialisées, la personne doit déjà être diplômée. Par exemple, en vue d’exercer l’occupation spécialisée de boutefeu, il faut être titulaire d’un DEP en forage et dynamitage, obtenir un certificat de « boutefeu-foreur » délivré par la CCQ, avoir un permis général d’explosifs remis par la Sûreté du Québec (SQ), être titulaire d’un certificat de compétence « occupation » et avoir au moins 18 ans.

L’industrie de la construction a établi des critères d’embauche auxquels les entreprises doivent se conformer. La compétence de ses travailleurs et travailleuses peut être acquise sur le terrain ou par la formation. Bien que l’industrie de la construction privilégie l’accès aux emplois aux personnes diplômées, il peut survenir des pénuries de main-d’œuvre5 qui font que des personnes non diplômées accèdent à un emploi en satisfaisant à des conditions particulières déterminées par la CCQ.

Une industrie particulière

Le milieu de la construction au Québec est un monde à part qui possède sa propre loi et ses règles singulières. À cet égard, Louis Delagrave, spécialiste de l’histoire des relations de travail au Québec et directeur de la recherche à la CCQ, rappelle ceci : « Les particularités économiques de la construction et les caractéristiques du syndicalisme québécois dans ce secteur, ainsi que les aléas de l’histoire, ont amené le développement de ce régime, qui fait figure de modèle unique dans la construction en Amérique du Nord » (CCQ, 2006a : 1). D’ailleurs, cette industrie est l’une des seules au Québec où le Code du travail ne s’applique pas et où l’accréditation syndicale par entreprise est interdite. La grande mobilité de ses entreprises et de sa main-d’œuvre caractérise aussi cette industrie. En effet, en 2011, on compte 25 000 employeurs disséminés dans l’ensemble des chantiers du Québec qui ont embauché des travailleurs ou des travailleuses. Ceux-ci ou celles-ci peuvent avoir, en moyenne, de deux à trois employeurs différents par année.

Le régime de relations de travail particulier qui existe dans l’industrie de la construction est tributaire des liens d’emploi qu’entretiennent les employeurs et la main-d’œuvre de ce secteur, comme le précisent Christian Beaudry et Claudine Roy, spécialistes du droit :

Bien que certains employeurs professionnels conservent en permanence à leur emploi un certain nombre des salariés aux fins de travaux courants, en règle générale ceux-ci embauchent des salariés de la construction aux fins d’un projet donné. Dans la plupart des cas, cette embauche est faite en fonction de l’appartenance du salarié à un corps de métier, selon les besoins du chantier. Une fois, le projet terminé ou une fois terminé le type de travail pour lequel est habilité le salarié concerné, celui-ci est licencié. Selon les étapes d’avancement d’un projet, les différents corps de métiers peuvent être requis sur un site, y exécuter la portion de travail qui relève de leur compétence et quitter le chantier de façon définitive ou temporaire jusqu’à ce que celui-ci requière à nouveau leurs compétences (Beaudry et Roy, 1998 : 21-22).

La « loi r-20 » : une loi sur mesure pour l’industrie de la construction

En 1968, afin de calmer les tensions intersyndicales qui régnaient alors dans l’industrie de la construction, un régime de relations de travail sur mesure est créé pour l’industrie de la construction en vertu de la Loi sur les relations de travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction (Delagrave, 2009 : 24).

Voici les principales caractéristiques de ce régime :

Tableau 2.1 Représentativité syndicale dans l’industrie de la construction
Organisations syndicales 2009
(%)
2012
(%)
Centrale des syndicats démocratiques (CSD-Construction) 14,1 12,7
Confédération des syndicats nationaux (CSN-Construction) 10,6 8,5
Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ-Construction) 42,9 43,9
Conseil provincial du Québec des métiers de la construction – International (CPQMCI) 27,0 24,4
Syndicat québécois de la construction (SQC) 6,3 10,5

Le rôle et les responsabilités de la commission de la construction du québec

Depuis 1987, la « Loi R-20 » est administrée par la Commission de la construction du Québec (CCQ), un organisme public financé surtout par les employeurs et les personnes salariées qui travaillent dans l’industrie de la construction. Les principales fonctions de cette loi sont les suivantes :

La « loi 33 » et le placement syndical

Le placement syndical est une forme exacerbée de référence de la main-d’œuvre par laquelle une association syndicale peut contrôler l’offre de travail, exercer des pressions sur un employeur, en vue de le contraindre à n’embaucher que les travailleurs inscrits sur la liste qu’elle lui soumet, ou, dans certains cas, de l’empêcher de faire des mises à pied au moment opportun. En outre, un tel contrôle s’accompagne souvent de l’interdiction faite au travailleur, par son syndicat, d’être embauché, directement par un employeur ou de chercher à l’être (Flynn et autres, 2011 : 8).

Le 30 août 2011, le Groupe de travail sur le fonctionnement de l’industrie de la construction, mandaté par la ministre du Travail pour étudier le fonctionnement de cette industrie, remettait son rapport. Le Groupe a soumis neuf recommandations à la ministre du Travail pour que soient adoptées des dispositions en vue d’interdire les pratiques de placement syndical et pour que la CCQ offre un véritable système de référence.

Selon les observations du Groupe de travail, la référence de main-d’œuvre par les syndicats représenterait environ 15 % des embauches dans l’industrie de la construction. Par ailleurs, lors de sa participation le 27 octobre 2011 en commission parlementaire, la CSN-Construction avance plutôt le chiffre de 24,3 % (Québec. Commission de l’économie et du travail, 2011 : 94). Cette différence s’explique, selon la CSN-Construction, par le monopole de représentation exercé dans certains métiers : par exemple, plus de 90 % des électriciens ou électriciennes sont membres de la FTQ-Construction et plus de 90 % des tuyauteurs ou tuyauteuses adhèrent au Conseil provincial du Québec des métiers de la construction (International) (CPQMCI). En clair, toute personne qui veut travailler dans l’un ou l’autre de ces métiers doit, pour y être dirigée, adhérer au syndicat qui la représente en fait de nombre de membres.

À la suite des recommandations du Groupe de travail (août 2011) et après avoir entendu en commission parlementaire (octobre 2011) les positions des parties visées, le gouvernement adopte le projet de loi no 33 en décembre 2011. Il introduit ainsi un nouveau service de référence en remplacement de la pratique du placement syndical. Ce nouveau service sera administré par la Commission de la construction du Québec (CCQ). Dorénavant, les associations syndicales et d’employeurs qui veulent référer des personnes salariées doivent le faire par la voie de ce service après avoir obtenu un permis à cet effet. Le Conseil croit que ce nouveau système de référence permettra de restreindre la discrimination et l’intimidation à l’égard des travailleuses et des travailleurs sur les chantiers de construction.

En novembre 2012, la ministre du Travail, ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale ainsi que ministre responsable de la Condition féminine, dépose un projet de règlement dans lequel un nouveau modèle de référence (2011) des travailleuses de la construction est proposé. Les articles prévoient que le Service de référence de main-d’œuvre de la CCQ transmettra aux employeurs une liste de personnes salariées disponibles et répondant à leurs besoins. La particularité de ce modèle réside dans le fait que toutes les femmes disponibles et répondant aux critères d’embauche sont référées, alors que les hommes le sont plutôt selon certains ratios.

2.3. Les femmes dans les métiers de la construction

Depuis 2000, la main-d’œuvre féminine dans les métiers et occupations de la construction n’a cessé d’augmenter pour atteindre 2 067 travailleuses en 2011 sur une population de 159 166 personnes qui y travaillent. Toutefois, ce chiffre représente à peine 1,3 % de femmes sur les chantiers.

Tableau 2.2 Présence des femmes dans les métiers de la construction
Année Total des femmes Total de l’industrie Proportion (%) de femmes
2000 515 98 109 0,52
2001 627 99 981 0,63
2002 770 108 324 0,71
2003 1 031 118 727 0,87
2004 1 303 128 411 1,01
2005 1 481 133 395 1,11
2006 1 566 134 080 1,17
2007 1 664 138 132 1,20
2008 1 730 144 991 1,19
2009 1 735 145 857 1,19
2010 1 901 152 740 1,24
2011 2 067 159 166 1,30

Source : CCQ (2011 et 2012a).

Le Québec, bon dernier au Canada

Par ailleurs, le taux de 1,3 % de la main-d’œuvre féminine active atteint en 2011 est le score le plus bas jamais enregistré au Canada. En effet, selon les données de Statistique Canada, le Québec occupe la dernière place au Canada quant à la proportion de femmes dans les métiers de la construction. Son taux se situe sous la moyenne canadienne qui est à 3,0 % et demeure largement inférieur à ceux de l’Alberta et de l’Île-du-Prince-Édouard qui affichent respectivement un taux de 5,9 % et de 4,0 %.

Tableau 2.3 Présence des femmes dans les métiers de la construction au Canada et dans les administrations canadiennes
Rang Province Proportion (%) de femmes dans les métiers et occupations de la construction
1 Alberta 5,9
2 Île-du-Prince-Édouard 4,0
3 Manitoba 3,8
4 Colombie-Britannique 3,6
5 Saskatchewan 2,8
6 Terre-Neuve-et-Labrador 2,8
7 Nouvelle-Écosse 2,4
8 Nouveau-Brunswick 2,3
9 Ontario 2,2
10 Québec 1,3
Moyenne canadienne (2010) 3,0

Source : CCQ (2011).

Le taux de femmes présentes dans le secteur de la construction au Canada est tout à fait comparable aux taux enregistrés dans d’autres pays industrialisés (Royaume-Uni, États-Unis, Australie, Danemark, Allemagne, Pays-Bas, Nouvelle-Zélande), c’est-à-dire très faible (CSC, 2010 : 20). À l’exemple de ces pays, le Canada doit s’attendre à une pénurie de main-d’œuvre qualifiée dans le secteur industriel, notamment dans le secteur de la construction. Pour y faire face, le secteur canadien de la construction travaille à élargir son bassin de main-d’œuvre en facilitant l’accès aux métiers de la construction aux travailleurs plus âgés, aux autochtones, aux personnes immigrantes et aux femmes (CSC, 2010 : 2).

Des initiatives pour accroître la participation des femmes aux métiers de la construction ont vu le jour dans différentes administrations canadiennes, dont certaines pourraient inspirer le Québec en la matière.

Par exemple, Women Unlimited6 est un organisme à but non lucratif de la Nouvelle-Écosse qui aide les femmes à faible revenu à réintégrer le marché du travail dans des métiers, dont ceux de la construction. Depuis 2005, cet organisme offre du soutien aux femmes pour obtenir une formation, trouver un emploi et le conserver. L’objectif est d’offrir aux futures travailleuses un ensemble de services intégrés et un accompagnement pendant toute la durée de leur parcours. Cette façon de faire serait la clé du succès de cet organisme.

Le Skilled Trades Employment Program for Women (Step for Women)7 est un projet pilote mis en avant par la British Columbia Construction Association, avec l’aide financière du gouvernement provincial de la Colombie-Britannique, qui propose différentes activités de mentorat, des services de placement et du soutien à long terme en emploi (CSC, 2012 : 91).

Des expériences variées en Alberta

Cette section a été rédigée par la présidente du Conseil, Mme Julie Miville-Dechêne, à la suite d’entrevues réalisées à Edmonton et Calgary en septembre 2012.

En Alberta, on estime que les femmes représentent 5,9 % de la main-d’œuvre dans les métiers de la construction. Elles comptent pour 8,4 % des personnes reconnues comme apprenties. On est encore bien loin de la parité, mais l’Alberta affiche tout de même une participation des femmes aux métiers de la construction quatre fois plus importante qu’au Québec (1,3 %). Comment expliquer cet écart? Une différence saute aux yeux. L’Alberta a vécu un remarquable boum économique depuis la hausse du prix du pétrole. L’exploitation des sables bitumineux est devenue rentable. En juillet 2012, cette province affiche le plus bas taux de chômage au pays, soit 4,6 %. L’industrie pétrolière et gazière devra pourvoir à plus de 9 000 emplois d’ici 2015; plus généralement, le gouvernement albertain prévoit une pénurie de main-d’œuvre importante, estimée à 114 000 emplois, d’ici 2021 à l’échelle de la province.

Devant ce manque de main-d’œuvre, on peut faire l’hypothèse que les entrepreneurs albertains embauchent davantage de femmes sur leurs chantiers, non pas par grandeur d’âme, mais tout simplement parce qu’il y a moins d’ouvriers disponibles qu’au Québec. Nous avons toutefois voulu savoir si d’autres facteurs, moins évidents, pou- vaient expliquer ces chiffres dans une province réputée pour son conservatisme.

Il est clair que les femmes font face à certaines barrières identiques dans les deux provinces. Par exemple, Jill Drader a appris son métier de carreleuse dans un institut de Calgary et en entreprise où elle gagnait environ 30 $ l’heure. Quelques jours après avoir obtenu son statut de « compagnon », elle annonce à son patron qu’elle est enceinte de 3 mois. C’est le congédiement immédiat. Cette carreleuse n’a pas eu droit à un retrait préventif ni à un congé de maternité. Elle a obtenu des prestations d’invalidité pendant quelques mois. Le patron d’une autre grande compagnie de construction où Jill Drader avait conclu un accord pour donner une formation en sécurité a accueilli sa grossesse avec ces mots : « [Jill] est morte à mes yeux. » Cette jeune mère de famille a dû faire un changement de carrière radical : elle est devenue enseignante dans une école de métiers dans sa spécialité et s’assure que les femmes qui sont apprenties ont toute l’information nécessaire pour faire leurs choix. Elle se rappelle un incident alors qu’elle travaillait sur un chantier : « Un ouvrier m’a tassée dans un coin, il voulait un contact sexuel, je l’ai repoussé en l’insultant. J’en ai parlé au patron, conclut-elle, et il ne nous a plus mis ensemble dans la même équipe. »

L’expérience d’Élise en Alberta est tout autre. Cette monteuse de structures d’acier a fait ses classes au Québec pendant 8 ans. Elle décrit le milieu de la construction au Québec comme « très chauvin ». Son agent syndical a même déjà tenté de la faire passer pour un homme afin de la faire embaucher. Ses confrères, se rappelle-t-elle, la rejetaient en disant qu’elle n’avait pas la force physique nécessaire pour faire ce métier. « On te veut pas, tu seras jamais capable » se faisait-elle répéter régulièrement. Il y a 6 ans, Élise s’est exilée en Alberta pour travailler dans le domaine des sables bitumineux. Elle ne se fait plus harceler ni dénigrer. Comment expliquer cette différence d’attitude? Voici une hypothèse parmi d’autres : la main-d’œuvre qui travaille dans les campements albertains venant d’un peu partout, il y a beaucoup de diversité culturelle et ethnique. Peut-être que dans ce contexte les femmes sont moins marginalisées?

L’organisme Women Building Futures

JudyLynn Archer, pionnière dans l’industrie de la construction, croit qu’il ne faut pas se faire d’illusion : cette industrie en Alberta est encore un bastion d’hommes, dit-elle, et il y règne une culture masculine inhospitalière à l’égard des femmes. En 1998, cette femme de tête – ex-opératrice de camion transportant de la machinerie lourde – a décidé d’agir. Elle a fondé un organisme sans but lucratif, Women Building Futures ( WBF), maintenant considéré comme un fleuron albertain, un modèle du genre. Sans équivalent ailleurs au Canada, ce centre de formation ultramoderne, en plein centre-ville d’Edmonton, est impressionnant. Chaque année, une centaine de femmes, triées sur le volet, y sont admises; elles ont même à leur disposition, sur place, des logements abordables; et, selon leurs revenus, elles peuvent recevoir une subvention pour des places en garderie.

JudyLynn Archer se montre pragmatique : « Cela prend un certain type de femme pour réussir dans le milieu de la construction. » Elle ne cache pas que ses recrues sont sélectionnées avec soin. Il ne faut pas qu’elles soient trop vulnérables ou trop timides. Pourquoi ne pas accepter toutes les femmes qui veulent améliorer leur sort? Parce que, aux yeux de JudyLynn Archer, la pression est grande sur chacune des femmes qui travaillent sur les chantiers; elles portent sur leurs épaules la responsabilité de démontrer que les femmes sont capables d’exécuter le travail exigé. Si une femme n’est pas à la hauteur des attentes que l’on a envers elle, JudyLynn Archer croit que cela risque malheureusement d’avoir des effets négatifs sur la vision que les hommes du milieu ont des femmes en général et de son programme de formation en particulier. La présidente de WBF est consciente que cette pression est injuste, car seules les femmes la subissent, mais comme elle cherche à court terme à accroître la crédibilité de ces dernières auprès des employeurs de l’industrie de la construction, elle ne prend aucun risque avec les candidates proposées. L’objectif, selon elle, justifie les moyens. Fait intéressant, le tiers des finissantes sont des autochtones et des efforts particuliers sont déployés pour les recruter.

La présidente de WBF a taillé sur mesure un programme de formation de 4 mois pour les femmes : cours de rattrapage en sciences et mathématiques; cours sur la culture masculine qui règne dans les chantiers et les stratégies pour y faire face et y « survivre ». Il faut comprendre cet environnement mâle, selon JudyLynn Archer, pour savoir comment communiquer avec ces hommes avant même de mettre les pieds sur un chantier. Les apprenties doivent aussi faire preuve d’introspection, elles sont épaulées dans leurs démarches pour améliorer leur organisation familiale et développer des compétences en matière de finances personnelles. Elles apprennent la manière de se comporter durant une entrevue d’embauche et doivent s’exercer à un sport une heure par jour, tout cela, en plus de la formation proprement dite en électricité, en plomberie ou en menuiserie et en matière de sécurité. Deux semaines de stage en entreprise complètent le tout. Une fois sa formation terminée, l’apprentie commence à travailler sur les chantiers. Si elle veut obtenir le statut de « compagnon », elle doit faire, en plus, de 3 à 5 années de formation théorique et pratique.

Amanda, opératrice de grue, croit que, sans WBF, elle n’aurait jamais trouvé un emploi qui lui rapporte 30 $ l’heure. Auparavant, elle travaillait dans un centre d’appels et gagnait 11 $ l’heure. Elle raconte qu’elle a appris avec WBF à ne jamais demander de traitement de faveur et à éviter toute promiscuité. « Il ne s’agit pas d’endurer toutes les insultes dit-elle. Quand on me traite de bitch [salope], je ne l’accepte pas. J’ai porté plainte, et mon patron m’a dit que, si cela se reproduisait, il renverrait l’ouvrier insultant. »

Une des spécificités de ce centre de formation est que sa présidente JudyLynn Archer développe et entretient des liens d’affaires avec plusieurs grandes entreprises dans les secteurs de l’énergie et de la construction, notamment Suncor et Ciment Lafarge. Ainsi, 20 % du financement vient des commanditaires, ce qui permet de mettre sur pied des campagnes publicitaires d’envergure afin d’attirer les femmes vers un nouveau métier (WBF, 2012). Ces liens privilégiés permettent à WBF de placer directement certaines de ses finissantes en entreprise en contournant les règles du placement syndical peu favorables aux nouvelles venues. La multinationale néerlandaise Mammoeth a embauché cinq finissantes de WFB comme opératrices de grue. La gestionnaire Megan Moore précise que l’intégration se fait sans heurt, car les femmes connaissent déjà les façons de faire, le jargon employé, et elles sont plus soucieuses des détails que les hommes. Chez Mammoeth, un seul contremaître s’occupe de l’intégration des femmes pendant la première année. C’est dans ce secteur d’activité que les femmes sont les plus présentes. Elles comptent pour 6,2 % des membres de la section locale 955, celle-ci regroupant les opérateurs et les opératrices d’équipement lourd.

Il faut savoir que l’encadrement de ces femmes n’arrête pas quand elles obtiennent un emploi. En cas de problèmes, elles peuvent communiquer avec une des intervenantes de Women Building Futures. JudyLynn Archer propose aussi des séances de formation dans les entreprises de construction pour changer la mentalité des contremaîtres afin que le milieu soit plus accueillant pour les femmes. Le fonctionnement de WBF dépend en grande partie des fonds publics. Chacune des élèves est subventionnée à hauteur de 9 550 $ pour suivre cette formation. En revanche, le taux de placement est supérieur à 90 %. Une firme indépendante a suivi 11 élèves de WBF pendant 2 ans. Elle a conclu que chaque dollar investi rapportait 6 $ en retombées sociales, notamment en meilleurs salaires et en diminution de prestations de chômage ( WBF, 2009). Dans cette enquête très détaillée, certaines apprenties disent qu’elles auraient eu besoin de plus de soutien pour trouver un emploi.

Pour sa part, JudyLynn Archer voit grand. Elle veut former 6 500 femmes dans les différents métiers de la construction d’ici 6 ans. « Nous, on veut des changements systémiques, dit-elle. En aidant les femmes, on veut transformer l’industrie. » Cette pionnière espère que, quand il y aura suffisamment de femmes sur les chantiers, la culture masculine perdra de l’intensité, et que le harcèlement et le sexisme ne seront plus monnaie courante. Parallèlement, des politiques de respect sur les lieux de travail et des séances de formation de la main-d’œuvre sont nécessaires pour que les mentalités changent. Et JudyLynn Archer répète inlassablement le même message : aux prises avec une pénurie de main-d’œuvre, les entrepreneurs réaliseront, tôt ou tard, qu’il est plus avantageux de recruter des Albertaines, parlant anglais et connaissant les us et coutumes, plutôt que de faire venir de la main-d’œuvre masculine étrangère et temporaire.

L’initiative Women Building Futures ne peut à elle seule renverser la vapeur dans toute une industrie, mais elle donne des résultats. L’organisme WBF offre bien plus que des ateliers pour apprendre un nouveau métier; on y effectue un véritable travail psychologique auprès de celles qui y étudient. En outre, l’établissement n’abandonne pas les apprenties dès qu’elles entrent sur le marché du travail. Les finissantes restent en contact avec l’organisme et peuvent même obtenir gratuitement et confidentiellement des conseils dans des situations difficiles. Il y a donc un continuum qui ne peut qu’aider les femmes à franchir les nombreux obstacles qui les attendent sur les chantiers. Cependant, JudyLynn Archer est consciente qu’il lui manque une donnée importante pour convaincre les sceptiques. On ne sait pas combien de temps les finissantes de WBF restent dans l’industrie. La présidente de WBF aimerait pouvoir fournir un jour cette statistique, si elle obtient les fonds pour ce faire.

Les employeurs

Autre initiative intéressante en Alberta qui pourrait servir d’inspiration ailleurs : l’Association des entrepreneurs en construction de l’Alberta (Construction Owners Association of Alberta (COAA)) a publié en mai 2011 un guide (COAA, 2011) pour faire la promotion du respect sur les lieux de travail. Cette association patronale a aussi endossé une autre publication ( WBF, 2012) sur les pratiques exemplaires pour embaucher et retenir les femmes dans les métiers de la construction. Ces documents de sensibilisation sont bien faits, regorgent de conseils pratiques et sont consultables sur le Web. Par exemple, il est recommandé aux employeurs de mettre sur pied du mentorat pour les femmes, de s’assurer que les membres des comités de sélection sont ouverts à la présence de femmes dans l’entreprise et de poser la même question aux postulants et aux postulantes. Doit-on comprendre que les employeurs albertains sont conscients des efforts à faire pour changer les milieux de travail? Pas forcément. Lynne Harder travaille pour une association patronale : Construction Labor Relations. Elle est à l’œuvre depuis une dizaine d’années, dans plusieurs comités, pour créer des consensus sur ces documents. Pourtant, elle ne semble pas très optimiste. « C’est une bataille, c’est difficile, on a fait un peu de progrès », dit-elle. À son avis, seulement 5 % des entrepreneurs utilisent la politique sur le respect, alors que le but était de convertir le quart des entreprises d’ici 2015. Très peu de syndicats s’intéressent à la question. Une exception : l’Association chrétienne du travail du Canada (Christian Labour Association of Canada). Un des directeurs de ce syndicat regroupant 15 000 ouvriers et ouvrières, Ryan Timmermans, est convaincu qu’il faut augmenter la visibilité de cet enjeu pour changer les mentalités. En ce moment, il dit disposer d’un seul levier pour convaincre les entrepreneurs : « Il faut qu’ils se sentent coupables de ne pas embaucher des femmes. » Fait intéressant : Lynne Harder et Ryan Timmermans ont observé tous deux que la notion de respect est un peu plus présente dans les milieux de travail masculins quand il y a davantage de femmes.

Il existe, en Alberta, un bassin de femmes ouvertes à l’idée de tenter l’expérience d’un métier non traditionnel. Selon un sondage mené en 2010, 18 % pour cent des 1 290 femmes sondées, âgées de 18 à 34 ans, étaient prêtes, à différents degrés, à considérer une carrière dans l’industrie de la construction albertaine (WBF, 2009).

Que faut-il retenir de ces expériences en Alberta? Sans doute cette idée de donner des outils aux femmes avant qu’elles se trouvent sur les chantiers, ce que l’on appelle ici de la « préformation » de leur fournir du soutien en emploi et de tenter de changer la mentalité de leurs collègues masculins par de la formation. Une des forces du modèle albertain est le lien de confiance développé par Women Building Futures avec les entreprises de construction, lien qui permet carrément de placer des finissantes. Bien sûr, les façons de procéder albertaines sont loin de faire l’unanimité. Pourquoi demander aux femmes de se plier à une culture machiste plutôt que de changer cette culture par des lois et des règlements contraignants? C’est un lourd prix à payer pour obtenir une masse critique de femmes sur les chantiers, mais existe-t-il d’autres pistes d’action réalistes en Alberta? Les personnes qui se portent à la défense de cette approche croient que, pour avancer, cette stratégie étapiste est la plus pragmatique et la plus susceptible de donner des résultats. Il faut dire que le gouvernement conservateur albertain n’est pas interventionniste et préfère laisser l’initiative aux centres de formation comme Women Building Futures. Il n’y a donc aucune institution publique dans cette province qui s’occupe de placement, contrairement à ce que fait la Commission de la construction du Québec.

Le profil des femmes dans l’industrie de la construction

Selon les données de la CCQ (2012a : 84), en 2011, sur les chantiers du Québec, les femmes ont plus souvent le statut d’apprenti que de « compagnon ». En effet, 59 % des femmes possèdent le premier statut comparativement à 32 % pour les hommes. À peine 18 % des femmes ont le statut de « compagnon » alors que la proportion est de 50 % pour les hommes. Cet écart important peut s’expliquer, en partie, par le fait que la présence des femmes dans l’industrie de la construction est assez récente. De fait, en moyenne, les femmes cumulent 5 années d’activité comparativement à 12 années en moyenne pour les hommes. Toutefois, les femmes semblent éprouver plus de difficultés que les hommes à cumuler le nombre d’heures requis pour obtenir leur certificat de compétence « compagnon ». À cet égard, Véronique De Sève, vice-présidente au Conseil central du Montréal-métropolitain (CSN) du comité national de la CSN, fait l’observation suivante :

Il semble que pour les filles, cela peut leur prendre jusqu’à trois ans avant de compléter leur première période d’apprentissage de 2 000 heures. Alors, pour aller chercher leur statut de compagnon, où il faut souvent avoir accumulé plus qu’une période d’apprentissage [le nombre de périodes peut varier selon le métier, soit de une à cinq périodes de 2 000 heures chacune] ce n’est pas 3 ans que cela leur prend, comme c’est le cas pour bien des gars, mais 7 ans, parfois plus!

Selon un sondage maison réalisé en 2010 par le Comité des ouvrières de la construction de la Fraternité interprovinciale des ouvriers en électricité (FIPOE) de la FTQ-Construction8 auprès de 80 de leurs membres féminins de Montréal et des environs, il s’écoule en moyenne 7 années avant que les électriciennes interrogées accèdent au statut de « compagnon ». Par ailleurs, 17,5 % des répondantes ont avoué avoir mis sept ans et plus avant d’obtenir leur certificat de compétence « compagnon ».

Le profil particulier des femmes influe sur le statut qu’elles occupent dans l’industrie. Ainsi, la proportion de femmes est de 2,4 % chez les titulaires du certificat de compétence « apprenti », de 0,5 % chez les titulaires du certificat de compétence « compagnon » et de 1,7 % chez les titulaires du certificat de compétence « occupation »9 (CCQ, 2012a : 8).

Les données de la CCQ (2012a : 48) révèlent que les travailleuses se concentrent principalement dans 4 des 26 métiers de la construction. En 2011, elles représentent plus de 4 % de la main-d’œuvre apprentie dans seulement quatre métiers : calorifugeur ou calorifugeuse (6 %), carreleur ou carreleuse (4 %), peintre (16 %) et plâtrier ou plâtrière (6 %). À noter qu’elles sont absentes du métier de mécanicien ou mécanicienne de machines lourdes. Dans les occupations, elles se trouvent, dans une proportion de plus de 4 %, dans les emplois de magasinier/commis ou magasinière/commis (30 %), de plongeur ou plongeuse (4 %) ou encore de préposé ou préposée à l’arpentage (8 %).

Du côté du certificat de compétence « compagnon », en 2011, on compte seulement 4 métiers dont la proportion de femmes s’élève à plus de 1 % : calorifugeur ou calorifugeuse (3,0 %), carreleur ou carreleuse (1,1 %), peintre (3,6 %), plâtrier ou plâtrière (1,9 %). Comme c’est le cas pour le certificat de compétence « apprenti », il n’existe pas de femmes ayant le certificat de compétence « compagnon » dans le métier de mécanicien ou mécanicienne de machines lourdes.

Le choix des métiers et des occupations que font les femmes déterminera les secteurs dans lesquels elles travailleront. Dans le cas des métiers, elles se trouvent principalement dans le secteur institutionnel/commercial et le secteur industriel. Elles réalisent en effet 90 % de leurs heures travaillées dans ces deux secteurs, comparativement à 75 % pour les hommes.

Dans l’industrie de la construction, le taux de salaire horaire des hommes et des femmes est le même puisqu’il est déterminé par les conventions collectives. Par ailleurs, dans les faits, on observe un écart important entre le salaire annuel moyen des travailleuses et celui des travailleurs. Différentes raisons, liées à la discrimination systémique10 que vivent les travailleuses de la construction, expliquent cet écart :

Tableau 2.4 Profil des travailleuses de la construction au Québec
Métiers Nombre total de personnes salariées (H + F) Nombre (N) de femmes et proportion (%) de la main-d’œuvre Femmes titulaires du certificat de compétence « apprenti » Femmes titulaires du certificat de compétence « compagnons » Moyenne d’heures travaillées totales des personnes salariées (H + F) Salaire annuel moyen (H + F)
Peintre 5 650 541 9,6 439 81 102 19 805 25 543
Charpentier-menuisier ou charpentière-menuisière 42 593 315 0,7 277 88 38 12 923 31 037
Électricien ou électricienne 16 498 169 1,0 115 68 54 32 1 152 40 947
Plâtrier ou plâtrière 3 111 123 4,0 95 77 28 23 856 27 093
Carreleur ou carreleuse 2 211 63 2,8 52 83 11 17 765 24 628
Total des métiers 990 35 590

Source : CCQ (2012b : tableau C 24).

Les femmes travaillent principalement dans le secteur résidentiel et le secteur institutionnel/commercial où le salaire horaire moyen est respectivement de 30,26 $ et de 35,12 $. Par ailleurs, le secteur du génie civil et voirie de même que le secteur industriel, où l’on trouve davantage d’hommes, offrent un salaire horaire moyen de 40,02 $ et de 43,29 $. Bien qu’elles soient plus nombreuses à intégrer le secteur des métiers de la construction, les femmes désertent massivement les chantiers. Selon les données de la CCQ (2012a : 8), ce sont les deux tiers des femmes entrées dans ce secteur qui quittent leur emploi après 5 ans. Sur les 4 430 femmes qui ont commencé leur carrière dans l’industrie de la construction au cours de la période 1997-2011, il en reste à peine 2 067 en 2011 (2012 : 4). Le taux d’abandon des apprenties est deux fois plus élevé que celui des apprentis. Durant la période 1997-2006, l’écart observé dans le taux d’abandon pour cette cohorte est même plus marqué pour les diplômées (48 %) comparativement aux diplômés (23 %). De plus, les résultats de cette étude indiquent que les femmes sont moins nombreuses que les hommes à revenir dans l’industrie après leur départ.

Selon les données du sondage recueillies par la CCQ en 2004, 50 % des femmes interrogées ont reconnu avoir décidé de quitter le milieu de la construction pour des motifs de discrimination. En effet, c’est le premier facteur invoqué par les femmes qui abandonnent ce secteur. Elles quittent aussi lorsqu’elles souhaitent avoir des enfants et ne reviennent pas, car c’est trop difficile pour elles de concilier leurs responsabilités familiales avec les horaires du secteur de la construction.

2.3.2.1. Les conséquences de la division sexuelle du travail

La division sexuelle des emplois et des tâches n’est pas sans conséquence sur les travailleuses. Lorsqu’une d’entre elles intègre un métier traditionnellement masculin, il n’est pas rare qu’elle se voie confier les tâches les moins attrayantes et les moins formatrices, et parfois même les plus traditionnellement « féminines » (Legault, 2001 : 54). Les effectifs féminins sur les chantiers de construction se trouvent ainsi cantonnés dans quelques métiers, pour la plupart en rapport avec des tâches de finition ou de décoration, qui exigent de la minutie et un certain sens de l’esthétique, des qualités que l’on attribue traditionnellement aux femmes. En outre, lorsque les femmes accèdent aux emplois sur les chantiers de construction, elles sont souvent confinées à des travaux légers, simples et répétitifs, dans lesquels les contremaîtres ou les chefs de chantier reconnaissent qu’elles sont « naturellement bonnes », voire parfois meilleures que les hommes ou du moins qu’elles y réussissent aussi bien qu’eux. C’est aussi ce que mentionne fort justement la sociologue française Stéphanie Gallioz :

Ainsi, nous retrouvons [sur les métiers de chantier] une division sexuelle du travail relativement classique. Aux femmes, les travaux de minutie désignés comme simples et répétitifs, aux hommes ce qui requiert force physique, sens de la technique et une moins grande sédentarité (Gallioz, 2006b : 111).

Cette vision de la place des femmes sur les chantiers de construction est partagée par plusieurs acteurs du milieu de la construction. À cet égard, le président de la FTQ-Construction, Arnold Guérin, et le directeur général de la FTQ-Construction, Yves Ouellet, reconnaissent qu’il y a de la place pour les femmes dans l’industrie de la construction, mais pas dans tous les métiers. Selon eux, certains métiers se révèlent trop exigeants physiquement pour les femmes : « Il y a de la place pour les femmes dans la construction, mais dans des métiers qui conviennent à leurs habiletés, par exemple opératrice de grue où le travail demande davantage de précision que de force physique. »

Par ailleurs, chez certains acteurs, l’opinion diverge. Martin Durocher, directeur de l’EMOICQ, témoigne : « Ici à l’école, on pense qu’un homme ou une femme est capable de faire le travail équitablement. On n’a aucun préjugé ni favorable ni défavorable, ni pour un homme ni pour une femme. Je suis convaincu qu’une femme peut occuper tous les métiers de la construction aussi bien qu’un homme. »

Bien des apprenties sur les chantiers n’échappent pas à cette discrimination, ce qui les place dans une situation où elles ne sont pas en mesure de développer leurs compétences et l’expérience pertinente pour obtenir le certificat de compétence « compagnon » dans un délai raisonnable. Voici ce qu’en dit Karyne, charpentière-menuisière :

[Les entrepreneurs] nous font toujours faire des jobs de débutants. Donc, les quatre premières années où j’ai été sur la construction, je passais le balai et je posais de la laine minérale. Je n’apprenais rien d’autre. C’était systématique, quand il y avait de la laine à faire, on envoyait Karyne. Mais moi, pendant ces quatre ans-là, je n’apprenais pas ce qu’il fallait que j’apprenne. J’ai cumulé pendant ces quatre ans-là mes 2 000 heures pour passer en deuxième année [deuxième période d’apprentissage]. Quand je suis arrivée avec un autre employeur et qu’il m’a essayée pour me faire faire d’autres choses, moi je ne l’avais jamais faite, à part à l’école quatre ans avant. Alors, je manquais d’assurance. Lui, en partant, il a un préjugé avec les femmes et il voit en plus que je ne suis pas sûre de moi : « Tu es deuxième année, tu es supposée de savoir ça! » m’a-t-il dit.

Cette division des tâches nuit à l’intégration pleine et entière des femmes dans les métiers de la construction, comme le souligne fort bien Geneviève Dugré : « En effet, dans une culture dominée par les hommes où la force physique est à l’honneur et où les compétences valorisées sont l’endurance physique et la productivité et où les compétences associées aux stéréotypes féminins sont la fragilité et la minutie, il est évident que l’intégration des femmes à ce milieu sera très problématique » (Dugré, 2006 : 122).

3. Un parcours semé d’obstacles

Selon le Conseil, il est nécessaire d’adopter une vision de continuité pour analyser le parcours des femmes vers un métier de la construction. Il faut envisager des actions de soutien propres à la formation, à l’intégration et au maintien en emploi tout en considérant l’intervention selon une approche globale et intégrée. Ainsi, il est important pour celles qui sont en formation de bien connaître ce que le marché du travail de la construction leur réserve afin d’avoir une vision réaliste des défis qu’elles auront à relever. Par ailleurs, la direction et le personnel scolaire de la formation professionnelle doivent aussi se sentir visés et interpellés par ce qu’auront à vivre leurs élèves en recherche d’emploi et sur le marché du travail. Cette vision des choses doit les rendre solidaires des femmes qui étudient dans leur établissement dans leur volonté d’intégrer un métier de la construction et de s’y maintenir, au même titre que pour leurs hommes dans la même situation.

Au début de la rédaction du présent avis, des questions ont été soulevées : Doit-on, malgré tous les obstacles reconnus, persister à encourager les filles et les femmes à entreprendre une formation dans le domaine de la construction? Faut-il continuer de multiplier les efforts pour les intéresser à ce secteur d’activité fortement masculin et si rébarbatif à la présence des femmes? Leur parcours pour se tailler une place dans ce milieu est tellement ardu et s’y maintenir se révèle si difficile que ces questions se posent. Curieusement, les réponses à nos interrogations sont venues des travailleuses que nous avons questionnées et qui, malgré les obstacles rencontrés, ne regrettent pas leur choix et se disent toutes passionnées par leur métier. Cependant, elles revendiquent pour elles-mêmes et pour les futures travailleuses de meilleures conditions de travail et le respect de leurs droits sur les chantiers au même titre que les hommes. Pour la majorité d’entre elles, les avantages qu’offrent les métiers de la construction semblent bien l’emporter sur les difficultés éprouvées. Alors, au-delà des obstacles et des réticences du milieu, l’essentiel ici est que les femmes puissent accéder aux projets professionnels qui les intéressent et que d’être une femme ne soit pas un motif d’exclusion.

Les obstacles en amont

« Lorsqu’un stéréotype est appris, il est difficile de s’en défaire » (Gosselin (2000), cité dans CSF (2010a : 40)).

De parler ici de stéréotypes et de socialisation peut paraître, à première vue, nous éloigner du sujet qui nous préoccupe, soit la situation des femmes dans les métiers de la construction. En réalité, c’est le cœur de la question, car, malgré les efforts consacrés à cet égard pour encourager et soutenir les femmes dans les métiers non traditionnels, dont ceux de la construction, il faut bien en arriver au constat que peu de choses ont évolué au cours des dernières années. Bien que certains changements s’opèrent dans les mentalités, les attitudes, elles, demeurent figées. Cette situation a d’énormes conséquences sur les choix que feront ou ne feront pas les filles et les femmes au fil de leur parcours d’orientation scolaire et professionnelle.

La socialisation des filles et des garçons

Certes, les parents d’aujourd’hui sont plus soucieux que ceux d’hier d’offrir une éducation égalitaire à leurs petites filles et à leurs petits garçons. Pourtant, force est de constater que, malgré cette bonne volonté, notre société persiste à valoriser la force des garçons et l’apparence des filles. En outre, cette préoccupation des parents ne semble pas résister à la mise en pratique, puisque, selon plusieurs travaux basés sur l’observation, recensés par la psychologue Anne Dafflon Novelle, il est faux de croire que de nos jours les parents élèvent leurs garçons et leurs filles de manière similaire et égalitaire (Dafflon Novelle, 2006 : 9). En effet, bien que les parents affirment agir avec leurs enfants en dehors des stéréotypes sexuels, dans la réalité, ils persistent à éduquer leurs filles et leurs garçons de manière très traditionnelle, notamment dans le choix des vêtements ou des jouets (Dafflon Novelle, 2006 : 38-39). Cette socialisation différenciée aurait une influence sur le développement des compétences des garçons et des filles, en particulier par l’intermédiaire des jouets :

Les jouets pour les filles comme les dînettes, poupées, magasins, renvoient davantage aux jeux de faire-semblant et aux jeux de rôles dans lesquels les enfants vont plutôt acquérir des compétences verbales, alors que les jouets pour garçons comme les jeux de construction, d’emboîtements, les LEGO de la gamme technique, qui sont plus axés vers la réussite de l’activité et ont en commun d’encourager la manipulation et l’exploration, permettent davantage aux enfants d’acquérir des compétences spatiales, mathématiques, analytiques et scientifiques (Dafflon Novelle, 2006 : 367).

Nature ou culture : l’éternel débat!

Comme tout organisme vivant, l’être humain est génétiquement programmé, mais programmé pour apprendre. Chez les organismes plus complexes, le programme génétique devient moins contraignant, en ce sens qu’il ne prescrit pas en détail les différents aspects du comportement, mais laisse à l’organisme la possibilité de choix. L’ouverture du programme génétique augmente au cours de l’évolution pour culminer avec l’humanité (François Jacob, biologiste et Prix Nobel de physiologie ou médecine).

Pour Catherine Vidal, neurobiologiste et directrice de la recherche à l’Institut Pasteur, les différences qui existent entre le cerveau de deux individus du même sexe l’emportent sur celles que l’on peut observer entre ceux d’un homme et d’une femme (Vidal, 2007b, 2012) :

Ces discours laissent croire que nos aptitudes et nos personnalités sont figées dans le cerveau. Or, les progrès des recherches montrent le contraire : le cerveau grâce à ses formidables propriétés de « plasticité » fabrique sans cesse des nouveaux circuits de neurones en fonction de l’apprentissage et de l’expérience vécue. Garçons et filles, éduqués différemment, peuvent montrer des divergences de fonctionnement cérébral, mais cela ne signifie pas que ces différences soient présentes dans le cerveau depuis la naissance! (Vidal, 2007b : 5-6).

Au-delà du discours scientifique, qu’en pensent les parents? La réponse diffère selon que l’on est soi-même parent ou non (Dafflon Novelle (2006 : 375)). En effet, pour plusieurs adultes sans enfant, l’origine des différences entre les comportements des deux sexes serait d’ordre socioculturel (famille, éducation scolaire, médias, etc.). Par ailleurs, pour bon nombre d’adultes ayant des enfants, la source de ces différences de comportements serait plutôt biologique, innée. Ces points de vue différents s’expliquent par le fait que, bien que les parents soient convaincus d’avoir élevé leurs enfants de manière identique, ils doivent reconnaître que ceux-ci et celles-ci deviennent, au fil du temps, « des prototypes du vrai petit garçon et de la vraie petite fille. Par conséquent, ils se représentent la différence des sexes comme ayant une origine plus biologique que socioculturelle » (Dafflon Novelle, 2006 : 375 et 376).

Cette représentation des parents, quant à l’origine des comportements différenciés des petits garçons et des petites filles, aura des répercussions sur la suite des choses, notamment dans le choix des jouets, des activités, des loisirs ainsi que des parcours scolaires et professionnels de leurs enfants.

L’objectif ici n’est pas de culpabiliser les parents ni de remettre en question la qualité de leurs efforts, mais plutôt de leur proposer d’adapter leurs pratiques éducatives existantes pour favoriser au maximum le développement des champs d’intérêt et de compétences de leurs garçons et de leurs filles. L’idée est aussi de rappeler aux parents les impacts des choix stéréotypés sur le parcours de leurs enfants et que de travailler à leur ouvrir toutes les portes, c’est contribuer à ce qu’ils et elles se bâtissent une solide estime de soi et une confiance en leurs capacités pour ainsi leur permettre d’assumer leurs choix, quels qu’ils soient.

Selon Lise Éliot, psychologue et auteure de l’ouvrage Cerveau rose, cerveau bleu, les petites filles aiment fabriquer des objets, mais elles n’osent pas toujours s’imposer dans les jeux de construction, mobilisés par les garçons la plupart du temps (Éliot, 2011 : 358). De plus, les désirs de certaines petites filles d’obtenir des jouets de garçons ne seraient pas toujours encouragés par les parents. Ainsi, à l’époque de Noël, on observe que les requêtes des enfants ont plus de chances de recevoir une réponse positive si elles concernent des jouets conformes à leur sexe (Etaugh et Liss (1992); Robinson et Morris (1986), cités dans Berk (1994), cités dans Dafflon Novelle (2006 : 31)).

À ce propos, Sophie, 37 ans, plâtrière et enseignante de plâtrage à l’EMOICQ, livre le témoignage suivant :

Plus jeune, j’étais souvent avec mon père. Si le grille-pain brisait, mon père l’éventrait sur la table, puis il le remontait et on mangeait des toasts le lendemain matin. J’ai toujours vu mon père éventrer un paquet d’affaires. En regardant tous les morceaux éparpillés sur la table, je demandais à mon père : « Ça sert à quoi ça papa? Pourquoi ça? » Je posais tout le temps des questions. Vers 6 ou 7 ans, quand le catalogue Sears arrivait, je regardais les jouets et j’encerclais tout ce que je trouvais beau. Il y avait tout le temps des jeux de construction, mais aussi des poupées. Je demandais des affaires de construction et des poupées, mais j’avais seulement des poupées. Il y avait aussi des cabanes à oiseaux, des voitures, des avions, des kits de bois que tu montais et que tu peinturais. Je trouvais ça cool. Moi aussi, je voulais, comme mon père, construire des choses à partir de morceaux défaits. Parce que j’étais une fille, je n’avais jamais de choses de gars à Noël. C’était la mentalité : « Tu es une fille, tu as des poupées! »

On pourrait croire que, dans la majorité des cas, ce sont les enfants mêmes qui demandent des jouets stéréotypés. Dans ce cas, Sophie serait-elle une exception? Selon une recherche québécoise (Pomerleau et autres (1990), cités dans Cossette (2012 : 41)), il semble que non. Bien avant que les enfants en fassent la demande ou qu’ils soient en mesure d’exprimer des préférences, les parents et les autres adultes leur achètent des jouets selon les stéréotypes sexuels.

L’enjeu de la perception spatiale

Au fil des ans, de nombreux scientifiques ont multiplié les tests afin de comparer les fonctions cognitives des hommes et des femmes. Seuls les résultats obtenus aux tests de perception spatiale et à ceux du langage apparaissent solides, car ils ont été reproduits de nombreuses fois par différentes équipes de recherche (Vidal et Benoît-Browaeys, 2005 : 27-28). En général, les hommes réussissent mieux que les femmes les épreuves d’orientation dans l’espace, tandis que les femmes obtiennent de meilleurs résultats aux tests de langage. Par ailleurs, la supériorité des hommes aux tests de perception spatiale n’apparaît qu’à l’adolescence ( Vidal, 2002 : 6). En outre, quand on fait passer les tests à plusieurs reprises, les hommes et les femmes progressent au même rythme pour finalement obtenir, en bout de course, les mêmes résultats ( Vidal et Benoît-Browaeys, 2005 : 28). Ce qui fait dire à la neurobiologiste Catherine Vidal que l’éducation y est pour beaucoup dans le développement de la capacité d’orientation spatiale :

Très tôt, les petits garçons sont initiés à la pratique des jeux collectifs de plein air, qui sont particulièrement propices pour apprendre à se repérer dans l’espace et à s’y déplacer. Ce type d’apprentissage précoce est susceptible d’influer sur le développement du cerveau en facilitant la formation de circuits de neurones spécialisés dans l’orientation spatiale. Cette capacité serait moins sollicitée chez les petites filles qui restent davantage à la maison, situation plus propice à utiliser le langage pour communiquer (Vidal, 2002 : 6).

De nombreux travaux de recherche ont démontré les liens entre la pratique de jeux qui exercent la perception spatiale ( jeux de cubes et autres jeux de construction) et les scores obtenus aux tests d’aptitudes visuospatiales (Baenninger et Newcombe, 1989; Voyer, Nolan et Voyer (2000), cités dans Cossette (2002 : 41)). Ainsi, selon Louise Cossette, professeure de psychologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), les activités de jeu pourraient avoir une influence déterminante sur l’orientation de carrière des filles et des garçons (Cossette, 2012 : 42).

Ces données, issues de la recherche, sont importantes à considérer lorsqu’il est question d’orientation des filles dans les métiers de la construction. Il faut savoir que la perception spatiale est essentielle pour lire des plans et résoudre des problèmes, ce qui est chose courante dans plusieurs métiers de la construction. De plus, pour l’admission à certains programmes de formation professionnelle du secteur de la construction, notamment ceux où il y a contingentement, comme le programme Charpenterie-menuiserie ou le programme Électricité, il faut avoir réussi des tests psychométriques, dont ceux qui évaluent la perception spatiale.

À cet égard, on peut présumer que certaines filles sont désavantagées par rapport aux garçons, car elles ont eu moins l’occasion qu’eux de développer cette faculté. En fait, les résultats différents qu’obtiennent les filles et les garçons aux tests sont le reflet d’une éducation distincte qui permet à ces derniers de développer leur capacité à s’orienter dans l’espace, mais aussi leur intérêt pour le travail manuel.

Il est prouvé que l’activité physique et le sport permettent non seulement de développer les capacités physiques, mais également les facultés cognitives : « Le développement moteur stimule le développement cognitif. Le cerveau a besoin d’activité physique pour créer des circuits neuronaux qui permettent la pensée complexe » (Dowling, 2001 : 79). Ces bénéfices sont réels tant pour les garçons que pour les filles : pourtant, les données consultables sur le sujet (Éliot, 2011 : 360) révèlent que les garçons bougent davantage que les filles et explorent plus leur environnement, ce qui leur permet de développer encore plus leur perception spatiale. En fait, on encouragerait peu les filles à bouger (Dowling, 2001 : 74), ce qui a inévitablement des conséquences sur leur développement moteur et cognitif subséquent.

Découvrir un métier

Au moment de choisir un projet d’orientation scolaire et professionnelle, les filles et les femmes tendent à faire leur choix en fonction de leurs champs d’intérêt. Étant donné qu’il est difficile de s’intéresser à ce que l’on ne connaît pas, elles vont spontanément se diriger vers ce qui leur est plus familier, habituellement un domaine où la dimension sociale est très présente. En faisant ces choix, les filles et les femmes évitent ainsi de s’éloigner du comportement attendu par les proches, le personnel scolaire et la société en général. Ce faisant, elles passent malheureusement à côté d’une multitude d’options intéressantes et avantageuses sur le plan personnel, professionnel et financier.

Aujourd’hui encore, les approches en matière d’orientation scolaire et professionnelle établissent trop souvent un profil d’exploration des métiers uniquement en fonction des champs d’intérêt de la personne. Ce qui présuppose que la personne connaît l’éventail des choix possibles (CIAFT, 2011 : 97). En agissant ainsi, on limite l’exploration à ce que la personne connaît, ce qui est extrêmement réducteur. Bien qu’il soit essentiel de cibler ses champs d’intérêt pour faire un choix professionnel, il importe aussi de permettre à la personne d’élargir son champ de recherche. Ainsi, il faut rappeler aux filles et aux femmes que, sur 520 professions répertoriées au Québec, 269 sont très peu connues des filles et que moins du tiers des filles occupent l’une ou l’autre de ces professions. Aborder un processus d’orientation sous cet angle peut apparaître bien aventureux pour la personne comme pour les proches et le personnel scolaire. Cependant, accepter de plonger dans l’inconnu, c’est aussi mettre de côté ses préjugés qui peuvent amener à rejeter des options avant même de les connaître.

Les filles et les femmes connaissent peu ou pas les métiers de la construction, comme c’est le cas d’ailleurs pour la majorité des options traditionnellement masculines offertes au secondaire. Il faut également dire que les préjugés perdurent au sujet de la formation professionnelle. En fait, pour bien des jeunes et pour bon nombre de parents, voire certains spécialistes et personnes-ressources, les diplômes d’études professionnelles (DEP) demeurent une voie de garage réservée à des élèves en difficulté où l’on obtient des diplômes « à rabais » conduisant à des emplois sous-payés. Des parents préfèrent encourager leurs enfants, particulièrement les filles, à poursuivre leurs études plutôt que de choisir une formation qui les amènera à exercer un métier. À ce sujet, la sociologue Duru-Bellat souligne dans un article que « toutes les familles vont chercher à placer leur enfant dans une position sociale au moins équivalente à la leur » (Duru-Bellat, 2008 : 135) :

Mes parents n’étaient pas d’accord que je fasse ce travail. Aujourd’hui, je suis « compagnon » et ils sont fiers de moi. J’ai réussi. Mais au départ, ce n’était pas la même affaire. C’était un sujet tabou. (Sophie, plâtrière et enseignante en plâtrage à l’EMOICQ)

« L’idée selon laquelle aller à l’université est la seule chose honorable à faire est encore largement répandue », témoigne Martin Green, directeur général de Ressources humaines et développement social Canada, appelé à témoigner au Comité permanent de la condition féminine (2010 : 12). Il ajoute que les préjugés à l’égard des métiers spécialisés sont l’obstacle à surmonter pour amener les jeunes à emprunter cette voie : « Le problème est probablement encore plus marqué du côté des jeunes femmes. »

Pourtant, la formation professionnelle au secondaire, notamment dans le domaine de la construction, offre des programmes attrayants pour les personnes qui aiment le travail concret et qui considèrent comme un avantage le court laps de temps à consacrer aux études pour accéder rapidement à des emplois, habituellement bien rémunérés. Pour intéresser davantage les jeunes, en particulier les filles, aux métiers spécialisés comme la construction, il faut les mettre directement en contact avec des activités pratiques dès l’enfance. Christopher Smillie, analyste des politiques, au Département des métiers de la construction de la FAT-COI 11, révélait ceci au Comité permanent de la condition féminine en 2010 : « En Autriche, et en Allemagne, où les étudiants passent pas mal de temps à acquérir ces compétences [pratiques], le taux de participation au programme d’apprentissage est beaucoup plus élevé qu’au Canada, aux États-Unis ou en Australie » (Comité permanent de la condition féminine, 2010 : 12).

En général, les individus ont tendance à prendre intérêt à des activités dans lesquelles ils se sentent compétents (Lent et autres (2000), cités dans Gingras, Savard et Robidoux (2006 : 12)). La confiance en sa capacité pour exercer un métier est donc un enjeu important au moment de faire un choix d’orientation scolaire et professionnelle. Pour de nombreuses filles, contrairement à bien des garçons, envisager un métier traditionnellement masculin, notamment dans le domaine de la construction, c’est accepter de partir de zéro tant en ce qui concerne les apprentissages théoriques que pour ce qui est de la manipulation des outils (Dumont, 2001 : 57). Il peut alors être difficile pour les filles de surmonter l’impression qu’elles seront en retard par rapport aux garçons, qu’elles risquent non seulement d’être la seule fille de la classe, mais aussi, peut-être, la moins performante du groupe! De quoi en décourager plus d’une d’aller de l’avant, surtout si elles ne trouvent pas de soutien dans leur entourage pour foncer. Pour pallier cette situation, il faut proposer aux filles, tout au long de leur scolarité, des activités qui leur permettront d’utiliser des outils et des machines. Non seulement pour qu’elles en arrivent à développer leurs habiletés manuelles et d’orientation spatiale, mais aussi pour augmenter leur assurance et leur confiance personnelle afin que ces filles puissent, lorsqu’elles suivront des cours non traditionnels, utiliser ces expériences comme autant de points d’ancrage positifs (Dumont, 2001 : 57).

L’éducation des filles et des garçons demeure, de nos jours, axée sur les stéréotypes sexuels, ce qui limite et désavantage les filles en fait de choix professionnels. Pour la plupart, elles n’envisagent même pas les options traditionnellement masculines, tandis que d’autres, qui se sentent attirées par ce type de travail, craignent de ne pas être à la hauteur. En vue de changer les choses, il faut, tant dans le milieu familial que dans les loisirs, dans les services de garde éducatifs ou à l’école, permettre très tôt aux filles de jouer avec des jeux de construction et encourager leur plaisir de construire, de créer et de bouger autant que les garçons afin de stimuler leur intérêt, mais aussi leurs aptitudes pour ces activités.

Les parents devraient acheter des jeux de construction à leurs filles. Une étude citée par Lise Éliot démontre que 88 % des boîtes de Lego sont achetées pour les garçons (Éliot, 2011 : 358). Par ailleurs, dès le plus jeune âge, les filles devraient être encouragées à jouer aux jeux vidéo puisqu’il a été démontré que ces derniers favorisaient le développement visuospatial, en particulier ceux qui présentent des objets en trois dimensions, leurs déplacements et leurs retournements possibles (Éliot, 2011 : 211). En vue d’intéresser les filles à ces activités, que ce soit pour les jeux de construction ou pour les jeux vidéo, il faudrait aussi s’assurer que les thèmes proposés et les personnages représentés sont attrayants et significatifs pour les filles.

À l’école, on doit encourager et développer les initiatives qui permettent aux jeunes filles d’explorer les métiers de la construction, par exemple le défi Touche-à-tout12 qui permet aux élèves de sixième année de se familiariser avec un métier du domaine de la construction (briquetage-maçonnerie, charpenterie-menuiserie).

Pour que les filles et les femmes puissent envisager sérieusement de s’engager dans un parcours les menant à un métier de la construction, il est indispensable qu’elles aient accès à des modèles « valorisés et valorisants » (Dafflon Novelle, 2006 : 373) auxquels elles pourront s’identifier :

[Pour] pouvoir se projeter dans une activité professionnelle, il est primordial d’avoir eu à sa disposition à un moment ou à un autre de son existence des modèles réels ou fictifs de personne de son propre sexe exerçant cette profession. En effet, il est excessivement difficile pour les jeunes de se projeter dans un univers professionnel habituellement réservé aux personnes du sexe opposé et, pour se conforter dans leur choix, il leur est nécessaire de disposer de modèles de leur propre sexe (Dafflon Novelle, 2006 : 372).

Une plus grande féminisation des métiers de la construction permettrait aux jeunes filles de s’y reconnaître davantage à travers les modèles multiples de travailleuses qu’offrirait une main-d’œuvre féminine plus importante et di- versifiée. En effet, la féminisation d’un métier traditionnellement masculin influe sur l’attrait que peut exercer cette occupation sur les jeunes filles « la rendant moins incongrue » à leurs yeux (Duru-Bellat, 2008 : 136). Un « cercle vertueux » peut alors s’enclencher (Marry (1989, 2004), cité dans Duru-Bellat (2008 : 136)). En d’autres termes, la présence plus importante de femmes dans un secteur masculin donne davantage le goût à d’autres femmes de s’y investir pour qu’à leur tour elles contribuent à féminiser encore plus ce secteur, ce qui aura pour effet d’y attirer de nouvelles travailleuses.

LE RÔLE DU PERSONNEL SCOLAIRE

Moi, quand j’étais jeune, au secondaire, j’ai toujours aimé les métiers non traditionnels. Mais on m’a découragée vite en disant que ce n’était pas facile, que ce n’était pas fait pour une fille. Ce sont principalement les enseignants qui m’ont découragée. Ils ne me voyaient pas du tout là-dedans. Ils m’envoyaient soit en coiffure ou en secrétariat. Mais je n’avais pas le profil. Je suis allée en secrétariat, mais je me suis tannée vite. (Martine, électricienne et conseillère pédagogique pour le personnel enseignant de l’EMOICQ).

L’école est reconnue comme un milieu propice pour favoriser l’apprentissage de la mixité et de l’égalité entre les femmes et les hommes. À l’instar des parents dans le milieu familial, les enseignantes et les enseignants ainsi que les autres membres du personnel scolaire sont au cœur de l’action pour lutter contre la reproduction des stéréotypes sexuels. Le Conseil a d’ailleurs rappelé à maintes reprises dans ses avis (CSF, 2004, 2009, 2010) la nécessité d’interpeller les spécialistes et les personnes-ressources du milieu scolaire pour reconnaître et combattre les manifestations sexistes. La littérature qui traite du sexisme en milieu scolaire revient aussi de manière récurrente sur l’importance de mobiliser le personnel scolaire sur cette question (CSF, 2009 : 100). À l’exemple des chercheuses Francine Descarries et Marie Mathieu, de l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF), le Conseil est convaincu « qu’une intervention précoce et continue en milieu scolaire est nécessaire pour réduire la reproduction des stéréotypes sexuels » (CSF, 2009 : 102).

Les actions du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport

Depuis de nombreuses années, le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (l’MELS), avec l’aide de ses différents partenaires, consacre beaucoup d’énergie à la lutte contre les stéréotypes sexuels à l’école et à la promotion des rapports égalitaires. Des formations sont ainsi offertes par le l’MELS aux membres du personnel des écoles, de l’éducation préscolaire au secondaire, pour les sensibiliser aux stéréotypes sexuels et à leurs effets sur les attitudes et les comportements des élèves. Pour encourager la diversification professionnelle des choix de carrière des jeunes filles et des femmes, le l’MELS soutient également différents projets dont le concours Chapeau, les filles! Selon la coordonnatrice du concours, Anne Thibault, interrogée au moment de l’élaboration du présent avis : « Chapeau, les filles! a toujours joué le rôle de locomotive pour les autres projets. » De plus, sa visibilité dépasse le cadre du milieu scolaire, « ce qui nous permet de rejoindre aussi les parents et les médias qui ont également une influence marquante sur les choix professionnels que font les filles », ajoute-t-elle. Aujourd’hui, Anne Thibault mise beaucoup sur les projets novateurs, une mesure de soutien financier destinée aux commissions scolaires et aux cégeps qui souhaitent mettre sur pied des projets novateurs ayant pour objet l’accès des femmes à des emplois traditionnellement masculins. « Ces projets doivent viser la diversification du choix de carrière ou le maintien en formation jusqu’à la diplomation ou, encore, l’intégration au marché du travail », précise Anne Thibault.

Cependant, malgré tous ces efforts, le problème demeure, puisque le décalage se maintient entre la performance scolaire élevée observée chez les filles aux études, peu importe l’ordre d’enseignement (CSF, 2012 : 5), ou les choix professionnels fortement stéréotypés qu’elles persistent à faire et qui perpétuent les inégalités qu’elles auront à vivre par la suite sur le marché du travail (Vouillot, 2007 : 97).

Dans le rapport du CIAFT intitulé Mixité au travail : un défi d’égalité, on apprend que, bien que les écoles secondaires soient des milieux privilégiés pour permettre aux filles d’élargir leur horizon professionnel, la majorité d’entre elles n’ont pas les ressources pour le faire (CIAFT, 2011 : 54). En outre, lorsque des efforts sont consacrés à ce sujet par les écoles, ils ne sont ni constants ni soutenus (CIAFT, 2011 : 54). Le manque de temps et de ressources destinées à ces questions est souvent invoqué pour justifier l’absence de récurrence dans les actions menées à l’école en vue d’encourager la diversification professionnelle des filles. Pourtant, pour changer les croyances en profondeur, il faut de la permanence dans les actions de sensibilisation. De ce point de vue, le témoignage de la directrice d’un organisme d’employabilité est éloquent :

À chaque génération, il faut recommencer. Je me rappelle, lorsque nous allions dans les écoles secondaires. Chaque année, quand on les rappelait et qu’on leur disait : « Avez-vous de la place pour qu’on aille visiter vos jeunes filles de secondaire 4? », ils nous répondaient : « Ben là, vous êtes venus l’année passée! » Mais celles qui sont en secondaire 4 cette année ne sont pas les mêmes que l’année dernière… (CIAFT, 2011 : 54).

Personne ne contestera l’importance de développer des formations et des outils en vue de soutenir les membres du personnel scolaire dans leurs efforts pour contrer les stéréotypes sexuels. En outre, les mesures mises à leur disposition afin d’encourager la diversification des filles s’avèrent aussi essentielles. Toutefois, bien que ces outils et ces mesures soient accessibles, le milieu scolaire semble manifester peu d’intérêt pour le sujet. En effet, des formations sont offertes au milieu scolaire pour sensibiliser le personnel en matière de stéréotypes sexuels, mais il n’y a pas vraiment de demande pour que ces formations soient données dans les établissements d’enseignement. La lourde charge de travail du personnel scolaire et le manque de ressources expliquent en grande partie cette situation. Cependant, le milieu de l’éducation aurait-il également tendance à sous-estimer les effets et les conséquences des stéréotypes sur le parcours scolaire et professionnel des filles? Est-ce possible de croire que, à l’exemple des parents, les membres du personnel scolaire (qui sont bien souvent aussi des parents!) ne sont pas toujours conscients de leurs propres croyances et représentations en matière de stéréotypes sexuels? À ce sujet, les auteures de l’avis du Conseil sur les stéréotypes sexuels (CSF, 2010) sont convaincues que le personnel enseignant participe, souvent inconsciemment, au renforcement des stéréotypes sexuels amorcé au sein de la famille (CSF, 2010 : 5).

La question du genre et l’orientation scolaire et professionnelle

Les conseillères et les conseillers d’orientation en milieu scolaire (ainsi que dans les autres milieux) ont un rôle déterminant à jouer dans l’élaboration des projets scolaires et professionnels des filles. D’autant plus que celles-ci consultent davantage les services d’orientation professionnelle que les garçons (Domene, Shapka et Keating (2006), cités dans Gaudet, Mujawamariya et Lapointe (2010 : 368)). À cet effet, le sociologue Matéo Alaluf, cité dans l’étude du Conseil sur les stéréotypes sexuels (CSF, 2009), constate que les filles sont mieux informées que les garçons sur les programmes d’études et leurs débouchés sur le marché du travail. Il en déduit donc que la persistance dont font preuve les filles à choisir des options traditionnellement féminines serait attribuable, non pas à un manque d’information, mais plutôt aux « stéréotypes qui connotent fortement comme masculines certaines orientations, à quoi s’ajoute la composition unisexuée de ces orientations qui aboutirait à tenir les filles à distance » (Alaluf et autres (2003), cités dans CSF (2009 : 78)).

Les professionnelles et les professionnels de l’orientation ne sont donc pas à l’abri de l’influence des stéréotypes sexuels sur leur pratique. De fait, selon la directrice générale du Centre d’intégration au marché de l’emploi de l’Estrie (CIME)13, questionnée au moment de l’élaboration du présent avis, il y a encore des conseillères et des conseillers d’orientation qui admettent ne pas être à l’aise de parler des métiers traditionnellement masculins avec les filles qui les consultent. À cet égard, en 2004, les auteures de l’avis du Conseil intitulé Vers un nouveau contrat social pour l’égalité entre les femmes et les hommes dénonçaient les effets néfastes des préjugés de genre sur l’orientation scolaire et professionnelle des filles et des garçons :

Les idées toutes faites sur ce qui est adéquat pour les filles et les garçons, ainsi que les représentations de rôles qu’ils devront assumer parvenus à l’âge adulte sur la base de ce qu’ils perçoivent de la division sexuelle agissent comme un filtre qui tend à éloigner les possibilités jugées non adéquates et constituent de puissants obstacles au libre choix d’une profession (CSF, 2004 : 80).

Dans une recherche réalisée auprès du personnel d’orientation du Nouveau-Brunswick, les auteures révèlent que les conseillères et les conseillers d’orientation interrogés se disent conscients de l’influence de leurs attitudes et de leurs comportements sur leurs pratiques, mais, du même souffle, ils avouent ne pas faire de lien entre leurs représentations des stéréotypes sexuels et les choix de carrière de la population scolaire féminine (Gaudet, Mujawamariya et Lapointe, 2010 : 381).

Pour Annie Pilote, sociologue de l’éducation et professeure agrégée au Département des fondements et pratiques en éducation à l’Université Laval, si les filles tendent à choisir des domaines d’études traditionnellement féminins, ce n’est pas une simple question de préférences personnelles : ces « intérêts » sont eux-mêmes le fruit d’une socialisation, notamment familiale et scolaire. Comme responsable du cours Orientation : perspectives sociologiques, offert au premier cycle du programme de counseling et d’orientation à l’Université Laval, Annie Pilote essaie d’amener ses élèves à prendre conscience que « l’orientation différenciée des filles et des garçons ne découle pas simplement d’intérêts distincts par "nature" ». Toutefois, elle reconnaît que cette représentation se révèle bien difficile à changer chez les futurs conseillers et conseillères d’orientation. Changer les croyances et les représentations en matière de stéréotypes sexuels est un travail qui doit se faire en profondeur, ce qui exige une certaine durée. Pourtant, le temps consacré à cette question dans le contexte de la formation universitaire des professionnelles et des professionnels de l’orientation est limité. « Le cours de sociologie que j’offre au premier cycle est le seul inscrit au programme, et il y a beaucoup de matière à couvrir. En fait, la question du genre et de l’orientation est abordée une semaine au cours d’une session qui en comporte 15 », souligne Annie Pilote.

L’école n’est pas l’unique responsable de la (re)production des rôles de sexe. Le cercle familial, le marché du travail et les médias y contribuent aussi largement. En fait, aucun milieu n’y échappe. Dans leur parcours de vie, les filles et les garçons apprennent différemment à explorer le monde et ses possibilités. C’est ce que souligne la sociologue française Marie Duru-Bellat : « Il s’ensuit une plus ou moins grande confiance en soi, lourde de conséquences multiples, en premier lieu en matière d’orientation » (Duru-Bellat, 2008 : 135).

Les obstacles en formation

Lorsqu’on se penche sur la situation des femmes dans l’industrie de la construction, de nombreux obstacles mis en évidence sont liés non seulement à l’embauche et au maintien en emploi, mais également au recrutement des femmes, à leur accès à la formation et à leur maintien en formation.

Des inscriptions qui stagnent

D’après les données du l’MELS (2011), depuis les cinq dernières années, le nombre de femmes inscrites en formation professionnelle aux programmes d’études liés à la construction progresse à pas de tortue, stagne ou, pire encore, diminue (graphique 3.1). En effet, bien qu’il soit question de petits nombres, si l’on compare la cohorte de 2005-2006 concernant les élèves inscrites en formation professionnelle et la cohorte de 2010-2011, on remarque tout de même une diminution des effectifs dans 15 des 26 programmes répertoriés (Graphique1).

Graphique 1
Évolution des inscriptions féminines en formation professionnelle dans certains programmes liés à la construction – Québec 2005-2006 à 2010-2011
Tableau 3.1 Inscriptions chez les femmes en formation professionnelle à certains programmes d’études liés au domaine de la construction, années scolaires 2005-2006 à 2010-2011*
Secteur de formation Programme d’études 2005-2006 2006-2007 2007-2008 2008-2009 2009-2010 2010-2011
Bâtiment et travaux publics Arpentage et topographie (R5238) 114 130 122 120 153 166
Briquetage-maçonnerie (R5303) 10 8 7 7 3 13
Calorifugeage (R5119) 5 4 4 5 3 3
Carrelage (R5300) 36 28 37 39 27 24
Charpenterie-menuiserie (R5319) 100 122 115 102 117 110
Découpe et transformation du verre (R5140) 13 0 0 0 0 0
Peinture en bâtiment (R5116) 89 117 101 96 112 103
Plâtrage (R5286) 27 29 24 26 22 14
Plomberie et chauffage (R5148) 23 21 15 12 13 16
Pose de revêtements de toiture (R5032) 1 0 1 2 1 0
Pose de revêtements souples (R5115) 10 3 3 2 2 0
Pose de systèmes intérieurs (R5118) 11 10 5 2 4 2
Préparation et finition de béton (R5117) 0 1 1 0 3 2
Métallurgie Chaudronnerie (R5165) 4 4 2 2 1 1
Ferblanterie-tôlerie (R5233) 20 17 13 12 18 15
Soudage haute pression (R5234) 20 26 18 22 14 16
Soudage-montage (R5195) 246 225 206 216 205 213
Mines et travaux de chantier Conduite de grues (R248) 1 1 0 0 1 2
Conduite d’engins de chantier (R5220) 15 14 13 17 20 22
Forage et dynamitage (R5092) 1 1 1 2 3 3
Entretien d’équipement motorisé Mécanique d’engins de chantier (R5055) 9 9 15 16 17 12
Électrotechnique Montage de lignes électriques (R5185) 1 2 3 4 3 6
Mécanique d’entretien Mécanique d’ascenseurs (R5200) 5 3 3 1 1 2
Mécanique industrielle de construction et d’entretien (R5260) 47 58 52 48 72 85
Électrotechnique Électricité (R5295) 127 117 91 91 86 83
Installation et entretien – Système de sécurité (R529) 11 9 7 4 9 10

* Données provisoires.

Source : l’MELS, SPRS, DSID, Portail informationnel, système Charlemagne, données au 27 janvier 2012.

Annie Richard, psychoéducatrice à l’EMOICQ, confirme que, depuis les sept dernières années, il n’y a pas eu de hausse significative des inscriptions des filles aux programmes d’études liés au domaine de la construction de l’EMOICQ :

Bon an, mal an, il y a toujours à peu près le même nombre de filles dans nos programmes d’études. On compte de 50 à 60 filles pour environ 1 000 élèves. La majorité d’entre elles se re- trouvent en peinture, qui est maintenant devenue un programme mixte à l’école. Peut-être que cela s’explique par le fait que la peinture, de par son aspect décoration, se rapproche davantage des intérêts traditionnels des filles que les autres formations?

Dans les centres de formation professionnelle où se donnent les programmes d’études liés au domaine de la construction, il n’y a pas d’activités de recrutement destinées uniquement aux filles. Par ailleurs, dans le contexte des activités habituelles pour attirer les jeunes vers des carrières en formation professionnelle, comme les salons de l’emploi ou les visites des écoles secondaires, des élèves déjà engagées dans un programme d’études liés au domaine de la construction sont invitées à partager leur expérience. Selon Annie Richard, cette participation est toujours appréciée : « Si l’étudiante est bonne vendeuse, sa présence aura un impact à la hausse sur le nombre d’inscriptions. »

De son côté, Hélène Parent, qui enseigne le carrelage à l’EMOICQ, se fait un devoir d’être présente chaque année au Salon Éducation-Emploi : « Pour le directeur de l’école et pour moi, c’est important que j’y sois. Je rencontre des filles, et quand elles me posent des questions sur mon métier, je les invite à participer à l’activité Élève d’un jour14

Une proportion de diplômées à la baisse

Selon les données du l’MELS, utilisées dans le rapport de recherche Construire avec elles (Danvoye et Legault, 2007 : 26), le nombre de femmes diplômées d’un programme d’études lié au domaine de la construction a doublé de 1998-1999 à 2004-2005. Toutefois, le nombre total de diplômes remis (sans distinction du sexe) a aussi presque doublé pendant cette période. La proportion de femmes diplômées est passée de 3,7 % en 1998-1999 à 4,6 % en 2004-2005. Les auteures de l’étude en question remarquent que cette progression semble caractériser principalement la période allant de 1998-1999 à 2001-2002 pendant laquelle la proportion de femmes diplômées est passée de 3,7 % à 5,5 %. Elles émettent donc l’hypothèse suivante : « En 2004-2005, la proportion totale de femmes diplômées (4,6 %) était en effet semblable à celle de 1999-2000 (4,7 %), ce qui laisserait croire qu’il y a eu un certain désintérêt des femmes pour ces programmes de formation. »

Par ailleurs, des chiffres plus récents fournis par le l’MELS indiquent que le nombre de diplômes remis en formation professionnelle dans les programmes d’études liés au domaine de la construction a augmenté de 2005 à 2010. Toutefois, malgré une légère fluctuation au cours de cette période, le nombre de femmes diplômées est passé de 279 en 2005 à 277 en 2010. À noter également qu’en 2009 les femmes étaient seulement 251 à obtenir un diplôme. En outre, le taux de diplômées qui était de 4,1 % en 2005 a chuté à 3,5 % en 2010. Donc, malgré une légère hausse de diplômées pendant la période 2005-2010, la proportion de femmes qui ont alors obtenu un diplôme a baissé.

Tableau 3.2 Nombre de diplômes remis en formation professionnelle dans les programmes d’études liés au domaine de la construction selon le sexe, 2005-2010
Année Femmes Hommes Total Proportion (%) de femmes
2005 279 6 231 6 784 4,1
2006 312 6 547 6 859 4,5
2007 323 7 051 7 374 4,4
2008 288 6 951 7 239 4,0
2009 251 7 033 7 284 3,4
2010 277 7 673 7 950 3,5

Source : l’MELS (données provisoires au 17 janvier 2012).

Un processus d’orientation scolaire et professionnelle ne s’arrête pas avec l’entrée dans un programme d’études, mais il se poursuit tout au long du parcours de formation. En effet, pour plusieurs élèves, l’expérience scolaire constitue un test de réalité qui consolidera ou, au contraire, fragilisera le choix d’orientation initial. Dans un article portant sur l’orientation des filles vers des métiers non traditionnels en sciences et en technologies, on rappelle que les projets professionnels vers des domaines non traditionnels apparaissent toujours fragiles pour la majorité des filles qui y étudient (Szczepanik, Doray et Langlois, 2009 : 13).

Lorsqu’une fille commence une formation dans un programme d’études lié au domaine de la construction, rien ne garantit qu’elle se rendra jusqu’au bout de son parcours. Selon Annie Richard, psychoéducatrice à l’EMOICQ, les élèves qui ont confiance en elles et qui comprennent bien tous les aspects du métier ont le sentiment d’être à leur place. Par ailleurs, celles dont le choix est moins solide, et qui éprouvent des difficultés relativement aux apprentis- sages, seront tentées d’abandonner leur projet.

Dans les programmes d’études liés aux métiers de la construction, il existe un cours consacré à l’exploration des caractéristiques du métier ciblé et de la réalité des chantiers de construction. Jusqu’à maintenant, aucun des contenus proposés dans ce cours ne faisait référence aux problèmes particuliers vécus par les femmes. Dans le bilan des différentes mesures du PAE, réalisé par la CCQ en 2012, on mentionne, dans les constats et les recommandations de la mesure 4 proposée en 1997 (« Développer un cours qui devra être suivi dès la première session et qui porterait sur la réalité du métier »), que cette mesure a été partiellement réalisée. Par ailleurs, en 2012, lors de la refonte d’un des modules de ce cours, un volet traitant le harcèlement a été ajouté. Toutefois, la CCQ recommande ceci :

La relance du PAE [dans le domaine de la construction] prévue au printemps 2013 devra tenir compte des attentes encore présentes à ce sujet, surtout afin de présenter la réalité actuelle sur les chantiers, de promouvoir des outils facilitant l’intégration et le maintien des femmes sur les chantiers ainsi que des outils favorisant la gestion d’équipes mixtes (CCQ, 2012a : 18).

Les principaux obstacles auxquels les filles font face pendant leur formation s’apparentent aux difficultés qu’elles devront surmonter lorsqu’elles seront sur les chantiers. Comme dans bien des occupations traditionnellement masculines, la majorité de ces obstacles sont liés à leur statut minoritaire dans les groupes : isolement, harcèlement sexuel ou sexiste, obligation de prouver leurs compétences pour être acceptées par leurs confrères et préjugés de certains enseignants (l’MELS, 2005 : 53). De plus, quelques-unes d’entre elles devront apprendre à jongler avec la dure réalité de la double tâche, soit de concilier les responsabilités familiales avec les exigences des études.

Annie Richard, psychoéducatrice à l’EMOICQ, constate que les filles subissent plus souvent du harcèlement sexiste que du harcèlement sexuel : « Les plaintes concernent plus les jokes des gars qui, au départ, sont tolérées par les filles, mais qui, à la longue, les mettent dans une situation où elles ne savent plus comment réagir, et là, ça saute! Les filles qui sont plus solides, plus sûres d’elles remettent les gars à leur place dès le début, et ça marche. » Annie Richard rapporte environ deux plaintes par année qui touchent le harcèlement. Celles-ci sont directement acheminées à la direction. Ultimement, une plainte peut conduire à la suspension de l’élève fautif. « Ici, à l’EMOICQ, le harcèlement, c’est tolérance zéro », affirme son directeur, Martin Durocher, en place depuis sept ans. Toutefois, il se souvient d’un cas où il a dû intervenir personnellement :

Un jour, une jeune fille, en fait une très jeune étudiante en systèmes de sécurité, est venue me voir en pleurant dans mon bureau. Elle se faisait traiter de salope à chaque fois qu’un de ses collègues la croisait dans un corridor de l’école. J’ai alors décidé de rencontrer personnellement chacun des groupes du programme de systèmes de sécurité. Je suis entré dans la classe où ils étaient tous en train de travailler et je les ai regroupés pour leur dire ce qui s’était passé avec la jeune étudiante. Je leur ai dit : « Je ne sais pas c’est qui, mais ce n’est pas acceptable. Si c’était votre sœur, votre blonde, est-ce que vous accepteriez cela? Parce que c’est une étudiante, on va accepter ça? Non. » Et le harcèlement a cessé. La jeune fille a terminé son cours et maintenant elle travaille dans son domaine. Mais quand c’est arrivé, elle voulait lâcher, elle n’était plus capable d’endurer ça. On a fait une intervention, on a réagi sur le coup, on a fait confiance à l’intelligence des gens pour s‘amender. Mais je vous dirais que, lorsque c’est le directeur qui intervient, ça compte, car normalement ce sont mes adjoints qui vont dans les classes. Les élèves me voient de temps en temps et ils me connaissent, mais quand le directeur vient dans ta classe et qu’il arrête le cours pour dire : « Qu’est-ce qui se passe là? », je peux vous dire que ça a un impact!

La position que la direction et le personnel de l’école adopteront à l’égard du harcèlement sexuel et sexiste sera déterminante. En fait, il semble que les comportements tolérants ou intolérants des directions envers cette problématique constituent la norme pour qualifier une attitude ou un comportement d’acceptable ou d’inacceptable (Dumont, 2001 : 26).

À cet effet, dans l’agenda de l’EMOICQ, qui est remis à chaque élève au début de l’année scolaire, sont inscrits les règlements de l’école à respecter et les comportements qui ne sont pas tolérés, dont le harcèlement. De plus, avant de commencer son programme, chaque élève doit signer qu’il ou elle accepte ces règles de vie.

Comme c’est souvent le cas sur les chantiers, les filles qui en sont à l’étape de leurs études doivent d’abord faire la preuve de leurs compétences avant d’être acceptées par leurs confrères. Selon les observations d’Annie Richard, les filles manquent souvent de crédibilité aux yeux de leurs confrères :

Les élèves en formation doivent régulièrement former des équipes pour réaliser les travaux pratiques, et il n’est pas rare que les gars refusent de faire équipe avec une fille, même si cette dernière est performante. D’emblée, ils ne font pas confiance aux filles. Toutefois, après un certain temps, lorsque l’étudiante a fait ses preuves, les garçons acceptent alors de travailler avec elle.

En général, les filles qui étudient dans des programmes d’études non traditionnels sont studieuses et performantes (l’MELS, 2005 : 12). Cependant, elles ont tendance à vouloir en faire plus que ce qui est attendu pour ainsi prouver qu’elles sont aussi compétentes que les garçons. En outre, elles manquent parfois de confiance dans leurs capacités, en particulier dans les cours pratiques :

Lorsque j’ai commencé à l’école, il y avait beaucoup de cours théoriques, et ça allait. Mais quand les cours pratiques ont débuté, je suis devenue très anxieuse. Je me disais : « Les gars vont m’observer, me surveiller, il va falloir que je sois à la hauteur, que je fasse mes preuves. » J’étais donc très nerveuse. (Hélène, élève en charpenterie-menuiserie, citée dans Dumont (2001 : 71)).

De l’école au chantier

Pour le directeur de l’EMOICQ, chacune des élèves a toutes les compétences qu’il faut pour exercer son métier sur les chantiers. Toutefois, il reconnaît qu’il y a tout un monde entre ce qu’elles vivent à l’école et ce qui les attend sur les chantiers :

Est-ce que les filles sont bien préparées à affronter la dure réalité du monde de la construction? La vraie question est : Comment peut-on vraiment préparer les filles à subir tout ça : les commentaires déplacés et ce genre de choses-là? Ce qu’on essaie de faire ici, c’est de bannir ces comportements. Mais ce faisant, les filles n’apprennent pas à gérer ce genre de situations par la suite. Alors, qu’est-ce qu’il faut faire? Ici, on a un bout de la chaîne, mais on n’a pas toute la chaîne.

Martin Durocher reconnaît que l’école pourrait offrir plus de soutien aux filles dans le contexte d’activités structurées, mais, pour y arriver, il faudrait davantage de ressources :

Les gens qui travaillent ici donnent déjà leur 100 % avec des dépassements d’horaire. Alors, en rajouter, cela devient gênant. Je pense que notre structure est bien, mais on pourrait s’améliorer en offrant un meilleur encadrement aux filles, avec des activités de sensibilisation. Est-ce que tout cela devrait être intégré ici? Est-ce notre responsabilité? Est-ce que l’on pourrait aborder ces questions-là dans un des volets de la formation professionnelle?

Des femmes d’influence

Il y a à peine dix ans, on ne comptait aucune enseignante dans les rangs du corps professoral de l’EMOICQ. Aujourd’hui, elles sont six, dont une qui occupe maintenant le poste de conseillère pédagogique auprès du personnel enseignant. Les filles qui y étudient apprennent à leur contact tous les rudiments du métier qu’elles ont choisi, mais le rôle des enseignantes va plus loin. En effet, elles sont aussi là pour soutenir les futures apprenties pendant toute la durée de leur formation et leur donner des outils qui faciliteront leur éventuelle intégration sur les chantiers.

Trois enseignantes ont accepté de nous rencontrer pour nous parler de leur expérience et de leur influence sur leurs élèves. Elles ont travaillé ou travaillent encore sur les chantiers, portent toutes le titre de « compagnon » et sont fières d’enseigner à l’EMOICQ.

− Sophie, plâtrière et enseignante de plâtrage

Sophie est une jeune femme volubile, rieuse et visiblement passionnée par son métier. À 37 ans, elle partage son temps entre l’enseignement, les chantiers et sa vie de mère à la tête d’une famille monoparentale de deux enfants. Elle nous accueille dans les ateliers de l’EMOICQ.

Le Conseil : Qu’est-ce qui vous a amenée à devenir enseignante?

Sophie : J’étais dans une période de changement et je venais de me séparer de mon conjoint. Je pensais que ce serait une belle avenue pour moi. Quand moi j’étais élève ici, je n’avais pas de modèle féminin et j’aurais vraiment aimé ça avoir une fille qui arrive des chantiers pour m’enseigner!

Vos élèves ont réagi comment quand vous vous êtes présentée la première fois en classe?

Je pense que tous les élèves essaient de tester la limite d’un enseignant, qu’il soit un homme ou une femme. C’est certain que j’avais des craintes parce que je me disais tout le temps : « Tu pars avec deux prises, Sophie : nouvelle enseignante et une fille, alors tu as intérêt à ne pas te planter, parce que tu vas être retirée! » J’étais pas mal stressée la première journée, alors j’ai décidé de leur parler de moi, de mon expérience. Je leur ai donné ma vision du métier de plâtrière, de ce qui se passe sur les chantiers.

Avez-vous des étudiantes dans votre classe?

Une seule fille et 21 gars. La première journée quand je parlais de mon expérience sur les chantiers, j’en ai profité pour dire à ma classe : « Maintenant les gars, vous allez m’excuser parce que je vais m’adresser à la fille du groupe pour qu’elle sache c’est quoi la réalité d’une femme sur un chantier de construction. » Je lui ai raconté par où j’étais passée pour qu’elle mais aussi pour que tous les gars de mon groupe se rendent compte qu’il y a encore beaucoup de préjugés à l’égard des femmes sur les chantiers.

Avez-vous l’impression que de dire cela va avoir un impact sur eux quand ils vont être à leur tour sur les chantiers?

Je l’espère. Quand j’étais en entrevue d’embauche avec le comité de sélection de l’EMOICQ, je leur ai dit que j’aimerais ça, comme enseignante, faire la différence pour les filles sur les chantiers. Si je suis capable de former des travailleurs qui vont respecter les filles sur les chantiers, tant mieux. J’aimerais ça avoir un impact là-dessus. Je dis à mes élèves qu’ils doivent être respectueux : avec moi, entre eux et avec les filles. C’est ça le plus important.

Les filles devraient-elles être plus au courant de ce qu’elles auront à vivre en sortant de l’école?

Oui, elles devraient le savoir. Savoir qu’elles vont se salir. La fille pour qui ses beaux ongles, c’est important, elle ne fera pas long! On ne se le cachera pas, c’est un métier difficile physiquement. Il ne faut pas chercher le trouble non plus. Si tu mets une petite camisole décolletée, attends-toi à te faire écœurer! Les gars, ils perdent leurs moyens à la vue d’un décolleté! Il faut aussi avoir une certaine force de caractère et répondre quand tu te fais dire des vacheries. Mais ça, c’est vrai autant pour les gars que pour les filles. La construction, c’est dur pour tout le monde!

Croyez-vous que c’est précieux pour votre étudiante de pouvoir venir vous parler, d’avoir des conseils?

Oui, parce que moi ça m’a manqué. Quand j’étudiais, je disais à mon prof : « Est-ce que tu en connais des femmes sur les chantiers? J’aimerais ça leur parler, leur poser des questions, connaître leur réalité sur les chantiers. » Moi, je n’ai pas eu cette chance.

Hélène Parent, carreleuse et enseignante de carrelage

Pour Hélène Parent, la construction est une passion qui lui a été transmise par son grand-père et son père. « J’ai carrément ça dans le sang », nous dit-elle d’entrée de jeu. Malgré les craintes de son père, son parcours s’est fait sans heurt. « Moi, je ne suis pas arrivée sur un chantier en me disant que j’allais changer le monde. Je me suis adaptée, point. »

Le Conseil : C’est le message que vous tentez de transmettre à vos étudiantes aujourd’hui?

Hélène : Oui. Sur les chantiers, on retrouve majoritairement des gars. On ne peut pas changer le monde. Quoique, quand on y pense, avec la vieille génération de travailleurs qui quittent peu à peu les chantiers pour faire de la place aux plus jeunes, il va y en avoir des changements sur les chantiers. La nouvelle génération est plus habituée d’étudier et de travailler avec des femmes. Je le vois ici dans ma classe. L’année dernière, j’avais seulement une fille dans mon groupe et elle n’a jamais eu de problèmes avec les gars. Il faut dire qu’elle avait une attitude chantier.

C’est quoi « avoir une attitude chantier »?

Il ne faut pas être « fifille » ni susceptible. Tu dois avoir du caractère, mais pas trop. Si tu te fais écœurer, il faut que tu répondes, mais sans être trop raide pour ne pas te mettre les gars à dos. Et puis, il ne faut jamais se construire une carapace. Tu dois toujours rester toi-même.

Ce n’est pas évident!

C’est vrai (rires). Ce que j’essaie de faire, c’est de préparer mes élèves au chantier en leur apprenant les règles qu’ils devront respecter. Je dis aux filles dès le départ que je ne veux pas voir une seule fille dans l’atelier avec un gilet qui descend en V ou un gilet « bedaine ». Je ne veux pas voir de strings, de « bobettes » ou de « craques » de fesses. Puis après ça, je me revire de bord pour parler aux gars : « Pour vous les gars, c’est la même affaire. Une fille, ce n’est pas fait en bois non plus. De toute façon, des « craques » de fesses à l’air, nous autres les filles, on trouve ça ben laid. Sur les chantiers, on les appelle les « plombiers ». Ce ne sont pas des ados dont on a besoin, on veut des hommes et des femmes qui se respectent. On va là pour travailler, pas pour se pendre après des deux par quatre, il y a une question de santé et de sécurité là, une question d’échéancier à respecter, une question de production et une question de sous. Je leur dis qu’il y a des affaires de part et d’autre qui ne se font pas. Moi, je joue tout le temps cette game-là, des deux côtés.

Martine, électricienne et conseillère pédagogique

Première femme à être engagée en 2003 comme enseignante au Pavillon technique, Martine prend très au sérieux son nouveau rôle de conseillère pédagogique qu’elle exerce depuis maintenant un an auprès de ses anciens collègues. Sa porte est toujours ouverte. À preuve, nous serons interrompues à quelques reprises pendant notre entretien par des questions d’horaire ou de gestion de classe, auxquelles Martine s’appliquera à répondre avec patience.

Le Conseil : Qu’est-ce qui vous amenée à laisser l’enseignement pour devenir conseillère pédagogique?

Martine : C’est le directeur qui me voyait là. J’avais une gestion de classe irréprochable, et il appréciait que je travaille non seulement sur les apprentissages des élèves, mais aussi sur leurs attitudes en classe. Alors, il m’a demandé de soutenir les enseignants pour qu’ils développent eux aussi leur savoir-être avec les élèves, notamment avec les étudiantes. Les enseignants ont été longtemps sur les chantiers dans leur monde de gars. C’est normal pour eux de faire des farces sur les femmes et de mettre en doute leurs capacités de travailleuses. Alors, on part de loin. Mon rôle est de leur donner une autre façon de voir et de faire les choses. J’y vais tranquillement.

Est-ce que cela a vraiment un impact?

Oui. Il y a plus de compréhension de leur part, et ils apprennent à ne pas être trop « doudounant » avec la fille.

« Doudounant »?

Protecteur. Il ne faut pas que l’enseignant prenne la fille sous son aile, sinon il passe le message au groupe qu’elle n’est pas aussi capable qu’un gars. Il ne faut pas non plus qu’ils pensent que la fille ne sera jamais capable, qu’elle va abandonner. Il faut que l’enseignant apprenne à doser ça. Moi, je leur dis : « Quand la fille va arriver sur le chantier, il faut qu’elle ait les mêmes notions que le reste du groupe, qu’elle ait appris à se débrouiller. Alors, tu la traites correctement, avec respect et surtout, pas de farces sexistes! » Je fais aussi beaucoup de sensibilisation pour leur faire comprendre qu’une fille a autant sa place ici qu’un gars. Cette année, on a une nouvelle étudiante en toiture, c’était la première! Les enseignants sont emballés.

Est-ce que les gars ont l’impression de perdre quelque chose avec l’arrivée des filles, de ne plus pouvoir faire des jokes comme avant, de perdre leur place en quelque sorte?

Je pense que oui. Ils ont un deuil à faire. Des fois, quand je vais dîner avec eux autres, ils disent : « Ah! non, pas Martine, on ne pourra pas parler de nos affaires de gars à midi ! »

Est-ce que vous croyez que la présence d’enseignantes a un impact sur les étudiantes?

Oui, et il devrait en avoir plus! Ce serait une des solutions pour que les filles se sentent plus à leur place dans les métiers de la construction que d’avoir des modèles de femmes dès qu’elles sont en apprentissage. Avoir des modèles quand on est à l’école, c’est merveilleux. On se souvient de nos modèles, au primaire et au secondaire. Pourquoi on ne se souviendrait pas de ceux en formation professionnelle? Moi, je pense que j’ai eu un impact sur les filles comme enseignante : l’estime, la confiance que j’ai pu travailler avec elles comme avec les gars d’ailleurs! Je crois que j’ai pu avoir un impact positif sur mes étudiantes. À preuve, aux dernières nouvelles, elles travaillent encore!

Selon vous, quelles sont les principales difficultés que vivent les filles à l’école?

Prendre leur place! Elles ont 20 ou 22 ans et elles ne savent pas comment prendre leur place. Elles font ça tout croche. Dès qu’un gars les agace un peu, elles les insultent. J’ai travaillé beaucoup avec les filles là-dessus parce qu’elles s’imaginent que, prendre leur place, c’est agir comme les « gars de chantier ». Je leur dis : « Eh! Tu n’es pas Rambo là! Tu es une femme, tu as à prendre ta place, mais fais-le avec respect. Le respect amène le respect. »

Est-ce que les filles ont l’occasion de se rencontrer, de discuter entre elles de ce qu’elles vivent à l’école?

Au début de chaque session, la psychoéducatrice organise une rencontre avec les nouvelles étudiantes et les enseignantes. De mon côté, à tous les deux mois, je fais un « dîner pizza » avec les filles inscrites au programme en électricité. C’est l’occasion pour elles d’échanger et pour moi de leur donner quelques petits conseils. C’est important qu’elles puissent tisser de liens entre elles, et puis elles en profitent pour ventiler. Tu sais le « presto », la petite soupape, il faut que ça sorte, la pression! En ce moment, il y a 14 groupes en électricité qui comptent huit filles. Certaines se retrouvent deux par groupe, mais d’autres sont seules dans leur classe. Alors, de se retrouver comme cela leur permet de créer une sorte d’unité et de se comprendre. Et, si elles vivent des problèmes, elles ne resteront pas toutes seules avec ça. Je sais ce que c’est, je l’ai vécu sur les chantiers et c’était difficile : « À qui je parle? » Je me suis souvent posé cette question-là...

Est-ce que vous diriez que, pour les femmes en construction, c’est ça le plus dur : l’isolement?

Oh oui! Oh oui! Tu vis des choses difficiles et, en plus, tu t’imagines que c’est toi qui n’es pas correcte. Tu es tout le temps en train de te remettre en question. Alors, je me dis que, moi, je peux faire la différence avec les étudiantes pour ne pas qu’elles se découragent. Pour réussir, les filles doivent avoir confiance en elles, mais il faut aussi que les mentalités changent.

Que voulez-vous dire?

Pour moi, c’est un problème de société. C’est la société qui n’est pas encore capable de voir des femmes dans des milieux non traditionnels. J’ai déjà entendu quelqu’un de mon entourage dire que les femmes n’avaient pas leur place dans la police! Je pense que tout le monde croit que les filles n’ont pas la force, qu’elles n’ont pas le profil pour exercer ces métiers-là. On entend parler du power femelle.

C’est quoi ça?

Il y aurait trop de femmes sur le marché du travail par rapport aux hommes. Ils [hommes] se font enlever leur place! MAIS QUELLE PLACE? « Tu es né gars et tu avais une place et moi comme femme, je n’en ai pas? » C’est tout cela qui va falloir changer. Ça part de loin. Je pense aux filles qui sont en train d’étudier et qui performent très bien. Elles sont les meilleures ici pour le montage de panneaux électriques. Elles sont minutieuses, déterminées et habiles dans les tâches qui exigent de la logique. Je ne dis pas cela parce que je suis une fille, les enseignants le pensent aussi. Pourtant, elles vont avoir beaucoup de misère à se trouver un emploi en sortant. Je ne suis pas certaine qu’elles vont toutes passer au travers. Ce n’est pas juste. Vraiment pas juste.

Les obstacles en recherche d’emploi

Le passage de l’école au travail est certainement la période la plus difficile du parcours des femmes qui souhaitent travailler dans un secteur majoritairement masculin (l’MELS, 2005 : 37). Le peu de possibilités d’embauche constitue, avec les faibles perspectives d’avancement, la principale raison pour laquelle les femmes quittent les métiers de la construction (Agapiou (2002) et Fielden et autres (2000), cités dans Dugré (2006 : 44)).

Pour la plupart des élèves inscrites à un programme d’études lié au domaine de la construction, l’étape de la formation se déroule plutôt bien. Elles y sont soutenues, encouragées et, dans un sens, encore à l’abri d’une certaine discrimination. Malgré les difficultés qu’elles peuvent éprouver dans un environnement où elles sont minoritaires, la majorité d’entre elles termineront leur formation dans un milieu protégé et sécurisant à leur égard. Toutefois, arrivées au terme de leur apprentissage, elles se trouveront bien seules pour affronter l’étape suivante de leur parcours : la recherche d’un emploi. En effet, comme le confirme Julie Brunelle, conseillère d’orientation à l’EMOICQ, il n’y a pas de mesures particulières pour les finissantes des programmes d’études liés au domaine de la construction.

Cependant, dans les contenus de certains programmes qui donnent accès à un diplôme d’études professionnelles lié au domaine de la construction, tels que charpenterie-menuiserie ou carrelage, 15 heures de formation sont réservées pour permettre à l’élève d’acquérir la compétence intitulée « Utiliser des moyens de recherche d’emploi ». On y présente les techniques habituelles de recherche d’emploi et de l’aide est apportée pour la rédaction d’un curriculum vitæ. Dans le programme de carrelage, l’enseignante Hélène Parent oblige ses élèves à rencontrer au moins quatre employeurs. L’année dernière, sur ses 22 élèves, c’est la fille du groupe qui est arrivée la première avec une garantie d’emploi de 150 heures. Cependant, ce succès rapide ne semble pas être la norme pour les finissantes, du moins selon la psychoéducatrice de l’EMOICQ, Annie Richard. D’après elle, la recherche d’emploi pour les finissantes est souvent très ardue, car les employeurs ne croient pas qu’elles possèdent les compétences pour exercer un métier de la construction même si elles ont bien réussi leur programme d’études. Annie Richard se souvient d’une élève en carrelage, compétente et précise qui, pourtant, a été la dernière de sa classe à se placer malgré les recommandations chaleureuses de son enseignant. Elle témoigne :

Deux de ses confrères ont été embauchés avant elle, même s’ils démontraient de sérieux problèmes d’attitude. Au final, ces étudiants ont conservé leur emploi deux semaines. En désespoir de cause, l’étudiante a finalement offert à un employeur de l’embaucher sans salaire pendant deux jours à condition qu’elle soit engagée s’il était satisfait de son travail. L’employeur a accepté son offre et, après les deux journées d’essai, il a gardé la travailleuse qui, aujourd’hui, est encore à son emploi.

Pour la psychoéducatrice, les garçons sont plus avantagés que les filles au moment de la recherche d’emploi :

Les gars ont plus de réseaux, connaissent plus de monde que les filles dans la construction. Pour se trouver un emploi sur un chantier, il faut se présenter en tenue à six heures et demie et demander à voir le contremaître. Avec les gars, ça fonctionne comme démarche, mais pour les filles, c’est en général plus difficile.

De fait, le principal obstacle auquel font face les finissantes en recherche d’emploi réside dans la difficulté de rencontrer les employeurs. Il leur faut une dose impressionnante de détermination et une persévérance à toute épreuve afin de franchir les multiples barrières qui se dressent devant elles avant de pouvoir atteindre les employeurs. Au moment où Sophie Vézina termine sa formation de plâtrière, elle multiplie les appels téléphoniques dans l’espoir de décrocher un emploi : « J’ai eu vraiment de la misère. On me demandait si je cherchais du travail pour mon chum et lorsque je disais que c’était pour moi, on me raccrochait quasiment la ligne au nez! » Après avoir sérieusement songé à retourner travailler dans son ancien métier de caissière, Sophie décide de changer de stratégie. Elle prend alors son courage à deux mains et se rend directement sur les chantiers pour offrir ses services. Elle a essuyé un bon nombre de refus avant de rencontrer enfin un employeur prêt à l’embaucher. Mais l’histoire ne s’arrête pas là :

L’employeur me rappelle pour me dire qu’il ne pouvait pas m’embaucher parce que son compagnon ne voulait pas travailler avec une fille. Je lui ai alors dit : « C’est qui le boss? Vous ou lui? » (Je n’avais plus rien à perdre rendue là!) L’employeur a fini par me dire que son compagnon l’avait menacé d’aller travailler ailleurs si jamais il faisait rentrer une fille. Il a conclu la conversation en me disant qu’il n’avait pas le choix.

Comme dans tous les métiers traditionnellement masculins, les chercheuses d’emploi dans le domaine de la construction qui réussissent à rencontrer des employeurs doivent, par la suite, tenter de les convaincre qu’elles seront en mesure d’accomplir le travail afin d’éliminer les préjugés à leur égard (CIAFT, 2012 : 35). Ces préjugés sont bien connus : les femmes n’ont pas la force physique et les compétences requises pour faire le travail; elles devront s’absenter plus souvent du travail que les hommes en raison de leurs obligations familiales, de possibles retraits préventifs et de congés de maternité; elles vont « semer le trouble » dans les équipes de travail : « La présence des femmes sur les chantiers de construction, c’est trop distrayant pour les gars. Ce n’est pas bon », nous a même affirmé un chef de chantier à Baie-Comeau.

À l’instar de bien des finissantes, Sophie Vézina a finalement décidé de prendre les grands moyens et d’offrir ses services sans solde pour une journée afin de prouver aux employeurs qu’elle était capable de faire le travail aussi bien qu’une recrue masculine :

J’étais tellement enragée. C’est ça que je veux faire dans la vie, et ce n’est pas vrai que je vais me laisser tasser de même! Je suis arrivée sur le chantier et j’ai dit : « Je suis prête à vous montrer ce que je suis capable de faire : si cela ne fait pas votre affaire, alors je m’en retourne chez nous, et vous ne me devrez rien. » J’ai commencé à tirer les joints. J’étais un peu stressée et je me suis dit : « Là, Sophie, ça passe ou ça casse, il faut que tu opères! » J’ai fait ma job et ensuite je suis allée voir l’employeur pour lui demander si ça faisait son affaire :

Pis, me gardez-vous?

Ça va bien la petite, tu continues, tu vas finir la job.

Oh! Yeah!

Sophie Poulin, diplômée en charpenterie-menuiserie à Montréal, a eu moins de chance. Elle a cherché du travail pendant plus de six mois pour finalement baisser les bras. Elle travaille aujourd’hui en gestion dans un magasin de la métropole. « Je ne retournerai plus jamais dans le domaine de la construction », précise-t-elle. Sophie Poulin était pourtant une première de classe en formation professionnelle. « J’étais même prête à faire des tâches de finition et à passer le balai pour commencer quelque part », avoue-t-elle. On l’avait avertie que sa recherche d’emploi serait difficile : « J’aurais eu besoin d’aide et de support pour me préparer à me présenter en personne sur les chantiers », dit-elle, à regret.

Les écoles de formation n’offrent pas toujours des services destinés précisément aux filles inscrites aux programmes d’études liés au domaine de la construction. En outre, bien que la majorité des intervenantes et des intervenants soit convaincue de l’importance de soutenir les filles dans leur parcours vers un emploi dans le domaine de la construction, on laisse souvent entre les mains des diplômées la responsabilité de développer leurs propres stratégies de réussite pour faire leur place sur le marché du travail. Ne faut-il pas, en fonction de ce qui les attend sur les chantiers, que les diplômées apprennent dès maintenant à ne compter que sur elles-mêmes, sur leur force de caractère et sur leur propre détermination?

Le projet femmes, de l’école au chantier

En 1999, l’EMOICQ, en collaboration avec le l’MELS, la CCQ et l’organisme d’aide à l’employabilité Centre Étape de Québec, mettait en place le projet régional Femmes, de l’école au chantier dans le but d’encourager les filles à étudier et à persévérer dans un programme d’études lié aux métiers de la construction. Ce projet novateur comportait différents axes d’intervention :

Une conseillère d’orientation a été embauchée, dont toutes les énergies étaient consacrées à la réalisation de ce mandat. En 2005, le projet Femmes, de l’école au chantier s’inscrivait dans les projets novateurs du l’MELS15 pour développer un volet d’action supplémentaire, soit offrir aux 34 finissantes de la cohorte 2004-2005 de l’EMOICQ un service de suivi et de soutien pour leur intégration en emploi. De plus, des rencontres de sensibilisation auprès des employeurs et des représentants syndicaux ont été organisées.

Aujourd’hui, Julie Brunelle, conseillère d’orientation à l’EMOICQ, confirme que le projet Femmes, de l’école au chantier n’existe plus. La conseillère s’occupe maintenant des tâches administratives en rapport avec les inscriptions de tous les élèves, et c’est la psychoéducatrice qui assure le suivi des filles, plus au cas par cas.

Dans un centre de formation professionnelle comme celui de l’EMOICQ, il y a toujours une personne qui, en plus de sa charge de travail, doit s’occuper du dossier des femmes dans les métiers traditionnellement masculins. Comme nous l’a mentionné le directeur actuel, les horaires déjà chargés de ces personnes ne leur permettent pas de consacrer beaucoup de temps à ce dossier en particulier. C’est pourquoi, comme le croyait le directeur de l’époque, Denis Lemieux, l’instigateur du projet Femmes, de l’école au chantier, pour attirer plus de filles dans les programmes d’études liés au domaine de la construction, les aider à s’y maintenir et les soutenir dans leur intégration en emploi, il faut y consacrer des ressources particulières (Dumont, 2001 : 65).

À cet effet, il faudrait envisager que ce type de projet soit reconduit à l’EMOICQ mais aussi dans toutes les écoles de formation professionnelle qui offrent des programmes d’études liés au domaine de la construction et qu’une personne qualifiée se consacre aux activités de promotion, de soutien et d’intégration proposés aux jeunes filles et aux femmes. Un projet comme Femmes, de l’école au chantier permet non seulement d’augmenter le nombre de femmes en formation, mais il rejoint aussi la mission éducative des établissements d’enseignement qui est de développer les compétences de la main-d’œuvre spécialisée en construction, mais aussi d’influencer les valeurs et les attitudes de ses élèves, garçons ou filles, de son personnel ainsi que de tous ses partenaires du milieu de la construction, syndicats et employeurs.

Pour vraiment songer à obtenir des résultats probants et durables, il faut également que tous les acteurs et actrices soient touchés, en amont comme en aval de cette chaîne éducative : les jeunes filles et les femmes elles-mêmes, les parents, la direction et le personnel scolaire (formation générale et formation professionnelle), les organismes d’employabilité pour les femmes, le personnel d’Emploi-Québec, les employeurs et les syndicats. Les organisations et les ministères visés doivent aussi apporter leur soutien logistique et financier pour que des projets intégrés comme le projet Femmes, de l’école au chantier reprennent du service à une plus grande échelle tout en leur assurant une certaine pérennité. En d’autres mots, ce genre de projet, pour être efficace, ne peut être ponctuel : il doit bénéficier de ressources humaines et financières récurrentes.

3.5. Les obstacles en emploi

Les employeurs ont un rôle crucial à jouer pour faciliter l’intégration des femmes et leur maintien sur les chantiers de construction. Il n’est pas suffisant pour eux d’embaucher des femmes : ils doivent surtout s’assurer que, par la suite, elles seront bien accueillies et formées de manière appropriée. De plus, les employeurs doivent soutenir les travailleuses au moyen de mesures et de politiques connues de tous et de toutes pour protéger leur santé et leur sécurité au travail, pour contrer le harcèlement sexuel et sexiste de même que pour faciliter la conciliation travail-famille. La plupart des travailleuses que nous avons rencontrées confirment que l’employeur détient le pouvoir de les embaucher certes, mais aussi de faciliter, ou non, leur intégration au milieu de la construction.

Par ailleurs, de nombreuses travailleuses nous ont confirmé le manque d’engagement et de soutien de leurs représentants syndicaux lorsqu’il est question de défendre leurs droits et de dénoncer la discrimination dont elles sont souvent victimes sur les chantiers. C’était d’ailleurs ce que révélait l’enquête Construire avec elles réalisé en 2008 auprès de travailleuses de la construction :

La discrimination que vivent les femmes dans les métiers de la construction est systémique. Même les organisations syndicales, qui défendent les droits des travailleurs et des travailleuses, ont beaucoup à faire dans leurs propres rangs pour s’assurer du respect des droits des femmes au travail dans le domaine de la construction (Quirion, 2008 : 9).

À l’heure actuelle, les principales difficultés que vivent les travailleuses de la construction en emploi sont : 1) les préjugés des employeurs et des collègues de travail; 2) des mesures et des politiques inadaptées en matière de santé et de sécurité au travail; 3) le harcèlement sexuel et sexiste; et 4) l’absence de mesures pour concilier le travail et la famille. Sans surprise, tous les préjugés à leur égard, déjà mis en évidence durant leur formation et leur recherche d’emploi, les rattraperont en force. En outre, le manque de confiance des employeurs dans leurs capacités, en particulier en ce qui a trait à leur force physique, est courant en emploi et largement partagé par leurs collègues masculins.

Le manque de force physique : un préjugé qui exclut les femmes des chantiers

« Pourquoi les femmes n’auraient-elles pas leur place dans les métiers de la construction? C’est une question de culture. Ce n’est pas physique, c’est sociologique », affirme une travailleuse de la construction (CSC, 2010 : 139).

Évoquer le manque de force physique des femmes pour exercer un métier de la construction demeure certainement le préjugé le plus tenace chez les employeurs, les travailleurs et même dans la population en général. C’est assurément le principal obstacle que rencontrent les femmes au moment de l’embauche. De nombreux employeurs hésitent à embaucher des femmes, car ils craignent qu’elles ne soient pas en mesure d’assumer toutes les tâches, en particulier celles qui exigent une certaine force physique.

Sophie, plâtrière et enseignante de plâtrage à l’EMOICQ, témoigne des réticences de certains employeurs :

J’ai eu de la misère. Quand je cherchais de l’ouvrage on me demandait : « Pourquoi, tu veux faire cette job-là? » Je répondais alors : « Pourquoi pas? »

Vas-tu être capable de lever des caisses de ciment?

Mais je l’ai fait à l’école, je ne verrais pas pourquoi je ne pourrais pas le faire sur un chantier.

Oui, mais ce n’est pas pareil à l’école et sur les chantiers.

C’est quoi qui n’est pas pareil? Les choses pèsent le même poids, sur les chantiers comme à l’école!

Oui, mais c’est dur, tu vas voir. À l’école, tu levais peut-être seulement une caisse, mais ici tu vas en lever une dizaine par jour.

J’imagine qu’on doit s’habituer. Les premières que tu as levées, tu as dû les trouver pesantes, mais à un moment donné elles ne doivent plus l’être. Donne-moi le temps de m’habituer.

Moi, je n’en voyais pas de problèmes.

Selon le président de la FTQ-Construction, pour certains employeurs, embaucher une femme plutôt qu’un homme est perçu comme moins rentable, car, pour exécuter les tâches plus dures physiquement, elles devront se faire aider par un collègue. Il ajoute :« Il y a des gars qui ont tendance à être protecteurs avec les femmes sur les chantiers, ce qui va à l’encontre du principe travail égal, salaire égal. »

À ce sujet, Karyne Prégent, charpentière-menuisière et représentante de la condition féminine à la CSN-Construction, souligne qu’il faut simplement bien gérer ce genre de situation :

Avec les collègues qui nous défendent, il faut faire attention que cela ne devienne pas du paternalisme. Les deux premières années, j’ai été obligée d’en parler avec un collègue. Parce que, là, il tombait dans : « C’est trop lourd pour toi, je vais le faire. Je vais le faire pour toi. » Ils veulent nous protéger. Oui, c’est le fun d’avoir quelqu’un qui te back, quand il arrive des choses. Mais il ne faut pas non plus que tu laisses quelqu’un faire tout ce qui est difficile à ta place et que cela tombe dans le paternalisme. L’intention est bonne, mais le résultat est néfaste parce que de un, tu ne peux pas apprendre et de deux, tu ne peux pas prouver ce que tu vaux et de trois, tu viens confirmer tous les maudits préjugés de tous les collègues et employeurs.

Geneviève Dugré, auteure de l’ouvrage Travailleuses de la construction, renchérit :

Les femmes qui travaillent sur les chantiers, à l’instar de celles qui œuvrent dans d’autres métiers traditionnellement masculins, développent tout un éventail de stratégies ingénieuses, efficaces et sécuritaires qui leur permettent souvent de compenser une moins grande force physique. Il arrive aussi que certaines travailleuses demandent de l’aide à leurs coéquipiers, mais ce n’est pas la majorité d’entre elles, car elles ne veulent surtout pas de traitement de faveur ou pire que l’on remette en question leur capacité à faire le travail au même titre que leurs collègues masculins (Dugré, 2006 : 83).

Selon Francine Burnonville, sociologue et auteure d’une étude réalisée par le Service de la condition féminine de la FTQ, les difficultés que vivent les femmes dans les métiers non traditionnels sont davantage liées aux relations interpersonnelles qu’aux tâches à accomplir. L’aspect le plus dur pour les travailleuses est la négation plus ou moins subtile de leur droit au travail. De plus, se faire répéter qu’elles ne sont pas à leur place mine leur moral et les épuise psychologiquement.

Contrairement à ce que certains mythes véhiculent, les exigences liées à la force physique ne constituent pas un motif d’abandon pour la majorité des travailleuses de la construction interrogées à l’occasion d’un sondage réalisé par la CCQ en 2004. En effet, bien que pour certaines d’entre elles, comme pour bien des hommes d’ailleurs, les mauvaises conditions de travail ou l’instabilité d’emploi dans le domaine de la construction puissent les inciter à quitter ce secteur, c’est la discrimination qu’elles subissent dans ce milieu qui constituerait le premier facteur de désertion (CCQ, 2008).

Depuis toujours, la division sexuelle du travail a trouvé sa justification dans la prétendue supériorité des hommes à exécuter des tâches exigeant de la force physique. Aujourd’hui, malgré une certaine évolution, le stéréotype de la fragilité physique féminine perdure. Selon la thèse développée par Colette Dowling, auteure de l’ouvrage intitulé Le mythe de la fragilité (2001), les hommes ne sont pas naturellement plus forts que les femmes, mais ils ont été entraînés socialement à le devenir. Selon elle, on encourage davantage les garçons que les filles à développer leur endurance et leur masse musculaire. Ainsi, elle cite Mary Woollstonecraft16 qui affirmait déjà à la fin du XVIIIe siècle dans son ouvrage Défense des droits de la femme : « Ce n’est que lorsque les femmes auront les mêmes chances de développer leur potentiel physique qu’on saura jusqu’où s’étend la supériorité naturelle de l’homme. »

La femme fragile et l’homme fort

« Deux silhouettes apparaissent dans le paysage hominien : celle de l’homme redressé l’arme haute, affrontant l’animal, celle de la femme courbée sur l’enfant ou ramassant le végétal17… » Nous sommes ici à l’ère glaciaire, où l’on imagine, dans le fond d’une caverne, une femme qui attend, soumise et docile près du feu, que son compagnon revienne d’une chasse fructueuse au mammouth. Une image qui en dit long sur notre perception de la division sexuelle du travail qui régnait à l’époque du paléolithique! Toutefois, en 1998, les recherches d’une équipe d’archéologues américains viennent bouleverser cette vision des choses. En effet, Olga Soffer, une des sommités mondiales sur les chasseurs-cueilleurs de l’ère glaciaire, a découvert que les femmes et les enfants participaient activement à la chasse au filet pour attraper le gros gibier (Dowling, 2001 : 23). Cette découverte a de nombreuses implications, dont celle de remettre en question la croyance, que de tout temps, la survie des femmes et des enfants dépendait entièrement de la force des hommes. De toute façon, pour la scientifique, il aurait été surprenant qu’un chasseur prenne le risque de mettre sa vie en danger en traquant en solitaire une bête pesant plus de 2 750 kg avec, pour seules armes, des épieux à courte portée! « Si l’un de ces hommes du Paléolithique tuait un mammouth, et cela arrivait, ils en parlaient probablement ensuite pendant dix ans! » (Dowling, 2001 : 23). De plus, à la suite d’analyses approfondies de données archéologiques du paléolithique, le scientifique Lewis Binford conclut que nos ancêtres étaient avant tout des charognards et qu’ils chassaient surtout de petits animaux ( Vidal et Benoît-Browaeys, 2005 : 58).

En général, les hommes sont plus grands et plus forts que la majorité des femmes; toutefois, il existe aussi des hommes faibles et des femmes fortes! L’évaluation de la capacité physique d’un travailleur ou d’une travailleuse de la construction devrait se faire en fonction de sa capacité individuelle et non en fonction de son sexe. Hélène Parent, carreleuse et enseignante de carrelage à l’EMOICQ, précise : « Une femme qui s’en va en construction, il faut qu’elle choisisse un métier qu’elle va être capable de faire. Ça c’est certain. Mais c’est vrai aussi pour les gars. Ce ne sont pas tous les gars qui peuvent faire une job rough comme le béton, par exemple. »Les travailleuses de la construction que nous avons rencontrées sur le terrain avouent que travailler dans ce domaine est exigeant physiquement. Voici l’opinion de Fernande, manœuvre au chantier de la Romaine : « Moi, je me dis que chaque fille a ses limites… c’est la même chose du côté des gars dans le fond… Certains petits hommes ne peuvent pas toujours faire les travaux de certains gros hommes. »

Toutefois, plusieurs travailleuses soulignent que, dans la plupart des cas, le manque de force physique n’est pas un obstacle pour accomplir les tâches qui leur sont confiées. Par ailleurs, elles reconnaissent qu’elles doivent se garder en bonne forme physique pour être en mesure de relever les défis que représente le travail sur les chantiers. D’ailleurs, selon certaines études (citées dans Poortmans et Boisseau (2003 : 378)), les femmes qui font régulièrement des activités physiques et sportives sont en général plus fortes que les hommes sédentaires. D’autres données (citées dans Poortmans et Boisseau, (2003 : 378)) révèlent qu’un programme d’entraînement permettrait aux femmes d’augmenter de façon significative leur masse musculaire qui pourrait même, dans certains cas, dépasser celle des hommes d’âge identique non entraînés. Francis Gilbert, président de la Fédération des kinésiologues du Québec, voit la situation ainsi :

L’expérience et les démonstrations des athlètes féminins et masculins dans les sports démontrent que les hommes entraînés demeurent plus forts que les femmes entraînées. Toutefois, pour affirmer hors de tout doute que livre pour livre, un homme entraîné est plus fort qu’une femme entraînée, je crois qu’une étude rigoureuse et précise serait nécessaire.

Par ailleurs, Francis Gilbert confirme qu’une femme qui s’entraîne peut devenir plus forte qu’un homme qui ne s’entraîne pas.

Pour plusieurs travailleuses de la construction, les capacités physiques qui leur permettent de travailler sur un chantier ne sont pas exceptionnelles, mais plutôt une affaire d’entraînement. De son côté, Sophie plâtrière et enseignante de plâtrage à l’EMOICQ, a pris les moyens pour développer sa force musculaire, pour améliorer son efficacité au travail et aussi pour éviter les blessures :

Pour faire ce travail, il faut que tu aies les épaules solides. Moi, je n’avais pas ça et j’avais mal partout. Quand je suis revenue de mon congé de maternité, je me suis dit : « Là, je vais m’arranger pour avoir des épaules solides, pour assumer tout le travail que j’ai à faire. » Quand je suis allée au gym, j’ai dit à l’entraîneur : « Regarde-moi, je suis une plâtrière : je fais ça de même et de même, puis de même. Fais-moi un programme avec des exercices pour que je travaille ces muscles-là. Je monte aussi les échafauds, alors j’ai besoin aussi de faire des exercices pour les jambes. » Alors, il m’a créé un programme pour moi, pour mon métier. Quand je suis revenue au chantier, j’avais connu la job sans les muscles et après j’ai connu la job avec des muscles. Je dis à tous mes élèves, gars ou filles : « Soyez en forme! Parce que tu ne suivras pas la cadence. » Pourquoi tout le monde se blesse? Parce que les travailleurs ne sont pas réchauffés, parce qu’ils ne sont pas prêts physiquement à subir ça. Ce sont des grosses journées, tu es tout le temps debout. Les filles ne sont pas musclées comme les gars au départ. Mais, tu vois aussi des gars, qui ne sont pas tellement en forme. Par exemple, celui qui a chaud parce qu’il a un surplus de poids. Il est capable de la faire la job, mais moi je suis plus en forme. Il y a une différence là, et ce n’est pas parce que je suis une fille et que lui c’est un gars. II est moins en forme que moi, c’est tout. C’est un peu la leçon à donner à tout le monde : « Faut que vous soyez en forme, car c’est un métier qui peut être difficile. »

Cet exemple démontre bien que la force physique n’est pas seulement inscrite de manière innée dans le corps, mais qu’elle fait aussi partie d’un travail corporel qui s’inscrit dans « l’« opiniâtreté » (Oudshoorn (2003), cité dans Gallioz (2006a : 68)). En effet, les différences de force entre les hommes et les femmes dépendent de leur physio- logie, mais aussi de leur formation, de l’expérience et des tâches à exécuter. Cela dit, la majorité des travailleuses peut effectuer la plupart des tâches exigées des hommes dans un métier traditionnellement masculin (CINBIOSE, 2005 : 15).

L’industrie de la construction : un milieu difficile

Le témoignage de Caroline, tuyauteuse (Dugré (2006 : 79)), est éloquent quant à la souffrance ressentie par la main-d’œuvre sur les chantiers : « On l’entend pas que les gars de la construction ont mal quelque part, mais ils ont tous mal à quelque part. » L’Enquête québécoise sur des conditions de travail, d’emploi et de santé et de sécurité du travail (EQCOTESST), publiée en 2011, révèle que les travailleurs et les travailleuses des secteurs des industries primaires, des services publics et de la construction ainsi que des industries manufacturières et des services de réparation et d’entretien ont des prévalences de troubles musculo-squelettiques (TMS) liés au travail plus élevées que celles qui sont observées dans les autres secteurs (Vézina et autres, 2011 : 494).

L’industrie de la construction est particulièrement touchée par les accidents du travail et, proportionnellement, c’est le secteur où il y a le plus d’accidents graves. Selon le Rapport annuel de gestion 2011 de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST ), bien que le nombre de lésions ait diminué au cours des dix dernières années, on compte, en 2011, 13 décès et 7 160 lésions survenus sur les chantiers de construction à la suite d’un accident de travail.

Selon l’analyse réalisée par le Service de la condition féminine et des clientèles issues de l’immigration de la CSST, les travailleuses et les travailleurs du secteur du bâtiment et des travaux publics affichent des profils différents tant en ce qui concerne la fréquence des accidents que pour ce qui est des types de blessures (CSST, 2011 : 41). Cette constatation souligne l’importance d’adapter les environnements de travail aux besoins de la main-d’œuvre et en fonction de ses caractéristiques particulières. « Sans cette orientation, on ne peut offrir aux femmes et aux hommes un milieu professionnel sain et sécuritaire », souligne-t-on dans le rapport.

Déjà en 1998, une enquête réalisée par le Service de la condition féminine de la FTQ révélait que 80 % des travailleuses interrogées qui occupaient un métier traditionnellement masculin devaient accomplir leurs tâches avec des outils mal adaptés ou des équipements inconfortables, et que la moitié d’entre elles considéraient que c’était un des plus grands désavantages de leur emploi (FTQ, 1998 : 29). Selon les témoignages recueillis au moment de l’élaboration du présent avis, les choses auraient peu changé pour les travailleuses de l’industrie de la construction. Sophie, plâtrière et enseignante de plâtrage à l’EMOICQ, tient les propos suivants :

Sur un chantier, j’ai été obligée de mettre un harnais qui n’était pas adapté pour les femmes. Il peut y avoir des risques pour les filles. Les points d’ancrage pour les harnais ne sont pas les mêmes. Moi, j’avais attaché quelque chose pour que ça me passe entre les deux seins, mais ce n’était pas parfait. J’avais averti un collègue de rester proche : « Si je crie, viens me chercher! »

Le rapport sur l’EQCOTESST précise que des études ergonomiques ont démontré que, même lorsque les femmes et les hommes occupent les mêmes types d’emplois, ils sont exposés à des risques différents, et ce, « à cause de spécificités dans les tâches assignées ou à des interactions entre leur anatomie (grandeur, proportions corporelles) et aux dimensions des postes de travail et des outils » (Stevenson et autres (1996); Bylund et Burström (2006), cités dans Vézina et autres (2011 : 498)).

Dans les métiers traditionnellement masculins, dont ceux de la construction, les outils et les équipements sont créés et ajustés en fonction de la morphologie d’un travailleur type, soit celle d’un homme moyen, blanc et nord-américain (CINBIOSE, 2006 : 17). Or ces outils et équipements souvent mal adaptés aux femmes peuvent mettre en danger leur santé et leur sécurité. Devant cette situation, bien des employeurs préfèrent confier les tâches plus exigeantes à un homme plutôt que d’envisager de faire des ajustements quant à l’outillage. Il est alors facile pour un employeur déjà peu enthousiaste à l’embauche de femmes de se servir de la mauvaise adaptation de l’outillage comme prétexte pour conclure que les femmes ne sont pas capables de faire le travail exigé sur un chantier.

À toutes les étapes de leur parcours, que ce soit en formation, en recherche d’emploi ou en emploi, les femmes qui souhaitent travailler dans le domaine de la construction doivent constamment faire la preuve qu’elles possèdent les qualités nécessaires pour exécuter le travail exigé. Afin de se conformer aux normes qui régissent la culture masculine des chantiers, les femmes prendront parfois des risques ou tenteront de relever des défis physiques qui mettront ainsi leur santé et leur sécurité en péril, tout cela pour être acceptées par leurs confrères.

En période d’apprentissage, il est courant, par exemple, qu’un compagnon électricien teste son apprenti pour évaluer ses connaissances. Habituellement, cela se fait dans le respect des normes minimales de sécurité. Pourtant, ce n’est pas ce que Martine a vécu alors qu’elle était apprentie électricienne :

Le premier matin que je suis avec mon compagnon, je devais changer un ballast sur le 347 volts. Il me donne le ballast pour le remplacer, mais c’était un ballast de 120 volts, alors tout a explosé. J’ai été projetée sur une table et lui, il est parti à rire. C’était mon erreur, j’aurais dû vérifier avant de le poser. Je raconte aujourd’hui cette histoire à mes élèves pour leur rappeler à quel point il important de toujours vérifier. Mais on s’entend que, quand tu es apprenti et une femme en plus, tu veux prouver que tu es capable, et là il y a un danger pour les accidents.

Pour cette travailleuse, cela n’a malheureusement pas été un évènement isolé, ses confrères de travail l’ayant parfois mise dans des situations dangereuses, simplement pour la tester :

En électricité, on ne travaille pas avec des jouets. Un jour, j’ai été appelée pour régler un « trouble » sur un moteur. J’avais dix hommes autour de moi qui me regardaient et qui disaient : « Vas-tu être capable? » La pression que j’ai alors ressentie était vraiment énorme parce que j’avais du haut voltage dans le panneau. Jamais ils n’auraient fait vivre ça à une personne de sexe masculin. Jamais. Ça prend un caractère à toute épreuve pour vivre ça!

Ces comportements hostiles de la part de certains hommes qui veulent clairement chasser les femmes de ce qu’ils considèrent comme leur territoire peuvent avoir de graves conséquences sur la santé physique mais aussi psychologique des travailleuses. Malheureusement, ces cas de harcèlement psychologique et sexiste sont loin d’être anecdotiques.

Selon les études et les observations du milieu de la construction, les femmes se préoccuperaient davantage de la santé et de la sécurité au travail que les hommes (CSST, 2011 : 38). Leur présence accrue sur les chantiers pourrait donc améliorer les conditions de santé et de sécurité de l’ensemble de la main-d’œuvre de ce secteur.

En effet, les propos recueillis auprès des travailleuses dans l’enquête réalisée par la FTQ (1998) indiquent que, selon elles, leurs collègues masculins forcent trop et qu’ils ne respectent pas toujours les normes de sécurité, ce qui augmenterait les risques de blessures et d’accidents. De plus, les travailleuses interrogées mentionnent qu’elles sont plus revendicatrices que les hommes lorsque vient le moment d’exiger des outils ou de l’aide pour faire des travaux lourds. Quelques-uns ont même admis que les pressions exercées par les travailleuses ont certainement amélioré la santé et la sécurité au travail dans leur milieu (FTQ, 1998 : 31).

Valérie Bell, électricienne et formatrice pour l’Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail du secteur de la construction (ASP Construction) 18, raconte :

Sur un grand chantier industriel, les travailleuses et les travailleurs doivent obligatoirement porter des gants. D’habitude, les compagnies achètent des gants one size large qui ne sont pas adaptés aux femmes parce que nos mains sont plus petites. Alors, comme femme, on revendique des gants à notre mesure. C’est une raison d’efficacité et de sécurité. Donc, la compagnie va nous commander une vingtaine de paires de gants à notre taille. Et là, tu vois arriver plein de gars sur le chantier qui viennent prendre nos gants, car, pour la première fois de leur vie, ils vont porter des gants qui leur font. Ils ne sont plus maladroits parce qu’avec des gants trop grands tout le monde est maladroit. Ils prennent tous nos gants!

La conciliation travail-famille

En principe, selon leurs champs d’intérêt et leurs compétences, les filles et les femmes voient toutes les avenues s’ouvrir devant elles au moment de faire un choix d’orientation scolaire et professionnelle. Toutefois, la réalité est tout autre. En effet, elles devront alors se demander si cette option leur permettra de concilier la réalité du travail avec celles des responsabilités familiales. Malgré certaines avancées, la division sexuelle du travail est toujours actuelle puisque les femmes demeurent les principales responsables des tâches familiales et domestiques (ISQ, 2013 : 3; Tremblay, 2012 : 29; Vézina et autres, 2011 : 191). Alors, bien que l’on encourage de plus en plus les filles et les femmes à élargir leur horizon professionnel, les conséquences de leur choix sur leurs éventuelles obligations familiales influeront sur leur décision.

Selon Diane-Gabrielle Tremblay, professeure et sociologue du travail, l’appartenance à un groupe professionnel donné a une incidence sur la difficulté ou la facilité à concilier le travail et la famille ( Tremblay, 2012 : 20). À cet égard, la culture fortement masculine des métiers de la construction et le conservatisme régnant offrent peu de possibilités aux travailleuses qui tentent de concilier leur vie de famille avec les règles et les horaires atypiques de ce secteur d’emploi. C’est une forme insidieuse de discrimination systémique qui exclut bien des femmes des chantiers. En effet, pour de nombreux employeurs, l’embauche d’une femme, « c’est compliqué », en particulier parce qu’elle risque de s’absenter plus souvent qu’un homme en raison de ses responsabilités parentales ou des congés de maternité, sans parler, dans certains cas, de retraits préventifs (Dumont, 2001 : 79). Au moment de l’élaboration du présent avis, des employeurs nous ont même affirmé qu’une femme qui a des enfants, ou qui souhaite en avoir, ne peut pas travailler dans le domaine de la construction. Toutefois, si elle persiste dans son choix, elle devra bien s’organiser : « Si elles veulent faire un métier d’hommes, elles doivent tout faire comme un homme. Il n’y aura pas de passe-droit », affirment certains employeurs. Ce point de vue est d’ailleurs largement partagé par les collègues de travail, dont les conjointes, bien souvent, assument l’essentiel du fardeau des tâches domestiques et des responsabilités familiales. Ici, il est clair que la conciliation travail-famille n’est pas une responsabilité partagée, mais plutôt une affaire de femmes (Tremblay, 2012 : 335).

Pour les mères qui sont aussi des travailleuses de la construction, l’absence de mesures de conciliation en milieu de travail complique leur vie au quotidien, comme en témoigne Karyne, charpentière-menuisière :

Le travail sur un chantier commence habituellement à 7 heures, mais tu dois être là un peu avant pour préparer ton matériel. Ce que j’entends, c’est que les gars veulent que les chantiers commencent encore plus tôt, soit à 6 h 30 pour éviter le trafic de l’après-midi. Ce ne sont pas eux qui s’occupent des enfants le matin! Quand ils prennent la décision d’ouvrir les chantiers plus tôt, ils le font pour une majorité masculine sans tenir compte des filles. Si on a le malheur de dire : « Vous n’avez pas pensé à nous : qu’est-ce qu’on va faire avec nos enfants? » Ils vont répondre : « Bon… encore! C’est vraiment trop compliqué avoir des filles dans la construction! »

En vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, l’ASP Construction a pour mission de fournir aux employeurs et à la main-d’œuvre du secteur de la construction des services en matière de santé et de sécurité au travail dans le but d’éliminer les accidents et les lésions professionnelles sur les chantiers de construction. Organisme privé et paritaire à but non lucratif, l’ASP Construction est administrée, par des représentants des employeurs et des travailleurs du secteur de la construction. L’ASP Construction est financée principalement par les employeurs de son secteur.

Alors, les travailleuses ne protestent pas et elles s’organisent comme elles le peuvent : avec leur conjoint, leur mère, une amie, etc. Pour certaines travailleuses, dont Christine opératrice de pelle, c’est une situation inévitable :

Quand tu décides d’aller dans la construction et qu’en plus tu as des enfants, il faut que tu saches dans quoi tu t’embarques. Tu ne vas pas suivre une formation si, au départ, tu penses que tu ne seras pas capable de faire garder tes enfants.

Pour celles qui font ce choix, le choc de l’adaptation à la conciliation survient dès la formation professionnelle, en particulier pour celles qui sont à la tête d’une famille monoparentale, comme l’a observé Annie Richard, psychoéducatrice à l’EMOICQ :

C’est souvent difficile pour elles de concilier leur rôle de mère avec celui d’étudiante. Alors, à moins d’avoir de l’aide, je ne sais pas comment les mères qui sont travailleuses de la construction réussissent à concilier les horaires et les conditions particulières de ce milieu avec leurs responsabilités familiales.

Toutefois, certaines travailleuses ont eu la chance de rencontrer des employeurs plus ouverts, prêts à leur offrir une plus grande flexibilité relativement aux horaires de travail. Par exemple, elles pouvaient arriver quelques minutes plus tard le matin et rattraper leur retard en après-midi, tout cela, sans perturber les travaux sur le chantier. Pour Karyne, « ça existe des employeurs conciliants qui sont prêts à nous aider parce qu’ils nous apprécient et qu’ils veulent nous garder! »

L’absence de mesures de conciliation travail-famille ainsi que le manque de flexibilité des horaires dans le secteur de la construction constituent des obstacles non seulement pour favoriser le maintien des travailleuses dans cette industrie, mais aussi pour y attirer les femmes. Pourtant, des mesures de conciliation travail-famille, adaptées aux besoins des personnes salariées, constituent aujourd’hui un atout pour attirer et conserver la main-d’œuvre dans une entreprise. À cet égard, Diane-Gabrielle Tremblay remarque « qu’un plus grand nombre de salariés (hommes et femmes) souhaitent que l’on tienne compte de leurs responsabilités parentales » (Tremblay, 2012 : 333).

Il faut reconnaître que le secteur de la construction est un milieu de travail bien particulier, un univers à part parmi les autres secteurs de l’activité économique. Ses horaires particuliers, le grand nombre de petites entreprises qui le compose ainsi que les liens entre les employeurs et la main-d’œuvre compliquent la mise en œuvre de mesures de conciliation travail-famille. En outre, comme c’est le cas pour de nombreuses personnes qui travaillent selon un horaire atypique, les services offerts sont limités ( Vézina et autres, 2011 : 192). Cependant, il faut voir qu’aujourd’hui les emplois « de 9 à 5 » ne constituent plus la norme au Québec ( Tremblay, 2012 : 30). Dans ce contexte, les employeurs des différents secteurs de l’activité économique, dont celui de la construction, doivent s’adapter à cette nouvelle réalité. Par ailleurs, ces changements doivent aussi être soutenus par des services publics adaptés aux nouvelles réalités du travail, par exemple, en offrant à ceux et celles qui travaillent des heures d’ouverture plus étendues dans les services de garde.

Pour favoriser la conciliation des obligations familiales avec les obligations professionnelles des travailleuses et des travailleurs, on recommande « de poursuivre des recherches sur les stratégies d’implantation de nouvelles formes d’horaires de travail qui permettraient une meilleure flexibilité de ceux-ci en fournissant davantage de souplesse aux travailleurs » (Vézina et autres, 2011 : 197).

Les relations avec les collègues de travail

Dans l’industrie de la construction, il n’est pas rare qu’une travailleuse puisse avoir, selon les contrats, de deux à trois employeurs différents en moyenne par année. Pour elle, cela implique de refaire la preuve de ses compétences chaque fois, non seulement auprès de son employeur, mais aussi de ses collègues de travail. De nombreux travailleurs sont perplexes lorsqu’ils voient des femmes accomplir les mêmes tâches qu’eux et ils s’inquiètent à l’idée que leur univers puisse basculer avec l’arrivée de femmes sur leur territoire. Certains adoptent alors une attitude défensive et placent les nouvelles venues sous « haute surveillance » (Legault, 2001 : 51). De l’avis de plusieurs, une femme doit faire sa place et démontrer qu’elle a réellement la capacité physique pour accomplir les mêmes tâches qu’eux tout en respectant les us et coutumes qui règnent dans la culture des chantiers.

L’exception et la règle

Les travailleuses qui se conforment aux normes et aux règles du milieu sont acceptées ou tolérées. Parfois, l’une d’entre elles deviendra la one of the boys. Alors, on dira à son sujet : « Elle, est capable, mais c’est une exception! » Ainsi, on évite que la présence des femmes dans ce milieu se généralise et devienne alors la règle. En fait, les travailleuses qui souhaitent s’intégrer sur les chantiers doivent se transformer, comme le souligne Geneviève Dugré, auteure de l’ouvrage Travailleuses de la construction :

Cette nécessité de se transformer elles-mêmes soulève des questions. S’adapter à la culture existante est une chose; chaque individu souhaitant intégrer un nouveau métier, une nouvelle industrie ou une nouvelle entreprise doit prendre conscience de la culture du milieu, des attitudes et des comportements valorisés et s’y adapter pour faciliter les relations de travail. Toutefois, entre s’adapter et se transformer, il y a une marge importante (Dugré, 2006 : 104).

L’attitude des collègues de travail à l’égard des femmes qui font leur entrée sur les chantiers sera déterminante pour leur intégration. En effet, pour les travailleuses qui débutent, leurs confrères de travail détiennent le pouvoir de rendre leur intégration facile, correcte, difficile ou carrément pénible (Gingras, Savard et Robidoux (2006), cités dans CIAFT (2011 : 45)).

L’arrivée des femmes sur les chantiers constitue souvent un changement majeur dans la vie et les habitudes des travailleurs de la construction. Dans ce contexte, l’employeur et les organisations syndicales ont un rôle à jouer pour préparer le milieu à l’arrivée des femmes, ainsi que le confirme une travailleuse du domaine de la construction :

Quand nous sommes entrées, nous étions les premières femmes. [Le syndicat et les ressources humaines] ont fait une réunion pour dire : « Là, les gars, les femmes arrivent! Vous ôtez tous vos calendriers de femmes toutes nues et là vous adoptez un langage correct. » C’était menaçant pour les gars de nous voir arriver. On leur enlevait leurs affaires, et c’était de notre faute. [Le syndicat et les ressources humaines] ne nous ont pas aidées en faisant cela. Je pense que cela aurait pu se passer autrement. Ils auraient pu organiser une rencontre avec les gars pour que l’on puisse se parler et échanger ensemble sur notre réalité. Notre intégration a été difficile. Pas seulement à cause de ça, mais cela ne nous a pas aidées, c’est certain.

Le harcèlement des travailleuses sur les chantiers : une dure réalité

En commission parlementaire sur l’abolition du placement syndical, des travailleuses de la construction et des représentantes de groupes de femmes sont venues témoigner pour dénoncer la discrimination, le harcèlement et la violence dont les femmes sont victimes sur les chantiers. Il est vrai que ce ne sont pas toutes les travailleuses sur les chantiers qui vivent cette dure réalité ou qui la reconnaissent comme telle. En effet, il y a des expériences positives et des parcours plus faciles pour celles qui se sentent bien accueillies et intégrées dans le monde de la construction. Cela existe aussi. Toutefois, nos entretiens avec les travailleuses au moment de l’élaboration du présent avis confirment que les cas de discrimination et de harcèlement sur les chantiers sont courants et bien réels. Ce constat n’est pas nouveau et a été relevé par d’autres enquêtes sur la question (CCQ, 2008; Danvoye et Legault, 2007; Dugré, 2006), dont une plus récente, réalisée par le CIAFT (2012), dans laquelle est rapportée l’expérience de 35 travailleuses de la construction. Cette étude confirme l’ampleur des problèmes de harcèlement subis par les travailleuses de la construction (CIAFT, 2012 : 39). En effet, 16 répondantes (46 %) ont répondu « Oui » à la question suivante : « Avez-vous déjà été confrontée à une situation de harcèlement physique ou psychologique lors de votre formation ou au travail? » L’une des répondantes, soudeuse de son métier, précise davantage sa réponse :

Un gars me touchait tout le temps. Deux autres ont compris que je n’étais pas intéressée à eux, et c’est à partir de ce moment-là qu’ils ont commencé à me harceler. Un ne m’aidait plus, l’autre montait mes pièces à souder toutes croches. Dans les deux cas, ce n’était plus « travaillable » (CIAFT, 2012 : 39).

Lorsqu’il est question de harcèlement ou de violence que vivent des femmes sur les chantiers, il est toujours surprenant d’observer les réactions de scepticisme, voire de négation de la part de certains acteurs de l’industrie la construction. On parle alors d’exagération ou encore on affirme que le harcèlement est un phénomène tout aussi présent dans les bureaux que dans le secteur de la construction, comme si cet argument rendait plus acceptable la situation dans le domaine de la construction! Il importe donc de clarifier ici certains concepts afin que cesse cette forme de banalisation à l’égard du harcèlement et de la discrimination, des actions qui, faut-il le rappeler et dont nous reparlerons plus loin, contreviennent à la Loi sur les normes du travail et au Code criminel.

On associe bien souvent la violence à ses manifestations physiques, comme cela se présente clairement chez une personne qui a été battue. Pourtant, la violence peut également être psychologique et, dans ce cas, ne laisser aucune trace visible (Legault, 2001 : 47). Toutefois, les conséquences de la violence psychologique sont réelles et bien souvent indélébiles. Une travailleuse de la construction que nous avons rencontrée raconte sa douloureuse expérience :

Le premier matin quand je suis entrée au travail, un des hommes avec qui j’allais travailler m’a dit que les femmes n’étaient pas faites pour travailler sur un chantier, qu’elles étaient faites pour faire de la soupe. Et puis, ça a dégénéré : ils ont mis de la graisse dans mon matériel. Les hommes ne croyaient pas en moi, pas du tout, simplement parce que j’étais une femme! Ensuite, un collègue a fait des graffitis avec mon nom et me traitait de vache. Il était violent. Il me courait après dans le stationnement. C’était l’enfer! Je suis restée 3 ans. Mon harceleur a été congédié, mais j’ai quand même fait un burn-out. J’ai été 6 mois arrêtée. J’avais des crises d’anxiété. Je pensais [que le harceleur] me suivait partout. Cet évènement a marqué ma vie pour toujours.

Cette travailleuse qui, comme beaucoup d’autres victimes de harcèlement, nous a demandé de taire son nom, a quitté les chantiers :

La santé c’est important. Les palpitations que j’ai aujourd’hui sont nées là, mes crises d’angoisse sont nées là, mon anxiété est née là. J’étais tannée. J’étais tannée de me battre. Je suis bien remise aujourd’hui grâce au soutien de mon conjoint.

Il existe plusieurs définitions du harcèlement dans les différentes études sur le harcèlement psychologique au travail (Soares, 2002 : 6), mais toutes ont en commun la dimension de répétition et de persistance de l’action et celle des effets toujours dévastateurs sur la victime (Soares, 2002 : 7).

Il y a plus de risques pour les femmes d’être victimes de harcèlement dans la plupart des métiers traditionnellement masculins, car elles y sont plus vulnérables de par leur désavantage numérique et leur isolement (Dumont, 2001 : 23; Legault, 2001 : 48). Cet état de vulnérabilité se révèle particulièrement aigu dans un environnement comme celui de la construction où la culture masculine est fortement exacerbée et où la présence des femmes menace le statu quo. Cette culture qui protège farouchement sa tradition et qui repose essentiellement sur les rapports de force, la virilité, la glorification de la force physique et la solidarité favorise un climat d’exclusion des autres, dont les femmes, et détermine ce qui est acceptable ou non en termes de comportements. Ces traits culturels du monde de la construction expliqueraient que des actions jugées inacceptables dans d’autres lieux sont alors tolérées, malgré leur caractère hautement condamnable (CIAFT, 2012 : 38). À cet effet, le Conseil sectoriel de la construction, dans son étude sur la situation des femmes dans le domaine de la construction au Canada (2010), confirme que la discrimination et le harcèlement dans le secteur de la construction constituent des expériences souvent rapportées par les femmes qui travaillent sur les chantiers (CSC, 2010 : 79).

La Loi sur les normes du travail interdit expressément le harcèlement (psychologique ou sexuel) au sein de l’entreprise (art. 81.18-81.20) :

Pour l’application de la présente loi, on entend par « harcèlement psychologique » une conduite vexatoire se manifestant, soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste.

Une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour le salarié.

En outre, l’article 81.19 de la Loi sur les normes du travail énonce ceci : « Tout salarié, a droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique » et « L’employeur doit prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique et, lorsqu’une telle conduite est portée à sa connaissance, pour la faire cesser. »

Ici, il faut rappeler que l’industrie de la construction possède sa propre réglementation encadrée par la « loi R-20 ». Cette particularité a pour effet d’exclure, de manière générale, les salariées et les salariés de ce secteur du champ d’application de la Loi sur les normes du travail. Cependant, il existe une exception pour certaines dispositions, dont celles qui sont consacrées au harcèlement psychologique et sexuel (art. 3,3) :

En d’autres termes, les dispositions prescrivant un milieu de travail exempt de harcèlement s’appliquent aux travailleuses du secteur de l’industrie de la construction. Ces dispositions font automatiquement partie mutatis mutandis de toute convention collective applicable aux salariées de ladite industrie. Les travailleuses syndiquées ne peuvent s’adresser à la Commission des normes du travail, sauf si elles ont épuisé tous les recours découlant de la convention collective (Me Laurence Léa Fontaine, communication personnelle, 2013).

Le recours légal pour les travailleuses victimes de harcèlement est donc de s’adresser à son association syndicale afin qu’un grief soit déposé :

En d’autres mots, dès qu’une convention collective est applicable (comme c’est le cas dans le secteur de la construction où la syndicalisation est obligatoire), l’arbitrage de grief constitue le mode exclusif de règlement du litige (Fontaine, 2013).

La Loi sur les normes du travail est très claire : l’employeur doit prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique et, lorsqu’une telle conduite est portée à sa connaissance, pour la faire cesser (art. 81.19). C’est donc à l’employeur d’agir à la suite du dépôt du grief par la partie syndicale. Dans les faits, comme nous le verrons dans la section 3.6.1 portant sur la région de la Côte-Nord, il est rare que des plaintes pour harcèlement soient acheminées aux employeurs. Les travailleuses hésitent à dénoncer leurs collègues et préfèrent se taire pour ne pas mettre en péril leur situation d’emploi actuelle ou à venir sur les chantiers ou encore elles quittent carré- ment leur emploi. Rappelons aussi que, dans le secteur de la construction, un travailleur ou une travailleuse peut obtenir de deux à trois contrats d’embauche différents par année. Quand on sait que le processus de plainte pour harcèlement est souvent long et laborieux, il y a un risque réel que le contrat qui lie la plaignante à un employeur se termine bien avant le règlement du litige.

Dans les faits, les travailleuses victimes de harcèlement sur les chantiers se trouvent démunies dans la plupart des cas. En effet, la réglementation distincte du secteur de la construction ne facilite pas la vie des travailleuses qui doivent, pour obtenir de l’aide et du soutien, se tourner vers leur syndicat. La gestion d’une plainte pour harcèlement émanant d’une travailleuse contre un travailleur place le syndicat dans une situation ambiguë où il doit, en conformité avec son mandat, défendre tous ses membres. Qui plus est, l’esprit de solidarité masculine qui règne dans le secteur de la construction ne favorise pas la cause des femmes dans ce genre de différend. Une travailleuse de la construction nous a exposé la réaction de son représentant syndical en réponse à sa demande d’aide pour régler une situation de harcèlement que lui faisait subir un collègue de travail :

Le syndicat par rapport [au harcèlement] ne sait pas trop quoi faire parce que les gars, ils sont des syndiqués comme moi. Alors, le syndicat se retrouvait pris en sandwich. Oui, j’ai eu du soutien du syndicat : de l’écoute. Mais des actions, non!

Les syndicats jouent un rôle capital dans l’industrie de la construction. Pendant de nombreuses années, ils ont géré en grande partie le placement des travailleuses et des travailleurs sur les chantiers. Un processus d’embauche qui, rappelons-le, se fait en permanence dans le domaine de la construction, étant donné la grande mobilité de la main-d’œuvre et la multiplicité des projets qui y sont réalisés durant une année. Cette influence syndicale sur le placement a eu pour effet de complexifier la situation des travailleuses victimes de harcèlement ou de discrimination. En effet, à partir du moment où les syndicats entretiennent des liens particuliers avec l’employeur dans la gérance des besoins de main-d’œuvre et qu’ils ont le pouvoir de retenir ou d’écarter les candidatures de leurs membres pour un emploi, il devient plus difficile pour les femmes de se plaindre, de crainte de perdre leur emploi ou, pire, de ne plus travailler du tout. Dans un milieu de travail aussi fermé que celui de la construction où tout se sait à la vitesse de l’éclair et où la machine à rumeurs tourne à plein régime en permanence, les travailleuses veulent surtout éviter d’être étiquetées comme des fautrices de troubles. Résultat, elles endurent et se taisent.

C’est la raison pour laquelle les groupes de femmes qui travaillent en vue de faciliter l’accès des femmes au travail, ainsi que beaucoup de travailleuses de la construction, ont accueilli avec soulagement l’abolition du placement syndical dans le secteur de la construction. Certains passages de l’étude réalisée par le CIAFT (2012) sont éloquents à cet égard :

Ce problème [de discrimination] ne semble pas nécessairement concerner l’ensemble des syndicats de la construction, mais surtout les syndicats qui ont un pouvoir exceptionnel dans des métiers ou des régions spécifiques. Il est en effet arrivé à certaines travailleuses, tout de suite après leur formation, de s’adresser au syndicat ayant le monopole du placement dans leur métier, et qu’il ait refusé ouvertement de les prendre. Ces travailleuses se retrouvent seules, sans information sur leurs droits, sans recours et sans aide (CIAFT, 2012 : 36).

L’auteure de cette étude ajoute ceci : « La confusion créée par le placement syndical quant à la responsabilité de l’embauche rend également confus le recours des travailleuses en cas de discrimination [ou de harcèlement] » (CIAFT, 2012 : 36).

Les femmes se trouvent bien seules pour faire face à cette situation éprouvante. De fait, les appuis qu’elles cherchent (collègues, employeurs, syndicats ou CCQ), elles ne peuvent compter que sur elles-mêmes pour s’en sortir, et ce, malgré toutes les lois qui encadrent aujourd’hui le harcèlement et la discrimination au Québec.

À la lumière de ce que vivent les travailleuses sur les chantiers (harcèlement psychologique, discrimination, préjugés, intimidation, isolement), il n’est pas surprenant d’observer qu’elles quittent massivement les chantiers! Le Conseil croit à l’urgence d’agir pour protéger les femmes qui travaillent sur les chantiers et pour que les personnes ou les instances qui doivent assurer leur sécurité soient, dans les faits, réellement responsables de leur bien-être.

3.6. Le lourd fardeau de l’intégration

Se faire dire que sur la construction : c’est comme ça que ça marche que c’est un monde à part et que c’est à elles à s’adapter et à endurer tout, et non pas à l’industrie et aux gars à changer quoi que ce soit. Ça fait beaucoup à endurer! (CIAFT, 2012 : 40).

Comme nous venons de le voir, pour accéder à l’industrie de la construction et s’y intégrer, les femmes doivent surmonter bien des obstacles. De plus, en vue de survivre dans ce milieu peu accueillant, les travailleuses sont amenées à développer un ensemble de stratégies d’adaptation afin de se plier aux règles et aux normes qui régissent cette culture masculine.

Il est clair ici que le fardeau de l’intégration repose presque entièrement sur les épaules des femmes. En effet, quand il est question des difficultés que les femmes éprouvent au fil de leur parcours, l’accent est mis sur le faible intérêt qu’elles manifestent pour les métiers de la construction, sur leurs lacunes en fait d’habiletés et de compétences de même que sur le peu d’expérience qu’elles possèdent en rapport avec ce secteur. Dès lors, on induit que des facteurs individuels expliqueraient les obstacles que les femmes doivent surmonter pour investir ce secteur d’activité. Donc, si elles ne parviennent pas à s’intégrer, c’est en quelque sorte leur faute. Le corollaire de cela est que seules les femmes qui démontrent une résilience hors du commun peuvent accéder au secteur de la construction : par conséquent, seule une minorité de femmes qui possèdent un profil« héroïque » peut choisir ce secteur d’emploi. Or, « [la] capacité de résilience ne devrait représenter, en aucun cas, une aptitude nécessaire chez un travailleur ou une travailleuse pour pratiquer un métier de la construction et, surtout pour se maintenir en emploi » (Quirion, 2008 : 10).

Selon la chercheuse Marie-Josée Legault, interrogée au moment de l’élaboration du présent avis, on ne doit pas faire reposer uniquement sur les épaules des femmes le poids de leur intégration dans l’industrie de la construction :

Lorsqu’on regarde les conditions dans lesquelles les femmes doivent travailler en construction, c’est vrai que ça prend malheureusement un profil particulier pour y faire sa place. Par ailleurs, je pense que l’on ne doit pas encourager le discours qui dit : « Si tu n’es pas une héroïne, oublie ça les métiers de la construction! » Je crois qu’il faut au contraire que ce milieu ouvre ses portes à différents types de profil de travailleuses. De toute façon, c’est un secteur d’emploi tellement difficile pour les femmes qu’elles n’ont pas vraiment le choix de se surpasser. Ce qu’il faut, c’est mettre en place des conditions telles qu’il ne sera plus nécessaire d’être une héroïne pour occuper un métier de la construction. On va seulement demander à la travailleuse de bien faire son travail. Il me semble que cela devrait être suffisant. Ce n’est pas normal d’exiger en plus qu’elle ait le sens de l’humour, une solide force de caractère et la « bonne attitude ». Il faut arrêter de seulement responsabiliser les femmes. D’accord, elles n’ont pas le choix de faire leur part, mais il faudrait aussi les aider un peu.

Il est plus aisé et certainement plus acceptable socialement de croire que les prétendues lacunes biologiques, psychologiques et professionnelles que l’on impute aux femmes sont responsables de leur échec à s’intégrer plutôt que de remettre en question les valeurs, les normes et les façons de faire de l’industrie de la construction qui, depuis toujours, excluent les femmes. Dans ce contexte, il apparaît donc normal de miser sur le développement d’interventions et de mesures qui encouragent les femmes à se forger une carapace, à avoir la « bonne attitude », à s’adapter à la culture masculine de la construction, voire à se transformer pour y faire leur place. Malheureusement, tout cela ne met pas les travailleuses à l’abri de la discrimination, du harcèlement ou de l’intimidation qui sévissent sur les chantiers.

Bien qu’il s’avère essentiel de déterminer et de mettre en place des mesures pour outiller et soutenir les femmes qui désirent intégrer le secteur de la construction, il est clair que le plein accès des travailleuses à ce secteur passe par le respect de leurs droits et de leur intégrité sur les chantiers. Il faut donc rappeler ici la responsabilité que doivent assumer les employeurs à cet égard. Concrètement, cela veut dire qu’il ne suffit pas pour les employeurs d’embaucher des femmes, mais qu’ils doivent surtout s’assurer que, par la suite, les travailleuses seront bien accueillies, qu’elles seront formées de manière appropriée et soutenues au moyen de mesures et de politiques connues de tous et de toutes, telles que des mesures adaptées aux travailleuses pour protéger leur santé et leur sécurité au travail et une politique pour contrer le harcèlement sexuel ou sexiste. À cet effet, dans une étude sur le maintien des femmes dans les métiers traditionnellement masculins, on résume fort bien cet enjeu :

[Il] semble que les mesures qui réussissent à influencer à la hausse le taux de maintien en emploi des femmes dans des métiers traditionnellement masculins soient justement celles qui tentent de ne plus faire porter le poids du changement uniquement sur les épaules de femmes (Gingras, Savard et Robidoux, 2006 : 48).

Dans le sommaire du rapport de recherche du projet Construire avec elles19, une initiative de l’organisme Femmes regroupées en options non traditionnelles (FRONT), l’auteure en arrive à la même conclusion :

La recherche montre aussi que les difficultés vécues par les travailleuses en emploi ne résultent pas de dynamiques individuelles, mais bien collectives, en ce sens que les barrières auxquelles font face ces travailleuses ne relèvent pas de leurs caractéristiques ou de leur parcours personnel. Ces travailleuses se heurtent à une discrimination systémique qui découle de l’interaction d’un ensemble de phénomènes : valeurs, préjugés, pratiques d’embauche, attitudes et comportements des collègues et des organisations syndicales (Quirion, 2008 : 10).

L’importance du soutien

Les travailleuses de la construction se sentent parfois bien seules pour surmonter les obstacles qu’elles rencontrent pendant toute la durée de leur parcours. Pour les aider à persévérer en formation ou en emploi, il est essentiel qu’elles obtiennent du soutien social de leurs proches, de modèles ou encore de mentores. Pour celles qui suivent une formation dans un métier traditionnellement masculin, il existe une banque de cybermentores sur Internet, composée de lauréates du concours Chapeau, les filles! Parmi elles, quelques travailleuses du domaine de la construction sont disposées à partager avec celles qui sont aux études leur expérience de formation ou de travail.

De son côté, l’organisme FRONT offre un service de mentorat qui permet le jumelage entre des travailleuses expérimentées et des débutantes ou des élèves pour aider celles-ci à persévérer dans leur projet d’étude ou en emploi.

Consciente de l’importance du mentorat dans le parcours des travailleuses de la construction, Sylvie Deraspe, opératrice de pelle et membre de la Coalition québécoise pour les femmes dans le domaine de la construction, agit comme mentore depuis une vingtaine d’années auprès des travailleuses de la construction. À son avis, les travailleuses qui communiquent avec elle ont surtout besoin de beaucoup d’écoute, mais aussi de conseils lorsqu’elles vivent des situations d’intimidation, de harcèlement ou de discrimination. Pour sa part, Karyne Prégent, charpentière-menuisière et membre également de la Coalition, s’est mise au goût du jour en créant, sur sa page Facebook, un lieu d’échange pour les travailleuses de la construction.

Par ailleurs, dans son bilan des mesures du PAE mises en place dans l’industrie de la construction depuis 1997 (2012), la CCQ reconnaît que la mesure 12, ayant pour objet de mettre au point un concept de mentorat permettant aux femmes d’être guidées, n’a pas été réalisée. Cependant, la CCQ fait la recommandation suivante qui devrait être prise en considération dans la relance du PAE :

À l’époque [en 1997] imaginer un mentorat sans les outils technologiques actuels pouvait sembler fastidieux, coûteux et lourd à mettre en place. Néanmoins, il est constaté que le besoin de mentorat et de réseautage est toujours présent et qu’il serait souhaitable de réfléchir aux éléments qui pourraient être mis en place afin de répondre aux besoins d’aujourd’hui tout en considérant la réalité actuelle (CCQ, 2012 : 30).

3.6.1. L’expérience nord-côtière

Sur une carte, la région de la Côte-Nord s’étend, immense, de Tadoussac jusqu’à la frontière du Labrador et du fleuve Saint-Laurent vers l’intérieur des terres. Vu du ciel, ce vaste espace, en apparence homogène, est en fait un coin de pays tout en contraste et en diversité où forêts, mer, rivières et mines se côtoient.

La région de la Côte-Nord est composée de cinq municipalités régionales de comté (MRC), soit celles de La Haute-Côte-Nord, de Manicouagan, de Caniapiscau, de Sept-Rivières et de Minganie, ainsi que du territoire municipalisé de la Basse-Côte-Nord. La population de la Côte-Nord se trouve principalement à Port-Cartier, Sept-Îles et Baie-Comeau. Les autochtones (nations innue et naskapie) composent 12,2 % de la population totale de la région, comparativement à 1,1 % de la population au Québec (CSF, 2010c : 8). Enfin, les femmes représentent 49,9 % de la population régionale, soit la plus faible proportion de tout le Québec qui se situe à 51,1 % (CSF, 2010c : 7).

Les femmes de la région de la Côte-Nord : quelques chiffres

Si l’on examine les données les plus récentes sur l’éducation (CSF, 2010c, 2011), la situation des jeunes nord-côtières est pour le moins préoccupante. Ainsi, elles sont moins scolarisées que leurs consœurs québécoises et leur taux de décrochage scolaire est plus élevé que dans le reste de la province.

Du point de vue de l’économie et de l’emploi, on trouve dans la région de la Côte-Nord une proportion quatre fois plus grande d’emplois dans le secteur primaire qu’au Québec (extraction minière, foresterie, production d’électricité). De fait, l’économie régionale repose principalement sur l’exploitation et la première transformation des ressources naturelles, là où, comme on le sait, se concentrent les emplois traditionnellement masculins. C’est d’ailleurs la région du Québec où il y a le plus grand nombre d’emplois traditionnellement masculins disponibles. Pourtant, c’est aussi sur ce territoire que les femmes sont les moins intégrées à ce type d’occupation. Par ailleurs, les femmes de la région y sont plus présentes que dans l’ensemble du Québec parmi les mécaniciens et les mécaniciennes d’équipement lourd (taux de féminité de 5,4 % contre 1,5 % au Québec), les conducteurs et les conductrices d’équipement lourd (sauf les grues) (3 % contre 1,3 % au Québec) ainsi que les charpentiers-menuisiers et les charpentières-menuisières (3,5 % contre 1,2 % au Québec). Par contre, elles sont peu présentes dans l’un ou l’autre des pôles d’excellence reconnus dans la région, tels les opérateurs et les opératrices de machines dans le traitement des métaux et des minerais (3,8 % contre 6,1 % au Québec) de même que les manœuvres dans le traitement des pâtes et papiers et la transformation du bois (6,8 % contre 12,8 % au Québec).

Cette ségrégation professionnelle des femmes et des hommes, plus prononcée dans la région de la Côte-Nord que dans l’ensemble du Québec, explique possiblement l’écart plus important que l’on observe dans cette région entre le revenu moyen d’emploi des femmes et celui des hommes. En effet, le revenu moyen d’emploi des femmes équivalait, en 2005, à 56,6 % de celui des hommes, comparativement à 68,8 % pour l’ensemble du Québec. Dans certaines MRC, cet écart est encore plus important : dans la MRC de Caniapiscau (Fermont et Schefferville), par exemple, le revenu moyen des femmes est de 38,2 % inférieur à celui des hommes. Le revenu moyen élevé obtenu par les Nord-Côtiers dans ces deux villes s’explique par la présence des mines, un secteur d’activité économique qui offre habituellement de bons salaires. Cependant, les Nord-Côtières ont peu accès à ces métiers traditionnellement masculins : elles se concentrent donc dans des secteurs d’emploi où la rémunération est beaucoup moins intéressante.

Enfin, bien que les régions de la Côte-Nord et du Nord-du-Québec possèdent le taux de syndicalisation le plus élevé de tout le Québec, la Côte-Nord est aussi l’une des régions qui affiche la plus importante différence du taux de syndicalisation entre les sexes, soit 57,1 % pour les hommes comparativement à 40,5 % pour les femmes20. Cela peut s’expliquer par le fait que les femmes de la Côte-Nord, à l’instar de celles du Québec, se concentrent davantage dans le secteur tertiaire, un secteur d’activité où le taux de syndicalisation est moins élevé que dans le secteur des biens (services publics, construction, fabrication et secteur primaire).

Les chantiers de la région de la Côte-Nord : une fébrilité qui s’intensifie

Tout au long de son histoire, des projets plus grands que nature ont marqué l’histoire de la région de la Côte-Nord (Frenette, 1996 : 576). Aujourd’hui encore, la vitalité économique de cette région demeure tributaire de l’exploitation de ses ressources naturelles, cadencée par le cours mondial des matières premières.

Dans la région de la Côte-Nord, la vigueur de l’emploi dans le secteur de la construction ne s’est pas démentie au cours des dernières années et elle s’intensifiera même à l’avenir grâce à la présence de chantiers d’envergure sur son territoire, dont le complexe hydroélectrique de la Romaine ainsi que de multiples travaux routiers majeurs (CCQ, 2012). L’agrandissement de la mine de fer de Consolidated Thompson Iron Mines, du lac Bloom, les travaux au complexe minier de Mont—Wright, de la compagnie ArcelorMittal, ainsi que la réfection des cuves à l’aluminerie Alouette de Sept-Îles, contribueront aussi à augmenter le volume de l’emploi dans ce secteur d’activité. Ainsi, selon les données de la CCQ (2012), les perspectives professionnelles nord-côtières d’ici 2014 seront excellentes dans les métiers et occupations de la construction.

Toutefois, sur ces chantiers en pleine effervescence, les travailleuses sont à peine plus nombreuses que dans le reste du Québec. En effet, en 2011, on compte 2,5 % de femmes, soit 94 travailleuses sur un total de 3 819 personnes salariées actives dans les métiers de la construction couverts par les conventions collectives, comparativement à 1,3 % pour l’ensemble du Québec.

Tableau 3.3 Personnes salariées actives dans la région de la Côte-Nord selon le sexe dans les métiers de la construction couverts par les conventions collectives
Salariés 2007 2008 2009 2010 2011
Femmes 57 58 62 82 94
Hommes 2 676 2966 3 184 3 458 3 725
Total général 2 733 3 024 3 246 3 540 3 819
% de femmes 2,1 % 1,9 % 1,9 % 2,3 % 2,5 %

Source : CCQ (2012).

Le chantier de la Romaine

Dans le contexte de sa stratégie énergétique 2006-201521, le gouvernement du Québec s’est fixé comme objectif de relancer et d’accélérer le développement du patrimoine hydroélectrique québécois. C’est ainsi que s’est mise en branle l’édification d’un vaste complexe hydroélectrique, situé sur la rivière Romaine, dans l’arrière-pays de la région de la Côte-Nord, au nord de la municipalité de Havre-Saint-Pierre. La réalisation de ce complexe ambitieux s’étalera de 2009 à 2020 et comprendra, à son terme, quatre centrales qui produiront 8 térawatts-heures22 par année. Une route permanente de 150 kilomètres reliera la route 138 à la zone d’implantation des ouvrages. Le coût total de la construction du complexe, sans compter les lignes de transport d’électricité, est estimé à 6,5 milliards de dollars.

La vie au chantier

Tout est gigantesque à la Romaine. La rivière elle-même est grandiose, et les travaux, tout en démesure. Les campements, dont celui des Murailles, s’étirent sur plus de 500 000 m2 et peuvent accueillir dans leurs dortoirs plus de 1 990 travailleuses et travailleurs et nourrir au-delà de 1 200 personnes. C’est comme une petite ville, perdue au milieu d’une nature sauvage, avec une infirmerie, un service d’incendie, des agents et des agentes de la paix, sans compter les activités de loisirs offertes : billard, conditionnement physique, quilles, sports de raquette, ski de fond, etc. C’est un monde à part, où les bâtisseuses et les bâtisseurs, logés et nourris, gagnent bien leur vie. Cependant, tout le monde y travaille dur, en moyenne de 10 à 12 heures par jour, sept jours sur sept. Les horaires de travail s’étirent habituellement sur 28 jours d’affilée avec 10 jours de repos pour refaire le plein d’énergie et, pour plusieurs, retrouver enfin leurs proches.

Pierre Tremblay, chef de chantier à la Romaine pour l’entreprise Fernand Gilbert ltée, qui cumule 30 années d’expérience dans le domaine de la construction, dont 10 sur les chantiers éloignés, décrit le chantier en cours :

Quand on parle d’un chantier comme ici, éloigné et à baraquement, on parle d’un horaire de travail de 60 heures par semaine. Il y a beaucoup de gars qui essaient, mais qui ne sont pas capables. C’est trop dur. Ici tu travailles, tu manges, tu t’entraînes un peu pour être capable de travailler et il y en a qui « prennent un coup ». Et puis, il y a l’ennui. N’importe qui ne peut pas faire ça. Si tu n’aimes pas la construction et que tu viens ici juste pour la paie, tu ne survivras pas. Ça prend trop d’énergie. Il faut que tu aimes ça, il faut que tu aimes ça vraiment beaucoup. Les gens dans la construction, c’est des gens passionnés!

Aux yeux de Pierre Hallé, chef de chantier pour Demathieu et Bard Nordex, S.E.N.C., vivre sur un chantier éloigné, c’est, en quelque sorte, vivre coupé du monde :

Ici, on vit comme dans une bulle. On ne se pose pas de questions : on travaille, on travaille, on travaille et on ne voit pas que le temps tourne. Moi, j’ai commencé à m’apercevoir de ça quand j’ai réalisé que ma fille avait 32 ans, alors que je pensais qu’elle en avait encore 27! Les enfants vieillissent et ils partent de la maison, et toi tu n’as pas vu le temps passer. C’est aussi ça la vie sur un chantier éloigné.

La situation des femmes au chantier de la Romaine

Au 16 mai 2012, on dénombre 2 159 personnes qui travaillent sur le chantier de la Romaine, soit 1 897 hommes et 262 femmes. La majorité des travailleuses se trouvent dans l’entretien ménager (aide à la conciergerie), le travail de bureau ou dans les services liés à l’alimentation (aide à la cafétéria). Les travailleuses autochtones travaillent presque toutes comme aides à la conciergerie ou aides à la cafétéria. Angéline Canapé, conseillère en emploi innu au chantier de la Romaine, confirme que les femmes autochtones préfèrent travailler dans ces services, gérés par les communautés innues, où elles peuvent demeurer près de leur communauté et se soutenir entre elles.

À cette date, on compte seulement 16 travailleuses des métiers de la construction. Elles occupent alors l’un ou l’autre des métiers suivants : manœuvre, manœuvre spécialisée, arpenteuse, magasinière et boutefeu-dynamiteuse.

Tableau 3.4 Main-d’œuvre féminine au chantier de la Romaine
Total Hommes Proportion (%) de la main-d’œuvre Femmes Proportion (%) de la main-d’œuvre
Tous métiers confondus 2 159 1 897 87,9 262 12,10
Métiers de la construction 16 0,75

Source : Hydro-Québec (2012).

Tableau 3.5 Métiers de la construction occupés par les femmes de la Romaine
Métier de la construction Nombre
Manœuvre 3
Manœuvre spécialisée 6
Arpenteuse-chef 1
Arpenteuse 4
Magasinière 1
Boutefeu-dynamiteuse 1

Source : Hydro-Québec (2012).

Lors des audiences publiques sur l’abolition du placement syndical (projet de loi no 33), Sylvie Deraspe, représentante du Comité pour la défense des droits des travailleuses de la construction, est venue témoigner afin de dénoncer le traitement fait aux femmes sur les chantiers de construction, notamment dans la région de la Côte-Nord. Son témoignage reprend certains propos que nous avons recueillis dans la littérature et que nous avons aussi entendus de la bouche même des travailleuses de la construction rencontrées au moment de l’élaboration du présent avis. La discrimination, le harcèlement et l’intimidation que vivent de nombreuses femmes sur les chantiers sont bien réels. Cependant, certains propos de Sylvie Deraspe auraient alors fait réagir des travailleuses de la Romaine qui ont affirmé ne jamais avoir été victimes de violence, de harcèlement ou de discrimination sur ce chantier.

Le Conseil est donc allé à la rencontre de ces travailleuses pour en savoir plus et en a profité pour interroger sur place des intervenants et quelques chefs de chantier. Nous avons ensuite poursuivi notre tournée de consultation jusqu’à Sept-Îles pour rencontrer des représentants syndicaux et de nouveau pris la route pour Baie-Comeau afin d’entendre le point de vue d’autres travailleuses et de certains entrepreneurs de la région.

Les défis et les obstacles des travailleuses de la Romaine

Pour leur part, les travailleuses que nous avons rencontrées à la Romaine se sont dites outrées que l’on ait pu insinuer qu’elles échangeaient leur place ici contre des faveurs sexuelles : « Entendre ça, c’est choquant, surtout après tout le chemin que j’ai dû faire pour arriver ici! », commente Marianne, première boutefeu-dynamiteuse dans un tunnel hydroélectrique au Québec.

Par ailleurs, ces travailleuses sont unanimes à dire que, parce qu’elles sont des femmes, elles ont dû faire leurs preuves avant d’être acceptées comme travailleuses sur le chantier. À ce sujet, Marianne raconte :

En principe, je n’ai pas de problème avec les gars, ils sont super, mais je suis quand même obligée de toujours faire mes preuves. On dirait qu’ils ont ça dans le sang qu’une fille doit tout le temps faire ses preuves. Ce n’est jamais acquis pour eux autres.

De l’avis des travailleuses, quand une fille fait ses débuts sur un chantier, elle n’est pas crédible aux yeux des hommes. « Une fois qu’ils t’ont vue aller, là c’est correct », précise Carole, arpenteuse. À preuve, cet exemple tiré de son expérience à la Romaine :

Dans le tunnel, j’ai toujours travaillé en amont, alors tous les gars me connaissaient, j’étais crédible, là. Et puis, [le contremaître] m’envoie en aval. La première chose que je me fais dire c’est : « T’as besoin d’être bonne. » Ça part bien en tabarouette! Après ça, le contremaître m’a timée. Il n’aurait jamais fait ça avec un gars. C’est stressant. Après ça, il m’a dit : « Tu m’as bien surpris! » Aujourd’hui, j’ai fait ma place. Avant, quand un contrat finissait, ils disaient : « La prochaine fois, Jean [son mari qui est aussi arpenteur], tu amèneras ta femme! » Asteure, c’est : « Carole, quand tu reviens, amène donc ton mari! »

Fernande, manœuvre, abonde dans le même sens :

Habituellement, lorsqu’on a fait nos preuves, nous sommes reconnues, ensuite nous sommes appréciées et finalement nous sommes recherchées. Mais, il faut d’abord que tu aies la possibilité de les faire tes preuves! Et si, en plus, tu as tout le temps quelqu’un sur ton dos, c’est dur, très dur.

De son côté, Chantale, magasinière, se fait plutôt philosophe :

Moi, je peux comprendre. Je me dis, ces hommes-là, ils sont habitués de penser de même depuis qu’ils sont au monde et, quelque part, c’est nous autres les femmes qui ont contribué à ce qu’ils pensent de même. Ce qui fait que, présentement, ils essaient de changer tranquillement leur perception des femmes, alors ils nous font faire des petites preuves, à gauche et à droite, pour qu’eux autres, en dedans d’eux-mêmes, ils finissent par se dire : « Est correcte celle-là, même si c’est une femme. » Je pense qu’ils travaillent à modifier leur perception de ce que l’on est, nous autres les femmes.

Michèle, manœuvre, rapporte que ses collègues masculins sont surpris de voir que les femmes réussissent à faire le travail et qu’en plus elles arrivent à mener plusieurs tâches de front :

Ils disent : « Vous en faites ben des affaires vous autres les filles! » Comme si ça ne se pouvait pas. Alors moi, je leur dis : « Qui tu penses qui t’a mis au monde toi? » Ils avaient pu grand-chose à dire après ça.

Le harcèlement sexuel et sexiste

Guylain Gendron, intervenant social au chantier de la Romaine, ne rapporte à peu près pas de plaintes pour violence ou harcèlement envers les femmes. Selon lui, ce n’est pas parce que cela n’existe pas, mais bien parce que les filles qui se font harceler préfèrent quitter le chantier plutôt que de porter plainte :

Je trouve qu’il n’y a pas assez de filles qui portent plainte. Souvent les jokes plates de certains gars dépassent vraiment les bornes. Mais les filles ont peur des conséquences si elles parlent. Elles ne sont que quelques-unes, et tout se sait vite sur un chantier fermé comme celui-ci. Et puis, elles craignent de ne plus être embauchées, alors elles se taisent.

À ce sujet, un chef de chantier relate ce qui est arrivé à une travailleuse qui avait osé porter plainte pour harcèlement :

Je n’ai pas vraiment de misère avec ça, gérer des problèmes, parce gérer des problèmes, on fait juste ça sur un chantier. Mais là, ç’a été très compliqué, surtout pour la personne qui a porté plainte justement. Un suivi d’enquête a été fait et quand tout a été réglé, bien tout n’était pas réglé, parce même si la plainte était confidentielle, tout le monde a su que c’était elle qui avait porté plainte et qu’à cause de ça le gars a été mis dehors de l’équipe. Alors, après ça, elle s’est fait bouder par tous les gars quand elle est revenue sur son lieu de travail. On est dans une bulle ici. Vous avez la grippe, c’est à peu près sûr que le quatrième voisin va l’avoir. Alors, s’il y a un ragot qui part, c’est certain que le lendemain tout le monde est au courant. Ce n’est pas évident de travailler dans un milieu fermé comme ici. Un milieu ouvert, ce n’est pas pareil, parce que là tu t’en retournes chez toi le soir. Ici, même si le gars n’était plus là dans son équipe, la fille, elle pouvait le recroiser ailleurs. Ce qui se passe au travail va te suivre à la cuisine, va te suivre au loisir, va te suivre partout. Je pense qu’elle a regretté d’avoir porté plainte. Si elle avait su... Finalement, c’était trop dur pour elle, alors elle est partie.

Les stratégies d’adaptation

Pour celles qui persistent et restent, le prix à payer serait de se conformer à la culture masculine qui domine dans le chantier. Elles développent alors différentes stratégies pour survivre dans ce milieu trop souvent hostile à la présence des femmes. Elles se font une carapace, se taisent ou répondent en employant le même langage cru accepté sur les chantiers. Elles aiguisent leur caractère, mais pas trop pour ne pas se montrer dominantes et risquer de se placer constamment en situation de conflit avec leurs collègues. La plupart acceptent de s’adapter en se fondant dans la masse, en se conformant et en se pliant aux règles du jeu qui régissent le fonctionnement d’un chantier dominé par les hommes.

Chantale nous explique comment elle se débrouille avec les « farces plates » de ses collègues :

On s’entend que les gars ils ont souvent des propos grivois, alors si tu fais ta frustrée, ils ne te lâcheront pas. Tu as juste à les mettre à leur place, mais il y a une façon pour le faire. Tu peux aussi leur montrer que tu es capable aussi d’en faire des jokes, et souvent des pires qu’eux autres! Alors, à un moment donné, ils arrêtent d’en faire.

« Pour travailler ici, ça prend du caractère », souligne Fernande:

Mais pas trop, parce que si tu as trop de caractère tu vas être tout le temps en guerre avec les gars, et ce n’est pas bon. Avoir du caractère, c’est avoir de la force mentale. Si tu as une force intérieure qui te dit : « C’est ce que je veux faire, et je vais faire ce qu’il faut pour rester là et puis m’adapter. » Ça prend de la persévérance et de la détermination.

Marianne reconnaît que ce n’est pas toujours facile de faire sa place comme femme dans ce métier : « Il faut savoir dealer avec les gars! J’ai dû m’adapter mais je sais me faire respecter. » Fernande ajoute :

Tu ne peux pas dire n’importe quoi à un gars non plus. Quand ça vient d’une femme, il faut user de beaucoup de diplomatie. À leurs yeux, nous sommes inférieures dans le domaine de la construction, alors pour eux, c’est un peu humiliant si on a une meilleure idée qu’eux. Comme s’ils étaient blessés. Si c’était un gars qui avait parlé, ils ne se sentiraient pas blessés.

Les stratégies d’adaptation que décrivent les travailleuses de la Romaine ressemblent à celles qu’utilisent la majorité des femmes sur les chantiers de construction (Dugré, 2006 : 105) qui, pour faire leur place, doivent se conformer aux normes masculines en vigueur dans cette culture (Legault (2001), citée par Dugré (2006 : 90)).

Bien que cette adaptation des travailleuses à ce milieu dominé par les hommes exige beaucoup d’efforts, certaines pensent que c’est normal et qu’elles n’ont pas vraiment le choix de le faire. C’est en tout cas l’opinion de Marianne : « Il faut être capable de travailler avec une gang de gars. Tu sais, ce ne sera jamais un métier de femme, on s’entend. Alors, je me dis tout le temps qu’il faut s’adapter ».

Par ailleurs, si le milieu de la construction est souvent désigné comme le dernier bastion masculin sur le marché du travail, on peut facilement imaginer qu’un chantier éloigné comme celui de la Romaine peut représenter un véritable château fort à investir pour les femmes qui souhaitent s’y intégrer comme travailleuses. C’est en tout cas ce que semble croire Guylain Gendron, intervenant social du chantier :

Il y a toutes sortes de personnes qui viennent travailler sur un chantier éloigné comme celui de la Romaine. Il y en a qui sont là pour faire de l’argent ou pour prendre de l’expérience. Pour d’autres, venir ici, c’est un bon moyen pour fuir des problèmes qu’ils ont à la maison ou ailleurs. C’est aussi une bonne place pour te cacher lorsque tu éprouves de la difficulté à t’adapter à la société. Ici, c’est une bulle, un milieu refermé sur lui-même, un endroit qui peut être propice pour accueillir des gens qui sont réfractaires au changement. À quelque part, un chantier comme ici est en retard par rapport à ce qui l’entoure. Pendant que la société évolue à l’extérieur, ici, ça ne bouge pas.

Selon Guylain Gendron, il est important de miser sur la sensibilisation et l’éducation pour faire changer les choses dans le milieu de la construction. À son avis, il faut engager les mêmes efforts que ceux qui ont été fournis pour faire évoluer le milieu policier, secteur qui a longtemps été réfractaire à la présence des femmes. À cet égard, dans le cas du chantier de la Romaine, il propose d’inscrire des activités de sensibilisation, pour prévenir le harcèlement et l’intimidation, dans le processus d’accueil du chantier, plus précisément pendant la période consacrée à la santé et à la sécurité au travail : « Dès le départ, il faut envoyer un message de tolérance zéro aux gars et leur rappeler que ce n’est pas une étable ici, mais un chantier où le respect à l’égard de toutes et de tous est la règle à suivre, sinon il y aura des conséquences, comme c’est le cas pour le non-respect des règles de santé et de sécurité au travail. »

De son côté, Paolo Mior, agent de la paix responsable de la sécurité industrielle23 pour Hydro-Québec au chantier de la Romaine, dit ne pas avoir reçu de plaintes sérieuses concernant des travailleuses qui auraient été intimidées, harcelées ou violentées sur le chantier :

Je n’ai pas entendu parler de menaces contre des filles. Mais s’il y en a, selon moi, ça viendrait d’une minorité de gars, ceux qui ont encore la vieille mentalité, ceux qui pensent que des filles prennent la job des gars dans la construction. Il faut dire que ce n’est pas facile pour les filles parce que les gars ici, des fois, ils sont spéciaux. Il y en a qui sont collants. Les filles vont rarement au bar du chantier le samedi parce qu’elles se font trop achaler. Elles se sentent comme un morceau de viande au milieu d’un troupeau. Les gars, ils disent ce qu’ils pensent, et ce n’est pas toujours beau à entendre.

De l’avis de Paolo Mior, les hommes sont encore très machos dans le secteur de la construction :

Ça me fait penser comme il y a 20 ans, quand les premières femmes sont arrivées dans la police. Lorsque j’ai fait mes études pour devenir policier, je suis allé interviewer la première femme qui est entrée comme policière au poste de Chicoutimi. Elle trouvait ça très dur, mais maintenant, c’est normal de voir des femmes policières. Aujourd’hui, les gars sont habitués d’aller à l’école de police avec elles, de travailler avec elles. Tu vois, ici dans l’équipe, la moitié, c’est des femmes. Je pense que, dans la construction, les mentalités sont en train de changer, comme cela s’est fait pour les policiers dans le temps. Mais ça ne se fait pas du jour au lendemain. Probablement que les jeunes gars d’aujourd’hui, ils ont l’habitude de voir des filles faire de la soudure ou d’autres métiers du genre. Ça rajeunit sur les chantiers, bientôt la moyenne d’âge ne sera plus de 50 ans comme aujourd’hui, mais pas mal plus jeune. Ce ne sera plus la même mentalité.

Paolo Mior croit que la présence des filles dans le domaine de la construction est bénéfique pour tout le monde : « Je pense qu’il y a beaucoup de gars ici qui sont contents d’avoir des filles avec eux sur les chantiers, ça change la dynamique. » Et il ajoute :

Plus de filles, ça diminuerait un peu la tension qu’il y a ici des fois. Je le vois quand il y a une fille dans les run de mon équipe de sécurité. On dirait que la pression est déjà moins forte lors des interventions. Quand c’est un gars qui se présente dans un party où il y a juste des gars, c’est plus rock and roll. Mais quand c’est une fille qui arrive pour intervenir dans la même situation, l’atmosphère est plus détendue. Je le voyais ça dans mes cours de police, l’approche d’une fille est différente de celle d’un gars, les gars font moins les fiers quand c’est une fille.

« Les femmes ont-elles leur place sur les chantiers de construction de la région de la Côte-Nord? Non, oui et ça dépend. »

La résistance des employeurs à embaucher des femmes sur les chantiers est encore fort présente dans le secteur de la construction. Cette réticence reflète souvent les préjugés et les croyances que les employeurs entretiennent quant à la capacité des femmes à exécuter les tâches aussi bien qu’un homme. Les problèmes anticipés vont de l’acceptation de la présence des femmes par les autres travailleurs à l’absence d’équipements sanitaires qui leur sont réservés, en passant par la crainte de devoir gérer des plaintes de harcèlement. Voici ce que déclarait un chef de chantier à Baie-Comeau : « Ce n’est pas la place d’une fille sur un chantier, c’est trop dur avec les gars et ça prend des toilettes pour les filles, parce qu’une fille, ça ne pisse pas à côté du pick-up! C’est ben du "trouble" ». Plusieurs employeurs seraient peu convaincus de la capacité de l’industrie de la construction à changer ses vieilles mentalités pour être prête à accueillir les femmes dans ses rangs. Le chef de chantier rencontré à Baie-Comeau s’en excuse presque :« Faut pas mal nous comprendre, ce n’est pas qu’on n’aime pas les femmes. On les aime au contraire, mais pas sur un gros chantier comme ici, ce n’est pas leur place! »

De son côté, Jocelyn Bussières, contremaître chez Rénald Côté inc. Mines et construction à Baie-Comeau, se dit heureux et satisfait d’avoir embauché des femmes sur ses chantiers :

La chauffeuse de camion que j’ai embauchée est la meilleure de tous mes hommes. En plus, elle ne manque jamais une journée de travail et elle est toujours à l’heure. Pour moi, les femmes ont passé le test! Ils ne savent pas ce qu’ils manquent les employeurs qui hésitent à embaucher des femmes dans la construction.

Pour sa part, Yannick Tardif, chargé de projet à la Romaine pour Simard-Beaudry Construction, croit qu’il y a de plus en plus de femmes sur les chantiers et que c’est une bonne chose : « En 2007, j’entendais encore sur les chantiers les plus vieux travailleurs dire qu’une femme dans un tunnel, cela portait malheur. Les mentalités sont longues à changer ici. »

Pierre Tremblay, également chef de chantier à la Romaine, croit qu’un employeur peut hésiter à embaucher une femme parce que, même si au départ elle est très motivée, il y a plus de risques qu’elle abandonne qu’un homme :

Les rapports hommes-femmes sur un chantier, ce n’est pas évident à gérer. Elles sont si peu nombreuses. Moi, j’ai 20 gars présentement sur le chantier et j’ai 2 femmes manœuvres. Les gars de la construction... ce sont des gars de la construction. Les remarques vont venir à tous les niveaux. Au niveau de la job, ils vont dire : « Si tu veux être manœuvre, tu vas faire la même job que moi, il n’y aura pas d’exception. » Et puis, au niveau des farces plates. Ils vont faire des jokes assez crues. Ce sont des hommes qui sont ici pendant 28 jours, sans descendre en bas [Havre-Saint-Pierre], ça fait que... Juste le regard des hommes sur elles peut devenir intimidant. Vous êtes allée à la cafétéria, vous comprenez ce que je veux dire? Alors, elles vont faire une run, deux run et puis ça devient insupportable. Je suis même persuadé qu’il y a [des femmes] qui ont peur. Alors, elles finissent par quitter le chantier.

« Les femmes n’ont pas la force physique pour travailler dans un souterrain. »

Selon Pierre Tremblay, le principal obstacle pour les femmes qui souhaitent travailler comme manœuvre en souterrain est le haut niveau d’exigence en fait de capacité physique :

Ici, tous les travaux de forage sont faits par des manœuvres. Un jack leg, ça pèse 85 livres. Donc, travailler avec un jack leg pendant 10 heures de temps, ça prend des bons bras. Et puis, il faut savoir s’en servir pour ne pas se blesser. Ce ne sont pas toutes les femmes qui sont capables de faire ça.

De son côté, Yannick Tardif apporte un autre point de vue :

Chez nous, le travail se fait à l’aide de foreuses robotisées qui se manœuvrent avec des manettes. Donc, une femme peut faire ça sans problème. Depuis 5 ou 6 ans, c’est très rare qu’on sorte un jack leg chez nous. C’est tellement rare que j’ai peu de travailleurs qui sont aptes à l’utiliser. Je te parle des hommes là. Je ne te parle même pas des femmes. Quand ça arrive, que j’ai un travail qui exige un jack leg, j’ai quelques gars qui l’ont utilisé dans le passé et qui sont « habilités » à le faire. Sinon, il y en a plusieurs qui, d’eux-mêmes, ne veulent même pas y toucher, parce qu’ils n’ont jamais pris un jack leg dans leurs mains.

Ce ne sont évidemment pas toutes les entreprises qui possèdent ce type de machinerie coûteuse et qui exige beaucoup d’entretien. Cependant, d’après Yannick Tardif, c’est un bon investissement. D’une part, parce que cette façon de faire est plus performante et que, d’autre part, elle permet de ménager la santé et la sécurité de la main-d’œuvre. À son avis, il faut sensibiliser les travailleurs et les travailleuses aux risques de blessures au travail, en particulier dans le secteur de la construction :

Aujourd’hui, surtout sur des chantiers comme ici, on a les équipements qu’il faut pour éviter de forcer pour rien. Par exemple, j’ai une pompe dans le fond du tunnel qui pèse 45 livres, et il n’y a pas un gars qui va aller forcer après ça. À moins qu’il ait quelque chose à prouver! Il va appeler le loader qui est à 2 pouces de lui et va lui dire : « Lève-moi ça! »

Selon l’expérience de ce jeune chef de chantier, le plus gros effort que les travailleuses et les travailleurs auront de plus en plus à fournir sur un chantier comme celui de la Romaine fera davantage appel à l’endurance et à la capacité de concentration qu’à la force physique brute :

C’est certain qu’il va toujours falloir forcer un peu dans ce milieu-là, mais pour moi le plus important, c’est de faire comprendre que c’est d’abord un métier à risque. Il faut que le travail se fasse. Ici, c’est minimum 60 heures de travail par semaine, jour et nuit. Nous, on travaille sept jours sur sept, donc les travailleurs vont avoir souvent 70 heures, parfois 80 heures de travail dans le corps, donc c’est plus ça, d’après moi, qui est un effort.

Jocelyn Bussières, pour sa part, estime que les règles strictes de santé et de sécurité au travail amènent de plus en plus les travailleurs et les travailleuses de la construction à utiliser l’équipement à leur disposition plutôt que de forcer.

« Les filles n’ont pas assez d’expérience dans la construction pour travailler ici. »

Pour Pierre Tremblay, les femmes qui veulent travailler comme manœuvres en souterrain ont, en général, très peu d’expérience sur les chantiers de construction. Dans ces conditions, ce n’est pas très rentable d’embaucher une femme, souligne-t-il, surtout si elle a besoin de l’aide d’un collègue pour accomplir le travail. Dans un secteur comme la construction, où le marché est très concurrentiel entre les entreprises, où il y a des échéanciers très serrés à respecter, embaucher une femme peut être, à ses yeux, un mauvais choix en fait de productivité. Selon ce chef de chantier, pour pallier leur manque d’expérience comme manœuvres, les femmes devraient aller se chercher des compétences pour exercer des métiers plus spécialisés comme arpenteuses, grutières ou opératrices de pelle, des métiers qui exigent une formation, en général un DEP, et qui ne font pas appel à la force physique, mais à la précision et à des connaissances en matière de systèmes informatisés.

Être arpenteur ou arpenteuse, c’est exercer un métier spécialisé qui exige d’avoir un DEP, mais qui ne demande pas ou peu de force physique, nous indique Marc Lavoie, directeur de projet pour l’entreprise EBC. C’est un métier ouvert aux femmes et qui est actuellement en pénurie grave de main-d’œuvre, précise-t-il, et qui, en plus, est très bien rémunéré : « Tu travailles environ 40 semaines par année, parce que c’est un métier saisonnier, mais à 2 800 $ par semaine, tu peux te faire facilement 112 000 $ par année. »

Pierre Hallé, chef de chantier qui travaille pour Demathieu et Bard Nordex, abonde dans le même sens :

La personne qui a une carte d’opérateur, ça lui donne le droit d’opérer une pelle, mais ça ne veut pas dire qu’il est bon. Je pense que les gens devraient avoir une formation avec les équipements du jour. Un « 50 tonnes » des années 50 n’avait pas un ordinateur dedans comme ceux d’aujourd’hui. Et puis les règles de sécurité ont changé aussi. Anciennement, c’était fait un peu comme ça vient, tandis que maintenant, avec la C-2124, tous les dirigeants ont la tête sur la bûche. Celui qui veut bafouer les règles de sécurité n’est pas le bienvenu. On ne veut pas avoir des avis disciplinaires et risquer de perdre des contrats. Il faut qu’aujourd’hui la personne soit une spécialiste dans son domaine. Moi, une femme qui est spécialisée, elle est la bienvenue. J’ai connu des grutières, des opératrices de pelle qui étaient très respectées. Il faut que la fille soit en mesure de faire valoir ses capacités, ses compétences. À ce moment-là, les hommes sont obligés de s’incliner. Et puis, les gars aiment ça aussi avoir de la compétition, ça les stimule!

Pour Jocelyn Bussières, ce n’est pas vrai qu’embaucher une femme coûte plus cher que d’engager un homme :

Quand j’ai embauché Mona-Lisa pour travailler sur un contrat d’asphaltage, le surintendant m’a dit par la suite qu’il était très satisfait de son travail. Mona-Lisa a une vitesse constante, alors même si c’est plus rude pour elle au départ, en bout de ligne elle est plus rentable qu’un gars qui se traîne les pieds ou qui se dépêche pour pouvoir aller plus vite s’accoter sur le pick-up à rien faire.

Une question de culture

La culture qui existe au sein d’une entreprise de la construction peut favoriser ou non l’intégration des femmes dans ce secteur. En effet, les chefs de chantier qui démontrent de l’ouverture à l’égard des femmes contribuent à changer les mentalités et envoient un message clair aux travailleurs de l’entreprise, à savoir que les femmes peuvent être compétentes et qu’elles ont droit à l’estime et au respect de leurs confrères. En effet, la position adoptée à l’égard du harcèlement ou des propos sexistes par les représentants des entreprises peut être déterminante.

Pour sa part, Yannick Tardif est d’accord avec cette façon de voir :

Chez nous, on ne veut pas que ça arrive le harcèlement ou l’intimidation. Donc, autant moi que le contre-maître ou le surintendant, quand on a un message à faire aux gens qui travaillent pour notre compagnie, on leur rappelle que le respect de l’équipement est important, mais aussi le respect des gens avec qui tu travailles, que ce soit un gars ou une fille.

« C’est tout le temps respectueux entre les gens ici, c’est la culture de EBC que je connais depuis 20 ans », indique, de son côté, le directeur de chantier, Marc Lavoie. Toutefois, il nous rapporte qu’il a déjà dû intervenir : « J’ai tout de suite dit au gars : "Si tu continues mon gars, tu vas être dans le trouble". C’est de valeur parce qu’on t’aime bien ici, mais des commentaires humiliants et répétés, on ne tolère pas ça. »

Sur la route

Mona-Lisa Fortin est très fière de conduire son pick-up qu’elle vient d’acquérir. Elle nous invite à y pendre place, et nous quittons Sept-Îles. Mona-Lisa, la jeune quarantaine, n’est pas très grande, mais on sent tout de suite qu’elle possède une solide force de caractère et qu’elle déborde d’énergie. Tout au long du trajet qui nous sépare de Baie-Comeau, elle nous racontera son parcours avec beaucoup de simplicité et de générosité. Sa vie a été parsemée d’épreuves, à commencer par le décès de son mari qui est survenu aux États-Unis, alors qu’il y travaillait comme monteur de ligne. Un terrible accident de travail. À partir de là, elle a dû prendre sa vie en main pour assurer sa survie et celle de sa fille. Elle a donc pratiqué mille métiers et connu mille misères, avant de s’installer à Baie-Comeau où elle travaille aujourd’hui comme manœuvre spécialisée en asphalte.

Le Conseil : D’après vous, quels sont les obstacles que vivent les femmes sur les chantiers de construction de la Côte-Nord?

Mona-Lisa : Je te dirais que, sur la Côte-Nord, c’est plus dur qu’ailleurs quand tu es une femme qui veut travailler dans la construction. Le plus gros obstacle, c’est la discrimination. Ici, les employeurs, ils ne te donnent pas la chance de faire tes preuves, ils ne veulent même pas t’essayer. Je pense que c’est parce qu’ici c’est très macho comme mentalité. Dans la tête des gars, les femmes, c’est là pour laver de la vaisselle. Moi, j’ai eu la chance de rencontrer Jocelyn l’année passée qui m’a trouvé ma job en asphaltage. Jocelyn Bussières, je vais te le présenter à Baie-Comeau. Il loue des employés...

Il quoi?

(Grand rire) Ben oui, ça se fait dans la construction. Il loue des employés à des entreprises en construction, alors il m’a louée comme manœuvre à une entreprise qui avait un contrat d’asphalte, et c’est là que j’ai eu la chance de faire mes preuves.

Qu’est-ce que vous aviez à faire comme tâches?

Du pelletage, du râtelage, faire dumper les camions, faire les lignes et marquer en avant de la paveuse.

Selon vous, est-ce un métier plus dur pour une fille que pour un gars?

Non! Mon boss m’a dit que je faisais l’ouvrage de deux gars, alors ça se fait sûrement par les femmes aussi!

Les employeurs me disent pourtant que les femmes en général n’ont pas la force physique pour travailler dans la construction, en particulier comme manœuvre...

Ce n’est pas vrai ça. Ce n’est pas une question de force physique. Je pense que, si les règles de sécurité au travail sur les chantiers étaient respectées, il n’y en aurait pas de problèmes, ni pour les femmes ni pour les hommes. Il y aurait moins d’accidents de travail, il y aurait moins de blessures inutiles. Mais ils ne se mettent pas à jour sur les chantiers question de sécurité, parce qu’il faut que ça aille vite, tout le temps plus vite. Il faut que ça roule.

Qu’est-ce que vous conseilleriez à une jeune fille de 22 ans qui aimerait travailler dans la construction sur la Côte-Nord?

Je lui dirais d’aller en arpentage parce qu’il y a juste les filles en arpentage qui n’ont pas de misère à se placer (rires). Plus sérieusement, peu importe le métier, je lui dirais de ne pas se laisser impressionner, ne pas se laisser intimider, de ne pas se laisser harceler et surtout de dénoncer si ça arrive. Je sais que les filles ont peur de se plaindre, elles ont peur de ne plus pouvoir travailler sur un chantier. Surtout dans une petite place comme ici. Mais il faut dénoncer ces gestes-là, si on veut qu’un jour ça change sur les chantiers, sur la Côte-Nord, comme ailleurs.

J’ai l’impression que vous parlez en connaissance de cause...

En effet. Il y a quelques années, je travaillais pour un maçon à Québec. Il m’avait promis que je pourrais faire mes 150 heures pour obtenir ma carte de manœuvre. Il me criait tout le temps après, mais tout ce qu’il voulait, c’était de coucher avec moi. J’ai fini par porter plainte parce qu’à un moment donné il menaçait aussi ma fille. J’ai finalement réussi à faire, chez un autre employeur, les 37 heures qui me manquaient pour avoir ma carte.

À votre avis, que faudrait-il faire pour améliorer la situation des femmes dans la construction?

Premièrement, que les femmes ne soient pas obligées de faire 150 heures pour obtenir leur carte de compétence « apprenti » ou, sinon, obliger l’employeur à tenir sa parole quand il s’engage auprès de la travailleuse à la faire travailler 150 heures. Même s’il existe en ce moment des mesures pour faciliter l’accès au certificat de compétence « apprenti » pour les femmes, c’est plus difficile pour elles que pour les hommes d’accumuler ces 150 heures d’expérience. Deuxièmement, il faudrait qu’elles puissent accéder plus facilement aux formations offertes par la CCQ. Moi, par exemple, cela m’a pris deux ans avant de cumuler suffisamment d’heures pour aller chercher ma formation de manœuvre spécialisée en asphalte.

Auriez-vous d’autres recommandations à proposer?

Oui. Il faudrait obliger les employeurs à embaucher des femmes sur les chantiers. Sans obligation, ils ne le feront jamais, et rien ne va changer. On est rendu là, je pense.

4. Les initiatives

La lutte contre les stéréotypes, un combat sans cesse remis sur le métier

Des mesures et des actions ont été réalisées pour s’attaquer à la socialisation stéréotypée qui, comme on le sait, a un impact déterminant sur les compétences que les filles et les garçons vont développer, notamment pour exercer des métiers comme ceux qui sont pratiqués dans le secteur de la construction. Des outils sont aussi proposés aux parents, aux responsables des services de garde, aux membres du personnel enseignant de même qu’aux conseillers et aux conseillères d’orientation puisque la culture, la famille et les milieux éducatifs influent, notamment, sur les choix d’orientation des filles et des femmes. Enfin, le Plan d’action gouvernemental pour l’égalité entre les femmes et les hommes 2011-2015 prévoit des mesures pour favoriser une socialisation non stéréotypée des jeunes, dont certaines sont déjà en vigueur.

Tableau 4.1 Bilan des mesures pour favoriser une socialisation non stéréotypée chez les jeunes
Mesures Actions Diffusion Années de réalisation
Sensibiliser le personnel des services de garde éducatifs à l’enfance à l’égard des stéréotypes sexuels Trois actions
1re action : diffusion du DVD (outil autoportant) D’égal(e)s à égaux
Objectif : produire du contenu de sensibilisation et un document d’accompagnement afin de susciter une réflexion et des échanges.
Diffusion de l’outil auprès de 2 500 services de garde
Populations cibles :
  • le personnel des services de garde à l’enfance (installations et milieux familiaux);

  • le personnel enseignant en formation initiale à l’attestation d’études collégiales (AEC), de la technique d’éducation à l’enfance (TEE) et du baccalauréat en enseignement préscolaire et primaire.

Depuis l’automne 2011
2e action : publication de l’outil de formation D’égal(e)s à égaux dès la petite enfance Objectif : revisiter les pratiques pédagogiques et déconstruire les stéréotypes. Formation offerte auprès de tous les services de garde à l’enfance
D’ici le 31 mars 2013, environ 15 formations auront été données auprès des éducatrices et des éducateurs, des responsables de services de garde ainsi que des conseillers et des conseillères pédagogiques.
Depuis octobre 2012
3e action : élaboration du document intitulé Les livres et les jouets ont-ils un sexe? Objectif : prendre conscience des stéréotypes présents dans les livres et les jouets et encourager les usagères et les usagers à faire de meilleurs achats ou encore à utiliser différemment ce qu’ils ont déjà. Diffusion :
  • le personnel des services de garde à l’enfance installations et milieux familiaux);

  • le personnel enseignant en formation initiale à l’attestation d’études collégiales (AEC), de la technique d’éducation à l’enfance (TEE) et du baccalauréat en enseignement préscolaire et primaire.

2011-2013
Sensibiliser les représentants et les représentantes du milieu scolaire à l’égard des stéréotypes Tenir des rencontres de sensibilisation auprès des personnes suivantes :
  • conseillers et conseillères pédagogiques;

  • conseillers et conseillères d’orientation;

  • enseignants et enseignantes;

  • autres membres du personnel professionnel.

Formation donnée par une consultante de la Y des femmes dont la diffusion a été assurée par le Secrétariat et des partenaires de l’éducation. Au total, 169 personnes ont été formées au cours des 14 formations. Printemps et automne 2012
Diffuser auprès du personnel des écoles primaires et secondaires un outil de sensibilisation à l’égard des stéréotypes (outil autoportant) Objectif : faire prendre conscience au personnel en milieu scolaire, particulièrement aux enseignantes et aux enseignants, de l’existence des stéréotypes et de leurs effets afin d’adopter des pratiques assurant la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes. Un outil de sensibilisation est actuellement en élaboration. Il prendra en considération, notamment pour cibler le contenu et la forme de l’outil à venir, les résultats d’un questionnaire administré dans certaines écoles du Québec. 2012-2013
Offrir aux parents des outils de sensibilisation aux rapports égalitaires Informer les parents au regard des stéréotypes et de leurs effets pour permettre le plein développement de leurs enfants dans une société plus égalitaire. Sont ici visés les parents dont les enfants fréquentent les services de garde éducatifs à l’enfance ainsi que les écoles primaires et secondaires. 2013-2014
Diffuser une campagne de promotion des rapports égalitaires destinée au grand public À venir À venir 2014-2015

Éradiquer complètement les stéréotypes est probablement illusoire tant ils sont profondément enracinés dans nos rapports sociaux. Toutefois, pour exercer sa vigilance et demeurer critique à cet égard, il faut continuer d’en parler, en particulier aux jeunes, et ce, dès le plus jeune âge.

Les parents et le personnel en milieu scolaire, dont les enseignantes et les enseignants, semblent parfois sous-estimer les effets et les conséquences négatives des stéréotypes sur le parcours personnel et professionnel des jeunes. C’est peut-être la raison pour laquelle, bien que des outils et des formations existent, peu de demandes sont faites pour les obtenir. Pourtant, l’éducation à l’égalité des sexes devrait faire partie de la formation initiale et continue des pédagogues (Cromer, 2012 : 176). En effet, il leur faut avoir les outils nécessaires pour assumer leur responsabilité, qui est de développer chez les jeunes leur sens critique et leur capacité de réfléchir au sujet des stéréotypes et des préjugés de sexe.

Des actions en continu dans un modèle d’intervention intégré

À l’heure actuelle, certaines initiatives encouragent les jeunes filles et les femmes à considérer des métiers qui leur sont moins familiers, mais qui pourraient répondre à leurs aspirations et les amener à mettre à profit leur potentiel. D’autres mesures existent aussi pour soutenir les femmes qui désirent intégrer et occuper un métier de la construction.

Dans son étude récente sur la situation des femmes dans l’industrie de la construction (2012), le CIAFT recense quelques-uns des projets réalisés par des groupes de femmes en vue d’améliorer la situation des travailleuses du domaine de la construction. Des 16 groupes de femmes répertoriés dans les différentes régions du Québec, seulement 3 avaient des projets destinés à améliorer la situation de ces travailleuses (CIAFT, 2012 : 50). Parmi ces groupes, certaines représentantes ont déclaré qu’elles ne souhaitaient pas encourager les femmes de leur région à considérer les métiers de la construction, étant donné la façon dont celles-ci sont traitées dans l’industrie. Depuis, deux recherches-actions, gérées par l’organisme FRONT, se sont ajoutées à la liste des projets qui concernent les femmes et la construction.

Tableau 4.2 Projets destinés aux travailleuses du domaine de la construction
Projets* Particularités
Les femmes dans la construction; une voie d’avenir pour un secteur en effervescence
Centre d’intégration au marché de l’emploi de l’Estrie (CIME)
But : Augmenter le nombre de femmes dans les métiers de la construction en Estrie en intervenant auprès des travailleuses, des associations syndicales et des entreprises.
Le projet propose :
  • des ateliers de sensibilisation destinés aux syndicats, aux enseignants et aux enseignantes de même qu’aux élèves des écoles de formation professionnelle en construction;

  • du soutien aux travailleuses ainsi qu’aux employeurs qui intègrent des femmes dans leur équipe.

Promotion des femmes de la construction à l’évènement Bâtisseur d’un jour
Comité d’action pour la mixité en emploi de l’Outaouais (CAMEO)
But : Encourager les jeunes à opter pour un métier de la construction. Le CAMEO collabore étroitement avec la CCQ en identifiant des travailleuses prêtes à venir témoigner de leur expérience dans le contexte du projet Bâtisseur d’un jour.
Le projet offre aussi la possibilité aux travailleuses d’être accompagnées par l’organisme Options femmes emplois (OFE) pour les soutenir pendant leur formation et leur intégration en emploi.
Groupe de soutien pour les travailleuses de la construction
Dimension Travail de Laval
But : Soutenir les femmes tout au long de leur parcours pour intégrer un métier de la construction. Le projet offre un groupe d’entraide destiné aux travailleuses de la construction.
Projet 1 − Déconstruire les préjugés. Femmes et syndicat : des outils nécessaires (projet de recherche)(FRONT) But : Favoriser l’embauche et le maintien des femmes dans l’industrie de la construction par leur engagement au sein de leur syndicat.
Le projet propose :
  • de mettre en évidence les perceptions des travailleuses à l’égard de leur syndicat;

  • de concevoir des outils pour favoriser l’engagement syndical des travailleuses de la construction;

  • de sensibiliser les différents syndicats de la construction à leur rôle dans la défense des droits fondamentaux des travailleuses (discrimination et harcèlement).

Projet 2 − Surmonter les stéréotypes et choisir un métier de la construction (projet de recherche) (FRONT) But : Comprendre les facteurs qui contribuent chez les jeunes filles au développement d’un sentiment de capacité personnelle pour exercer un métier de la construction.
Le projet de recherche implique la tenue d’un sondage auprès de 200 élèves du secondaire.

* L’information contenue dans ce tableau est tirée de l’étude du CIAFT (2012).

Ces différents projets ont en commun de ne pas faire porter exclusivement sur les épaules des femmes le poids de leur intégration dans les métiers de la construction. Bien que des mesures soient créées pour soutenir les femmes au fil de leur parcours, les différents acteurs visés, dont les syndicats et les employeurs, sont interpellés. Quant à l’organisme CIME de l’Estrie, il va encore un peu plus loin en proposant un modèle intégré d’intervention dans lequel l’approche systémique prend tout son sens. Ainsi, ses actions sont menées à toutes les étapes du processus d’intégration, soit en formation, en recherche d’emploi et en emploi, toujours en collaboration avec les différents partenaires du milieu. Pour Christiane Carle, directrice de CIME, l’intégration des femmes doit être vue comme une responsabilité à partager entre les groupes spécialisés en développement de la main-d’œuvre féminine, le personnel enseignant en formation professionnelle, les représentants syndicaux, les employeurs, les contremaîtres et les collègues de travail.

Comme le montre l’expérience albertaine, il existe ailleurs au Canada des organismes permanents qui aident les femmes à intégrer le milieu de la construction. L’un des aspects intéressants de ces expériences est certainement le suivi assuré par l’organisme auprès des femmes. Rappelons que ces dernières vivent beaucoup d’isolement dans leur processus d’intégration au monde de la construction et qu’elles se sentent parfois démunies relativement aux obstacles qui se dressent devant elles tout au long de leur parcours. En ce sens, ce suivi est précieux, car il permet aux femmes d’avoir un lien constant, un point d’ancrage familier qui les rassure et les encourage à passer d’une étape à l’autre pour s’intégrer dans un métier de la construction et s’y maintenir.

D’autres initiatives destinées aux travailleuses de la construction existent, dont certaines ont vu le jour récemment. L’intention n’est pas de faire ici un inventaire complet des actions existantes, mais plutôt de donner des exemples de projets qui proposent un modèle d’intervention inscrit dans la durée plutôt que des mesures ponctuelles.

Les mesures du PAE de l’industrie de la construction : beaucoup d’insatisfaction et peu de résultats

Entrées en vigueur en 1997, les mesures du PAE de l’industrie de la construction sont loin d’avoir atteint les objectifs escomptés. En effet, le nombre de femmes inscrites aux programmes d’études liés à ce domaine et qui ont obtenu leur diplôme demeure très faible : la proportion de travailleuses sur les chantiers est de 1,3 %, un bien faible taux.

Dans son bilan réalisé en 2012, la CCQ constate que le PAE a concentré ses efforts sur les mesures qui susciteraient l’intérêt des femmes et qui permettraient d’augmenter la proportion de femmes formées dans l’industrie de la construction (CCQ, 2012a : 39). La CCQ reconnaît aujourd’hui que, même après avoir terminé leur formation, les femmes constatent que les portes demeurent fermées pour elles sur les chantiers. La stratégie de communication adoptée en 2003 lors de la campagne de promotion Fiers de bâtir ensemble25 avait pour objet de promouvoir l’industrie de la construction auprès de la relève, tant féminine que masculine. Dans un mémoire d’information déposé par la Direction des communications de la CQQ (CCQ, 2003 : 5), les auteures concluent que ce type de campagne de promotion a ses limites puisque son succès repose sur la démonstration que l’industrie offre ce qu’elle avance :

Susciter l’intérêt des femmes à s’inscrire aux cours sans qu’elles puissent réussir à trouver un emploi, faute d’employeurs intéressés à les embaucher, entraînerait l’effet contraire à celui recherché : de moins en moins de femmes seraient intéressées à intégrer l’industrie et, qui plus est, les efforts pour montrer une image d’ouverture de l’industrie aux femmes seraient réduits à néant (CCQ, 2003 : 5).

En 2009, la Direction des communications de la CCQ réalisait une enquête (CCQ, 2012a) sur les perceptions des employeurs dans le but de mieux connaître leur opinion au sujet de la présence des femmes et des minorités visibles sur les chantiers de construction. Les résultats de l’enquête révèlent sans équivoque le manque d’ouverture et les préjugés des employeurs à l’égard de la main-d’œuvre féminine. En voici quelques exemples tirés de l’enquête (CCQ, 2012a : 65) :

Sur une note plus encourageante pour l’avenir des femmes dans l’industrie de la construction, l’enquête démontre cependant que les individus nés pendant la période1960-1979, employeurs comme travailleurs, accepteraient davantage la présence des femmes sur les chantiers que les individus nés durant la période 1946-1959.

À la suite de ces constations, il est clair que le nouveau plan de relance du PAE26 devra contenir, non seulement des mesures pour stimuler l’intérêt des femmes pour l’industrie, mais surtout des actions vigoureuses pour exiger des employeurs qu’ils embauchent des femmes et qu’ils s’engagent à leur offrir des conditions de travail pour favoriser leur maintien en emploi.

Conclusion et recommandations

L’urgence d’agir

À la lumière de l’analyse de la situation des femmes dans les métiers de la construction, le Conseil croit qu’il est urgent d’agir pour que cessent le harcèlement, l’intimidation et la discrimination que subissent de nombreuses femmes sur les chantiers. Il existe au Québec des lois qui ont été édictées pour protéger la santé, la sécurité et la dignité des travailleuses et des travailleurs dans les différents secteurs de l’activité économique. Pourtant, il est clair que les droits fondamentaux des travailleuses sont trop souvent bafoués dans l’industrie de la construction. Dans l’industrie de la construction, le genre masculin prédomine, et la présence des femmes demeure une exception. Comme dans bien d’autres milieux traditionnellement masculins, cette marginalité augmente le risque pour les travailleuses d’être victimes de harcèlement et de discrimination. Qui plus est, la réglementation singulière qui s’applique dans cette industrie limite les recours des femmes qui se trouvent isolées et démunies dans la plupart des cas. Le Conseil souhaite que des actions vigoureuses soient entreprises pour augmenter l’embauche de femmes dans les métiers de la construction. À ce jour, toutes les mesures mises en place dans le Programme d’accès à l’égalité dans le domaine de la construction ont un caractère volontaire. Le Conseil croit, compte tenu des maigres résultats obtenus jusqu’à maintenant, que des mesures plus contraignantes doivent être appliquées pour obliger les employeurs à embaucher des femmes. En effet, de l’avis de plusieurs, il faut viser l’atteinte d’une masse critique de femmes dans ce secteur. Une augmentation significative du nombre de femmes dans un milieu traditionnellement masculin comme celui de la construction pourrait aussi encourager d’autres femmes à investir ce secteur et, du même souffle, contribuer à éliminer certains préjugés relatifs à leurs compétences. L’atteinte d’une masse critique peut également permettre de faire évoluer la culture et les pratiques du milieu de la construction, et ce, au bénéfice de tous et de toutes. Par exemple, on pourrait adopter de nouvelles façons de faire qui exigent moins de force physique ou encore mettre au point des solutions originales pour concilier le travail sur les chantiers et les responsabilités familiales.

La référence de la main-d’œuvre féminine

Pour le Conseil, les dispositions du projet de règlement sur la référence de la main-d’œuvre féminine sont insuffisantes puisqu’elles n’apportent rien de plus que ce qui est déjà prévu dans la mesure 9 du PAE de l’industrie de la construction. Rappelons que cette mesure, en vigueur depuis 1997, oblige la CCQ à diriger les femmes en priorité vers les employeurs qui font une demande de main-d’œuvre. Selon l’avis du Conseil, sans mesures obligatoires d’embauche, la proportion de femmes dans l’industrie de la construction demeurera négligeable.

Le Conseil recommande donc :

  1. Que les entreprises de la construction qui souhaitent bénéficier de contrats publics ou de sous-traitance publique soient tenues d’embaucher des femmes et que cette disposition constitue une condition pour participer aux appels d’offres. L’objectif global est que l’industrie de la construction devra compter 3 % de femmes, soit l’équivalent de la moyenne canadienne, d’ici trois ans.

    Les valeurs communes : intégrité, respect et égalité

    Au Québec, il y a un consensus autour du fait que les droits fondamentaux de tous les citoyens et citoyennes doivent être respectés. Ce désir collectif s’exprime, entre autres, à l’intérieur de nombreuses dispositions législatives qui contribuent à ce que ces valeurs communes d’intégrité, de respect et d’égalité s’incarnent non seulement dans les institutions, mais aussi dans le milieu de vie de chaque personne.

    À cet égard, le projet de loi n°1 sur l’intégrité en matière de contrats publics et de sous-traitance publique (L.Q. 2012, c. 25.) en est un bon exemple puisqu’il constitue un moyen pour s’assurer que l’intégrité gouverne l’octroi et la gestion des contrats publics. Toutefois, le Conseil aurait souhaité que dans cette notion d’intégrité soient incluses les valeurs de respect, d’intégrité et d’égalité, telles qu’elles sont défendues par le gouvernement québécois à l’égard de toute travailleuse ou de tout travailleur. Bien que la situation des femmes dans l’industrie de la construction soit alarmante, il n’y a rien dans ce projet de loi pour rappeler qu’au Québec le harcèlement et la discrimination sont interdits en milieu de travail et que les personnes qui contreviennent à cette règle sont sanctionnées.

    Selon le premier alinéa de l’article 21.24 du projet de loi n° 1, l’entreprise reconnue coupable, au cours des cinq années précédentes, d’une infraction figurant à l’annexe I verra sa demande d’autorisation (pour l’octroi d’un contrat public ou de sous-traitance publique) refusée ou son autorisation révoquée. Le Conseil croit que le gouvernement du Québec aurait dû inclure dans la liste des infractions figurant à l’annexe I du projet de loi n° 1 les condamnations en cas de harcèlement et de discrimination.

  2. Que l’Autorité des marchés financiers refuse d’octroyer à une entreprise l’autorisation préalable à l’obtention d’un contrat public ou de sous-traitance publique, ou qu’elle puisse la révoquer, en cas de condamnation pour harcèlement, discrimination ou atteinte aux droits fondamentaux des travailleuses. Ces dispositions devraient être mentionnées de manière explicite dans l’annexe I du projet de loi n° 1 afin d’informer clairement les parties intéressées de leur existence : la Loi sur les normes du travail, la Loi sur la santé et la sécurité au travail, la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, le Code civil du Québec, la Charte des droits et libertés de la personne, le Code criminel, etc.

    Le lourd fardeau de l’intégration

    Le Conseil estime que le fardeau de l’intégration des travailleuses dans les métiers de la construction ne doit pas reposer uniquement sur les épaules des femmes. En effet, il faut reconnaître que les obstacles qu’elles rencontrent au fil de leur parcours professionnel pour intégrer le secteur de la construction relèvent peu de leurs caractéris- tiques personnelles, mais davantage d’une discrimination systémique qui s’exerce à leur endroit. À cet égard, les employeurs et les organisations syndicales ont des responsabilités à assumer de même qu’un rôle à jouer pour accueillir et soutenir les femmes qui exercent des métiers de la construction.

    Le harcèlement sexuel et psychologique ainsi que la discrimination que subissent des femmes sur les chantiers de construction sont certainement les problèmes les plus urgents à régler. À cet effet, il est bon de rappeler que, devant la loi, l’employeur a la responsabilité de créer un milieu de travail exempt de harcèlement. Les organisations syndicales doivent également être interpellées, car elles ont le devoir de faire respecter les droits fondamentaux de toute travailleuse ou de tout travailleur sur les chantiers.

  3. Que la Commission de la construction du Québec vérifie, au moment de l’inspection des chantiers, que la mise en œuvre et le respect des politiques internes pour contrer le harcèlement sont appliqués par les employeurs du secteur de la construction.

  4. Qu’un volet de sensibilisation et de prévention du harcèlement et de la discrimination soit créé à l’intérieur du programme de formation obligatoire reconnu par la Régie du bâtiment du Québec sur la gestion de la santé et de la sécurité au travail, destiné aux employeurs, et qu’il constitue une condition pour l’obtention ou le renouvellement de leur licence.

  5. Qu’une équipe relevant directement de la présidence soit créée à l’intérieur de la Commission de la construction du Québec pour soutenir les travailleuses qui souhaitent porter plainte. Cette équipe devrait recevoir une formation appropriée pour être en mesure de répondre aux besoins des travailleuses au regard du respect de leurs droits, notamment dans les cas de harcèlement, de discrimination ou de retrait préventif.

  6. Que les associations syndicales de la construction se donnent une politique pour contrer le harcèlement sexuel et la discrimination sur les chantiers et offrent un programme de sensibilisation et de prévention destiné aux représentants syndicaux qui interviennent sur les chantiers.

    Un modèle d’intervention global, intégré et cohérent

    Aux yeux du Conseil, la reconnaissance des femmes dans le domaine de la construction est encore loin d’être atteinte. Malgré toutes les mesures mises en place et les efforts entrepris, les filles et les femmes s’intéressent peu à ce secteur; quand elles le font, elles se butent à de nombreuses difficultés pendant leur formation, leur recherche d’emploi et leur intégration en emploi.

    Le Conseil croit qu’il faut envisager la mise en place de mesures et d’interventions destinées aux femmes dans le domaine de la construction dans une perspective globale, intégrée et cohérente où chaque étape du parcours que les femmes doivent entreprendre pour exercer un métier de la construction aura un impact sur la suivante. Selon le Conseil, il faut donc agir dans un esprit de continuité soit, non seulement en emploi, mais aussi en amont de la formation, pendant la formation ainsi que durant la recherche d’emploi.

    Des actions en amont

    À la lumière de l’analyse que le Conseil a faite, ce n’est pas tant le manque de force physique ou l’absence de compétences qui font obstacle à la participation des femmes à l’industrie de la construction, mais bien les préjugés entretenus dans la culture du bâtiment. Ces préjugés qui sont encore de nos jours fortement enracinés, non seulement chez les acteurs du milieu de la construction, mais aussi partagés par plusieurs personnes, parfois à leur insu. Rappelons que ces représentations sexuées des compétences persistent à maintenir la ségrégation professionnelle des emplois avec, à la clé, des conséquences désastreuses sur la vie personnelle, économique et sociale des femmes. C’est la raison pour laquelle le Conseil insiste, dans le présent avis, sur l’importance de poursuivre le travail aux différentes sources du problème, soit dans le cercle familial, à l’école et sur le marché du travail, là où se produisent et se reproduisent les stéréotypes sexuels.

  7. Que se poursuivent les initiatives mises en place par le Secrétariat à la condition féminine à la suite de la mise en œuvre du Plan d’action gouvernemental pour la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes 2011-2015, et ce, pour favoriser une socialisation non stéréotypée des jeunes.

  8. Que le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, en collaboration avec les écoles des métiers de la construction, conçoive des ateliers pratiques de construction et les propose aux élèves. Que le personnel de ce ministère ainsi que les conseillers et les conseillères d’orientation en formation soient davantage conscientisés et formés pour fournir aux élèves de l’information scolaire et professionnelle non stéréotypée.

    Des actions en aval : recrutement, formation, recherche d’emploi et emploi

  9. Que les écoles des métiers de la construction du Québec s’inspirent de modèles d’intervention qui ont fait leurs preuves tels que Femmes, de l’école au chantier et Women Building Futures en Alberta pour mettre en place des mesures particulières qui favorisent :

    • le recrutement des filles et des femmes qui y étudient;

    • le soutien des filles et des femmes pendant leur formation, leur recherche d’emploi et leur intégration en emploi;

    • la sensibilisation des employeurs et des syndicats du milieu de la construction à la gestion des équipes mixtes.

    En 2003, la CCQ, proposait une campagne pour attirer les femmes dans les métiers et occupations de la construction. Différentes stratégies et mesures ont alors été mises en place pour atteindre cet objectif. Malheureusement, les employeurs ne faisaient pas partie des populations visées dans le plan de communication. Le Conseil croit que les efforts déployés pour assurer une relève féminine dans le secteur de la construction demeureront vains si aucun travail n’est fait pour, non seulement sensibiliser les employeurs à embaucher des femmes, mais aussi pour leur rappeler leurs obligations et leurs responsabilités à l’égard des travailleuses en emploi.

  10. Que la Commission de la construction du Québec, conjointement avec les ministères et les autres partenaires visés, élabore une campagne de publicité portant sur les femmes et les métiers de la construction avec un plan de communication particulier destiné aux employeurs de ce secteur.

    Lorsqu’une femme arrive sur un chantier, elle doit, la plupart du temps, s’adapter aux outils et aux équipements conçus pour les hommes. Afin d’assurer la sécurité de leurs travailleuses, le Conseil croit que les employeurs de la construction ont le devoir de fournir à ces dernières les outils et les équipements adaptés à leur morphologie.

  11. Que la Commission de la santé et de la sécurité du travail soit mandatée pour s’assurer, à l’occasion des inspections de chantiers, que les travailleuses disposent d’équipements sécuritaires adaptés à leur morphologie.

On les qualifie encore de pionnières ces femmes qui osent s’aventurer sur les territoires traditionnellement masculins, en particulier celles qui travaillent dans les métiers de la construction. Il est vrai que ces travailleuses ont une certaine parenté avec ceux et celles qui, aux premiers temps de la colonie, se sont installés sur de nouvelles terres pour les défricher. À leur exemple, c’est avec acharnement que des femmes bâtissent leur place et se fraient aujourd’hui, tant bien que mal, un chemin dans ces contrées inhospitalières à leur endroit. Malgré leur prése nce encore discrète, et en dépit des obstacles, les femmes s’imposent de plus en plus dans l’industrie de la construction. Certaines d’entre elles sont grandes et costaudes; d’autres plus petites, presque menues. Plusieurs ont une solide force de caractère; d’autres, un peu moins. Elles ont chacune leur histoire de vie, parfois bien singulière. Elles possèdent des forces et des faiblesses différentes, mais toutes partagent une véritable passion pour leur métier. La croyance selon laquelle il existe un profil type pour devenir une travailleuse de la construction ne doit plus tenir. La réalité est que, selon leurs compétences et leurs champs d’intérêt, toutes les femmes qui aspirent à travailler sur un chantier doivent pouvoir le faire.

Les enjeux de la situation des femmes dans le domaine de la construction vont bien au-delà des mesures actives d’embauche ou des politiques pour contrer la discrimination et le harcèlement sexuel. Bien que ces mesures soient essentielles, le Conseil est d’avis que c’est indéniablement la culture masculine de l’industrie de la construction qui doit évoluer. À l’heure actuelle, les travailleuses s’établissent de plus en plus sur les territoires traditionnellement occupés par les hommes. Elles contribuent ainsi, par leurs compétences et leur engagement personnel, à l’évolution inévitable de ces secteurs. Désormais, les travailleuses de la construction ne devront plus être perçues comme des pionnières, car elles sont là pour rester.

Bibliographie