Mémoire - Assurance autonomie : projet équitable pour les femmes?

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Table des matières

Liste des sigles

ASSS
Agence de la santé et des services sociaux
AVD
Activités de la vie domestique
AVQ
Activités de la vie quotidienne
CHSLD
Centre d’hébergement et de soins de longue durée
CSSS
Centre de santé et de services sociaux
CLSC
Centre local de services communautaires
EESAD
Entreprise d’économie sociale en aide domestique
MSSS
Ministère de la Santé et des Services sociaux
MAMROT
Ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire
OEMC
Outil d’évaluation multiclientèle
PALV
Perte d’autonomie liée au vieillissement
PEFSAD
Programme d’exonération financière pour les services d’aide domestique
SAPA
Soutien à l’autonomie des personnes âgées
SMAF
Système de mesure de l’autonomie fonctionnelle

Introduction

Le Conseil du statut de la femme est un organisme gouvernemental indépendant dont la mission est de promouvoir et de défendre les droits et les intérêts des Québécoises. Depuis sa création, le Conseil s’intéresse aux questions relatives à l’organisation et au financement de notre système public de santé, un acquis social qui favorise le bien-être des personnes et l’égalité entre les femmes et les hommes, car il garantit à toutes et à tous un accès à des soins de qualité en fonction de leurs besoins et non en fonction des revenus dont ils disposent.

Au printemps 2013, le ministre de la Santé et des Services sociaux et ministre responsable des aînés, M. Réjean Hébert, soumettait à la population du Québec un projet de mise en œuvre d’une assurance autonomie. Le vieillissement de la population du Québec, parmi les plus rapides au monde, demande que nous examinions notre système actuel de soins et de services de maintien à domicile, ainsi que la meilleure façon de les adapter à des gens vieillissants pouvant, à un moment ou à un autre de leur vie, être touchés par une perte d’autonomie, une incapacité ou une maladie chronique.

Ce projet de mise en œuvre a pour objectifs de déplacer des ressources et des services vers le lieu où les personnes choisissent de vieillir; d’effectuer une transition d’un système « hospitalocentriste » (conçu pour répondre aux besoins d’une population jeune ou pour traiter des maladies aigües) à un système adapté à une population vieillissante, aux prises avec des maladies chroniques et une perte d’autonomie; de garantir une enveloppe financière pour les soins et les services de maintien à domicile et pour l’optimisation de l’utilisation des ressources.

En 2011, 87 % des personnes de 65 ans et plus vivaient à leur domicile, 9 % en résidence pour personnes âgées, 1 % en ressources intermédiaires et 3 % en Centre d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD). Par ailleurs, en 2011-2012, les dépenses du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), dans le cadre du Programme Perte d’autonomie liée au vieillissement (PALV), totalisaient 2,9 G$. Seulement 17,4 % de ces dépenses étaient allouées aux services à domicile offerts aux personnes âgées en perte d’autonomie et 81,4 % étaient consacrées aux services d’hébergement (Vérificateur général du Québec, 2013, p. 8). Il y a manifestement un décalage entre les besoins d’une population qui vieillit et qui veut vieillir chez soi – le faisant d’ailleurs déjà en grande majorité – et les ressources consenties pour permettre au plus grand nombre de faire ce choix le plus longtemps possible.

Les politiques en matière de soins et de services de maintien à domicile représentent un enjeu important pour les femmes. D’une part, comme bénéficiaires, puISQu’elles vivent plus longtemps, elles sont plus à rISQue de vieillir seules et en moins bonne santé, et elles sont plus pauvres que les hommes. Par exemple, elles sont en général plus touchées que les hommes par une incapacité modérée à grave, degrés de gravité associés à l’âge et ayant des répercussions dans la vie de tous les jours : 13 % chez les femmes et 9 % chez les hommes (Institut de la statistique du Québec, 2013). De plus, en 2010, 62,4 % des femmes de 65 ans et plus avaient un revenu disponible inférieur à 20 000 $, comparativement à 37 % chez les hommes.

Le vieillissement des femmes les rend plus dépendantes du réseau de soins et de services de maintien à domicile, et met en lumière la précarité de leur situation lorsqu’elles sont malades. La privatisation et la tarification des soins et des services de longue durée – à domicile ou en centre d’hébergement – sont des options particulièrement coûteuses pour les femmes en raison de leur longévité et de la plus grande vulnérabilité économique dans laquelle elles se trouvent souvent et qui réduit leur capacité à payer pour ces services.

D’autre part, les femmes sont les principales dispensatrices des soins et des services qui permettent aux personnes de vieillir à domicile, que ce soit à titre de travailleuses rémunérées ou de proches aidantes. Les décisions en matière d’organisation, de prestation et de financement des soins et des services de maintien à domicile ont des répercussions sur l’environnement de travail, les conditions salariales et d’emplois de milliers de travailleuses des secteurs privé ou public. Par ailleurs, des années 1970 à aujourd’hui, l’État s’est appuyé sur les proches aidantes pour prodiguer aux personnes en perte d’autonomie et aux personnes handicapées vivant à domicile un éventail de plus en plus large de soins et de services de plus en plus complexes.

Le Conseil souscrit au projet de mise en œuvre d’une assurance autonomie et adhère aux principes d’accessibilité, d’universalité, d’équité et de solidarité dans le financement sur lesquels cette assurance reposera. La création d’une caisse autonomie « étanche » et consacrée spécifiquement à la prestation des services et des soins de maintien à domicile comme mode de financement du régime d’assurance autonomie confirme la volonté du ministre de canaliser les ressources, humaines et financières, vers la prestation de services et de soins de longue durée à domicile. Enfin, le Conseil salue la prise en compte, dans l’analyse de l’expérience du vieillissement, des réalités différentes entre les femmes et les hommes de 65 ans et plus, réalités souvent occultées dans les écrits sur ce phénomène. À ce chapitre, le Conseil réitère l’importance d’intégrer l’analyse différenciée selon les sexes à toutes les étapes de la conception et de la mise en œuvre du projet d’assurance autonomie, de façon à pouvoir mesurer les effets des orientations et des décisions prises sur les conditions de vie des femmes de 65 ans et plus.

Vieillir au féminin : déterminants des besoins en matière de soins et de services de maintien à domicile

En 2011, les femmes représentaient 56,5 % des personnes de 65 ans et plus et 70 % des 85 ans et plus, le groupe d’âge le plus susceptible de vivre une perte d’autonomie et de requérir des services et des soins de maintien à domicile. En 2010-2012, les Québécoises jouissaient à la naissance d’une espérance de vie de 83,7 ans et, à 65 ans, d’une espérance de vie de 21,8 ans. En comparaison, les hommes avaient une espérance de vie à la naissance de 79,7 ans et leur espérance de vie à 65 ans atteignait 18,9 ans (ISQ, page consultée le 23 juillet 2013).

Les femmes vivent plus longtemps, et plus souvent seules : en 2011, 34,5 % de celles de 65 à 79 ans et 53,8 % de celles de la catégorie des 80 ans et plus vivaient seules, comparativement à 18,7 % et à 24,5 % des hommes des mêmes groupes d’âge1.

Le statut économique des femmes de 65 ans et plus est moins sécurisant que celui de leurs homologues masculins : en 2010, le revenu disponible de ces femmes était de 20 900 $, soit 70 % de celui des hommes de la même catégorie (29 700 $) (ISQ, page consultée le 7 août 2013).

Tableau I

Distribution par tranche de revenu disponible des particuliers de 65 ans et plus, Québec, 2010
Revenu annuel disponible ($) Femmes de 65 ans et plus (%) Hommes de 65 ans et plus (%)
Moins de 10 000 13,7 1,4
Moins de 20 000 62,4 37,0
Plus de 40 000* 6,8 17,9
* De 40 000 à 59 000 6,8 11,7
* De 60 000 à 79 000 0 3,5
* 80 000 et plus 0 2,7

Le taux de faible revenu, avant impôt, s’établit à 23 % chez les femmes de 65 ans et plus en comparaison de 14,8 % chez les hommes. Après impôt, il est de 12,3 % chez les premières et de 8,2 % chez les seconds, ce qui montre bien l’importance du rôle que jouent les transferts gouvernementaux dans l’amélioration de la condition économique des personnes, ceci étant particulièrement vrai pour les femmes. Sans ces transferts, près d’une femme sur quatre vivrait sous le seuil de faible revenu (ISQ, page consultée le 11 octobre 2013c).

Ces écarts de revenus entre les femmes et les hommes de 65 ans et plus reflètent les inégalités persistantes tout au long de leur vie active. Si les femmes forment, en 2012, 47,3 % de la population active (Portrait , 2013, p. 13), elles affichent des taux d’emploi inférieurs à ceux des hommes, œuvrent plus fréquemment dans des emplois à temps partiel et précaires (ISQ, page consultée le 11 octobre 2013a) ou sont plus souvent rémunérées au salaire minimum (ISQ, page consultée le 11 octobre 2013b).

En 2011, la majorité des femmes (87,1 %) et des hommes (93,3 %) de 65 ans et plus occupent leur propre domicile, proportions qui, même au sein des sous-groupes d’âge de cette cohorte, restent élevées : 85,1 % des femmes et 90,1 % des hommes de 75 à 84 ans et 58 % des femmes et 71 % des hommes de 85 ans et plus habitaient en logement privé (Statistique Canada, page consultée le 11 octobre 2013).

Les catégories de logements collectifs qui regroupent le plus de personnes de 65 ans et plus sont les résidences pour personnes âgées, les établissements de soins infirmiers, les hôpitaux pour personnes souffrant de maladies chroniques et les hôpitaux de soins de longue durée. En 2011, 1,2 % des femmes et 0,9 % des hommes de 65 à 74 ans, 6 % des femmes et 3,9 % des hommes de 75 à 84 ans, et 21,2 % des femmes et 14,2 % des hommes de 85 ans et plus résidaient dans un établissement de soins infirmiers, un hôpital pour personnes souffrant de maladies chroniques ou un hôpital de soins de longue durée. Ceux qui vivaient dans une résidence pour personnes âgées se répartissaient ainsi : 1,2 % des femmes et 0,7 % des hommes de 65 à 74 ans, 7,2 % des femmes et 4,1 % des hommes de 75 à 84 ans, et 17,7 % des femmes et 13 % des hommes de 85 ans et plus (Statistique Canada, page consultée le 11 octobre 2013).

Selon les données du MSSS (Statistique de santé et de bien-être selon le sexe, page consultée le 11 octobre 2013), les femmes de 65 ans et plus qui demeurent en logement privé sont proportionnellement plus nombreuses que leurs équivalents masculins à avoir besoin d’aide pour les activités de la vie quotidienne (AVQ) : en 2011, 15,3 % des 65 à 74 ans, 36,6 % des 75 à 84 ans et 64 % des 85 ans et plus; chez les hommes, 7,9 %, 16,8 % et 50,7 % pour ces mêmes groupes d’âge.

Globalement, la proportion de femmes de 65 ans et plus ayant ce type de besoin est deux fois plus élevée que celle des hommes : chez les 75 à 84 ans, on compte 2,2 fois plus de femmes que d’hommes. Ces écarts peuvent s’expliquer en partie par le fait que les hommes vieillissent plus souvent en couple et que leur conjointe assume les tâches qu’ils ne sont plus en mesure d’exécuter eux-mêmes. Les femmes, qui vieillissent plus souvent seules, peuvent moins compter sur l’aide d’un conjoint pour accomplir les tâches domestiques ou les soins à la personne.

Les soins et les services de maintien à domicile pour les personnes âgées en perte d’autonomie : état de la situation et évolution de l’offre

Il existe deux grandes catégories de soins et de services à domicile offerts aux personnes âgées en perte d’autonomie : les soins et les services professionnels, et les services d’aide à domicile.

Les soins et les services professionnels regroupent les soins infirmiers, les services d’inhalothérapie, les services de nutrition, les services de réadaptation (ergothérapie ou physiothérapie), les services médicaux et les services psychosociaux.

Les services d’aide à domicile comprennent les services d’assistance aux activités de la vie quotidienne (AVQ), comme les soins d’hygiène, l’assistance pour la prestation de soins médicaux et la prise de médicaments, l’aide à l’alimentation, l’aide à l’habillement, l’aide à la mobilisation et l’aide aux transferts et aux déplacements, ainsi que les services d’assistance aux activités de la vie domestique (AVD), tels les travaux ménagers légers et les travaux ménagers lourds, la préparation de repas (sans diète), la lessive, l’approvisionnement et autres courses. Les services d’assistance auxAVD se distinguent des services d’assistance aux AVD parce qu’ils requièrent des contacts physiques avec la ou le bénéficiaire.

La politique de maintien à domicile Vivre et vieillir ensemble : chez soi, dans sa communauté, au Québec (Québec, 2012) prévoit que les services d’assistance aux AVD et aux AVD sont fournis gratuitement aux personnes aux prises avec une incapacité temporaire (moins de trois mois) ou avec une incapacité significative et persistante, ainsi qu’aux personnes recevant des soins palliatifs. Toutefois, les personnes qui ont uniquement besoin de services d’assistance aux AVD sont dirigées vers une entreprise d’économie sociale en aide domestique (EESAD). Elles doivent payer pour les services qu’elles reçoivent, mais elles peuvent bénéficier d’un remboursement pour chaque heure de service fournie dans le cadre du Programme d’exonération financière pour les services d’aide domestique (PEFSAD)2.

En 2010-2011, 323 176 personnes ont reçu des services de soutien à domicile dans le cadre de l’ensemble des programmes et des services au Québec; 178 043 de celles-ci obtenaient des services par l’entremise du programme PALV (MSSS, 2013b).

En 2011-2012, les dépenses du MSSS relatives au PALV totalisaient 2,9 G$; seulement 17,4 % de ce montant était alloué aux services à domicile offerts aux personnes âgées en perte d’autonomie et 81,4 % servaient à défrayer des services d’hébergement (Vérificateur général du Québec, 2013, p. 8).

Au 31 mars 2012, 16 395 personnes étaient en attente pour des soins à domicile (MSSS, 2013b).

Les ressources en hébergement de longue durée

Les personnes de 65 ans et plus qui ne sont plus en mesure de vivre et de vieillir à leur domicile devront se tourner vers l’une ou l’autre des ressources en hébergement de longue durée. Dans le secteur public, on compte les CHSLD publics et privés conventionnés, les ressources intermédiaires et les ressources de type familial et, dans le secteur privé, les CHSLD privés non conventionnés et les résidences privées pour personnes âgées.

Les CHSLD, publics, privés conventionnés et privés non conventionnés, visent les personnes dont la perte d’autonomie est importante. Les critères d’admissibilité pour un placement en CHSLD n’ont cessé de se resserrer au cours des derniers 40 ans : en 1990, une personne pouvait être admise si elle nécessitait 1,33 heure de soins par jour; en 1994, 80 % des demandes pour un placement concernaient des gens qui demandaient 2,36 heures de soins par jour et, en 1999, 57,3 % recevaient 2,9 heures de soins par jour. Aujourd’hui, les personnes hébergées en CHSLD requièrent au moins 3 heures de soins au quotidien (Conseil des aînés, 2008, p. 25).

Au 31 mars 2011, il y avait au Québec 209 établissements qui remplissaient une mission de CHSLD, une baisse de 65 % par rapport à 1991, alors que l’on comptait 595 exploitants3, dont 44 (21 %) relevaient du secteur privé (Info-établissements..., 2012, p. 15-17). En 2011, on comptait 3,37 lits dressés4 en CHSLD pour 100 personnes de 65 ans et plus, comparativement à 3,97 en 2006, une baisse de 15 %.

Au 31 mars 2010, moins de 33 996 personnes de 65 ans et plus étaient hébergées en CHSLD, en comparaison de 35 478 en 2006, une diminution de 4,2 %. Cette diminution touche tous les sous-groupes d’âge de la cohorte des 65 ans et plus, à l’exception des 85 ans et plus, dont le nombre d’admissions a augmenté de 2,1 % au cours de la même période. En 2011, les 85 ans et plus formaient 45,2 % de l’ensemble des personnes de 65 ans et plus qui résidaient en CHSLD, proportion en hausse par rapport à 2005-2006, alors qu’ils composaient 42,4 % des résidents.

Au 15 décembre 2012, 4 419 personnes étaient en attente d’une place en CHSLD. Au 31 mars 2012, 510 nouvelles places en CHSLD ont été octroyées (MSSS, 2013b).

Les ressources intermédiaires et, dans une moindre mesure, les ressources de type familial accueillent les personnes dont la perte d’autonomie est moins importante. Au 31 mars 2010, on comptait 2 054 ressources intermédiaires, dont 317 (15,4 %) étaient destinées aux personnes en perte d’autonomie liée au vieillissement, et 3 143 ressources de type familial, dont 4,4 % seulement avaient pour vocation de répondre à la problématique « perte d’autonomie liée au vieillissement » (Info-hébergement..., 2011, p. 12-13).

Le coût moyen quotidien estimé d’un lit varie selon le type d’établissement : en 2012-2013, un lit en CHSLD coûtait en moyenne 215 $ par jour, comparativement à 90 $ pour un lit en ressources intermédiaires – volet perte d’autonomie liée au vieillissement, et à 62 $ pour un lit en ressources de type familial (MSSS, 2012). Le recours aux ressources intermédiaires pour héberger une personne dont la perte d’autonomie liée au vieillissement est plus importante devient une option moins coûteuse pour l’État. D’ailleurs, afin de maximiser l’utilisation de ces ressources, le MSSS a aboli le plafond d’heures de soins requis pouvant être fournies dans les ressources intermédiaires pour leur permettre d’accueillir des personnes dont la perte d’autonomie est plus significative et qui réclament des soins continus. Cependant, on fait remarquer que le coût très bas des lits en ressources intermédiaires est rendu possible principalement par les salaires des travailleuses qui dépassent souvent de très peu le salaire minimum, 12 $ l’heure en moyenne pour une auxiliaire familiale (Commission des partenaires du marché du travail, page consultée le 11 octobre 2013).

Quant aux ressources de type familial, elles servent surtout de familles d’accueil pour des enfants en difficulté. Il reste que l’augmentation de la demande en hébergement de longue durée pour des personnes âgées en perte d’autonomie pourrait changer la situation; le manque de ressources pousse le Ministère à acheter des places en hébergement dans ces ressources, qui ne sont pas équipées pour répondre aux besoins des personnes en perte d’autonomie importante (Info-hébergement..., 2011, p. 14).

Les résidences pour personnes âgées

La majorité des personnes qui ne sont pas hébergées dans le réseau public obtiennent des services dans les résidences pour personnes âgées. Au sens de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, une résidence pour personnes âgées est un

immeuble d’habitation collective où sont offerts, contre le paiement d’un loyer, des chambres ou des logements destinés à des personnes âgées et une gamme plus ou moins étendue de services, principalement reliés à la sécurité et à l’aide à la vie domestique ou à la vie sociale, à l’exception d’une installation maintenue par un établissement et d’un immeuble ou d’un local d’habitation où sont offerts les services d’une ressource intermédiaire ou d’une ressource de type familial (Info-hébergement..., 2011, p. 13).

Les résidences pour personnes âgées visent une clientèle autonome ou semi-autonome. Alors que le nombre de places en hébergement de longue durée dans le réseau public a suivi une tendance à la baisse entre 2006 et 2010, à l’exception des ressources intermédiaires, le nombre d’unités locatives dans les résidences pour personnes âgées est passé de 86 341 à 112 051 au cours de la même période, une hausse de 29,8 %. Ce sont les résidences pour personnes âgées qui affichent le taux d’unités locatives le plus élevé pour 100 personnes de 65 ans et plus, soit 9,6; en 2006, il était de 8,3 (Info-hébergement..., 2011, p. 14).

Les résidences privées viennent en quelque sorte prendre le relais entre les ressources institutionnelles limitées et la famille épuisée, sur qui repose à nouveau le fardeau de la prise en charge des personnes dépendantes. Ces résidences, en marge du réseau public, constituent désormais l’acteur principal de l’hébergement des personnes âgées au Québec (Soulières et Ouellette, 2012, p. 17).

Selon l’Enquête nationale sur les résidences privées pour personnes âgées menée par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), en 2012, au Québec, le loyer mensuel moyen des studios et des chambres individuelles incluant un repas est de 1 410 $ et de 2 323 $ pour la catégorie des places offrant des soins assidus. Pour 60,6 % des unités locatives standard5, le loyer mensuel moyen était inférieur à 1 500 $; pour 27,9 %, il variait entre 1 500 $ et 1 999 $; pour 6,3 %, il était situé entre 2 000 $ et 2 499 $; dans 5,3 % des cas, il était supérieur à 2 500 $. Le taux d’inoccupation des places standard est de 8,4 % au Québec; ce sont les régions métropolitaines de recensement de Québec et de Montréal qui détiennent les taux d’inoccupation les plus faibles, 5,7 % et 7,9 % respectivement. Pour l’ensemble du Canada, ce taux est de 10,6 % (Rapport…, 2012, p. 2).

Le vieillissement de la population n’explique qu’en partie cette croissance du nombre d’unités dans les résidences privées pour personnes âgées. Le resserrement des critères d’admissibilité pour une place en CHSLD a eu pour effet de réduire l’accès aux ressources en hébergement de longue durée. Par ailleurs, l’investissement en immobilisation – rénovation et entretien du parc d’unités d’hébergement de longue durée – est insuffisant.

[...] le recours au secteur privé s’inscrit dans une logique marchande. La capacité de payer du résident détermine la nature et la fréquence des services et des soins qu’il pourra s’offrir. On constate par ailleurs que les résidences ajoutent fréquemment des clauses aux baux pour signifier qu’au moment où il y aura modification de la condition d’autonomie du résident, ce dernier devra quitter. On est favorable à la reconnaissance des limites des milieux privés; toutefois, on peut se demander ce qui adviendra de ces personnes; auront-elles tendance à camoufler les signes d’une perte d’autonomie? (Soulières et Ouellette, 2012, p. 18)

La tendance n’est pas près de se résorber, compte tenu des paramètres du cadre financier proposé dans le contexte de la mise en œuvre du projet d’assurance autonomie qui prévoient entre autres que pour ces quatre premières années, la mise en œuvre de l’assurance autonomie devra respecter étroitement le cadre financier déjà fixé. [Cette mise en œuvre] implique un recours accentué au soutien à domicile, une maîtrise des dépenses en hébergement et une limite aux dépenses d’immobilisation (MSSS, 2013a).

Les femmes : au cœur du réseau de santé et de services sociaux

Les prestataires de soins et de services à domicile de longue durée sont nombreux : dans le secteur public, les CSSS et les Centres locaux de services communautaires (CLSC); dans le secteur privé à but non lucratif, les EESAD, les coopératives de services d’aide domestique et de services de répit, les organismes communautaires et, dans le secteur privé à but lucratif, les agences privées de placement de personnel, les entreprises spécialisées dans les soins infirmiers. Les corps d’emploi que l’on trouve au sein de ces entreprises varient : médecins (omnipraticiennes et omnipraticiens), auxiliaires de services sociaux et de santé6, préposées et préposés aux bénéficiaires, infirmières et infirmiers, employées et employés7 sur le terrain des EESAD, etc.

Cette structure du secteur des services et des soins de maintien à domicile s’accompagne aussi d’une hétérogénéité des conditions de travail : travail à temps partiel ou temps plein, rémunération, horaires brisés ou non, heures supplémentaires payées ou non, convention collective ou non, protection pour faute professionnelle ou non, avantages sociaux, stabilité de l’emploi, lien d’emploi avec l’employeuse ou employeur. Par exemple, deux employées qui donnent un même type de service seront rémunérées différemment.

Toutefois, dans cette hétérogénéité, une constante : les femmes forment la grande majorité du personnel qui offre les soins et les services de maintien à domicile.

Le secteur public

Les auxiliaires de services sociaux et de santé qui relèvent du secteur public fournissent aux personnes les services d’assistance aux activités de la vie quotidienne (AVQ) et aux activités de la vie domestique (AVD). En 2011-2012, on comptait 5 032 auxiliaires de services sociaux (Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, page consultée le 11 octobre 2013) et de santé, dont 86,9 % sont des femmes (Service Canada, page consultée le 11 octobre 2013).

Les auxiliaires de services sociaux et de santé renseignent les responsables et les membres de l’équipe du CLSC sur les besoins de l’usagère ou usager et de sa famille. En collaboration avec les autres intervenantes et intervenants, elles participent à l’identification des besoins de l’usagère ou usager de même qu’à l’élaboration et à la réalisation du Plan de service ou d’intervention.

Au 1er avril 2013, le salaire horaire des auxiliaires de services sociaux et de santé variait entre 18,34 $ et 20,14 $ (Comité patronal de négociation du secteur de la santé et des services sociaux, page consultée le 11 octobre 2013). Dans le réseau public de santé, ces auxiliaires doivent en général détenir un diplôme d’études professionnelles nécessitant entre 960 et 1 080 heures de formation.

Le personnel infirmier constitue un autre groupe professionnel qui assure une partie des soins et des services à domicile. En 2011-2012, parmi les 67 606 infirmières et infirmiers qui exerçaient la profession au Québec, 90 % étaient des femmes8. Le taux d’emploi est stable depuis quelques années. En 2011-2012, il atteint 97,7 %, une situation qui s’apparente au plein emploi. Le taux de rétention en emploi après cinq ans dépasse les 90 %. La part des emplois à temps complet atteignait 58,3 %, alors que 32,3 % de l’effectif travaillait à temps partiel9.

Parmi le personnel infirmier, 10 632 (15,7 %) choisissaient les soins de première ligne comme domaine de pratique, dont 3 127 optaient pour les soins et les services de maintien à domicile.

Cette proportion ne représente que 4,6 % de l’ensemble du personnel infirmier au Québec.

Au 1er avril 2013, le salaire horaire d’une infirmière oscillait de 22,41 $ à 33,36 $ (CPNSSSS, page consultée le 11 octobre 2013).

Les médecins généralistes font partie des intervenantes et intervenants dans la prestation des soins et des services à domicile, bien qu’ils ne soient pas assez nombreux à effectuer des visites à domicile (Conseil du statut de la femme, 2013a, p. 23).

Les grilles de rémunération des omnipraticiennes et omnipraticiens ne favorisent pas les soins à domicile. Plusieurs médecins consultés estiment qu’ils gagnent entre 32 $ et 60 $ l’heure en traitant des malades en fin de vie chez eux, alors qu’en cabinet, ils font entre 90 $ et 150 $ l’heure, selon la lourdeur des cas.

Le nombre de médecins de famille par 1 000 personnes augmente de façon constante depuis 1998, à l’exception de l’année 2006. En 1998, on comptait 0,95 omnipraticienne ou omnipraticien par 1 000 personnes, comparativement à 1,05 par 1 000 en 2011.

Les employées embauchées dans le cadre du programme Chèque emploi-service font partie des prestataires de services de maintien à domicile. Les CSSS ont recours à ce programme pour assurer la prestation de soins et de services de maintien à domicile principalement auprès de personnes handicapées et, dans une moindre mesure, auprès des personnes en perte d’autonomie liée au vieillissement. Le programme Chèque emploi-service prend la forme d’une prestation en espèces calculée en fonction du nombre d’heures de services déterminées par le CLSC et remise aux personnes qui requièrent des services à domicile. La ou le bénéficiaire des services, ou une ou un proche, est responsable de la sélection, du recrutement, de l’embauche de la personne de son choix et, le cas échéant, de son congédiement; elle ou il doit en outre remplir tous les formulaires et les documents relatifs au versement du salaire de l’employée.

En 2011-2012, les dépenses consenties au titre du programme Chèque emploi-service étaient de 58 M$; 16 509 employées (MSSS, 2013b)10 étaient inscrites au service de paie du programme, à l’institution financière responsable de la gestion des payes. Parmi les 9 356 bénéficiaires qui ont eu recours aux services fournis à l’intérieur de ce programme, 60 % avaient une déficience physique, 11 % une déficience intellectuelle ou un trouble envahissant du développement, 24 % vivaient une perte d’autonomie liée au vieillissement et 5 % appartenaient à d’autres catégories.

Dans le contexte du programme Chèque emploi-service, le salaire de base équivaut au salaire minimum. Les travailleuses paient des impôts, contribuent à la Régie des rentes du Québec, cotisent au Régime québécois d’assurance parentale et à l’Assurance-emploi, bénéficient des avantages de la Loi sur les normes du travail (jours fériés, absences et congés familiaux) et sont assujetties à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. En cas d’accident du travail, elles peuvent retirer des indemnités prévues à cette fin (MSSS, 2009, p. 4).

Ce programme n’est pas très populaire auprès des personnes de 65 ans et plus en raison de la complexité du processus d’embauche, des formulaires à remplir et des autres exigences bureaucratiques.

L’économie sociale, secteur privé à but non lucratif

Les EESAD et les organismes communautaires sont des joueurs importants du secteur des services de maintien à domicile.

Au Québec, il y a 101 EESAD accréditées par le MSSS à l’intérieur du PEFSAD.

Les services couverts par le PEFSAD comprennent l’entretien ménager léger (comme la lessive, le balayage, l’époussetage et le nettoyage) et l’entretien ménager lourd (tel que le grand ménage, le déneigement de l’accès principal du domicile, l’entretien des vêtements, la préparation de repas sans diète, l’approvisionnement et les autres courses). Certains services complémentaires (par exemple, l’arrosage et le rempotage, la réparation de fenêtres, l’enlèvement des rebuts, le déplacement de meubles, la rentrée du petit bois ou le ramassage des feuilles à l’automne) peuvent être couverts par le PEFSAD selon la région et le territoire desservi.

En 2011-2012, les montants investis dans le PEFSAD s’élevaient à un peu plus de 62 M$ pour un total de près de 5,7 millions d’heures de services rendus.

Au cours de l’année financière 2011-2012, les EESAD ont desservi 83 953 personnes dont 73 % (61 459) sont des femmes, 67 % des personnes seules et 70 % des gens âgés de 65 ans et plus. Parmi la clientèle de 65 ans et plus, 20 % ont entre 65 et 74 ans et 50 % 75 ans et plus. Deux tiers des personnes qui ont eu recours aux services des EESAD étaient admissibles à l’aide variable, en raison d’un revenu inférieur aux seuils d’exemption prévus au PEFSAD, dont 80 % étaient âgées de 75 ans et plus (MSSS, 2013c).

En 2009, les EESAD généraient 6 800 emplois, dont 93 % étaient occupés par des femmes. Celles-ci assumaient la responsabilité de 91 % des postes administratifs à temps plein et de 94 % de ces postes à temps partiel. Elles détenaient aussi 94 % des postes sur le terrain, à temps plein ou à temps partiel. Des 667 postes disponibles dans les conseils d’administration pour l’ensemble des EESAD, 63,4 % sont assurés par des femmes.

En moyenne, 3 % des emplois dans les EESAD sont financés par les programmes d’employabilité ou d’insertion; 54 % des emplois sont à temps plein et 46 % à temps partiel11. La majorité des femmes qui occupent un emploi sur le terrain et qui travaillent à temps plein ont de 46 à 55 ans; celles qui travaillent à temps partiel appartiennent en majorité aux 55 ans et plus.

Le salaire horaire des employées sur le terrain travaillant à temps plein était de 10,60 $ l’heure et de 10,44 $ pour celles travaillant à temps partiel12. La formation de ces auxiliaires varie grandement. Elle est souvent moindre que dans le réseau public. Le salaire horaire moyen du personnel administratif à temps plein était de 17,37 $ et de 15,44 $ pour le personnel à temps partiel. Les conditions salariales diffèrent d’une région à l’autre et en fonction des territoires de chaque Conférence régionale des élus.

Les conditions de travail sont marquées par des heures coupées et atypiques, des salaires faibles, des déplacements et des distances à parcourir. En outre, certains des motifs invoqués par les EESAD qui ont dû exclure des personnes de leur clientèle permettent d’entrevoir les conditions difficiles des travailleuses qui prodiguent, seules, des services de maintien à domicile; par exemple, les mauvais comportements des bénéficiaires ou encore du harcèlement.

Selon les données de l’enquête réalisée auprès des EESAD par le ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire (MAMROT), responsable de l’économie sociale, la tarification pour les services couverts par le PEFSAD s’échelonnait de 11,70 $ à 28 $ l’heure, d’après le type de service fourni ou la catégorie de personnes : membres, non-membres ou personnes référées par les CSSS. Le tarif moyen en 2009-2010 était de 16,67 $ l’heure (MAMROT, 2012b).

Les particularités des EESAD de la région de Montréal

Les EESAD de la région de Montréal rencontrent des contraintes particulières en raison de la situation socioéconomique des personnes, des caractéristiques des logements, du caractère multiethnique des bénéficiaires et des employées, du transport en milieu urbain et du nombre d’emplois peu qualifiés offerts sur le marché du travail montréalais (Jetté et Vaillancourt, 2010, p. 2).

Les sept EESAD de la région de Montréal qui ont participé à l’enquête du MAMROT effectuaient en moyenne, chaque année, 41,5 heures de services par client, ce qui est en deçà de la moyenne nationale de 69 heures. Cet écart s’explique en partie par le grand nombre de petits logements à Montréal qui réduit le nombre d’heures requis pour exécuter les tâches domestiques, par la capacité financière moins grande des usagères et usagers de la région montréalaise, entre autres à cause du coût de la vie plus élevé, par le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté et par celui des personnes vivant seules.

À ces contraintes s’ajoutent celles liées au transport dans un grand centre urbain. L’utilisation du transport en commun peut s’avérer difficile, particulièrement dans les secteurs plus éloignés de la ville, desservis seulement aux heures de pointe. La densité de la circulation, la rareté des places de stationnement, l’abondance de travaux routiers contribuent à rendre difficiles les déplacements des employées d’un endroit à l’autre13.

Ces éléments exercent une pression à la hausse sur les frais de gestion et de transport, plus élevés dans la région de Montréal que la moyenne provinciale.

Par ailleurs, l’enquête du MAMROT (2012) révélait que 31 % du personnel des EESAD participantes était composé de personnes immigrantes (MAMROT, 2012a, p. 15). Le caractère multiethnique des bénéficiaires et des employées pose des défis aux entreprises : attitudes discriminatoires de certains usagers et usagères réfractaires à l’idée de recevoir des services de la part d’employées appartenant à une minorité visible, conflits internationaux entre communautés qui ont une incidence sur le jumelage employée-bénéficiaire, barrière linguistique qui exige, dans diverses situations, de recourir à une employée qui pourra servir d’interprète.

Le taux de roulement élevé des employées des EESAD de Montréal, 51 % (MAMROT, 2012a, p. 14), peut se comprendre en partie par la disponibilité, sur le marché de l’emploi de la région de Montréal, d’emplois dans des métiers non spécialisés, ce qui permet aux employées de trouver facilement un autre emploi. Compte tenu de la faible marge de manœuvre dont disposent les EESAD pour améliorer les conditions salariales de leurs employées, le taux de roulement reste élevé. Cette difficulté à recruter des employées et à les maintenir en emploi peut, ultimement, avoir un effet sur la qualité des services offerts ou sur la capacité de l’entreprise à répondre à la demande.

Les organismes communautaires font également partie des prestataires de services à domicile de longue durée. En 2012-2013, au Québec, on compte 519 organismes communautaires soutenus par le programme PALV. Parmi ces derniers, les Centres d’action bénévole, les Popotes roulantes, des services qui offrent un temps de répit aux personnes proches aidantes. Au total, les subventions versées à ces organisations totalisaient 45 982 956 $.

Des emplois de qualité et durables?

Selon l’analyse de Louise Boivin Les femmes dans l’engrenage mondialisé de la concurrence, Étude de cas sur les travailleuses des services d’aide à domicile au Québec, la difficulté à améliorer les conditions de travail des employées qui offrent des services domestiques provient de la structure du marché de l’emploi et de la division sexuée et stéréotypée de l’emploi.

La division sexuée du travail a eu pour effet de reléguer aux femmes les tâches domestiques et la prise en charge des membres de la famille. Cette organisation en fonction des rôles traditionnels dévolus aux femmes et aux hommes a eu des conséquences sur le choix de carrière que chacun d’eux ont fait ainsi que sur la valeur et la reconnaissance des compétences et des aptitudes requises pour effectuer les tâches.

Les tâches qui permettent aux personnes de vieillir à domicile sont très proches de ce que les rôles traditionnels de mère et d’épouse exigeaient dans la sphère domestique – prise en charge des enfants, entretien de la maison –, tâches qui ne requièrent aucune formation particulière puis qu’elles semblent aller de soi au regard des autres.

Pourtant, les habiletés et les compétences de ces travailleuses dépassent l’exécution des tâches d’entretien ménager en tant que tel. Les travailleuses sur le terrain au service des EESAD doivent avoir des compétences relationnelles et offrent souvent du soutien psychologique aux bénéficiaires.

C’est également la ségrégation sexuée des emplois valorisant la force physique qui justifierait pourquoi certaines EESAD offrent une rémunération plus élevée pour les employées assignées aux travaux d’entretien ménager lourd.

La conception stéréotypée des aptitudes relationnelles des femmes engagées pour les travaux d’entretien ménager léger, perçues comme étant « naturelles » et innées, fait en sorte que ces travailleuses n’arrivent pas à obtenir une reconnaissance financière, alors qu’elles doivent interagir régulièrement avec des malades ou des personnes âgées difficiles et craintives.

Le secteur privé à but lucratif – Agences de placement de personnel

Les données sur les agences de placement de personnel qui fournissent des services et des soins de maintien à domicile sont rares. Celles portant sur les auxiliaires parlent de salaire minimum, d’horaire de travail atypique, d’heures coupées, de travail à temps partiel, sans compter les nombreux déplacements pour se rendre au domicile des personnes. La formation de ce personnel varie grandement.

Selon l’OIIQ, en 2011-2012, environ 7 700 infirmières avaient un emploi principal dans le secteur privé, dont 2 264 travaillaient pour une agence de placement et de soins, ce qui équivaut à 251 infirmières de moins qu’en 2010-2011. En tenant compte des 1 305 infirmières qui occupent un emploi secondaire par l’intermédiaire d’une agence, l’effectif total de ces entreprises privées représente 5,3 % de l’effectif global; en 2009-2010, cette proportion était de 5,9 % (OIIQ, page consultée le 11 octobre 2013).

Les proches aidantes

En 200714, parmi la population de 45 ans et plus, le Québec comptait 842 800 personnes proches aidantes, ou 26 % de l’ensemble de la population des 45 ans et plus. De ces personnes, 59,1 % sont des femmes. En fait, 29,4 % des Québécoises sont proches aidantes, comparativement à 22,5 % des Québécois. Chez les 45 à 64 ans, ce sont 36 % des femmes et 24 % des hommes qui ont joué ce rôle, alors que c’est le cas de 19 % des hommes et de 17 % des femmes de 65 ans et plus.

Il est intéressant également de souligner que près de 25 % des personnes de 65 ans et plus ont assumé la fonction de proche aidant auprès de plus jeunes qu’elles. Ce qui met en lumière la contribution des personnes plus âgées envers les plus jeunes.

Chez les femmes, comme chez les hommes, l’aide pour le transport et les courses ainsi que le soutien émotif sont les deux principaux services rendus par les personnes proches aidantes : 77 % des femmes et 82 % des hommes fournissaient de l’aide pour le transport et les courses, tandis que 85 % des premières et 70 % des seconds offraient du soutien émotif.

Les femmes sont proportionnellement plus nombreuses que les hommes à fournir des services pour les travaux intérieurs, 58 % contre 35 %, à aider aux soins personnels, 39 % contre 21 %, aux soins médicaux, 30 % contre 21 %, et à l’organisation des soins, 51 % contre 41 %. Quant aux hommes proches aidants, ils sont plus nombreux que les femmes à aider pour les travaux extérieurs, 56 % contre 41 %.

Ces différences, plus marquées chez les 45 à 64 ans, persistent chez les 65 ans et plus. Cette répartition, axée sur les rôles et les univers traditionnellement dévolus aux femmes et aux hommes, exige des femmes proches aidantes une présence régulière, voire quotidienne, alors que les tâches qui reviennent aux hommes proches aidants sont de nature plus ponctuelle, saisonnière dans certains cas. Cette répartition expliquerait le plus grand nombre d’heures fournies par les proches aidantes : 56 % des femmes comparativement à 42 % des hommes consacrent quatre heures ou plus par semaine, proportions qui atteignent 61 % et 43 % chez les femmes et les hommes de 65 ans et plus. Par ailleurs, 30 % des femmes et 20 % des hommes donnent 10 heures ou plus par semaine de leur temps à des activités de maintien.

Pour 79 % des femmes et 76 % des hommes, la ou le principal bénéficiaire des services d’aide habite en ménage privé. Toutefois, il est intéressant de noter que pour 15 % des premières et 13,8 % des seconds, la ou le principal bénéficiaire vit en institution ou en établissement de soins, alors que pour 8,4 % des femmes et 7,2 % des hommes, la ou le principal bénéficiaire occupe un logement avec services de soutien15. Parmi les services fournis par les personnes proches aidantes pour une ou un proche hébergé en institution, mentionnons l’aide à l’alimentation, les soins quotidiens, la surveillance, le soutien moral, la communication, le rôle d’intermédiaire relativement aux procédures administratives et au contrôle de qualité des soins fournis.

Le projet d’une assurance autonomie

Le projet de mise en œuvre d’une assurance autonomie s’inscrit en droite ligne avec les politiques et les grandes orientations en matière de maintien à domicile des quarante dernières années. Ce projet fait écho aux recommandations de la Commission Clair et du rapport Ménard qui concluaient, notamment, à la nécessité de créer une caisse pour les services de maintien à domicile de longue durée pour faire face au vieillissement de la population et, plus particulièrement, à l’arrivée des baby-boomers dans les rangs des 65 ans et plus.

Le régime d’Assurance autonomie rendrait admissibles les personnes de 18 ans et plus dont l’état de santé nécessite des interventions de soutien à l’autonomie à long terme (plus de trois mois), les personnes âgées qui bénéficient des services et des soins du programme Soutien à l’autonomie des personnes âgées (SAPA)16, les personnes qui reçoivent des soins et des services du programme Déficience physique et les personnes admissibles aux services et aux soins du programme Déficience intellectuelle et troubles envahissants du développement.

L’évaluation des besoins de la personne à l’aide de l’Outil d’évaluation multiclientèle (OEMC) et du Système de mesure de l’autonomie fonctionnelle (SMAF), déjà bien implantés dans le réseau, devient une condition d’admissibilité et d’accès aux services et aux soins de maintien à domicile. Le Plan de services, qui permet de déterminer le type, l’intensité et la ou le prestataire des soins et des services, est l’élément central de la mise en œuvre des interventions. Et c’est à partir du Plan de services que l’on établit l’Allocation de soutien à l’autonomie, allocation attribuée sous forme d’heures de services ou de financement pour l’achat de services. Cette allocation constitue ainsi la part assumée par l’assurance autonomie17.

L’Allocation de soutien à l’autonomie pourrait être octroyée aux EESAD qui verraient leur éventail de services bonifié de façon à inclure les services d’aide aux AVQ ou encore, par le biais d’ententes conclues entre un CSSS et les résidences pour personnes âgées de son territoire, elle serait allouée pour la prestation de services et de soins de longue durée, au même tarif que les services et les soins fournis à domicile.

La ou le gestionnaire de cas, une professionnelle ou un professionnel du CSSS, est responsable de l’évaluation des personnes, de la planification, de la réalisation et de la coordination des mesures prévues au Plan de services. Dans le cadre de l’Assurance autonomie, la ou le gestionnaire de cas, intervenant « pivot », est la personne-ressource pour les bénéficiaires des services et leurs proches.

En ce qui regarde le régime d’Assurance autonomie – et c’est là un changement important –, les services d’assistance aux AVQ, qui à l’heure actuelle sont fournis gratuitement par le réseau public, feraient désormais partie des services couverts par le PEFSAD et leur prestation serait assurée par les EESAD. Une contribution, calculée selon les critères du PEFSAD, serait donc exigée des usagères et usagers, contribution qui tiendrait compte de la fréquence et de l’intensité des services fournis et du revenu de la personne ou du ménage dans lequel elle vit. La contribution ne devrait pas constituer un obstacle au maintien de la condition de la personne et à l’accès aux services (MSSS, 2013a, p. 24).

Quant aux soins professionnels – soins infirmiers, services de réadaptation, services médicaux –, ils continuent d’être fournis sans frais, tandis que la contribution exigée pour les services d’assistance aux AVD – ménage, préparation de repas, courses – est maintenue et son financement continue de passer par le PEFSAD.

La création d’une « caisse autonomie », étanche et dévolue spécifiquement à la prestation des soins et des services de longue durée à domicile, devient le mode de financement du nouveau régime; les fonds ne sont plus transférables à d’autres postes, notamment à la prestation de soins et de services posthospitalisation (Soulières et Ouellette, 2012). Le financement de cette caisse devrait être entièrement public. Ce changement majeur dans les pratiques de gestion des fonds confirme la volonté du ministre de canaliser toutes les ressources disponibles, financières et humaines, vers la prestation de services et de soins de longue durée à domicile18.

Le gouvernement devrait intégrer l’analyse différenciée selon les sexes (ADS) dans toutes les étapes de la mise en œuvre du projet d’assurance autonomie.37

Le maintien à domicile et la médecine à domicile, deux inséparables

Les services à domicile ne sont pas un secteur isolé du système de santé et de services sociaux. Ils s’intègrent dans une chaîne de services (continuum de services) qui comprend ceux de première ligne, plus généraux, et ceux de deuxième ligne et de troisième ligne, plus spécialisés. Si un des maillons de la chaîne a des faiblesses, celles-ci se répercuteront sur les autres maillons (Vérificateur général du Québec, 2013, p. 7).

De la désinstitutionnalisation des années 1970 aux politiques de maintien à domicile des années 2000, en passant par le virage ambulatoire amorcé en 1995, le réseau de soins et de services de maintien à domicile a misé sur les communautés, les familles et les proches pour assurer le relais et prodiguer une gamme toujours plus grande de soins et de services de courte et de longue durée. La communauté, les familles et les proches sont en majorité des femmes et cette situation a peu changé depuis les 25 dernières années.

Le virage « à domicile » s’est construit sur des structures de soins de première ligne (médecins dans les CLSC, Groupes de médecine familiale) qui peinent à remplir leur mission de prestataires, parallèlement à une réduction du nombre de places dans les ressources publiques en hébergement de longue durée, les CHSLD étant devenus le « mouton noir » de la chaîne de soins et de services (Soulières et Ouellette, 2012). Le resserrement de l’accessibilité aux soins et aux services de santé se fait donc sentir aux deux extrémités de la chaîne, ce qui a pour effet d’accroître la pression sur les proches des personnes en perte d’autonomie, vieillissantes ou malades19.

À l’heure actuelle, une minorité de personnes de 65 ans et plus vivent dans une ressource d’hébergement de longue durée; elles y sont admises seulement lorsque leur perte d’autonomie est importante. Près de 4 500 personnes sont en attente d’une place dans une ressource d’hébergement de longue durée. La condition des gens qui vivent à domicile s’alourdit, ce qui signifie aussi un engagement plus assidu et exigeant de la part des proches aidantes. Il se pourrait que, dans l’état actuel des choses, nous ayons atteint la limite de ce que peuvent faire les communautés, les familles et les proches pour continuer d’assurer le maintien à domicile des personnes en perte d’autonomie.

Pour que se concrétise la mise en place d’une assurance autonomie, l’existence d’un réseau de soins et de services de première ligne flexible, adapté au milieu de vie des personnes et « à domicile », est un préalable.

Bien que 76 % des bénéficiaires des services à domicile aient une ou un médecin de famille, seule une minorité de médecins se déplacent à domicile. Selon les données rapportées par l’Association québécoise d’établissements de santé et de services sociaux (AQESSS), entre 2005-2006 et 2009-2010, 15,8 % des personnes âgées de 75 ans et plus sur civière à l’urgence hospitalière se trouveraient là à cause d’un manque d’accès à une ou un médecin. De plus, le tiers des hospitalisations des personnes âgées fragiles seraient reliées à un problème de pharmacothérapie; dans 57 % des cas, cette hospitalisation aurait pu être évitée si un suivi pharmacologique avait été fait (Association québécoise d’établissements de santé et de services sociaux, 2011, p. 24).

Dans son Avis Femmes et santé : plaidoyer pour un accès ouvert à la première ligne médicale, le Conseil rappelle qu’au Québec, près d’une personne sur quatre (24,8 %) est sans médecin de famille, proportion pratiquement inchangée depuis les cinq dernières années, malgré un ajout de 500 nouveaux médecins. En outre, alors que les médecins ont réduit leur offre de service, qui est passée de 4 600 services médicaux en 2007 à 4 271 en 2012, leur rémunération globale a augmenté de 35 % au cours de la même période (2013a, p. 14).

Par ailleurs, pour la moitié des personnes qui ont une ou un médecin de famille, ce dernier est âgé de plus de 55 ans (Protecteur du citoyen, 2012), de sorte qu’au cours des prochains dix ans, elles doivent envisager la possibilité de le perdre. Si l’on considère que seulement 7 % des médecins de la relève effectuent des visites à domicile au cours des dix premières années de pratique, de façon occasionnelle pour la plupart, la situation n’est pas près de changer (Donglois, 2013).

Au Québec, les médecins de famille font très peu de visites à domicile, à peine 2,3 % des services médicaux facturés étant des services à domicile. Entre 40 % et 43 % du travail des médecins de famille est effectué en milieu hospitalier. Cette proportion est de moins de 20 % chez les médecins des autres provinces canadiennes et chez ceux qui pratiquent en Europe.

Selon les données sur la pratique des jeunes médecins, au cours des cinq premières années, 65 % font de la pratique hospitalière, 10 % de l’obstétrique, 12 % du service en cabinet et à peine 9 % choisissent les soins de longue durée ou à domicile. Ces proportions demeurent assez stables après dix ans, alors que 64 % ont comme lieu principal de pratique l’hôpital, 8 % exercent en obstétrique, 13 % font de la longue durée et des visites à domicile et à peine 11 % offrent des services en cabinet.

Les soins et les services de maintien à domicile ne semblent pas non plus être un secteur très populaire auprès des infirmières de l’OIIQ : en 2011-2012, seulement 4,6 % de celles-ci privilégiaient ce secteur d’engagement professionnel, une proportion en légère hausse tout de même par rapport à 2005, alors que le pourcentage était de 3,9 %.

La rémunération des différents services rendus par les médecins peut expliquer en partie ce manque de popularité de la pratique à domicile. En effet, la visite à domicile d’une patiente ou d’un patient dont la perte d’autonomie est importante est payée 32 $ l’heure, en comparaison d’un tarif de 90 $ à 120 $ l’heure pour le suivi en cabinet et de 150 $ l’heure pour un travail dans une clinique sans rendez-vous. Le taux horaire dans les urgences est même de 200 $ l’heure et plus.

Cette problématique n’est pas nouvelle. Dans son Avis Virage ambulatoire : le prix caché pour les femmes, le Conseil soulignait déjà, en 1999, que le mode de rémunération à l’acte était incompatible avec une médecine à domicile, les visites des patients à domicile qui prennent plus de temps étant moins payantes (Moisan, 1999, p. 44). Constat encore très pertinent en 2013, alors que le réseau a besoin des efforts de toutes et de tous pour prendre le virage d’une prestation axée sur le domicile.

Il est impératif d’agir maintenant sur ce « maillon faible de la chaîne de soins ». Les actions doivent viser l’offre actuelle de soins de première ligne des Groupes de médecine familiale, déficiente et très en deçà de ce que les ententes avec le MSSS prévoyaient, les nouvelles cohortes de médecins de famille et d’infirmières et d’infirmiers pour qu’ils soient plus nombreux à opter pour le domaine de pratique du maintien à domicile. Toutefois, malgré toutes les actions mises en place pour rehausser l’image de ce secteur peu « glamour », elles sont susceptibles de rester sans effet si la structure actuelle de rémunération reste inchangée.

Afin d’améliorer l’accès à un médecin de famille et à des soins à domicile, le Conseil réitère ses recommandations faites dans l’Avis Femmes et santé : plaidoyer pour un accès ouvert à la première ligne médicale :

Que le ministère de la Santé et des Services sociaux revoie en profondeur le mode de rémunération des médecins généralistes en clinique et en CLSC pour les inciter à prendre en charge plus de patientes et patients à domicile;

Que le ministère de la Santé et des Services sociaux prenne les moyens nécessaires pour s’assurer que les médecins généralistes consacrent un nombre minimal d’heures à leurs patientes et patients âgés, que ce soit en cabinet ou à domicile.

Les disparités des pratiques en matière de maintien à domicile : entorse au principe d’accessibilité

Les ASSS et les CSSS ont la responsabilité d’assurer des soins et des services qui répondent aux besoins de la population du territoire qu’ils desservent. L’offre de service de maintien à domicile de longue durée doit être flexible et adaptée au milieu de vie des personnes (milieu urbain, milieu rural, petites municipalités ou grands centres urbains, domicile traditionnel ou résidences pour personnes âgées). Ces instances régionales et locales jouent un rôle névralgique à cet égard et doivent maintenir un juste équilibre entre la variabilité de l’offre de service et la nécessité de garder un accès équitable pour toutes les personnes et sur l’ensemble du territoire. Toutefois, une trop grande variation de l’offre de service d’une région à l’autre, d’un territoire à l’autre, d’une personne à une autre souffrant d’une condition équivalente, compromet le principe d’accès équitable à des soins de qualité.

Si certaines situations relèvent d’une logique purement bureaucratique et ont conduit le Protecteur du citoyen à dire que dans le contexte actuel, les personnes nécessitant des services de soutien à domicile ont intérêt à s’informer avant de déménager afin d’éviter les mauvaises surprises20, ces disparités mettent surtout en lumière le manque de ressources, humaines et financières, consenties à ce « parent pauvre » qu’est le secteur des services et des soins de longue durée, sous-financement qui pousse les CSSS à opter pour des services plus réduits et moins fréquents offerts à un plus grand nombre de personnes.

Ces disparités, qui touchent la tarification, l’évaluation des besoins de la personne, la gestion des listes d’attente et des listes de priorité, l’application de critères d’exclusion, ont aussi pour effet d’accroître la complexité du réseau des soins et des services de longue durée à domicile; la difficulté des personnes qui requièrent des soins et des services de maintien à domicile à connaître et à comprendre les options qui s’offrent à elles grève le principe d’accessibilité21.

Dans son rapport d’enquête sur l’application du programme de soutien à domicile22, le Protecteur du citoyen fait état de pratiques qui dérogent à la politique de soutien à domicile, notamment l’apparition de nouveaux critères d’exclusion, la mise en place de plafonds d’heures de services, la disparité dans l’application de la politique de soutien à domicile, la diminution des heures de services et l’allongement des délais d’attente.

Le Conseil recommande donc

que le ministère de la Santé et des Services sociaux s’assure que les critères provinciaux sont appliqués de manière à ce que les femmes et les hommes ayant besoin de services à domicile soient traités équitablement, tant dans l’évaluation de leurs besoins que dans les services offerts.

Les critères d’exclusion : pratiques coûteuses pour les femmes

Les résidences pour personnes âgées

En vertu de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, les résidences pour personnes âgées sont considérées comme le domicile des personnes qui y résident, ce qui signifie qu’elles sont admissibles à recevoir des services et des soins de maintien à domicile couverts par le réseau public.

Dans les faits, le manque de ressources, financières et humaines, pour répondre à la demande pousse certains CSSS à exclure les personnes qui habitent dans une résidence pour personnes âgées où des services d’assistance aux activités de la vie quotidienne (AVQ) et aux activités domestiques (AVD) sont prévus au bail. L’obligation de limiter l’offre et l’intensité des services d’assistance aux AVQ afin d’en faire profiter le plus grand nombre de personnes fait en sorte que les demandes de services provenant de personnes seules, à faible revenu et qui ne peuvent compter sur l’aide d’une ou un proche, sont traitées de manière prioritaire.

Ainsi, en 2011-2012, pour l’ensemble du Québec, les CSSS avaient consacré seulement 15 % des heures de services à domicile à des personnes âgées qui habitaient une résidence privée pour gens âgés. Les écarts d’un CSSS à l’autre sont importants : 13 CSSS donnaient moins de 5 % des heures de services à domicile à ces personnes, alors que 16 CSSS leur en offraient plus de 40 %. La proportion était de 5 % dans la région de Montréal, de 30 % au CSSS de Gatineau, de 6 % au CSSS d’Ahuntsic et Montréal-Nord et de 12 % au CSSS de Lanaudière-Sud (Vérificateur général du Québec, 2013, p. 16).

L’instauration de ce critère d’exclusion est grandement pénalisante pour les femmes. Elles sont proportionnellement plus nombreuses à habiter dans une résidence privée pour personnes âgées et elles disposent de revenus inférieurs qu’elles devront en outre étaler sur un plus grand nombre d’années en raison de leur longévité. Ainsi, l’emménagement dans une résidence pour personnes âgées n’entraîne pas seulement une augmentation significative de la part du revenu des femmes dévolue au paiement du loyer, mais les oblige à débourser pour des soins qu’elles auraient reçus gratuitement si elles étaient restées dans leur domicile traditionnel.

La présence d’une personne proche aidante

La politique Vivre et vieillir ensemble : chez soi, dans sa communauté, au Québec considère les personnes proches aidantes comme des clientes au même titre que les bénéficiaires. Le critère d’exclusion fondé sur la présence d’une ou un proche montre à quel point cette vision reste théorique; dans la pratique, la contribution de la personne proche aidante « va de soi » et cette personne est identifiée comme « une ressource, un partenaire » de l’équipe de soins du réseau. Si l’on reconnaît que les proches aidantes doivent être traitées comme des clientes – avoir droit à une évaluation de leur santé, de leur capacité à fournir les services et les soins qu’on leur demande de prodiguer –, ceci ne se traduit pas dans la pratique.

En outre, étant donné que les femmes sont plus enclines que les hommes à jouer un rôle de proche aidant et à assumer des tâches qui exigent de leur part une présence plus continue, souvent sur une base quotidienne, elles sont plus pénalisées. Sachant que la majorité des personnes proches aidantes ont entre 45 et 64 ans et que la plupart d’entre elles occupent un emploi rémunéré sur le marché du travail, ces critères d’exclusion risquent d’être particulièrement coûteux pour les femmes.

Afin d’assurer l’universalité des services, le Conseil recommande

que le ministère de la Santé et des Services sociaux mette fin au recours à des critères d’exclusion non prévus dans la politique et qui privent les usagères et usagers de services et de soins, notamment celui de demeurer dans une résidence privée pour personnes âgées ou celui d’avoir le soutien d’une ou un proche aidant.

Le repérage des personnes en perte d’autonomie

D’abord, le Conseil juge inacceptable que l’outil de repérage PRISMA-7, qui permet d’identifier les personnes en perte d’autonomie modérée à grave qui ne sont pas connues du réseau de la santé et des services sociaux (Centre d’expertise en santé de Sherbrooke, page consultée le 1er novembre 2013), accorde d’emblée un point de plus aux hommes qui vivent seuls parce qu’il est bien connu que les hommes sont moins autonomes que les femmes pour certaines tâches domestiques. Cela a été vérifié également dans cette étude, le fait d’être un homme est fortement associé à la perte d’autonomie modérée à grave (Centre d’expertise en santé de Sherbrooke, 2010, p. 10). PRISMA-7 n’est pas utilisé partout dans le réseau de la santé puisqu’il existe d’autres questionnaires conçus pour le repérage des personnes en perte d’autonomie. Le Conseil propose donc que les CSSS se servent de questionnaires plus égalitaires.

Des variations marquées au chapitre de l’évaluation des besoins des personnes, de la gestion des listes d’attente, du traitement des cas prioritaires ont été relevées par le vérificateur général (2013); ce manque d’uniformité est une atteinte au principe d’accessibilité.

Les CSSS bénéficient d’une marge de manœuvre dans la détermination des services qui seront couverts par le PEFSAD. Les courses, l’entretien ménager et la préparation des repas sont inclus dans le PEFSAD et le programme Chèque emploi-service. Les menus travaux d’entretien de la maison sont généralement exclus. Ce choix est préjudiciable pour les femmes âgées qui pourraient continuer à résider dans leur domicile si elles avaient de l’aide pour ce type de tâche. Les femmes de 65 ans et plus sont plus souvent seules et le veuvage précipite fréquemment la décision de vendre la maison ou de quitter son logement parce que ces petits travaux d’entretien, habituellement exécutés par le conjoint, deviennent trop onéreux pour les revenus dont elles disposent et lourds à gérer étant donné les nombreuses décisions à prendre : choix de la personne, achat des matériaux, capacité d’évaluer la pertinence et la qualité des travaux effectués.

Outre certains écarts d’une région à l’autre, le vérificateur général souligne des obstacles à l’accès aux services. Par exemple, au CSSS de Lanaudière-Sud, les personnes ayant un niveau de priorité 2 (priorité établie sur une échelle de 1 à 4, 1 étant le plus élevé) attendent en moyenne 453 jours pour obtenir des services sociaux, 896 jours avant de recevoir des services d’ergothérapie et 991 jours pour obtenir des services de nutrition (Vérificateur général du Québec, 2013, p. 15).

Les dossiers des personnes âgées qui reçoivent des services à domicile ne contiennent pas toujours une évaluation à jour de leurs besoins. De plus, un plan d’intervention n’est pas systématiquement produit et, lorsqu’il l’est, il n’est pas toujours actualisé. Malgré l’obligation légale d’élaborer un plan d’intervention, seulement 48 % des dossiers examinés en comportaient un. Parmi ces plans, 36 % dataient de plus d’un an. En l’absence de tels documents, il devient difficile de planifier les ressources humaines et financières en fonction des besoins des usagères et usagers et d’évaluer si ces besoins sont satisfaits (Vérificateur général du Québec, 2013, p. 11). Ce constat est préoccupant si l’on considère l’importance que revêt, dans le cadre de l’assurance autonomie, le Plan de services, à partir duquel on détermine l’allocation au soutien à l’autonomie.

Encore plus inquiétant, le Protecteur du citoyen (2012) constate une certaine rigidité dans l’application des critères et une nette tendance au nivellement vers le bas des heures de services allouées.

Contrairement à ce que prévoit la Politique de soutien à domicile, pour permettre un minimum d’heures au plus grand nombre possible de bénéficiaires, les plafonds établis dans certains CSSS dans un contexte d’insuffisance ou de réduction de ressources financières sont plus bas que l’équivalent du coût d’un hébergement en CHSLD. Il est préoccupant de voir que même avec les orientations prises en faveur du maintien à domicile, les ressources sont insuffisantes pour satisfaire à la demande.

Ces problèmes devront être réglés pour que la mise en œuvre de l’assurance autonomie se fasse, étant donné que l’Allocation de soutien à domicile est basée sur l’évaluation des besoins consignés dans le Plan de services.

Les proches aidantes

L’aide et les soins aux personnes malades ou ayant des incapacités sont une responsabilité collective et non pas une responsabilité des personnes qui, individuellement, se trouvent à accomplir le travail (Fédération des femmes du Québec, 2007, p. 29).

Le projet d’assurance autonomie reste vague sur les mesures qui viseront les proches aidantes, sinon pour affirmer que l’injection de nouveaux fonds ferait en sorte qu’elles n’auraient plus à exécuter gratuitement ces services. Ce qui est tout de même étonnant si l’on considère qu’elles fourniraient entre 70 % à 85 % des services et des soins qui permettent le maintien à domicile.

En 2012-2013, le gouvernement versait, mensuellement, 1,2 M$ à la société de gestion L’Appui, soit un total de 11 M$. Néanmoins, le Protecteur du citoyen fait le constat, dans son rapport d’enquête sur l’accessibilité aux services de soutien à domicile de longue durée, de l’épuisement des personnes proches aidantes, épuisement qui découle d’écarts importants entre les besoins de la personne en perte d’autonomie et les services qui lui sont offerts. Alors que la politique Vivre et vieillir ensemble : chez soi, dans sa communauté, au Québec prévoie des services de soutien aux personnes proches aidantes, reconnues comme un maillon central dans la chaîne des services aux personnes en perte d’autonomie, ceux-ci sont peu disponibles, voire inexistants dans certains cas (Protecteur du citoyen, 2012, p. 19-20).

Dans le Rapport de la consultation publique sur les conditions de vie des aînés, Préparons l’avenir avec nos Québec, on estime à 200 M$ le coût pour l’économie québécoise que représentent les absences au travail des femmes en raison de l’obligation qu’elles ont de prendre en charge une ou un proche en perte d’autonomie. Des mesures de soutien aux personnes proches aidantes ont été instaurées – services de répit et de gardiennage, mesures fiscales sous la forme de crédits d’impôt pour le maintien d’une personne de 70 ans.

Il faut encourager la mise en place de mesures de conciliation travail-famille, conçues spécifiquement pour la prise en charge de proches vieillissants, en perte d’autonomie ou souffrant de maladies chroniques, conditions qui demandent un engagement à long terme de la part des personnes proches aidantes. Tout comme il faut adapter l’organisation des soins de santé à une population vieillissante, les mesures de conciliation travail-famille doivent être ajustées et offrir des clauses appropriées pour ce type de prise en charge.

La responsabilité à l’égard des personnes en perte d’autonomie liée au vieillissement doit être assumée collectivement. Un financement solidaire et un partage collectif de cette responsabilité viendraient reconnaître la valeur sociale et économique des soins et des services prodigués, sans rémunération, par les proches aidantes. Cette orientation s’oppose à des approches plus « clientélistes » et à des modes de financement fondés sur le principe de l’utilisatrice-payeuse ou utilisateur-payeur, principe particulièrement pénalisant pour les femmes qui, rappelons-le, composent la majorité des personnes qui ont recours aux soins et aux services de maintien à domicile et qui disposent de revenus inférieurs à ceux de leurs homologues masculins.

Dans son avis sur le régime de retraite, le Conseil recommandait, notamment, que dans le calcul de la rente de longévité, les périodes de faible gain pour la personne qui assume un rôle d’aidant auprès d’une autre en perte d’autonomie soient retirées; que le gouvernement renonce aux mesures qui visent à réduire la rente de retraite des personnes qui se retirent avant 65 ans; que des mesures plus équitables soient mises en place pour ne pas pénaliser les femmes qui quittent leur emploi en raison de la pénibilité du travail, d’un problème de santé ou parce qu’elles remplissent le rôle de proche aidante (CSF, 2013b, p. 33). Doit-on rappeler que les personnes qui se retirent du marché du travail pour exercer des tâches de proches aidantes jouent un rôle à forte valeur sociale qu’il conviendrait de récompenser et non de pénaliser?

Le Conseil réitère donc sa demande au gouvernement

de renoncer aux mesures du Régime de rentes du Québec ayant pour effet de réduire la rente de retraite accordée aux personnes qui se retirent du marché du travail avant 65 ans

et propose

qu’une mesure plus équitable soit mise en place afin de ne pas pénaliser les personnes qui prennent leur retraite pour une raison liée à un problème de santé, à la pénibilité du travail ou au rôle de proche aidant.

De plus, compte tenu du resserrement des critères d’admissibilité pour un hébergement en CHSLD qui a pour effet d’alourdir les tâches de maintien à domicile; compte tenu de la transformation des familles qui comptent un ou deux enfants et dont les deux parents font partie de la population active, ce qui aura vraisemblablement pour effet d’accroître la pression sur le réseau formel de soins et de services de maintien à domicile; compte tenu du sous-financement chronique du secteur des soins et des services à domicile, le Conseil recommande

que le gouvernement examine la possibilité de créer un Régime d’assurance responsabilité familiale ou d’élargir le Régime québécois d’assurance parentale et d’en faire une caisse multifonctionnelle qui inclurait la compensation financière pour congé pour prise en charge d’une ou un proche en perte d’autonomie;42

que le gouvernement inclue dans la future politique nationale de maintien à domicile l’obligation pour les CSSS de procéder à l’évaluation des besoins de services non seulement pour les personnes en perte d’autonomie, mais aussi pour les proches qui auront à jouer un rôle de proche aidant; que cette évaluation fasse aussi l’objet d’une mise à jour, selon les critères prévus dans la politique (CSF, 2000, p. 52);

qu’un outil confirmant le consentement et la capacité des proches à assurer la prestation de soins et de services de maintien à domicile soit inclus au Plan de services des bénéficiaires.

La privatisation et la tarification des services d’assistance aux activités de la vie quotidienne : fin du consensus de 1996

Dans le cadre de l’Assurance autonomie, la prestation des services d’assistance aux AVQ est reléguée au secteur privé à but non lucratif – principalement aux EESAD ou à des organismes privés à but lucratif, les résidences pour personnes âgées – ou, dans des cas particuliers, au CSSS (MSSS, 2013a, p. 25).

Rappelons qu’à l’heure actuelle, en accord avec la politique Vivre et vieillir ensemble : chez soi, dans sa communauté, au Québec, les services d’assistance aux AVQ sont couverts par le régime public et sont fournis par des auxiliaires de services sociaux et de santé qui font partie du personnel des CSSS.

L’Assurance autonomie met fin, officiellement, au consensus de 1996. Dans le débat entourant la répartition des services d’assistance aux activités de la vie domestique (AVD) et aux activités de la vie quotidienne (AVQ), le Conseil a pris position en faveur du maintien de ce consensus, voyant dans cette entente rassembleuse le meilleur moyen d’éviter la substitution d’emplois, la dévalorisation de l’expertise des auxiliaires de services sociaux et de santé et l’affaiblissement du réseau public en santé et en services sociaux.

En outre, le Conseil ne favorisait pas l’élargissement de l’éventail de services financés par le PEFSAD et préconisait le maintien de la gratuité des services d’assistance aux AVQ, qui font partie des services de santé du réseau public (2006, p. 68; Moisan, 1999, p. 40-41).

L’option proposée par le ministre de la Santé et des Services sociaux de transférer la prestation des services d’aide aux services d’assistance aux AVQ soulève différents enjeux et préoccupations en ce qui a trait non seulement à la capacité de payer des femmes de 65 ans et plus, les plus touchées par cette mesure, mais aussi à la capacité des EESAD de répondre à cette nouvelle demande, de façon uniforme sur l’ensemble du territoire du Québec, et ceci en très peu de temps, compte tenu de l’échéancier de mise en œuvre de l’Assurance autonomie.43

Le Conseil recommande

que le ministère de la Santé et des Services sociaux renonce à privatiser les services d’auxiliaires de services sociaux et de santé afin de minimiser le roulement du personnel, phénomène qui nuit au maintien à domicile des personnes âgées;

que le gouvernement soutienne le secteur à but non lucratif afin qu’il rehausse les salaires des travailleuses et travailleurs œuvrant au domicile des malades; que le personnel issu des secteurs public, privé et à but non lucratif ait une formation équivalente.

Où trouvera-t-on les ressources?

En 2009-2010, 66 % des EESAD ont été dans l’obligation d’établir une liste d’attente et 73 % ont dû refuser des demandes. Parmi les motifs de refus, mentionnons la lourdeur des cas, le manque de personnel et de disponibilité, le défaut de paiement. En outre, rappelons que les EESAD de la région de Montréal se limitent essentiellement à la prestation de services d’assistance aux AVD.

Depuis plusieurs années, les EESAD font face à une pénurie de personnel. En 2009, le taux moyen de roulement du personnel terrain était de 30 %, proportion qui atteint 52 % dans la région des Laurentides, 51 % dans celle de Montréal et 45 % dans celle du Saguenay–Lac-Saint-Jean.

Parmi les raisons invoquées pour expliquer ces difficultés de recrutement de personnel : la faiblesse des salaires, les conditions de travail (entre autres, l’horaire de travail), la garantie d’heures de travail, le travail physique, les distances à parcourir, le manque de candidatures, la pénurie de main-d’œuvre qualifiée, le caractère temporaire de l’emploi, la nécessité de posséder un véhicule, l’obligation d’engager des personnes admissibles aux subventions salariales, le travail au noir et les difficultés de recrutement du personnel terrain (MAMROT, 2012a, p. 24).

Une norme professionnelle de préposée d’aide à domicile ainsi que le programme d’apprentissage en milieu de travail ont été élaborés par le Comité sectoriel de main-d’œuvre de l’économie sociale et de l’action communautaire avec le soutien d’Emploi-Québec et de la Commission des partenaires du marché du travail. Le programme mène à l’obtention du certificat de qualification de préposée d’aide à domicile. Ce certificat est signé par la ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale et son titulaire est inscrit au Registre des compétences du Ministère. Ce certificat n’est pas requis pour pouvoir exécuter les tâches liées à l’assistance aux AVD. Aucune des compétences qui doivent être acquises en vue de l’obtention du certificat de qualification ne concerne les AVQ (Emploi-Québec, page consultée le 15 octobre 2013).

Si le transfert des AVQ vers les EESAD est retenu, il faudra s’assurer de la compétence des préposées qui auront à les effectuer. Les EESAD sont accrédités par le MSSS et doivent répondre à des critères. Devrions-nous revoir ce processus d’accréditation et établir un mécanisme de contrôle de qualité afin de nous assurer que les employées ont la formation et les compétences pour exécuter les tâches liées à l’assistance aux AVQ?

Les auxiliaires de services sociaux et de santé qui donnent les services d’assistance aux AVQ dans le secteur public reçoivent une formation spécifique et uniforme d’une région à l’autre, ce qui n’est pas le cas pour toutes les employées des EESAD. Par exemple, en 2009, seulement 32 % des entreprises forment leurs employées au principe de déplacement sécuritaire des bénéficiaires. Aucune des entreprises de la région de Montréal n’assure cette formation puisqu’elles n’offrent pas ce genre de service. Comme le mentionne le Conseil des aînés, les personnes qui dispenseront des services d’assistance aux activités de la vie quotidienne devront posséder une formation de plus en plus spécialisée compte tenu de la condition de grande perte autonomie des personnes et de la vulnérabilité de ces personnes (Conseil des aînés, 2008, p. 85).

La sécurité des personnes et la qualité des soins

Le vérificateur général souligne le peu de mesures de contrôle de qualité des services rendus par les partenaires externes (Vérificateur général du Québec, 2013, p. 32-33). La politique de maintien à domicile prévoit certaines mesures de contrôle des services fournis par les EESAD, mais les CSSS n’exercent aucun contrôle sur les services rendus par les employées engagées de gré à gré. En fait, les CSSS sont dégagés de toute responsabilité légale puisque ces employées ne sont pas soumises à leur autorité. C’est la personne âgée qui est considérée comme un employeur. Elle sélectionne l’employée et s’assure également de la qualité des services qu’elle rend. Selon le Conseil, afin de protéger les usagères et usagers, il faudrait une meilleure formation du personnel, des règlements et des contrôles de qualité des services rendus par des partenaires externes.

Le financement

En outre, les services d’aide aux AVQ pourraient solliciter une contribution financière de la personne qui tiendrait compte de la fréquence et de l’intensité des services fournis, et de son revenu. Cette contribution ne devrait pas constituer un obstacle à l’accès aux services (MSSS, 2013a, p. 24).

Les femmes ont moins de marge de manœuvre quant à leur capacité à payer pour des services et des soins de maintien à domicile. Au Québec, en 2009, 45 000 personnes âgées ont affirmé qu’au moins un de leurs besoins en matière de soins professionnels à domicile était non satisfait : 31 000 de ces personnes sont des femmes. Les principales raisons invoquées pour ce manque de soins étaient la situation personnelle, dont l’incapacité de payer, et le système de santé, dont le manque de disponibilité des services. Les travaux ménagers et les soins personnels étaient les tâches pour lesquelles les personnes âgées avaient le plus souvent besoin d’aide professionnelle, sans cependant la recevoir (Hoover et Rotermann, 2012).

À l’heure actuelle, il existe trois sources de soutien financier aux services de maintien à domicile de longue durée : le PEFSAD, le programme Chèque emploi-service et les crédits d’impôt remboursables pour le maintien à domicile des aînés.

Les crédits d’impôt favorisent les personnes les mieux nanties; ceci étant particulièrement vrai des crédits d’impôt non remboursables puisqu’ils ont pour effet de réduire l’impôt qu’une personne doit payer, ce qui avantage les citoyennes et citoyens disposant de revenus plus élevés. Les crédits d’impôt remboursables sont plus équitables dans la mesure où le remboursement auquel une personne a droit ne dépend pas du montant d’impôt qu’elle doit payer. Toutefois, les gens doivent avoir la capacité financière d’avancer les sommes pour acheter les services dont ils ont besoin et de défrayer le coût de la partie qui ne leur sera pas remboursée. L’Observatoire populationnel du CSSS Lucille-Teasdale a comparé les montants moyens du crédit obtenu selon les circonscriptions de l’île de Montréal. Alors que ce montant pour les Montréalaises et Montréalais était de 1 044 $, il n’était que de 763 $ dans la circonscription de Rosemont et de 1 721 $ dans Westmount–Saint-Louis.

Rappelons que près de 65 % des femmes de 65 ans et plus disposent d’un revenu de moins de 20 000 $. Les modes de financement fondés sur les crédits d’impôt sont inéquitables pour les femmes. Compte tenu des tendances des taux d’emploi des cinq dernières années, les inégalités économiques entre les femmes et les hommes ne sont pas près de se résorber. Jusqu’à ce qu’elles disparaissent, les modes de financement devraient être réévalués et les fonds publics consentis devraient être employés de façon à répondre aux besoins de l’ensemble de la population.

En 2000, le Conseil recommandait de retirer le crédit d’impôt et de réinvestir ces sommes dans des services gratuits d’assistance aux AVQ. Le Conseil croit également qu’une utilisation plus équitable des sommes allouées aux crédits d’impôt pourrait être envisagée et appuie le ministre à cet égard.46

Le mode de financement du PEFSAD semble mettre « en concurrence » les intérêts de deux groupes de femmes : les usagères et les travailleuses. Il a un effet contraignant sur la capacité des EESAD à bonifier les conditions salariales de leur personnel. En effet, la hausse du tarif pour chaque heure de services fournis se répercute directement sur la capacité de payer des usagères, puisque la partie exonérée est soumise à un maximum, 4 $ d’aide fixe plus un maximum de 9 $ en aide variable.

Une exonération en fonction d’un pourcentage du revenu des personnes, et non pas en fonction d’un montant maximum fixe, pourrait être avantageuse pour les deux parties : elle laisserait une plus grande marge de manœuvre aux EESAD pour bonifier les conditions salariales sans pénaliser les usagères puisque le montant exonéré serait fonction du revenu. De plus, la rémunération des employées des EESAD pourrait s’approcher de la rémunération des auxiliaires de services sociaux et de santé. Enfin, un salaire plus généreux dans les EESAD pourrait contribuer à réduire les problèmes liés à la pénurie de main-d’œuvre et au taux élevé de roulement.

Le Conseil recommande

que la gratuité des services d’aide aux activités de la vie domestique et des services d’aide aux activités de la vie quotidienne soit assurée aux personnes âgées et aux malades ayant un revenu disponible de moins de 20 000 $ par année.

La tarification des services

On observe des variations dans les tarifs exigés par les EESAD; par exemple, le tarif horaire pour des services d’assistance aux AVD, couverts par le PEFSAD, fluctuera entre 11,70 $ et 28 $ l’heure, selon le type de service fourni ou la catégorie d’usagères et usagers (membres, non-membres ou personnes référées par les CSSS).

Certaines EESAD offrent aussi des services d’assistance aux AVQ et des services de répit ou d’accompagnement, services non couverts par le PEFSAD. Parmi ces services, 32 % offraient de l’aide aux AVQ et 47 % de l’accompagnement et du répit à leur clientèle. Les entreprises de la région de Montréal se limitent à la prestation de services couverts au PEFSAD. En 2009, la tarification des services d’aide aux AVQ variait entre 14,50 et 22 $ l’heure et celle des services de répit ou d’accom pagnement entre 13 $ et 19 $ l’heure (MAMROT, 2012b, p. ii).

Un des objectifs de la mise en œuvre d’une assurance autonomie est justement de réduire ces disparités.

L’Allocation au soutien à l’autonomie et l’assurance autonomie fournissent l’occasion d’une harmonisation des pratiques tarifaires entre les différents lieux de prestation des services et devraient tendre, pour des services de même nature, à uniformiser la contribution des personnes. À terme, la démarche devrait conduire à une cohérence entre la contribution de la personne et celle de l’État, quel que soit le lieu de résidence de la personne, qu’il s’agisse d’un CHSLD, des Ressources intermédiaires et des Ressources de type familial (RTF), de la résidence privée pour aînés (RPA) ou du domicile de type traditionnel (MSSS, 2013a, p. 24).

Recommandations

Après avoir pris connaissance de L’autonomie pour tous, livre blanc sur la création d’une assurance autonomie et analysé les conséquences sur les femmes des mesures que le projet propose, le Conseil recommande

  1. que le ministère de la Santé et des Services sociaux revoie en profondeur le mode de rémunération des médecins généralistes en clinique et en CLSC pour les inciter à prendre en charge plus de patientes et patients à domicile;

  2. que le ministère de la Santé et des Services sociaux prenne les moyens nécessaires pour s’assurer que les médecins généralistes consacrent un nombre minimal d’heures à leurs patientes et patients âgés, que ce soit en cabinet ou à domicile;

  3. que le ministère de la Santé et des Services sociaux s’assure que les critères provinciaux sont appliqués de manière à ce que les femmes et les hommes ayant besoin de services à domicile soient traités équitablement, tant dans l’évaluation de leurs besoins que dans les services offerts;

  4. que le ministère de la Santé et des Services sociaux mette fin au recours à des critères d’exclusion non prévus dans la politique et qui privent les usagères et usagers de services et de soins, notamment celui de demeurer dans une résidence privée pour personnes âgées ou celui d’avoir le soutien d’une ou un proche aidant;

  5. que le gouvernement renonce aux mesures du Régime de rentes du Québec ayant pour effet de réduire la rente de retraite accordée aux personnes qui se retirent du marché du travail avant 65 ans, et qu’une mesure plus équitable soit mise en place afin de ne pas pénaliser les personnes qui prennent leur retraite pour une raison liée à un problème de santé, à la pénibilité du travail ou au rôle de proche aidant;

  6. que le gouvernement examine la possibilité de créer un Régime d’assurance responsabilité familiale ou d’élargir le Régime québécois d’assurance parentale et d’en faire une caisse multifonctionnelle qui inclurait la compensation financière pour congé pour prise en charge d’une ou un proche en perte d’autonomie;

  7. que le gouvernement inclue dans la future politique nationale de maintien à domicile l’obligation pour les CSSS de procéder à l’évaluation des besoins de services non seulement pour les personnes en perte d’autonomie, mais aussi pour les proches qui auront à jouer un rôle de proche aidant; que cette évaluation fasse aussi l’objet d’une mise à jour, selon les critères prévus dans la politique;

  8. qu’un outil confirmant le consentement et la capacité des proches à assurer la prestation de soins et de services de maintien à domicile soit inclus au Plan de services des bénéficiaires;

  9. que le ministère de la Santé et des Services sociaux renonce à privatiser les services d’auxiliaires de services sociaux et de santé afin de minimiser le roulement du personnel, phénomène qui nuit au maintien à domicile des personnes âgées;

  10. que le gouvernement soutienne le secteur à but non lucratif afin qu’il rehausse les salaires des travailleuses et travailleurs œuvrant au domicile des malades; que le personnel issu des secteurs public, privé et à but non lucratif ait une formation équivalente;

  11. que la gratuité des services d’aide aux activités de la vie domestique et des services d’aide aux activités de la vie quotidienne soit assurée aux personnes âgées et aux malades ayant un revenu disponible de moins de 20 000 $ par année.

Bibliographie

  1. Ces données proviennent de l’ISQ. Les proportions sont calculées sur la population totale de chaque groupe, incluant les personnes vivant en ménage collectif.
  2. Le PEFSAD a été mis sur pied en 1997 pour soutenir le démarrage des EESAD et en assurer la viabilité financière. Ce programme est administré par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ.) Toute personne de 18 ans et plus qui fait appel à une EESAD pour obtenir des services d’aide domestique est admissible à une aide fixe de 4 $ pour chaque heure de service fournie. Les personnes plus démunies ont aussi droit à une aide variable pouvant atteindre un maximum de 9 $ pour chaque heure de service fournie, aide calculée en fonction du revenu. Ainsi, pour chaque heure de services facturée par les EESAD, les bénéficiaires peuvent recevoir un remboursement maximal de 13 $ (Site de la RAMQ, page consultée le 13 octobre 2013). À l’heure actuelle, pour pallier le manque de ressources, financières et humaines, les CSSS sous-traitent la prestation d’une partie des services d’assistance aux AVQ en faisant appel notamment aux EESAD et au programme Chèque emploi-service, initialement appelé « l’allocation directe ».
  3. Les périodes 1993-2000, années du virage ambulatoire, et 2004-2005, création des Agences de la santé et des services sociaux (ASSS) et des Centres de santé et de services sociaux (CSSS), ont enregistré les baisses les plus importantes.
  4. Un lit dressé est un lit doté en personnel et prêt à recevoir une usagère ou un usager. Cet indicateur de capacité des établissements se distingue de celui mesuré par les places internes et les lits autorisés au permis qui correspondent au nombre apparaissant sur le permis d’exploitation délivré par le Ministère à chaque établissement et qui mesure la capacité maximale autorisée pour celui-ci (Info-établissements, MSSS, 2012, p. 22).
  5. Dans le cadre de l’Enquête nationale sur les résidences privées pour personnes âgées de la SCHL, une unité locative standard est une place occupée par une personne qui reçoit des soins standard (moins d’une heure et demie de soins par jour) ou qui n’a pas à payer de frais supplémentaires pour recevoir des soins assidus. Le terme pour désigner ce type de place peut varier d’une région à l’autre du pays. En comparaison, les unités avec soins assidus visent les places occupées par une personne qui paye des frais supplémentaires pour recevoir des soins assidus (au moins une heure et demie de soins par jour), par exemple si elle est atteinte de la maladie d’Alzheimer ou de démence, ou si elle est à mobilité réduite (SCHL, 2012, p. 11).
  6. Anciennement nommées « auxiliaires familiales et sociales ».
  7. Dans le but d’alléger le reste du texte, pour les corps d’emploi où les femmes représentent une majorité, nous avons choisi le féminin comme genre générique chaque fois qu’un doublet aurait été nécessaire, sauf à l’intérieur des citations. Ce choix se justifie notamment parce que c’est précisément en leur nom que le Conseil s’exprime.
  8. Les infirmiers, qui comptent pour 10 % de l’effectif, sont plus nombreux que leurs consœurs à travailler à temps plein (68 % c. 57 %), à occuper des postes de gestion (13 % c. 6 %), à exercer dans le domaine des soins critiques (18 % c. 13 %) ou en santé mentale (13 % c. 6 %). La proportion d’hommes au sein de la relève est stable depuis les cinq dernières années (12 %) (OIIQ, page consultée le 11 octobre 2013).
  9. 9,4 % n’ont pas répondu.
  10. Les données du Centre de traitement du chèque emploi-service correspondent aux relevés fiscaux émis. Certaines personnes peuvent avoir été dénombrées plus d’une fois si elles donnent les services chez plusieurs bénéficiaires.
  11. Ces deux dernières données ne prennent pas en compte les emplois financés dans le cadre des programmes d’employabilité ou d’insertion.
  12. En mai 2009, le salaire minimum au Québec était de 9 $ l’heure.
  13. 80 % des employées des EESAD de la région de Montréal n’ont pas de voiture.
  14. Portrait des personnes proches aidantes âgées de 45 ans et plus (Fleury, 2013). Les données sont tirées de l’Enquête sociale générale de 2007. Pour la définition de « proche aidante », voir p. 2. Le Conseil des aînés estime que les femmes forment 75 % des personnes qui jouent un rôle de « principale » proche aidante. La situation aurait peu changé depuis les 26 dernières années, lorsqu’on considère les résultats d’une enquête québécoise menée en 1989 dans le cadre de la commission Rochon et qui rapportait que 67 % des personnes proches aidantes auprès d’une personne âgée ou en perte d’autonomie étaient des femmes, proportion qui atteignait 74 % quand on parle de « principal proche aidant » (Moisan, 1999, p. 49).
  15. Aussi appelé « logement en milieu de soutien » ou « logement-service », le logement avec services de soutien est un mode d’habitation destiné aux aînés qui allie, d’une part, un milieu physique spécialement conçu pour faciliter la vie et assurer leur sécurité sans nuire au sentiment d’avoir un véritable chez soi, et de l’autre, la prestation de services de soutien tels que la fourniture de repas et de services d’entretien ménager ou l’organisation d’activités sociales et récréatives (Fleury, 2013, p. 7).
  16. Nouvelle appellation du programme PALV.
  17. L’octroi direct de chèques aux usagères sera exceptionnel. On veut ainsi réduire le recours au travail au noir, les risques d’abus financier des aînées et aînés, les risques de perpétuer le rôle traditionnel des femmes. De plus, le programme Chèque emploi-service, en raison de la complexité des formulaires à remplir, n’est pas très populaire auprès des personnes de 65 ans et plus (MSSS, 2013a, p. 25).
  18. Pour les quatre prochaines années, le montant annuel des services de longue durée sera composé du financement de l’exercice précédent indexé en fonction des paramètres du cadre financier gouvernemental accompagné d’un ajout de 500 M$ étalés jusqu’en 2017-2018; de la contribution des usagères et usagers au PEFSAD; d’une portion de la contribution des résidentes et résidents des CHSLD; des dépenses équivalant à la majoration du crédit d’impôt pour maintien à domicile.
  19. Le 13 septembre dernier, le ministre de la Santé et des Services sociaux et ministre responsable des aînés, M. Réjean Hébert, ainsi que les ministres responsables de chacune des régions administratives du Québec, annonçaient l’ajout de ressources professionnelles dans tous les Groupes de médecine familiale du Québec.
  20. Protecteur du citoyen, p. 14.
  21. Selon une étude menée en 2005 par Statistique Canada et Ressources humaines et développement des compétences Canada, les deux tiers des adultes québécois (66 %) éprouvent de grandes difficultés à trouver, comprendre et utiliser l’information relative à leur santé. Une proportion qui atteint 95 % chez les personnes âgées de plus de 65 ans (cité dans AQESSS, 2011, p. 13.
  22. Dans son rapport, le Protecteur du citoyen constate une augmentation sensible des plaintes relatives aux services de maintien à domicile. Ainsi, le nombre de plaintes en appel des décisions prises par les commissaires aux plaintes et à la qualité des services est passé de 89 en 2009-2010 à 142 au cours des 9 premiers mois de 2011-2012. En 2009-2010, 38,2 % des plaintes étaient fondées, alors qu’en 2011-2012, 55,6 % l’étaient.