Mémoire - Des pistes d'amélioration pour la procréation assistée

Ce document est la version HTML accessible du Mémoire - Des pistes d'amélioration pour la procréation assistée, disponible en format PDF sur le site Web du Conseil du statut de la femme.

Table des matières

AVANT-PROPOS

Le Conseil du statut de la femme (Conseil) s’est prononcé à diverses reprises sur la question de la procréation assistée. Dès les années 1980, il admettait que les technologies de reproduction bouleversaient les assises mêmes du rapport des femmes à la procréation, tout comme celui des hommes à la paternité. De 1986 à 1989, puis en 1996, il a publié différents avis et études qui traitaient de ce sujet; il a également produit une documentation audiovisuelle et organisé un forum sur la question.

Dans un avis publié en 2006, le Conseil réagissait au projet de loi no 89. Plus récemment encore, en 2008, il adressait une lettre et des commentaires à la présidente de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie (CEST), en vue des consultations qu’elle a par la suite menées sur la question. En juin 2009, il transmettait une lettre-commentaires au président de la Commission des affaires sociales lors de la consultation sur le projet de loi no 26. En 2010, il publiait un avis sur deux projets de règlement sur la procréation assistée et formulait des recommandations sur la question de la prévention et de la protection de la santé, la couverture publique des services, la surveillance des activités de procréation assistée et le droit des enfants de connaître leurs origines. Enfin, en 2012, il faisait parvenir une lettre au ministre de la Santé sur les modifications au Règlement sur les activités cliniques en matière de procréation assistée.

INTRODUCTION

Avec l’adoption de la Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée1 et des deux règlements qui s’y rattachent, la Régie d’assurance maladie du Québec rembourse désormais les frais médicaux et la médication entourant la procréation médicalement assistée (PMA), de l’insémination artificielle jusqu’à la fécondation in vitro (FIV).

La procréation assistée comporte notamment les activités suivantes : la stimulation ovarienne, le prélèvement, le traitement, la manipulation in vitro et la conservation de gamètes humains, l’insémination artificielle avec le sperme du conjoint ou celui d’un donneur, le diagnostic préimplantatoire, la conservation et le transfert d’embryons humains (CEST 2009, p. XV).

Ainsi, en août 2010, « le Québec [est devenu] le premier État d’Amérique du Nord à payer pour la procréation assistée. L’Ontario a eu une politique semblable de remboursement des frais liés à la PMA. Elle a été abandonnée en 1994 dans une période de restrictions budgétaires. On a alors jugé que les économies en néonatalogie ne justifiaient pas le financement d’un programme de remboursement de la PMA (IRIS 2011, p. 5). En Europe, plusieurs pays offrent depuis longtemps le remboursement de la FIV – les Français par exemple ont droit à quatre essais gratuits; les Belges, à six » (Forget 2012, p. 76).

En plus de rembourser jusqu’à trois cycles de FIV, le gouvernement a dû modifier la liste des médicaments devant être couverts par l’assurance médicament publique et par les compagnies d’assurance, y compris les médicaments utilisés dans le traitement de l’infertilité : « […] les assureurs doivent couvrir au minimum 68 % des coûts, qui peuvent s’échelonner généralement entre 1000 $ et 5 000 $, selon les doses prescrites » (Forget 2012, p. 77).

Depuis son instauration, le programme est populaire. En 2009, 1 831 cycles de FIV ont été réalisés au Québec. Du 5 août 2010, date d’entrée en vigueur de la gratuité, jusqu’au 31 juillet 2011, 4 867 cycles ont été faits, pour un total d’environ 1 300 femmes qui seraient devenues enceintes à la suite d’une FIV. On estime que le programme aura atteint sa vitesse de croisière vers 2015; de 7 000 à 7 500 cycles seront alors enregistrés chaque année, ce qui portera alors la facture à 63 millions de dollars (Forget 2012, p. 82).

Comme le mentionnait le mémoire du Conseil publié en 2006 :

Les techniques de PMA ne concernent pas seulement les femmes. Cependant, comme elles concernent les relations entre les hommes et les femmes, comme elles ne peuvent exister sans interventions sur le corps des femmes, comme ces interventions ne sont pas sans danger pour leur santé et pour celle des enfants issus de ces techniques, comme elles ont un impact majeur sur la conception de la maternité et de la parentalité, comme les femmes porteront en grande partie le poids des décisions prises dans ce secteur, ces techniques de PMA constituent une préoccupation importante pour le CSF (CSF 2006, p. 13).

La prévention de l’infertilité

Dans son mémoire de 2010 portant sur la PMA, le Conseil prenait position sur la prévention de l’infertilité :

Les règlements ne font état d’aucune mesure pour contrer l’infertilité. Pourtant, le recours à la procréation assistée est un phénomène en expansion et les divers problèmes de fertilité en sont la principale cause. Le discours sur leur financement évacue et occulte le fait que les technologies de reproduction constituent un palliatif et un contournement à la stérilité et à l’infertilité. Jusqu’à un certain point, il empêche même de chercher la cause des problèmes et de travailler à les remédier (CSF 2010, p. 9).

Contourner l’infertilité en assurant la gratuité de la procréation assistée nous éloigne-t-il de la recherche sur l’infertilité? Les causes de l’infertilité devraient être examinées en priorité, notamment l’utilisation de produits chimiques et la pollution. « Les phtalates utilisés pour assouplir certains plastiques ainsi que les pesticides agiraient comme perturbateurs endocriniens. Ils peuvent se trouver dans les milieux aquatiques et éventuellement dans les sources d’eau potable. Dans le corps humain, ils stimulent l’action des œstrogènes (des hormones féminines) et perturbent le développement des organes reproducteurs masculins » (Forget 2012, p. 49).

Les autres causes de l’infertilité sont multiples : surpoids, tabagisme, consommation de drogues, infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS), etc. Il serait donc primordial de ne pas seulement contourner les problèmes de fertilité par le remboursement de la PMA, mais aussi de sensibiliser la population aux causes de l’infertilité. L’âge demeure l’un des facteurs d’infertilité les plus importants : plus un couple sera âgé, plus la fertilité sera réduite (CSF 2006, p. 19).

Au début des années 2000, la moitié des couples qui consultaient les cliniques le faisaient à cause d’un problème d’infertilité masculine. Ce pourcentage se situe désormais entre 65 % et 70 %. « Aucune étude n’a encore prouvé que l’infertilité masculine était à la hausse, mais les soupçons planent» (Forget 2012, p. 49). Or, même si les problèmes d’infertilité sont souvent masculins, ce sont les femmes qui subissent les interventions médicales les plus intrusives.

De surcroît, en ayant recours à l’insémination artificielle, « on contourne la sélection naturelle. Des spermatozoïdes anormaux peuvent se trouver gagnants dans la course à la reproduction, alors que les gènes qu’ils portent n’auraient jamais dû être transmis » (Forget 2012, p. 55). Les hommes infertiles qui ont recours à des techniques de fertilisation médicale transmettent dès lors leur infertilité à leurs garçons : « […] pour la première fois dans l’histoire, l’infertilité est en voie de devenir une maladie héréditaire» (Forget 2012, p. 55).

La prise en compte de la notion d’infertilité est particulièrement importante pour les femmes. Que le problème d’infertilité soit imputable à l’homme ou à la femme, c’est cette dernière qui aura à subir la majorité, sinon la totalité, des interventions liées à la fécondation in vitro. Comme ce sont essentiellement les femmes qui subissent les interventions de procréation assistée et qui sont affectées par ses conséquences, les techniques de procréation assistée impliquent donc que les femmes s’adaptent au problème. À l’inverse, miser sur la prévention permet d’éviter aux femmes de subir une série d’interventions et contribue à solutionner le problème (CSF 2010, p. 9).

Le programme de remboursement de la PMA entré en vigueur en août 2010 contourne les problèmes d’infertilité et n’accorde pas suffisamment de place à la recherche et à la sensibilisation sur l’infertilité. En plus de rendre accessibles les techniques de PMA, il y aurait lieu de sensibiliser davantage la population aux causes de l’infertilité. Une telle sensibilisation pourrait réduire le recours à la PMA dans des cas qui ne sont pas essentiels. De plus, elle aurait pour effet de responsabiliser davantage certains patients qui se tournent vers la PMA. La gratuité a ses effets pervers; par exemple, selon la psychologue du Centre de reproduction McGill, Janet Takefman, les patients étaient plus préparés à la FIV lorsqu’ils devaient payer eux-mêmes l’intervention. Ils suivaient aussi plus rigoureusement les protocoles, condition essentielle à la réussite de la FIV. Selon elle, la gratuité a pour effet que certains patients banalisent l’intervention : « C’est gratuit, pourquoi ne pas essayer? » (Forget 2012, p. 83).

Les conditions et les milieux de travail font aussi partie des facteurs sociaux qui ont un effet sur la santé reproductive des femmes et des hommes. Toutefois, peu d’études existent à ce sujet. Les quelques écrits font surtout état du potentiel nocif de certains agents utilisés ou présents dans des milieux de travail et ciblent certains secteurs plus à risque. D’autres éléments, tels que les effets du stress, les facteurs ergonomiques et l’horaire de travail, peuvent aussi nuire à la fertilité. En conséquence, le Conseil recommande (CSF 2010, p. 10) :

Un système de santé public et universel

Le Conseil s’est toujours prononcé en faveur d’un système de santé public et universel. Dès l’introduction du remboursement de la PMA, en 2010, le Conseil a salué cette initiative comme une avancée bienvenue dans la couverture offerte par le Régime d’assurance maladie du Québec. En raison des coûts très élevés des traitements de PMA, ceux-ci étaient souvent inaccessibles à une portion importante de la population. Or, les personnes qui sont aux prises avec des problèmes d’infertilité ne devraient pas être pénalisées par les coûts des traitements.

Le fait de ne pouvoir accéder à ces services contribue à causer des inégalités sociales non désirables puisque les personnes dont les revenus sont plus limités n’y ont pas accès. En effet, la privatisation des services de santé affecte particulièrement les personnes à faible revenu et pénalise celles à revenu moyen. Le Conseil s’oppose donc à l’offre des services et des soins de santé au privé en général (CSF 2010, p. 13).

Le Conseil se demandait de plus en 2010 si la présence importante du secteur privé à but lucratif dans le domaine de la PMA n’était pas de nature à fragiliser les principes qui sont à la base de la nature publique du système de santé :

La recherche de profit inhérente aux organisations à but lucratif peut-elle être occultée? Les intérêts financiers n’entraveront-ils pas un accès aux services respectueux de l’éthique et des valeurs chères à la population québécoise et qui placent en priorité la santé des personnes comme indicateur de succès d’une intervention? (CSF 2010, p. 13-14)

Selon Julie Depelteau, chercheuse associée à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), « tout comme c’est le cas en matière d’avortement, le gouvernement est prompt à remettre aux établissements privés le champ de la pratique médicale liée à la santé reproductive des femmes, en finançant les soins prodigués par ces établissements à même le régime public. […] Les cliniques privées génèrent des profits grâce aux soins ultra-spécialisés facilités par le programme québécois de procréation médicalement assistée, mais délèguent aux établissements publics, qui souffrent d’un sous-financement chronique, la prestation de soins de base liés à ce programme, tel l’accouchement » (citée dans Leduc 2011, p. A12).

« On nous répète que le programme, bien que son coût soit important, ne constitue pas une nouvelle dépense en santé, car il suscite des économies dans d’autres domaines, comme les soins des nouveau-nés. Or cet argument est contestable, puisque les économies réalisées sont entièrement captées par les nouvelles techniques utilisées par l’industrie pour réduire le nombre de grossesses multiples qu’elle engendre. Les économies sont réelles, mais elles ne permettent pas de contrebalancer les coûts du programme de procréation assistée : elles défraient seulement les coûts des nouvelles techniques utilisées par l’industrie pour solutionner le problème qu’elle crée elle-même. Bref, le financement public permet de régler le problème causé par le secteur privé tout en maintenant, et même en accroissant, ses marges de profit » (IRIS 2011).

En décembre 2011, le ministre de la Santé, Yves Bolduc, a annoncé qu’à la mi-2013, la moitié des FIV allaient être assurées par le secteur public. Trois embryologistes d’expérience ont alors quitté le privé pour venir travailler à la nouvelle clinique de fertilité affiliée au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), implantée au coût de 16 millions de dollars (Daoust-Boisvert 2011, p. A3). En mars 2013, certains traitements de PMA sont offerts par le secteur public dans les villes de Chicoutimi, de Trois-Rivières, de Sherbrooke et de Québec. Si toutefois les patientes doivent avoir recours à la FIV, elles devront être redirigées vers les cliniques offrant ce service : trois cliniques publiques de PMA étaient en activité, toutes à Montréal. Quatre autres cliniques privées offrent ce service à Montréal. Hors de la métropole, une seule clinique – privée – offre la FIV, à Québec2.

À cet égard, la recommandation du Conseil formulée en 2010 est encore d’actualité :

Une limite au nombre d’embryons implantés

Le Conseil s’est toujours montré favorable à la limitation du nombre d’embryons pouvant être implantés en FIV. « En vertu du Règlement sur les activités cliniques en matière de procréation assistée, les médecins sont tenus de transférer un seul embryon aux femmes de 36 ans et moins, aux maximum deux embryons lorsque le dossier médical le justifie – quand la femme a connu des échecs répétés avec la FIV, par exemple. Chez les patientes de 37 ans et plus, chez qui les chances de succès sont considérablement réduites, on peut aller exceptionnellement jusqu’à trois » (Forget 2012, p. 70).

Le Conseil se montre satisfait que le Québec se soit inspiré des exemples suédois, finlandais et belge en interdisant en 2010 l’implantation multiple d’embryons chez les femmes de moins de 37 ans. L’État a ainsi voulu freiner la multiplication des naissances multiples; rappelons que l’augmentation de 50 % de 1989 à 2009 de naissances de jumeaux est tributaire de la procréation assistée (Forget 2012, p. 70). Or, les naissances multiples sont souvent la source de problèmes de santé chez la mère, les fœtus et les enfants (CEST 2009, p. XVI). En outre, la moitié des jumeaux sont traités en néonatalogie (Mathieu 2010, p. 21) :

Comme nous le mentionnions dans notre avis de 2010 :

La réglementation prévoit quatre options comportant chacune l’équivalent d’un maximum de trois essais complets de cycles de fécondation in vitro couverts par la Régie de l’assurance maladie. La réglementation fait une distinction entre la fécondation in vitro faite sur un cycle d’ovulation stimulé ou naturel modifié et la fécondation in vitro pratiquée à partir d’un cycle naturel d’ovulation. Cette dernière est considérée comme un demi-essai. Selon l’option choisie, cela a pour conséquence d’augmenter jusqu’à six le nombre réel d’essais possible.

La multiplication des essais, du coup, multiplie aussi les interventions sur le corps des femmes et amène le Conseil à émettre certaines réserves. En plus des effets incommodants lors de la prise des médicaments nécessaires à la surstimulation ovarienne, ses conséquences à moyen et à long terme sur la santé des femmes sont particulièrement questionnées. La ponction ovocytaire nécessite aussi des interventions, entre autres l’anesthésie locale ou générale, qui ne sont pas sans risques et sans conséquences sur la santé des femmes. Pour sa part, la fécondation in vitro sur cycle naturel comporte les avantages d’éviter la prise de médicaments et l’hyperstimulation, d’être moins coûteuse et elle implique très peu de risques de grossesses multiples (CSF 2010, p. 11-12).

En 2012, dans une lettre envoyée au ministre de la Santé par le Conseil, celui-ci se positionnait en faveur de la limitation à deux plutôt qu’à trois du nombre d’embryons qui peuvent être implantés chez les femmes de plus de 37 ans. Par conséquent, le Conseil recommande :

Les coûts du programme de remboursement de la procréation médicalement assistée

Plusieurs critiques contre le remboursement de traitement d’infertilité par le Régime d’assurance maladie ont été soulevées. D’abord, de nombreuses personnes ont souligné le fait que l’infertilité n’est pas une maladie, qu’elle ne met pas en danger la vie. Ensuite, les budgets alloués au système de santé ne semblent pas être suffisants pour répondre aux besoins les plus criants : le manque de ressources pour les soins à domicile et les soins palliatifs affectent particulièrement les femmes car elles sont, beaucoup plus souvent que les hommes, les proches aidantes de parents malades. L’accès rapide aux médecins de famille est encore problématique puisque « seulement un adulte québécois sur trois (32 %) peut voir un médecin le même jour ou le lendemain, en cas de besoin. Ce pourcentage est le plus faible des pays » qui ont participé à une enquête du Commonwealth Fund citée par le Commissaire à la santé et au bien-être (CSBE 2012). Dans ce contexte, se payer le luxe de rembourser la procréation assistée correspond-il à une bonne allocation des ressources (Forget 2012, p. 78)?

Selon la chercheuse Julie Depelteau, de l’IRIS, il est probable que le coût du programme public de procréation assistée soit plus élevé que les 80 millions de dollars annoncés initialement. La façon dont sont compilés les trois cycles de FIV remboursés par l’État, la forte demande et la congélation des embryons contribueraient à faire augmenter le coût réel du programme (Depelteau 2011, p. 5). Ainsi, « selon l’IRIS, les coûts réels du programme risquent beaucoup de se rapprocher de l’évaluation faite par la Fédération des médecins spécialistes du Québec qui estimait plutôt que le programme coûterait 200 millions par année » (Leduc 2011, p. A12). Malgré la diminution des tarifs versés aux spécialistes pour un cycle de FIV adoptée en décembre 2011, les coûts du programme de PMA dépassent les prévisions. En février 2013, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) annonçait que le programme coûterait au moins 5 millions de dollars de plus que les prévisions pour l’année budgétaire 2012-2013 (Daoust-Boisvert 2013). En mai 2013, le cabinet du ministre de la Santé Réjean Hébert admettait que le programme avait coûté au moins 120 millions depuis sa mise sur pied, en août 2010.

La Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN) a déploré cette utilisation des ressources importantes pour une question non urgente. Selon elle, « la société québécoise ferait mieux d’investir dans les programmes d’éducation et de sensibilisation à l’école, pour prévenir les infections transmissibles sexuellement, responsables de bien des cas d’infertilité. Elle croit aussi qu’on devrait multiplier les politiques sociales pour encourager les femmes à avoir des enfants plus tôt, en favorisant les garderies en milieu d’études ou en offrant davantage de prêts et bourses aux femmes enceintes » (Forget 2012, p. 78).

Le problème d’accessibilité aux soins se pose aussi. Comme l’a rappelé le président de l’Association des obstétriciens et gynécologues du Québec, le Dr Robert Sabbah, les femmes ont déjà de la difficulté à avoir accès à un médecin qui pourra les suivre durant leur grossesse. Or, encourager davantage les naissances par la procréation assistée complique ce problème d’accessibilité : de rares ressources financières sont octroyées pour rembourser les FIV et non pour les services de première ligne. (Forget 2012, p. 78-79). Si les gouvernements ont des choix budgétaires à faire dans le but de prioriser les soins essentiels en matière de santé pour les femmes, nous sommes d’avis que l’universalité des procédures de PMA devrait être sacrifiée.

Par conséquent, le Conseil recommande que :

La recherche, la surveillance et l’évaluation

Puisque les techniques de PMA ont des effets sur la santé des personnes, tout en conservant leur caractère exploratoire, et qu’elles transforment le processus de reproduction humaine, elles devraient faire l’objet d’un processus étroit de recherche, de surveillance et d’évaluation.

Selon l’IRIS, les pratiques médicales et la recherche sur la PMA ne sont pas encadrées par la Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée, mais plutôt par les règlements administratifs qui en découlent. De ce fait, la reddition de comptes des établissements qui pratiquent la PMA est limitée. De plus, les effets à long terme de la PMA sont peu connus (Lambert et Sirard 2005). L’IRIS, qui s’est prononcé sur le sujet en 2011, considère même que les techniques de PMA sont au « stade expérimental ». De surcroît, « aucun indicateur ne porte sur la santé des femmes y ayant recours et des enfants issus de la PMA » (Depelteau 2011, p. 5).

Même son de cloche à la FQPN : « […] la FQPN constate que le projet de réglementation ne prévoit pas de mécanisme national de collecte de données avec des normes uniformisées et standardisées pour tous les centres de procréation assistée. Bien au contraire, le législateur préfère risquer l’aléatoire en laissant à chaque centre, lors du rapport annuel, la responsabilité d’une cueillette de données d’ordre administratif » (FQPN 2010, p. 2).

À cet égard, le Règlement sur les activités cliniques en matière de procréation assistée prévoit, dans la section II, la collecte de différents types de renseignements. Le directeur d’un centre de procréation assistée doit conserver les renseignements relatifs au consentement des personnes parties prenantes au projet parental (article 15). Il doit aussi consigner l’information sur la cession de gamètes ou d’embryons (article 25). Enfin, le Règlement demande que, dans son rapport annuel, chaque centre de procréation assistée indique, notamment, des données sur le nombre de personnes traitées, le type et le nombre de traitements entrepris. À ce sujet, le Conseil réitère les recommandations formulées en 2010 :

Le Conseil réitère son étonnement, dont il avait fait part au ministre de la Santé en mai 2012, au sujet de l’article 8 et du troisième paragraphe de l’article 30 de la Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée. En effet, ces articles prévoyant que tout projet de recherche sur des activités de procréation assistée soit approuvé par un comité d’éthique de la recherche reconnu par le ministre et que le gouvernement puisse déterminer les conditions qu’un projet de recherche doive satisfaire ne sont toujours pas en vigueur. Le Conseil recommande donc :

La levée de l’anonymat

Une tendance semble s’installer dans le monde : la levée de l’anonymat des donneurs de gamètes et d’embryons. « En Suède, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Finlande, en Belgique, en Nouvelle-Zélande et dans certains États australiens, le don anonyme est désormais interdit » (Forget 2012, p. 145).

Le Conseil s’est positionné en 1996 pour la levée de l’anonymat. Dans une lettre adressée à la présidente de la CEST, il écrivait :

En accord avec la nécessité et l’obligation d’éliminer toute discrimination envers les enfants en leur garantissant les mêmes droits, quelles que soient les circonstances de leur naissance, le Conseil s’est prononcé sur la nécessité d’établir formellement les origines biologiques de ces enfants. Conséquemment, il a recommandé la levée de l’anonymat des donneurs, sous certaines conditions (CSF 2010, p. 19).

En conséquence, nous rappelons les recommandations du Conseil formulées en 1996 :

L’évaluation des personnes ayant recours à la procréation médicalement assistée

Une évaluation psychosociale des patientes et des patients est prévue par le ministère de la Santé et des Services sociaux :

Bien que la loi ne prévoie pas de limite d’âge prédéterminé pour l’accessibilité au Programme, la décision relève du jugement clinique du médecin traitant. C’est aussi au médecin que revient la décision de procéder ou non au traitement selon la condition physique et psychosociale de la personne, en plus de considérer le bien-être du bébé à naître. À cet effet, il peut demander une consultation auprès d’une équipe multidisciplinaire qui l’aidera dans sa réflexion3.

Toutefois, cette évaluation psychosociale n’est pas aussi poussée que celle qui est faite auprès des gens voulant adopter. Selon nos sources, l’évaluation psychosociale dure de 40 minutes à 1 heure et est réalisée par un professionnel de la santé mentale. Elle ne vise pas à « présélectionner les patients pour déterminer s’ils vont faire de bons parents. Toutefois, des risques potentiels, comme l’abus d’alcool ou d’autres drogues, des psychopathologies, sont évalués, ce qui peut entraîner notre retrait du dossier ou le report du traitement», selon le Centre universitaire de santé McGill (CUSM), dont les propos ont été cités par La Presse (Duchaine 2012).

Le programme de PMA a d’ailleurs fait la manchette à ce sujet en octobre 2012, lorsqu’on a annoncé que le CUSM avait « créé un enfant de la DPJ» (Duchaine 2012). En effet, la clinique de fertilité du CUSM avait accepté de traiter une mère aux prises avec de graves problèmes de santé mentale, victime de violence conjugale et ayant des antécédents judiciaires. Résultat : à la naissance de l’enfant, celui-ci a été immédiatement placé sous l’aile de la Direction de la protection de la jeunesse. Deux cliniques de fertilité avaient auparavant refusé de traiter cette femme, ce qui représente un cas extrême selon nos sources. En effet, les cliniques ont plutôt tendance à inviter les clientes à reconsidérer leur choix, par exemple, si elles souffrent de dépression ou si elles prennent des médicaments qui entrent en interaction avec ceux prescrits pour le traitement en PMA. Un refus de traitement est une exception. Il demeure que ce cas inusité amène le Conseil à se poser certaines questions sur le processus d’évaluation des patientes et des patients qui se tournent vers la PMA. Il y aurait peut-être lieu de s’inspirer, à cet égard, de la démarche mise en place dans les cas d’adoption.

Dans cette optique, le Conseil recommande :

CONCLUSION

La procréation médicalement assistée (PMA) interpelle le Conseil du statut de la femme depuis de nombreuses années. La Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée et les règlements qui s’y rattachent ont permis, dans une certaine mesure, de baliser l’exercice de la PMA au Québec, tout en rendant cette intervention accessible à l’ensemble de la population.

Toutefois, la Loi et ses règlements comportent toujours des lacunes. D’abord, la prévention et la recherche sur l’infertilité sont occultées au profit de techniques de contournement de l’infertilité. De plus, certaines dispositions renforcent le système de santé privé, bien que des ajustements aient été apportés à ce chapitre. Rappelons que le Conseil s’est toujours positionné sans équivoque en faveur d’un système de santé public et universel. Soulignons aussi que les coûts d’un programme de remboursement de la PMA par le Régime d’assurance maladie du Québec sont importants. Bien que le Conseil appuie cette mesure pour les moins nantis, celle-ci ne devrait pas être mise en avant au détriment des soins de première ligne. Enfin faut-il rappeler que certaines techniques de PMA sont toujours au stade expérimental : il est important d’assurer un suivi approprié des interventions pratiquées, des naissances qui en découlent et des effets à long terme.

BIBLIOGRAPHIE

COMMISSAIRE À LA SANTÉ ET AU BIEN-ÊTRE (CSBE) (2012). « Améliorer l’accès aux services de première ligne et aux soins spécialisés », Info-Performance, bulletin no 5, octobre.

COMMISSION DE L’ÉTHIQUE DE LA SCIENCE ET DE LA TECHNOLOGIE (CEST) (2009). Éthique et procréation assistée : des orientations pour le don de gamètes et d’embryons, la gestation pour autrui et le diagnostic préimplantatoire, avis, Québec.

CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME (CSF) (2006). Mémoire sur le projet de loi no 89, Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée et modifiant d’autres dispositions législatives, Québec, Gouvernement du Québec, [En ligne]. [http://bit.ly/13Mu2b7].

CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME (CSF) (2010). Commentaires sur la réglementation entourant les activités de procréation assistée, Québec, Gouvernement du Québec, [En ligne]. [http://bit.ly/YmMZCM].

DAOUST-BOISVERT, Amélie (2011). « La moitié des fécondations in vitro sera assumée par l’État d’ici 2013 », Le Devoir, 22 décembre, p. A3.

DAOUST-BOISVERT, Amélie (2013). « La procréation assistée coûte plus cher que prévu. Québec entend augmenter de plus de 50 % l’offre actuelle », Le Devoir, 28 février.

DEPELTEAU, Julie (2011). Le privé et la santé reproductive des femmes. Note socio-économique, Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), avril, [En ligne]. [http://bit.ly/A5VORk].

DUCHAINE, Gabrielle (2012). « Un enfant de la DPJ créé par procréation assistée », La Presse, 1er octobre, [En ligne]. [http://bit.ly/ZPXldq].

FÉDÉRATION DU QUÉBEC POUR LE PLANNING DES NAISSANCES (FQPN) (2010). Commentaires sur le Règlement sur les activités cliniques en matière de procréation assistée et le Règlement modifiant le Règlement d’application de la Loi sur l’assurance maladie, 21 avril, [En ligne]. [http://bit.ly/15ZquGO].

FORGET, Dominique (2012). Bébés illimités. La procréation assistée… et ses petits, Montréal, Québec Amérique.

INSTITUT DE RECHERCHE ET D’INFORMATIONS SOCIO-ÉCONOMIQUES (IRIS) (2011). « Programme de procréation assistée : le secteur privé sort gagnant », communiqué, 27 avril.

LAMBERT, Raymond D. et Marc-André SIRARD (2005). « Sur les conditions d’exercice de la pratique médicale du traitement de l’infertilité et de la recherche connexe », L’Observatoire de la génétique, no 23, juillet-août, [En ligne]. [http://bit.ly/12xPb9q].

LEDUC, Louise (2011). « Une manne pour le privé », La Presse, 28 avril, p.A12.

MATHIEU, Annie (2010). « La loterie du risque », Gazette des femmes, vol. 31, no 5, mars-avril, p. 21-22.

  1. La Loi peut être consultée à l’adresse suivante : http://bit.ly/17t44eV.
  2. La liste des cliniques en activité est disponible à l’adresse suivante : http://bit.ly/YgV1wY.
  3. http://bit.ly/15HLUst