Mémoire sur le projet de loi no 27,
Loi sur l’optimisation des services de garde éducatifs à l’enfance subventionnés

Ce document est la version HTML accessible du Mémoire sur le projet de loi no 27, Loi sur l’optimisation des services de garde éducatifs à l’enfance subventionnés, disponible en format PDF sur le site Web du Conseil du statut de la femme.

Le Conseil du statut de la femme est un organisme de consultation et d’étude qui veille, depuis 1973, à promouvoir et à défendre les droits et les intérêts des Québécoises. Il conseille la ministre et le gouvernement sur tout sujet lié à l’égalité et au respect des droits et du statut des femmes. L’assemblée des membres du Conseil est composée de la présidente et de dix femmes venant des associations féminines, des milieux universitaires, des groupes socio-économiques et des syndicats.

Les orientations de cet avis ont été approuvées par les membres du Conseil du statut de la femme le 5 janvier 2015.

Glossaire

Centre de la petite enfance (CPE)
Organisme à but non lucratif ou coopérative qui offre dans ses installations des places à contribution réduite, subventionnées par le gouvernement. Le CPE est dirigé par un conseil d’administration composé d’au moins sept membres, dont au moins les deux tiers sont des parents usagers ou futurs usagers du CPE. Au 30 septembre 2014, le ministère de la Famille recensait 87 775 places dans les CPE.
Service de garde en milieu familial
Le service de garde en milieu familial est tenu par une personne dans une résidence privée. Si cette personne n’est pas reconnue par un bureau coordonnateur de la garde en milieu familial, elle ne peut pas recevoir plus de six enfants. Lorsqu’une personne reconnue exerce seule, elle peut offrir des services de garde éducatifs à un maximum de six enfants, dont deux peuvent avoir moins de dix-huit mois. La majorité des personnes reconnues offrent des places à contribution réduite. Au 30 septembre 2014, le ministère de la Famille recensait 91 664 places à contribution réduite en milieu familial.
Garderie
Une garderie est généralement une entreprise à but lucratif. Elle peut offrir des places à contribution réduite (subventionnées par le gouvernement) ou non. Elle doit former un comité de parents et le consulter sur tous les aspects touchant la garde des enfants qu’elle reçoit. Au 30 septembre 2014, le ministère de la Famille recensait 94 812 places dans les garderies, dont 45 010 étaient à contribution réduite.

Source des définitions : Ministère de la Famille (2014)

Introduction

La disponibilité de services de garde à l’enfance fait partie des conditions d’un véritable accès des femmes au marché du travail. Conscient de l’importance de ces services, le Conseil du statut de la femme s’est toujours montré favorable au soutien gouvernemental aux parents pour la garde de leurs enfants. En ce sens, dès 1975 c’est-à-dire bien avant que soit créé le réseau des services de garde à contribution réduite, le Conseil recommandait au gouvernement de reconnaître son rôle de soutien aux parents quant à la responsabilité de la garde de leurs enfants, tant sur le plan financier que sur le plan de l’accessibilité des services. Depuis, la politique familiale québécoise s’est développée autour de l’offre de services de garde à contribution réduite.

Le 20 novembre dernier, le Premier ministre et la ministre de la Famille ont annoncé une révision en profondeur du programme de places à contribution réduite. La révision vise à freiner la croissance des coûts de ce programme en augmentant la part assumée par les parents utilisateurs. Elle se décline en trois étapes :

  1. une hausse de la contribution payée par les parents1
  2. l’optimisation des places disponibles dans les services de garde à contribution réduite
  3. la révision des modalités de création de places à contribution réduite.

Au 30 septembre 2014, on dénombre 224 449 places à contribution réduite, subventionnées par le gouvernement. Ces places se répartissent comme suit dans trois types d’installations :

On compte en outre 49 802 places dans les garderies non subventionnées: le tarif y est beaucoup plus élevé que dans les services de garde à contribution réduite, mais les parents ont alors droit à des crédits d’impôt qui ont pour effet de diminuer la facture nette.

Dans le cadre de la révision du programme des services de garde, la ministre de la Famille a déposé, le 26 novembre dernier, le projet de loi no 27 qui vise à modifier le cadre législatif entourant les services de garde à contribution réduite en rendant obligatoire, pour tout prestataire de services de garde subventionnés, la signature d’une entente de services avec les parents des enfants qui sont inscrits au service de garde. Jusqu’ici, une entente de ce type devait être conclue entre le parent et le prestataire, dans le cas des services dispensés en centre de la petite enfance (CPE) et en milieu familial, mais pas dans les garderies privées subventionnées. Le projet de loi vise également à imposer des sanctions aux parents de même qu’aux prestataires de services de garde qui ne respecteraient pas les termes de l’entente de services qu’ils ont conclue.

On ne peut dire du réseau qu’il est universel, car il manque encore des places à contribution réduite pour répondre à la demande. À défaut d’un nombre suffisant de places subventionnées, le système demeure inéquitable, car le principe du premier arrivé premier servi a pour effet que des familles à haut revenu puissent avoir accès à ces places convoitées pendant que des familles à revenus modestes sont sur la liste d’attente.

Autre effet pervers du manque de places à 7,30 $: les parents prennent différents moyens pour s’assurer d’avoir une place au moment où ils en auront besoin. Il est connu qu’un certain nombre de familles réserve des places et signe des ententes de services dans des milieux de garde à contribution réduite sans que leur enfant soit présent aux heures ou aux journées prévues. Il arrive, par exemple, que des parents paient durant quelques mois une place à temps plein en prévision de leur retour au travail, sans amener leur enfant au service de garde ou en l’y conduisant à temps partiel. Dans la réglementation actuelle, un parent ne peut être assuré de retrouver une place au moment de son retour au travail s’il retire son enfant du service de garde pendant un an ou pour la durée de son congé parental. Ce manque de souplesse accroît encore l’iniquité du système puisque des places subventionnées sont sous-utilisées pendant que des familles restent longtemps sur des listes d’attentes.

C’est en ce sens que le Conseil québécois des services de garde éducatifs à l’enfance (CQSGEE) a sonné l’alarme, en septembre dernier, demandant à la ministre de la Famille « d’accroître et de resserrer les moyens d’intervention des bureaux coordonnateurs de la garde en milieu familial et d’augmenter le nombre d’enquêteurs financiers avant d’initier des mesures qui affecteront la qualité et l’accessibilité des services de garde» (CQSGEE, 2014). Comme chaque journée ou demi-journée de fréquentation d’une installation offrant des services de garde subventionnés est prise en compte dans le calcul de la subvention de fonctionnement d’un CPE ou de la subvention annuelle pour la garde en milieu familial, il est normal que la ministre veuille s’assurer que les ententes sont respectées et que les services prévus sont véritablement rendus.

Néanmoins, le Conseil du statut de la femme conteste les estimations véhiculées sur le nombre de journées de garde subventionnées, mais non utilisées et sur le coût de ces journées. Il faut savoir que les données disponibles sur la présence des enfants ne permettent pas de dresser un portrait juste de la situation. Selon le Conseil, certaines journées d’absence sont inévitables, le manque de places et la rigidité des services actuels peuvent contribuer à un usage inadéquat des services de garde subventionnés.

1. Subvention de fonctionnement des services de garde éducatifs

Le programme de places à contribution réduite permet à la majorité des familles d’avoir accès aux services de garde éducatifs en payant un tarif réduit, grâce à une subvention gouvernementale qui est versée aux services de garde. La subvention comble la différence entre le coût réel de la garde et le tarif demandé aux parents. Les CPE, les garderies privées subventionnées et les services de garde en milieu familial bénéficient de cette subvention pourvu qu’ils respectent un ensemble de conditions ayant pour but de garantir la qualité du service offert. Pour être titulaires d’un permis en vertu de la Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance, les garderies non subventionnées sont également tenues de se conformer à des normes de qualité établies par le gouvernement.

Depuis le 1er novembre 2008, tout titulaire de permis de centre de la petite enfance ou de garderie doit, pour être autorisé à offrir des places à contribution réduite, avoir signé une entente afin d’être admissible aux subventions prévues dans les règles budgétaires applicables. Cette entente détermine les conditions que les titulaires de permis doivent respecter. Le montant de la subvention – qui est en moyenne de 39 $ par jour par enfant – est attribué en fonction des services dispensés, c’est-à-dire par rapport au nombre d’enfants présents au service de garde et au nombre de journées de fréquentation. Puisque le ratio enfants/éducatrices est plus faible dans le cas des poupons (enfants de moins de 18 mois) et que le tarif est le même, quel que soit l’âge des enfants, la subvention accordée est plus importante pour les poupons que pour les enfants plus vieux. De même, la subvention est majorée pour les enfants ayant des besoins spéciaux ou pour les enfants handicapés.

2. Suivi de l’occupation des places subventionnées

Conformément à la législation actuelle, dans chaque installation de CPE et dans chaque service de garde en milieu familial, l’occupation est mesurée systématiquement, en deux temps, soit les deux étapes du cycle budgétaire annuel de ces installations subventionnées. L’occupation est d’abord calculée en fonction du nombre d’enfants et de journées visés par les ententes de service; puis, les présences sont vérifiées au moyen des fiches d’assiduité qui donnent lieu, à la fin de l’année, à la déclaration de l’État de l’occupation et des présences réelles des enfants. Ce dernier document est inclus dans le rapport financier annuel de l’installation. Le ministère de la Famille valide les données contenues dans « l’État de l’occupation », de manière à s’assurer de l’intégralité et de la véracité des déclarations.

Malgré les contrôles mis en place par le ministère, il existe un écart entre l’occupation des places selon les ententes de service et la présence réelle des enfants dans les installations subventionnées. C’est ce que le Chantier sur la qualité et la pérennité des services de garde et sur l’optimisation de

leur financement a constaté dans son rapport déposé en décembre 2013. Mais quelle est l’ampleur de cet écart et, surtout, comment l’interpréter ?

3. L’estimation du nombre de places non utilisées

Alors que le Chantier évoquait l’écart entre le nombre de jours-enfants subventionnés et la fréquentation réelle des services de garde pour mettre en évidence une inadéquation entre les ententes de service et les besoins réels des parents, la Commission de révision permanente des programmes a repris cet écart pour affirmer que les places subventionnées étaient mal utilisées par les parents et les services de garde. Mais est-ce que tout cet écart peut vraiment être considéré comme un usage inadéquat des services de garde à contribution réduite ?

Dans son premier rapport déposé en novembre 2014, la Commission a décrit comme « une utilisation non optimale des places subventionnées » l’écart observé ente le taux d’occupation et le taux de présence dans les CPE (Commission de révision permanente des programmes, 2014 : 83). Son estimation du nombre de places non utilisées et du coût correspondant repose sur l’écart mesuré entre le taux d’occupation et le taux de présence dans les services de garde subventionnés: avec un écart de 18 points de pourcentage entre les taux, pour 2013-2014 (chiffre que la Commission a obtenu du ministère de la Famille), la Commission estime, en appliquant cet écart à l’ensemble des places à contribution réduite3, qu’en 2013-2014, près de 10 millions de jours d’occupation auraient été payés sans que les enfants soient présents, pour une subvention de 280 millions de dollars versés en trop. Mais le Conseil du statut de la femme s’interroge sur la validité de ce calcul. D’abord, il est erroné de calculer la différence entre deux taux qui n’ont pas le même dénominateur. Ensuite, le coût des places non utilisées ne pourrait être récupéré en totalité puisqu’une partie des places non utilisées l’est pour des raisons légitimes ou inévitables et liées à la trop grande rigidité du système.

Le Conseil veut, dans un premier temps, estimer le véritable écart entre le nombre de places subventionnées et le nombre de jours-enfants de fréquentation des services de garde visés. Il tentera, dans un second temps, d’identifier les principaux facteurs contribuant à creuser cet écart. Notre calcul prendra appui sur les données présentées dans le rapport du Chantier sur la qualité et la pérennité des services de garde et sur l’optimisation de leur financement, ainsi que sur les définitions du taux d’occupation et du taux de présence.

Le taux d’occupation représente la proportion des places sous permis qui font l’objet d’une entente de service avec les parents; le taux de présence correspond au nombre de jours où les enfants étaient présents par rapport au nombre de jours d’occupation prévus dans les ententes de services (définitions reprises de l’Étude des crédits 2012-2013, renseignements particuliers volet famille, ministère de la Famille et des aînés, avril 2012, FP5, FP6). En termes arithmétiques, les taux sont :

Taux d’occupation = jours d’occupation selon ententes ÷ places-jours sous permis
Taux de présence = jours-enfants présents ÷ jours d’occupation selon ententes

Le Chantier a constaté que le taux d’occupation se maintient à un niveau élevé, dans les CPE: il se chiffrait à 97,8 % en 2012-2013, en hausse par rapport aux 92,4 % de 2001-2002. Cela signifie que les places disponibles en CPE sont facilement comblées. Le taux de présence est plus faible dans les CPE et il a diminué depuis 2001-2002 : il n’était que de 78,3 %, en 2012-2013, en chute de plus de 5 points de pourcentage par rapport à son niveau de 2001-2002. Dans son rapport, le Chantier estime nécessaire de comprendre cette baisse, même s’il ne formule pas d’hypothèse pour l’expliquer.

La situation diffère dans le cas de la garde en milieu familial : 87,2 % des places sous permis font l’objet d’une entente signée entre la responsable du service de garde et les parents et 83,9 % des jours-enfants visés par les ententes correspondent à des présences déclarées dans les fi d’assiduité.

Pour l’année 2012-2013, les taux d’occupation et de présence des services de garde subventionnés, en CPE et en milieu familial, sont résumés au tableau suivant :

Taux d’occupation et de présence des services de garde subventionnés, en CPE et en milieu familial - 2012-2013

Milieu

Taux d’occupation

Taux de présence

CPE

97,8 %

78,3 %

Milieu familial

87,2 %

83,9 %

Ensemble

92,4 %

81,0 %

Le taux d’occupation est plus élevé dans les CPE qu’en milieu familial. Boisvert (2013) explique cette différence par le fait que les ententes de service, que les responsables des services de garde en milieu familial signent avec les parents, ne peuvent inclure les jours de fermeture, contrairement à la réalité des CPE. Ceux-ci ne ferment pas leurs portes pour les vacances et ils peuvent inclure dans leurs ententes de service jusqu’à un maximum de 13 jours de fermeture par année. Les éducatrices sont payées pour ces journées : les parents paient le tarif habituel durant les jours de fermeture et la subvention est versée au service de garde. Par contre, en milieu familial, le service doit fermer au moins 24 jours par année (8 jours fériés et 16 jours de vacances) et ces jours sont exclus des ententes de service.

Le taux de présence est plus faible dans les CPE qu’en milieu familial, notamment parce que les 13 jours où les CPE sont fermés doivent être considérés comme des jours d’occupation alors que les enfants sont nécessairement absents. S’ajoutent à cela les journées de vacances que les parents ne peuvent faire coïncider avec la fermeture du CPE, contrairement à ce qui se fait en milieu familial.

À partir des taux de présence, nous constatons qu’en 2012-2013, 81 % des jours-enfants subventionnés étaient réellement utilisés, dans les CPE et en milieu familial, et que 19 % ne l’étaient pas. Si l’on applique les taux estimés pour 2012-2013 au nombre de places sous permis4 au 30 septembre 2014, dans les CPE et en milieu familial, le nombre total de places sous entente, mais non utilisées dans les faits s’élève à 7,9 millions de jours-enfants, et non 10 millions comme l’affirmait la Commission permanente de révision des programmes.

4. Les raisons de l’écart entre les places sous entente et les présences

Les raisons pouvant expliquer l’écart entre les places sous entente et les présences quotidiennes sont multiples. Il faut d’abord prendre en considération les motifs incompressibles d’absence, comme les maladies des enfants et les vacances annuelles que prennent la majorité des familles. Par ailleurs, une partie de l’écart découle davantage de la rigidité des règles et de l’inadéquation entre les besoins réels des parents et les horaires proposés. Cette rigidité serait liée au manque de places subventionnées dans certains milieux.

Le fait que les places en services de garde subventionnés ne soient pas toutes occupées constitue à première vue un gaspillage de fonds publics. Mais pour le Conseil, toutes les journées d’absence des enfants ne peuvent être considérées comme des cas d’utilisation frauduleuse des services

publics. Il faut examiner les situations particulières des familles et des installations de services de garde pour comprendre que le taux d’occupation et le taux de présence ne peuvent pas être toujours égaux à 100 %.

4.1. Les journées de maladie ou de vacances

Certains jours d’absence des enfants sont incompressibles et imprévisibles et, de ce fait, ne peuvent être inclus dans les ententes de service. Les maladies, nombreuses et fréquentes chez les enfants d’âge préscolaire5, combinées aux règles appliquées par les services de garde pour éviter leur propagation par contagion, sont la principale cause des absences inévitables. Les périodes de vacances, qui ne sont pas prévues dans le cadre des ententes de service, constituent elles aussi des journées d’absence des enfants qui semblent légitimes et inévitables. Pourtant, les parents qui retirent leurs enfants du milieu de garde pendant les vacances annuelles, s’ils en prennent, risquent de perdre leur accès aux places subventionnées, même en acquittant les frais.

4.2. Rigidité des règles

Les règles d’attribution des places sont rigides dans les services de garde à contribution réduite, ce qui n’est pas étranger au manque de places dans les services régis. Faisant face à une demande qui excède largement la capacité d’accueil, les responsables des services de garde se contentent souvent de n’offrir que des places à temps plein toute l’année. Les services de garde, qui sont des corporations autonomes, établissent en effet leurs propres règles de régie interne, les règles d’admission, leur calendrier et leurs horaires.

4.2.1. L’offre de services de garde à temps partiel

La plus grande facilité de gestion des places à temps plein, dans un contexte où le travail à temps plein prévaut pour une majorité des parents6, fait que les services de garde sont offerts le plus souvent à temps plein. Les données disponibles ne nous permettent pas de connaître le nombre de places à temps partiel, mais elles indiquent qu’un certain nombre d’installations offrent ce mode de garde. Le ministère de la Famille affirme qu’au cours de l’année 2011-2012, un peu moins de six

Portrait des Québécoises en 8 temps, édition 2014).

CPE sur dix offraient la garde à temps partiel. Le tableau est encore plus sombre dans les autres modes de garde : moins du tiers des garderies privées subventionnées et seulement 15,5 % des responsables de services de garde en milieu familial proposent des places à temps partiel (MFA, 2014d : III). La garde à temps partiel a lieu lorsque l’enfant fréquente le service de garde deux ou trois jours par semaine.

En somme, si certaines familles qui préféreraient la garde à temps partiel se voient plutôt offrir une garde à temps plein, elles seront tentées de l’accepter pour ne pas perdre leur tour sur la liste d’attente, quitte à adapter l’horaire de fréquentation à leurs besoins réels, c’est-à-dire à ne pas respecter à la lettre l’entente signée.

Ce manque de places à temps partiel complique particulièrement la vie des mères, car elles sont plus nombreuses que les pères à ne pas travailler à temps plein. En 2013, 25,4 % des femmes en emploi travaillent à temps partiel, comparativement à 12,5 % des hommes (ISQ 2014). Souvent, c’est la maternité qui incite les mères à opter pour une semaine de travail comprimée, et à refuser des promotions (Tremblay 2012). Dans le couple, le fait d’avoir des enfants à charge a des conséquences économiques nettement plus lourdes pour les femmes que pour les hommes, particulièrement en ce qui a trait à la progression en emploi et au revenu. Résultat : les femmes gagnent 71,5 % du revenu des hommes (Statistique Canada, tableau 202-0102).

4.2.2. Rentrée progressive des enfants

Une autre situation pouvant contribuer à creuser l’écart entre le taux d’occupation et le taux de présence dans les services de garde subventionnés est l’introduction des enfants dans ces services. À la fin de leur congé de maternité, de paternité ou parental, les parents qui veulent initier leur poupon à la fréquentation d’un service de garde souhaitent souvent que sa rentrée se fasse de façon progressive. La rentrée progressive est aussi utile pour que les parents puissent se familiariser avec les services de garde avant de recommencer à travailler à temps plein.

Le Conseil est d’avis que cette situation ne devrait pas être considérée comme une violation des règles de fréquentation des enfants. Elle devrait bien sûr se limiter à une courte période et ne pas se répercuter sur le financement des places. Dans un guide à l’intention des parents, le ministère de la Famille recommande en ce sens d’échelonner la rentrée des poupons sur quelques jours : « Si cela est possible, procédez par étapes : quelques heures par jour au début, puis un peu plus longtemps les jours suivants; les premiers jours, demeurez quelques minutes en compagnie de votre enfant avant de quitter le service de garde et procédez de la même façon à votre retour; pour rassurer votre enfant, confirmez-lui le moment où vous reviendrez le chercher; si cela est possible, venez chercher votre enfant plus tôt les premières journées » (MFA, 2014a : 14). Une pratique de ce genre pourrait convenir aux familles et aux éducatrices, et même si c’est le ministère lui-même qui la recommande,

elle n’est pas prévue dans les ententes de service. Nous croyons que la réglementation devrait être modifiée de façon à inclure la possibilité d’une rentrée progressive dans l’entente de services.

Un exemple pouvant illustrer la difficulté de cette situation pourrait être celui d’une enseignante en congé de maternité. La jeune femme est mère d’un bébé de cinq mois et d’un enfant de trois ans; elle prévoit retourner au travail dans quatre mois. Dans l’intervalle, elle aimerait bien garder son aîné à la maison mais, pour qu’il ne perde pas sa place en CPE, elle doit le conduire au centre, conformément à l’entente (Laurin-Desjardins, 2014). Est-il vraiment optimal qu’il aille à la garderie tous les jours, alors que sa mère est à la maison avec son bébé ?

4.2.3. La garde atypique

Certaines règles en vigueur, surtout celles relatives aux horaires et au calendrier, rendent souvent les services inutilisables pour les parents dont l’activité professionnelle (études ou travail) obéit à un horaire atypique.

Par exemple, dans le domaine hospitalier, afin d’assurer la dispensation des soins 7 jours sur 7, des employés travaillent 4 jours durant la semaine et une journée la fin de semaine, leur jour de congé (du lundi au vendredi) peut varier de semaine en semaine. Ces parents n’ont d’autres choix que de payer une place à temps plein pour leur enfant, même s’il est absent une journée par semaine. Ces horaires atypiques sont aussi le lot de plusieurs femmes occupant un métier traditionnellement féminin dans la restauration ou le commerce au détail.

Très peu des services de garde offrent à leur clientèle des horaires atypiques, soit la possibilité d’être pris en charge le soir, la nuit, les fins de semaine, sur appel ou encore une demi-journée à la fois. Moins de 4 % des installations (CPE et garderies) offrent la garde suivant ces modalités (MFA, 2014d : III).

De plus, les besoins en services de garde des parents qui ont un horaire atypique ou qui changent d’activité professionnelle en cours d’année peuvent varier. Il n’est pas possible, à l’heure actuelle, de réévaluer périodiquement les horaires de garde des enfants pour utiliser d’une manière optimale les places subventionnées.

Une flexibilisation des horaires de fréquentation ou leur révision périodique permettraient à l’offre de services de garde de mieux correspondre aux besoins des familles et, donc, à ces services d’être utilisés de manière plus efficace.

4.2.4. Les places réservées à l’avance

Pour s’assurer que leur enfant aura une place dans un service de garde subventionné, un certain nombre de parents accepte de signer une entente de service quelques mois avant le début de l’entrée de leur enfant en milieu de garde. Ils paieront donc pour une place sous-utilisée ou carrément inoccupée, pour laquelle le service de garde obtient tout de même une subvention.

5. Les sanctions envisagées

Comme nous venons de le voir, plusieurs cas de figure peuvent causer un écart entre la fréquentation prévue dans les ententes de service et la présence réelle des enfants dans les services de garde. À défaut de signer une entente de services qui corresponde réellement à leurs besoins, les parents pourront être incités à signer l’entente standard quitte à adapter par la suite l’horaire de fréquentation à leurs besoins.

Or, pour s’assurer que les parents se conforment aux termes de l’entente de service, le projet de loi no 27 prévoit que « Le ministre [de la Famille] peut annuler ou diminuer la subvention consentie ou suspendre, en tout ou en partie, son versement si son bénéficiaire inscrit des renseignements faux ou trompeurs dans une fiche d’inscription ou d’assiduité visée à l’article 58 [de la Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance], dans une entente de services de garde éducatifs subventionnés ou une entente particulière visée à l’article 101.2.1 ou dans un formulaire requis en vertu d’un règlement pris en application de la présente loi ou encore consent à l’inscription de tels renseignements.»

Le projet de loi prévoit par ailleurs que: « Lorsque le ministre constate qu’un parent a signé une fiche d’inscription ou d’assiduité visée à l’article 58 [de la Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance], une entente visée à l’article 101.2.1 ou un formulaire requis en vertu d’un règlement pris en application de la présente loi et que ce document contient des renseignements faux ou trompeurs, il peut retirer à ce parent, pour une période de trois mois, la possibilité de bénéficier d’une place dont les services de garde sont subventionnés à l’égard de l’enfant concerné. »

Selon les termes du projet de loi, la ministre de la Famille pourrait donc imposer aux parents qui violeraient l’entente une amende pouvant atteindre 3600 $ (soit le coût total de trois mois de frais de garde) et exclure les enfants visés du service de garde pour trois mois*. De leur côté, les centres de la petite enfance ou les responsables des services de garde fautifs auraient à payer une amende fixée entre 250 et 1 000 dollars.

Pour le Conseil, le gouvernement enverrait un signal suffisamment fort s’il pénalisait uniquement les services de garde délinquants, et non les familles. Après tout, ce sont souvent les responsables de ces services qui expliquent aux parents comment contourner le système, par exemple en leur suggérant d’amener leur enfant seulement une heure par jour à la garderie pendant quelques mois, afin d’occuper la place jusqu’à ce qu’ils en aient véritablement besoin. Il est selon nous injuste de prévoir des amendes, et particulièrement de cette sévérité, pour les parents qui ne respecteraient pas l’entente qu’ils ont signée et surtout de pénaliser les enfants en leur interdisant l’accès au service de garde pendant trois mois. D’ailleurs, cet aspect du projet de loi a fait l’objet de nombreuses critiques, ce qui a fait dire à la ministre de la Famille que les amendes pourraient être révisées à la baisse. Puisque le manque de places à contribution réduite est à l’origine de la rigidité des règles prévalant à l’attribution de ces places, le Conseil est d’avis que les parents ne doivent pas faire les frais de la pénurie. Nous avons mentionné que les services de garde subventionnés faisaient face à une demande telle que leurs responsables peuvent se permettre de privilégier la garde à temps plein, laquelle est plus simple à gérer que la garde à temps partiel : c’est de cette façon que la demande excédentaire expliquerait l’insuffisance de l’offre de places à temps partiel.

Au lieu de miser sur la punition des parents, le Conseil recommande à la ministre de la Famille de corriger les carences du système, c’est-à-dire 1) de permettre, à court terme, un assouplissement des règles de fréquentation et 2) d’accroître, à moyen terme, le nombre de places dans les services de garde subventionnés.

À court terme, il faut trouver un moyen de tenir compte des besoins réels des familles. Cela doit passer par un assouplissement des règles : introduire, par exemple, la possibilité que les parents prennent un congé prolongé avec leurs enfants sans perdre leur place au service de garde. Les places libérées durant un temps défini seraient offertes à d’autres enfants. À moyen terme, la véritable solution consiste à augmenter le nombre de places dans les services de garde à contribution réduite.

Conclusion

Dans le présent mémoire, le Conseil a montré que les taux d’absence mesurés dans les services de garde à contribution réduite n’étaient pas liés uniquement à des pratiques frauduleuses de la part des services de garde et des parents. Les absences s’expliquent en partie par la rigidité excessive du système et par le manque de places. Certes, il faut décourager les fausses déclarations qui entraînent des dépenses inutiles pour le trésor public. Toutefois, le Conseil est d’avis qu’à court terme, seuls les services de garde qui contreviennent aux règles devraient être passibles d’une amende, puisque ceux-ci sont responsables du suivi de l’assiduité et de la transmission des documents afférents. Le Conseil juge moins risqué de pénaliser les services de garde délinquants, plutôt que les familles, étant donné les conséquences néfastes que de telles amendes pourraient avoir sur les parents, particulièrement les mères, et leurs enfants.

Il faut prendre en considération qu’une sanction consistant à exclure du service de garde les enfants visés par l’entente risquerait d’entraîner un recul des femmes sur le marché du travail, puisque ce sont les mères qui, le plus souvent, assument les responsabilités familiales7. Si le service de garde cessait d’accueillir leurs enfants, ce sont elles qui, le plus souvent, quitteraient leur emploi pour assurer la garde de leurs enfants.

Bibliographie

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BOISVERT, Maurice (2013). Rapport du Chantier sur la qualité et la pérennité des services de garde et sur l’optimisation de leur financement, Québec, ministère de la Famille, 23 pages. En ligne : http://www.mfa.gouv.qc.ca/fr/publication/Documents/Rapport-Chantier-CPE-BC.pdf, page consultée le .

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