Avis - Les femmes et le Plan Nord : pour un développement nordique égalitaire

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Table des matières

Liste des tableaux

Remerciements

Le présent avis a été produit grâce à la contribution de personnes qui ont accepté de nous faire part de leur expérience et de leurs connaissances au regard de la situation des femmes dans les collectivités visées dans le Plan Nord. Le Conseil du statut de la femme tient donc à remercier tout d’abord Mme Lise Pelletier, mairesse de Fermont, pour la longue entrevue qu’elle nous a accordée. Nous remercions également Mmes Sylvie Poudrier et Dominic Maltais, conseillères au Secrétariat aux affaires autochtones, qui ont participé aux rencontres avec les membres des communautés autochtones.

Le Conseil tient encore à remercier Mme Michèle Audette, qui était présidente de Femmes autochtones du Québec lorsqu’elle nous a accordé des entrevues et qui a été nommée, en août 2012, à la tête de l’Association des femmes autochtones du Canada; Mme Lisa Koperqualuk, présidente de Saturviit; Mme Annie Vollant, membre de la communauté innue de Uashat; Mmes Élyse Vollant et Sonia Jean-Pierre, ainsi que M. Roger Michel, membres de la communauté innue de Maliotenam; Mme Christelle Jourdain, Mme Marie Jourdain, aînée, et M. Edmond Jourdain, aîné, tous trois membres de la communauté innue de Matimekosh–Lac-John.

Les remerciements du Conseil vont aussi à Mme Danie Chamberland, directrice des services à la clientèle, au CSSS de l’Hématite; Mme Sonia Dumont, directrice de l’Âtre, à Sept-Îles; Mmes Diane Horth, directrice générale, et Marie-Pier Thériault, vice-présidente, de Centr’action, maison d’aide et d’hébergement à Fermont; M. Guy Auger, gestionnaire de projets au Comité sectoriel de main-d’œuvre de l’industrie des mines; Mme Hélène Garon, travailleuse sociale à la Commission scolaire du Fer; M. Mario Cyr, directeur des services éducatifs de la Commission scolaire de la Moyenne-Côte-Nord; Mme Véronique Dumais, journaliste au Trait d’Union du Nord, de même que Mme Martine Michel, coordonnatrice du CALACS La Pointe du jour, à Sept-Îles.

Le Conseil remercie enfin M. Luc André, agent de développement, à la Société de développement économique Uashat mak Mani-Utenam; M. Yves-Aimé Boulay, président de la section locale 5778 du Syndicat des Métallos; Mme Dominique Dionne, vice-présidente d’Xstrata Nickel Mine Raglan; Mme Réjeanne Le Bloch, chef Communications, Mont-Wright, chez ArcelorMittal Mines Canada et M. Alain Véronneau, responsable de la formation dans le même établissement et M. Yves Pelletier, directeur des ressources humaines chez Labrador Iron Mines.

Introduction

Le Plan Nord est une initiative gouvernementale qui a pour objet de susciter l’exploitation des ressources naturelles et du potentiel touristique du Nord québécois en y attirant des investisseurs privés et en finançant la construction d’infrastructures de transport et de communications. Des investissements substantiels sont espérés : on s’attend à ce que les dépenses privées et publiques engagées sur le territoire au cours des 25 prochaines années totalisent 82 milliards de dollars.

Le Conseil du statut de la femme s’est intéressé à ce vaste projet, tentant, d’une part, de voir s’il contribuerait à l’atteinte de l’égalité entre les femmes et les hommes ou à son recul et, d’autre part, d’évaluer si les femmes seront en position de tirer profit, elles aussi, des bénéfices attendus de ce vaste programme d’investissements. Il nous semble essentiel que le Plan Nord reflète cette valeur fondamentale qu’est, au Québec, l’égalité entre les sexes. Notre préoccupation trouve écho dans les orientations de la Politique pour l’égalité entre les femmes et les hommes, que le gouvernement a faites siennes en 2006 et qu’il a renouvelées dans le deuxième plan d’action de cette politique. Les orientations que sont l’égalité économique entre les femmes et les hommes, une plus grande participation des femmes aux instances officielles et la poursuite de l’égalité dans toutes les régions, en tenant compte de leurs spécificités, nous semblent cruciales. Elles doivent, selon nous, être prises en considération dans les projets de développement économique du Québec et particulièrement dans celui du Plan Nord.

Notre réflexion devait nous amener à proposer des aménagements pour permettre à la collectivité québécoise d’améliorer l’égalité économique entre les femmes et les hommes à travers la réalisation du Plan Nord. Pour ce faire, nous avons eu des échanges, au téléphone ou de visu, avec plusieurs témoins directs de ce projet de développement, soit parce que ces personnes travaillent pour un des géants miniers actifs dans la région, soit parce qu’elles partagent la vie d’un employé ou d’une employée d’une minière, ou encore parce qu’elles travaillent dans une maison d’hébergement, une commission scolaire ou un centre local de services communautaires (CLSC) sur le territoire visé dans le Plan Nord. Nous avons également interrogé des élues ainsi que des représentantes des communautés autochtones. En fait, nous avons tenté de joindre un large éventail de personnes de différents milieux, afin de tracer un portrait le plus juste possible des enjeux du Plan Nord pour les femmes. Cependant, nous n’avons pas la prétention d’avoir un échantillon représentatif de l’ensemble des acteurs sur le terrain ni de tracer un portrait exhaustif de la situation. Il s’agit plutôt d’une réflexion critique faite avec le souci de soulever certains risques et bénéfices possibles de ce vaste projet pour celles dont nous défendons les intérêts : les femmes du Québec.

Nous examinerons d’abord le projet du Plan Nord dans ses grandes lignes en nous demandant à quelles conditions les bénéfices collectifs anticipés pourraient effectivement se réaliser. Après avoir décrit les activités économiques menées ou annoncées sur le territoire du Plan Nord, nous verrons comment les emplois créés se répartissent entre les femmes et les hommes. Sans surprise, ce portrait fait ressortir une ségrégation professionnelle des travailleuses et des travailleurs, division qui représente un obstacle majeur à la pleine participation des femmes aux chantiers du Nord. Les incidences du développement du Nord sur les collectivités locales seront ensuite analysées du point de vue des femmes. Puis, nous procéderons à l’examen des mesures en place pour favoriser l’accès de la population locale aux emplois créés dans le Nord et pour résoudre les problèmes sociaux présents sur le territoire en évitant qu’ils soient amplifiés par le type de développement qui s’y fera. Enfin, nous proposerons des mesures pour mieux répondre aux besoins de la population féminine.

Chapitre I Les promesses du Plan Nord

Les documents faisant la promotion du Plan Nord mettent l’accent sur l’immensité du territoire et sur l’abondance des ressources énergétiques et minières qu’il renferme, en même temps que sur un potentiel touristique considérable. Ils présentent le Plan Nord comme « un projet exemplaire de développement durable », qui devrait permettre de mettre en valeur toutes les ressources du territoire en minimisant les impacts sur l’environnement et en maximisant les bénéfices sociaux des investissements (MRNF 2011). L’ouverture et la mise en exploitation d’un territoire vierge au XXIe siècle, dans un État qui dispose déjà d’une longue expérience en matière de développement minier, offre de fait une occasion hors pair pour appliquer des principes novateurs comme ceux du développement durable. Cependant, cette vision prometteuse résistera-t-elle à l’épreuve des faits?

La mise en valeur multiressources

Le territoire du Plan Nord a fait l’objet d’une activité intense, au cours des dernières années, dans le but de mettre en évidence son potentiel pour l’extraction de matières premières et d’acquérir le droit d’accès exclusif aux sites les plus prometteurs.

Le Plan Nord veut amplifier ce mouvement en facilitant l’accès au vaste territoire situé au nord du 49e parallèle, pour toutes les sociétés désireuses d’exploiter les ressources minières, forestières, agricoles, fauniques ou énergétiques. Cependant, au vu des investissements privés annoncés à ce jour, il semble que le développement qui se met en place sera pratiquement mono-industriel, centré sur les mines, malgré la volonté exprimée par le gouvernement de faire reposer le développement du Nord québécois sur la mise en valeur de toutes les ressources naturelles disponibles. En effet, tous les projets entrepris ou annoncés à ce jour, sauf un, sont soit miniers, soit rattachés à l’approvisionnement des établissements miniers en hydroélectricité ou au transport des minerais.

Un projet associé au secteur forestier a cependant été annoncé en février 2012, dans la région du Nord-du-Québec : l’ancienne usine de pâte à papier Domtar, à Lebel-sur-Quévillon, serait relancée pour produire une pâte utilisée dans la fabrication de rayonne. La pâte produite serait exportée principalement dans des usines textiles en Chine.

Dans le secteur minier, le Québec compte plusieurs gisements de classe mondiale et le territoire du Plan Nord est crucial à ce titre. Sur dix-sept mines métalliques actives au Québec en 2011, huit sont situées au nord du 49e parallèle (MRNF 2012 : 100). À noter que les quatre mines de fer ou de fer titané, de même que la seule mine de nickel en exploitation, appartiennent à ce territoire. Les nombreux projets de développement et de mise en valeur entrepris au cours des dernières années contribueront à accroître la place des régions du Plan Nord dans l’activité minière québécoise puisque 23 projets sur 35 s’y dérouleront.

Le développement durable des ressources et du territoire

Dans sa description du projet qu’est le Plan Nord, le gouvernement promet que le développement nordique obéira aux principes du développement durable :

Le Plan Nord doit être un projet exemplaire de développement durable qui intègre le développement énergétique, minier, forestier, bioalimentaire, touristique et du transport, la mise en valeur de la faune ainsi que la protection de l’environnement et la conservation de la biodiversité. Il favorisera le développement au bénéfice des communautés concernées et du Québec tout entier, et ce, dans le respect des cultures et des identités (Faire le Nord ensemble, 2011 : 14).

Pour que cette promesse se concrétise au-delà des mots, le sens donné au concept de développement durable est crucial. Un développement est durable si, aux objectifs d’efficacité économique habituellement poursuivis par les entreprises privées, s’ajoutent la valorisation de l’environnement et des ressources ainsi que l’enrichissement collectif lié aux nouvelles activités économiques. Le succès d’un tel engagement dépend de la réglementation en vigueur et de la manière dont les entreprises présentes sur le territoire s’acquitteront de leur responsabilité sociale.

En outre, suivant les dispositions du projet de loi no C-38 qui a été adopté le 18 juin 2012, le gouvernement canadien a réduit de façon importante son engagement dans la procédure d’évaluation environnementale des grands projets. En conséquence, il deviendra impératif que le législateur québécois, dans une perspective de développement durable, couvre le champ laissé vacant par son homologue canadien et qu’il prenne en charge l’évaluation environnementale des grands projets sur le territoire du Québec et plus particulièrement dans sa partie septentrionale.

Pour les entreprises minières, les critères découlant de la valorisation de l’environnement signifient, d’une part, que les activités productives doivent être menées de façon à minimiser l’altération du milieu et, d’autre part, que la désaffectation de la mine à la fin de son exploitation, partie intégrante de tout projet, relèvera de la compagnie productrice. Les processus d’évaluation environnementale prennent donc ici tout leur sens.

La valorisation des minerais extraits, quant à elle, signifie que la dépréciation du patrimoine collectif doit être compensée au bénéfice de la collectivité. Suivant les principes du développement durable, il est ainsi nécessaire, pour une collectivité, d’investir dans le stock de capital qu’elle détient afin de compenser la perte de valeur du patrimoine naturel causée par les prélèvements de minerais, qui sont des ressources non renouvelables. À cette fin, une partie de la valeur économique des ressources extraites du sous-sol peut, par exemple, être investie dans le capital productif dont disposera la société, ce qui permettra de contrebalancer la réduction de la valeur des gisements et de générer, de façon soutenue, un flux de revenus ou de bénéfices pour la collectivité. En ce sens, la construction de routes, de voies ferrées et d’infrastructures de communications, telle qu’elle est annoncée dans le Plan Nord, procurera certains bénéfices aux collectivités nordiques et à la société québécoise dans son ensemble.

Le ministre sortant du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs a déposé, en avril 2012, un projet de loi qui tentait de concilier les activités industrielles et la protection du territoire. Dans le projet de loi no 65, Loi sur la conservation du patrimoine naturel et sur le développement durable du territoire du Plan Nord, l’article 14 prévoyait en ce sens que : « Le gouvernement adopte, après la tenue d’une consultation publique, une stratégie de conservation applicable au territoire du Plan Nord pour consacrer, d’ici 2035, 50 % de la superficie de ce territoire à des mesures de protection de l’environnement, de maintien de la biodiversité, de mise en valeur du patrimoine naturel et d’utilisation durable des ressources ». Cependant, le déclenchement des élections en août 2012 a mis fin aux travaux parlementaires en cours. Le Conseil s’intéressera aux décisions qui seront prises à cet égard par le nouveau ministre du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs.

L’égalité entre les sexes, qui est au cœur des préoccupations du Conseil, est liée de façon intrinsèque au développement durable. Selon l’UNICEF, la participation des femmes à la vie économique et au pouvoir décisionnel serait profitable à l’ensemble de la communauté :

L’égalité des sexes produit un double dividende car elle bénéficie à la fois aux femmes et aux enfants. Des femmes en bonne santé, instruites et capables de se prendre en charge, ont des filles et des fils qui sont en bonne santé, instruits et sûrs d’eux. L’égalité des sexes permettra aux femmes de vaincre la pauvreté et de mener une vie riche et productive et elle contribuera également à améliorer la vie des enfants, des familles et, en dernière analyse, des nations elles-mêmes (UNICEF, page consultée le 8 mars 2012).

Lors du Sommet de la Terre, tenu à Rio en juin 1992, le principe de l’égalité entre les femmes et les hommes a été lié explicitement à l’atteinte du développement durable. Dans l’Agenda 21, plan d’action global qui est sorti de ce sommet, le chapitre 24, intitulé « L’action mondiale en faveur de la participation des femmes à un développement durable et équitable », propose en effet aux gouvernements des États signataires un ensemble de mesures conçues pour associer pleinement les femmes à la prise de décisions et à la réalisation d’activités allant dans le sens d’un développement durable. Le principe de l’égalité est devenu partie intégrante de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, signée en 1992 (Organisation des Nations Unies, 1993 : section I).

Vingt ans plus tard, il est pertinent de situer l’égalité entre les femmes et les hommes dans la définition du développement durable. C’est ce que fait le Groupe de contact Genre et développement soutenable en prévision de la conférence Rio + 20 lorsqu’il écrit ce qui suit : « Les inégalités entre les femmes et les hommes, leur participation non équitable à l’élaboration et la mise en œuvre des politiques constituent un des freins principaux à la mise en œuvre des engagements internationaux sur le développement durable » (Groupe de contact Genre et développement soutenable en vue de Rio + 20, 2011 : 3).

Au Québec, bien que l’égalité entre les femmes et les hommes ne soit pas affirmée explicitement dans la Loi sur le développement durable1, ce principe est englobé dans la notion d’équité, l’un des seize principes consacrés pour l’administration gouvernementale en vertu de cette loi. Suivant le deuxième principe de cette loi, en effet, « les actions de développement doivent être entreprises dans un souci d’équité intra et intergénérationnelle ainsi que d’éthique et de solidarité sociales ». On comprend alors que la perpétuation des inégalités ou, pire, leur accroissement sont contraires à l’équilibre recherché.

La création d’emplois

Le premier plan d’action du Plan Nord souligne que les régions au nord du 49e parallèle font l’objet d’investissements miniers considérables et que la croissance des investissements est beaucoup plus forte sur ce territoire que dans le reste du Québec (Finances Québec, 2011 : E.22). Il y a donc lieu de s’attendre à une importante création d’emplois, laquelle devrait profiter à la population du Québec tout entier et surtout à celle des régions nordiques.

Cependant, cet avantage pour l’économie québécoise, si important qu’il soit, doit être mis en perspective. En effet, l’emploi nécessaire pour extraire, aujourd’hui, une quantité donnée de minerai est passablement moins important qu’il y a une soixantaine d’années, lorsque l’exploitation des gisements de fer a commencé dans la région de la Côte-Nord.

La mécanisation du travail a beaucoup progressé dans le secteur minier, une tendance lourde, selon l’économiste Marc-Urbain Proulx : « Dans le cas du fer – qui représente plus de 40 % de la production minière au Québec –, il fallait 459 travailleurs pour extraire un million de tonnes en 1950. Il en faut aujourd’hui près de 150 » (Shields, 2012 : B-1). Cette tendance serait donc appelée à se poursuivre. Concrètement, une membre de la Chambre de commerce de la Côte-Nord a mentionné que les compagnies minières procèdent actuellement à d’importants investissements dans la région, la remise à niveau de leurs équipements devant leur permettre « de produire plus avec moins d’effectifs2 ».

D’autre part, Emploi-Québec estime que, de 2011 à 2015, 34 700 emplois seront à pourvoir pour l’ensemble des secteurs dans les régions du Saguenay–Lac-Saint-Jean, de la Côte-Nord et du Nord-du-Québec. Sur le site Web d’Emploi-Québec, une fiche s’adressant aux personnes à la recherche d’un emploi précise que les postes disponibles se concentrent principalement dans les secteurs de l’extraction minière, de la construction, du transport, de l’entreposage et des services professionnels, scientifiques et techniques. Ces emplois constituent les effets directs du développement minier du Nord québécois.

Présentée au tableau I, la liste des métiers et professions les plus en demande dans les régions de la Côte-Nord et du Nord-du-Québec illustre la polarisation des emplois entre les catégories à prédominance masculine et celles à forte prédominance féminine, à l’heure du développement économique du Nord. Des emplois seront donc créés dans l’enseignement, dans la santé et des services sociaux, dans les services administratifs de même que dans le commerce au détail, l’hôtellerie et l’entretien ménager. Dans ces secteurs, les femmes bénéficient immédiatement de nouvelles possibilités d’emploi, mais cela ne compense que partiellement le fait que la majorité des emplois les plus rémunérateurs créés par le Plan Nord sont occupés par une main-d’œuvre masculine.

Le Conseil tient à souligner que, dans l’état actuel du marché du travail, seule une faible proportion des emplois miniers et des emplois de construction seraient occupés par des femmes. Dans ce contexte, et puisque le projet s’inscrit dans un calendrier de plusieurs décennies, il semble possible de tendre vers une répartition plus équilibrée des emplois créés par le Plan Nord. En ce sens, il y aurait lieu de réaffirmer la volonté gouvernementale d’amener la main-d’œuvre féminine à occuper des emplois traditionnellement masculins.

Tableau I Côte-Nord et Nord-du-Québec : postes vacants les plus en demande en avril 2012
Niveau de compétence Titre de la profession Nombre de postes
Professionnel 4141 – Enseignants ou enseignantes au niveau secondaire 14
Technique 7265 – Soudeurs ou soudeuses et opérateurs ou opératrices de machine à souder et à braser 31
7311 – Mécaniciens ou mécaniciennes de chantier et mécaniciens industriels ou mécaniciennes industrielles (sauf industries du textile) 22
1221 – Agents ou agentes d’administration 12
2241 – Technologues et techniciens ou techniciennes en génie électronique et électrique 10
7252 – Tuyauteurs ou tuyauteuses, monteurs ou monteuses d’appareils de chauffage et poseurs ou poseuses de gicleurs 10
Intermédiaire 6421 – Vendeurs ou vendeuses et commis-vendeurs ou commis-vendeuses – commerce de détail 38
1453 – Commis aux services à la clientèle, commis à l’information et personnel assimilé 31
6472 – Aides-enseignants ou aides-enseignantes aux niveaux primaire et secondaire 12
6435 – Réceptionnistes d’hôtel 11
Élémentaire 6661 – Préposés ou préposées à l’entretien ménager et au nettoyage – travaux légers 40
7611 – Aides de soutien des métiers et manœuvre en construction 11
6651 –Gardiens/gardiennes de sécurité et personnel assimilé 10
7622 – Manœuvre dans le transport ferroviaire et routier 10

Source : Emploi-Québec (2012 : 4).

1.3.1. Des emplois réservés

En principe, un certain nombre des emplois directs créés sur le territoire visé dans le Plan Nord seront offerts aux membres des communautés nordiques. La majeure partie de la main-d’œuvre sera néanmoins recrutée dans d’autres régions ou à l’extérieur du Québec. Cependant, comme aucune cible d’emploi local n’a été fixée et qu’aucun mécanisme de suivi n’a été établi, cette orientation pourrait n’avoir que peu d’effet. Par ailleurs, le recrutement de travailleurs et de travailleuses à l’extérieur des régions visées dans le Plan Nord crée de nouveaux enjeux qui seront examinés plus loin.

Les emplois indirects, liés aux achats de fournitures et d’équipement par les promoteurs miniers, et les emplois induits, liés à la consommation de produits et services par les personnes touchant les nouveaux revenus, font également partie des retombées potentielles du Plan Nord. Pour que la population locale bénéficie de ces retombées, il faudrait que les marchés créés par les nouveaux projets soient approvisionnés par des fournisseurs locaux et que le personnel des établissements miniers s’installe dans les localités voisines des sites.

Le Conseil déplore qu’aucune analyse différenciée selon les sexes n’ait été menée à propos des dépenses publiques du Plan Nord. La maigre part des heures travaillées par la main-d’œuvre féminine dans l’industrie de la construction et le petit nombre de femmes employées à la production dans l’industrie minière laissent présager que, si rien n’est fait pour redresser la situation, les retombées directes et indirectes du Plan Nord en matière d’emplois demeureront plutôt réduites pour les femmes.

L’amélioration des conditions de vie de la population locale

Dans le premier plan d’action du Plan Nord, le gouvernement pose l’amélioration des conditions de vie des communautés nordiques comme une retombée importante du Plan Nord. En rapport avec cette question, le document expose d’ailleurs les défis posés par ce vaste projet et les résultats attendus dans les domaines de l’éducation, de la formation de la main-d’œuvre, du logement, de la santé et des services sociaux ainsi que de la culture.

La stratégie de la main-d’œuvre du Plan Nord prévoit des mesures pour « accroître le niveau de formation et de qualification professionnelle des populations vivant actuellement sur le territoire du Plan Nord ». L’analyse des besoins de formation des communautés autochtones sera réalisée et quatre nouveaux centres de formation seront construits sur le territoire, dont un dans une communauté crie. Des formations sur mesure pour les entreprises seront développées, de concert avec les communautés autochtones, les commissions scolaires et les établissements d’enseignement. Enfin, la formation de base des populations habitant le territoire nordique sera améliorée, dans l’optique d’assurer la participation de cette population au marché du travail (Faire le Nord ensemble, 2011 : 37).

Une rémunération relativement élevée

La rémunération moyenne de la main-d’œuvre de l’industrie minière étant largement supérieure au salaire moyen touché au Québec, les conditions de vie matérielles de la population locale seront vraisemblablement améliorées par le versement des salaires liés à l’exercice des nouveaux emplois miniers. En 2006, les personnes salariées de cette industrie touchaient en moyenne 52 000 dollars par année, soit 42 % de plus que le salaire moyen (Minalliance, 2012 : 1). L’importance de cet effet dépendra bien évidemment de la proportion des emplois qui seront pourvus par des membres de la population locale.

Nous verrons plus loin que les emplois de production minière sont actuellement occupés en grande majorité par une main-d’œuvre masculine. C’est pourquoi, si rien n’est fait pour favoriser l’emploi de femmes dans ces métiers traditionnellement masculins, l’élévation du niveau de vie au sein des communautés nordiques risque de s’accompagner d’un creusement des inégalités économiques entre les femmes et les hommes.

La baisse du coût de la vie et le développement des services

La construction d’infrastructures routières et le développement du transport entre les régions nordiques et le sud du Québec devraient faciliter l’approvisionnement régional en biens de consommation et en équipements. Pour la population des communautés nordiques, il pourrait en résulter une baisse générale du coût de la vie. Cet effet favorable du développement nordique, bien qu’il soit indéniable, ne raccourcira pas les distances entre le Nord et le Sud, et il demeurera coûteux, en fait de temps et d’énergie, de transporter les gens et les marchandises sur de grandes distances. Rappelons que Radisson est à 1 400 km de Montréal.

Le gouvernement prévoit stimuler la création d’entreprises locales, dans le contexte du Plan Nord. Un nouveau fonds voué au développement coopératif du Nunavik sera mis sur pied et les activités du Fonds pour la réalisation d’initiatives régionales et locales se poursuivront. Une stratégie québécoise de l’entrepreneuriat sera élaborée : elle comprendra un volet adapté aux réalités nordiques. Ces mesures devraient susciter l’installation d’entreprises de services capables de répondre aux besoins des communautés nordiques, ce qui pourrait contribuer à améliorer leurs conditions de vie.

Il faut savoir que les produits de consommation courante sont plus dispendieux dans les commerces des communautés nordiques que dans les villes au sud du 49e parallèle. Un projet mis sur pied par la Chaire de recherche du Canada sur la condition autochtone comparée a permis à des équipes de recherche de l’Université Laval de mesurer l’écart entre les prix courants dans les commerces du Nunavik, pour des produits alimentaires et des produits d’utilité courante, et ceux des mêmes produits vendus à Québec. La collecte des données a été réalisée en avril 2011, dans 22 magasins localisés dans 13 des 14 villages du Nunavik et dans 3 magasins de Québec. Il en ressort qu’un panier de provisions coûtant 100 dollars à Québec se paie 181 dollars au Nunavik et qu’aucun produit ne coûte moins cher dans cette région qu’au Sud. En outre, faute de disponibilité, la consommation des produits alimentaires frais est moindre dans les plus petites localités du Nunavik (Duhaime et Caron, 2012). En raison surtout des coûts de transport variables et du coût des achats à faibles volumes, il existe entre les villages des différences importantes de prix et d’accès aux produits. C’est donc dire qu’il y aura fort à faire pour réduire le coût de la vie sur le territoire du Plan Nord.

Les bénéfices pour l’ensemble de la société québécoise

Les bénéfices du Plan Nord pour la société québécoise se composeront de l’activité économique nouvellement créée, des retombées fiscales de l’exploitation des nouveaux sites, du développement d’une expertise scientifique et technologique au sein de la main-d’œuvre québécoise et de la construction de nouvelles infrastructures. Ils se mesureront en termes de salaires versés, de redevances sur les ressources minières ou hydrauliques exploitées, de revenus fiscaux liés à cette exploitation ainsi que de consommation liée aux revenus de la main-d’œuvre employée dans les projets d’exploitation minière et dans les nouvelles infrastructures productives.

L’ampleur de ces bénéfices dépendra de la proportion des nouveaux emplois qui seront pourvus par des travailleuses et des travailleurs du Québec, l’emploi de main-d’œuvre hors du Québec impliquant une fuite du pouvoir d’achat, particulièrement si une partie de la main-d’œuvre permanente ne réside pas véritablement sur les lieux.

La valeur nette des bénéfices éventuels pour la société québécoise risque aussi de dépendre des avantages accordés aux exploitants miniers quant à la tarification de leur consommation électrique. Une hausse générale des tarifs à la consommation d’électricité pourrait devenir nécessaire si Hydro-Québec vendait à certaines minières l’électricité au tarif préférentiel, c’est-à-dire un tarif inférieur à celui qui permettrait de rentabiliser les nouvelles installations.

La transformation des minerais extraits constitue une autre source potentielle de retombées de l’activité minière. La création d’emplois dans les secteurs capables d’apporter une valeur ajoutée aux minerais semble plus profitable, d’un point de vue collectif, que la livraison au marché mondial de minerais bruts ou concentrés. La création de nouveaux secteurs de production aurait le potentiel d’avantager les femmes en ce qu’il pourrait leur offrir, à elles aussi, des perspectives d’emploi intéressantes. Une fois encore, de telles retombées reviendront aux communautés locales ou à l’ensemble du Québec, à la condition que les installations de fonte ou d’affinage des minerais ou les usines fabriquant des produits métalliques soient construites sur le territoire du Québec.

Les engagements du législateur

L’exploitation de tout nouveau territoire présente des enjeux complexes qu’il importe d’analyser de façon attentive. Cette nécessité devient encore plus grande lorsqu’il s’agit d’un territoire presque vierge, fragile et immense comme celui du Nord québécois, où vit une population implantée dans des villes et des villages de petite taille, disséminés sur un immense territoire. Le contexte se complexifie encore avec le chevauchement des champs de compétence fédérale et québécoise pour la gestion des ressources et la protection de l’environnement, pour le soutien au développement économique et social ainsi qu’avec la présence d’une population autochtone appartenant à plusieurs nations, dont chacune bénéficie d’ententes particulières avec les gouvernements supérieurs. L’anthropologue Carole Lévesque résume la situation ainsi :

Il existe un monde fédéral et un monde provincial lorsqu’il est question des peuples autochtones. Les Cris, les Inuit et les Naskapis – à cause des ententes signées dans les années 1970 et des obligations reconnues au gouvernement québécois dans ce contexte – entretiennent des relations directes avec l’État québécois […] les Innus sont entre deux à cause des enjeux liés à l’approche commune (Lévesque, 2012 : 4).

La complexité des questions à analyser et la multiplicité des intérêts à concilier pour faire du projet une réussite soulèvent la nécessité d’élaborer une vision d’ensemble pour préparer la gouvernance. Les ministres qui se sont succédé aux commandes du Plan Nord ont mis en place une structure de concertation composée de multiples comités et de nombreuses tables pour développer cette vision et choisir les orientations à donner au projet.

Le gouvernement a présenté, au printemps 2011, le projet de loi no 27, Loi sur la Société du Plan Nord et déposé, simultanément, le projet de loi no 14, Loi sur la mise en valeur des ressources minérales dans le respect des principes du développement durable. L’opposition a réclamé de nombreux changements au nouveau régime minier, le débat a été difficile, l’impasse a été constatée. Les deux projets de loi sont morts au feuilleton le premier août 2012, avec le déclenchement d’élections générales. Les intentions du nouveau gouvernement à ce chapitre n’ont pas encore été précisées. La Table des partenaires, créée dès les premières phases de la préparation du Plan Nord, a été mandatée pour « établir les bases d’un nouveau partenariat avec les communautés du Nord » (Faire le Nord ensemble 2011 : 125). Elle s’est réunie à neuf reprises durant l’élaboration du Plan et deux fois depuis sa présentation officielle, le 9 mai 2011. La Table se compose de 26 membres représentant les élues et les élus municipaux, les nations autochtones, les compagnies actives sur le territoire, certains ministères et organismes et le milieu de la recherche.

Associée à cette table et mandatée pour « traiter des enjeux autochtones dans le respect des ententes déjà conclues ou de celles en négociations », une table de partenaires autochtones a été créée, pour traiter des enjeux propres aux nations présentes sur le territoire.

Ont également été constitués le Comité ministériel du Plan Nord, regroupant les titulaires de seize ministères3 et chargé du suivi et de la mise en œuvre du Plan Nord, ainsi que le Comité interministériel de coordination des projets de connaissances du Plan Nord, dont le mandat est de mieux planifier les interventions sur le territoire, d’encourager le financement et la réalisation des projets en partenariat, d’éviter la redondance et d’assurer la cohérence et l’intégration des données produites et diffusées pour le Plan Nord.

Bien que sept femmes (sur 25 membres) siègent à la Table des partenaires, aucun mandat n’a été formulé pour accroître les retombées du Plan Nord pour la population féminine.

Le premier plan d’action quinquennal du Plan Nord (2011-2016) comprenait des investissements publics à hauteur de 1 625 millions de dollars. L’essentiel de ce montant (73 % ou 1 191 millions de dollars) allait à la construction d’infrastructures routières et portuaires ainsi qu’à celle des infrastructures stratégiques de transport et de télécommunications prévues dans le Plan québécois des infrastructures 2010-2015. En outre, 382,2 millions de dollars étaient alloués à des mesures sociales et 52 millions devaient servir à la prospection d’investissements et à la coordination du Plan Nord.

Le budget 2012-2013 a revu à la hausse la dotation du fonds du Plan Nord. Si l’on inclut l’ajout de 50 millions de dollars pour les « nouvelles infrastructures » et de 45 millions pour les nouvelles mesures sociales et communautaires, soit 5 millions de dollars pour répondre aux besoins de main-d’œuvre du Plan Nord et 40 millions pour améliorer les connaissances géographiques du territoire, les investissements publics du Plan Nord totaliseront 1 720 millions de dollars en 2012-2017.

L’imposante structure composée de tables de concertation et de comités sectoriels, encadrée par un ensemble de lois et soutenue par des ressources budgétaires considérables, permettra-t-elle de tenir compte des grands enjeux de l’intégration économique des nouveaux joueurs que sont les multinationales minières sur le territoire nordique et dans la collectivité québécoise? Le Conseil souhaite que ce soit le cas. En revanche, soucieux de voir des mesures favorables à la participation des femmes au développement durable du Nord se mettre en place, il recommande d’enrichir le mandat de la Table des partenaires afin qu’elle suscite une pleine participation des femmes aux choix de développement économique et social du territoire nordique de même qu’aux retombées de ce développement.

Chapitre II Une vision d’ensemble du territoire

Le territoire visé dans le Plan Nord est la portion du Québec située au nord du 49e parallèle. Selon les données fournies par le ministère des Ressources naturelles et de la Faune4, ce territoire s’étend sur environ 1 200 000 km2 et la population totalise plus de 120 000 personnes, regroupées dans 66 localités (MRNF 2011 : annexe D). Il s’agit de villages nordiques (inuits), de réserves indiennes, de terres réservées et de municipalités mixtes5.

Cet immense territoire, peuplé depuis des millénaires mais guère transformé avant le XXe siècle, a été modifié par les grands travaux de la Baie-James ainsi que par l’activité minière menée depuis les années 50. En 2009, Hydro-Québec a commencé la construction du complexe hydroélectrique formé de quatre centrales sur la rivière Romaine. L’activité minière est en effervescence depuis quelques années déjà : les statistiques sur l’investissement minier révèlent en effet une recrudescence, à partir de 2005, des dépenses d’exploration et de mise en valeur dans les régions du Nord-du-Québec et de la Côte-Nord. Et le territoire risque d’être encore transformé par la concrétisation, en tout ou en partie, des nombreux projets routiers, hydroélectriques ou miniers annoncés au cours des dernières années.

Pour bien comprendre les impacts du développement nordique sur la population autochtone, nous avons interrogé des représentantes de plusieurs communautés autochtones touchées par le Plan Nord. Cette tâche a été grandement facilitée par la collaboration de collègues du Secrétariat aux affaires autochtones6.

Dans un contexte d’industrialisation du territoire, les données démographiques reflètent-elles des flux migratoires vers le Nord québécois? Nous nous poserons la question dans ce chapitre, en tentant de saisir la dynamique qui s’établit entre les communautés vivant sur le territoire nordique, les nouveaux établissements miniers et la main-d’œuvre entraînée par ceux-ci.

La démographie

Le Recensement de la population de 2011 permet de chiffrer à 129 893 personnes la population des localités du Québec situées au nord du 49e parallèle. Dans les villages et les réserves autochtones, on recense en effet 39 720 hommes, femmes et enfants; dans les municipalités mixtes, on en dénombre 90 173. Les tableaux II et III détaillent ces résultats.

Les principales villes, soit Sept-Îles, Baie-Comeau, Chibougamau, Port-Cartier, Havre-Saint-Pierre, Fermont et Lebel-sur-Quévillon, rassemblent plus de la moitié (54,2 %) de la population du territoire du Plan Nord. La population autochtone recensée sur ce territoire (30,6 % des 129 983 personnes qui y habitent) se répartit ainsi :

Comme le laisse voir le tableau III, les enfants représentent une proportion importante de la population dans plusieurs communautés autochtones, ce qui correspond à un indice synthétique de fécondité particulièrement élevé au sein de ces communautés.

D’autre part, la densité de la population varie fortement d’une localité à l’autre. Infime sur l’ensemble du territoire (environ une personne par 10 km2, comme on le lit à la dernière ligne des tableaux II et III), cette densité atteint des niveaux particulièrement élevés sur le territoire de certaines localités. Betsiamites (ou Pessamit), communauté innue de la région de la Côte-Nord, a la plus haute densité, avec plus de 1 464 personnes par km2. À l’autre extrême, la localité de Baie-Johan-Beetz est celle qui affiche la densité la plus faible, avec 2 personnes par 10 km2. La forte densité de population observée dans certaines communautés est liée à la question des logements surpeuplés.

À noter que les données du tableau III, estimées par Statistique Canada, ne correspondent pas aux données du Registre des Indiens. L’expression « identité autochtone » est ici employée par référence à l’auto-identification aux groupes autochtones (Premières Nations/Indiens de l’Amérique du Nord, Métis et Inuits), contrairement à la signification « d’Indien inscrit » retenue dans les statistiques du Secrétariat aux affaires autochtones. Les données du Recensement présentent l’avantage d’être ventilées selon l’âge et le sexe.

Tableau II Population des municipalités mixtes visées par le Plan Nord, 2011
Municipalité Femmes 15 ans et plus
(Nombre)
Hommes 15 ans et plus
(Nombre)
Enfants 0-14 ans
(Nombre)
Ensemble
(Nombre)
Densité de la population
(personne/km2)
Sept-Îles 10 680 10 655 4 350 25 685 14,6
Baie-Comeau 9 505 9 440 3 170 22 115 65,2
Baie-Trinité 190 200 35 415 1,0
Chute-aux-Outardes 715 705 230 1 645 224,4
Franquelin 125 170 30 325 0,7
Godbout 135 145 20 295 1,8
Pointe-aux-Outardes 540 580 210 1 330 17,8
Pointe-Lebel 770 890 320 1 970 23,3
Ragueneau 565 630 205 1 405 7,6
Port-Cartier 2 675 2 885 1 090 6 650 6,0
Aguanish 120 125 35 280 0,5
Baie-Johan-Beetz 40 35 5 80 0,2
Havre-Saint-Pierre 1 465 1 415 535 3 415 1,2
Blanc-Sablon 485 445 175 1 105 4,5
Schefferville 55 90 55 200 5,0
Natashquan (canton) 110 105 30 245 1,2
Longue-Pointe-de-Mingan 215 210 60 480 1,2
Rivière-au-Tonnerre 130 150 25 310 0,5
Rivière-Saint-Jean 90 115 25 240 0,5
Bonne-Espérance 305 325 105 703 1,1
Côte-Nord-du-Golfe-du-Saint-Laurent 430 405 145 970 0,3
Gros-Mécatina 220 215 70 500 0,6
Saint-Augustin 95 215 65 480 0,4
Fermont 965 1 325 585 2 875 6,1
Baie-James 505 590 210 1 305 0,0
Chapais 625 670 315 1 610 25,3
Chibougamau 2 965 3 200 1 370 7 535 10,8
Lebel-sur-Quévillon 860 960 340 2 160 53,8
Matagami 565 640 320 1 525 22,8
Girardville 440 490 170 1 100 8,9
Notre-Dame-de-Lorette 75 90 25 190 0,6
Saint-Stanislas 440 475 105 1 030 11,5
TOTAL 37 100 38 590 14 430 90 173 0,1

Sources : Statistique Canada 2012 et ISQ, Direction des statistiques sociodémographiques 2012 pour Schefferville.

Tableau III Population des communautés autochtones nordiques, Québec, 2011
Région
(Nombre)
Municipalité
(Nombre)
Femmes 15 ans et plus
(Nombre)
Hommes 15 ans et plus
(Nombre)
Enfants 0-14 ans
(Nombre)
Enfants 0-14 ans
(%)
Ensemble
(Nombre)
Densité de lapopulation
(personne/km2)
Côte-Nord, réserves indiennes Betsiamites 865 740 645 28,7 2 250 1 464,3
Essipit 115 100 55 20,4 270 243,3
La Romaine 365 380 275 27,0 1 020 1 153,6
Matimekosh 200 155 185 34,3 540 734,1
Mingan 175 140 140 30,8 455 26,8
Natashquan 275 305 260 31,0 840 1 294,2
Pakuashipi 105 105 75 26,3 285 n.d.
Uashat-Maliotenam 1 000 945 860 30,7 2 805 438,3
Côte-Nord, terres réservées à la population naskapie Kawawachikamach 200 220 170 28,8 590 19,0
Saguenay–Lac-Saint-Jean Mashteuiatsh 850 825 540 24,4 2 215 152,6
Nord-du-Québec, villages nordiques Akulivik 180 190 245 39,8 615 8,0
Aupaluk 70 70 60 30,0 200 6,5
Inukjuak 515 555 530 33,1 1600 28,7
Ivujivik 130 95 145 39,2 370 10,5
Kangiqsualujjuaq 280 300 295 33,7 875 24,9
Kangiqsujuaq 250 235 210 30,2 695 55,4
Kangirsuk 175 165 210 38,2 550 9,6
Kuujjuaq 860 855 660 27,8 2 375 8,1
Kuujjuarapik 230 225 200 30,5 655 80,2
Puvirnituq 530 530 630 37,3 1 690 19,7
Quaqtaq 125 125 130 34,2 380 14,2
Salluit 415 410 525 38,9 1 350 93,6
Tasiujaq 95 85 120 40,0 300 4,6
Umiujaq 135 145 165 37,1 445 16,0
Nord-du-Québec, terres réservées à la population crie Chisasibi 1 485 1 520 1 475 32,9 4 480 5,4
Eastmain 260 265 240 31,4 765 4,9
Mistissini 1 185 1 110 1 135 33,1 3 430 4,0
Nemasca 265 230 220 30,8 715 7,4
Oujé-Bougoumou 235 220 265 36,8 720 n.d.
Waskaganish 755 715 735 33,3 2 205 4,4
Waswanipi 555 580 645 36,2 1 780 4,3
Wemindji 510 465 405 29,3 1 380 3,6
Whapmagoostui 290 300 285 32,6 875 4,6
TOTAL 13 680 13 305 12 735 32,1 39 720 0,1

Sources : Statistique Canada 2012 et ISQ, Direction des statistiques sociodémographiques 2012, pour Oujé-Bougoumou et Pakuashipi.

Si nous examinons l’évolution démographique suivie de 2006 à 2011 par les différentes municipalités régionales de comté (MRC) et les territoires équivalents (TE) au nord du 49e parallèle, nous constatons, avec l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), que deux des trois MRC qui composent la région du Nord-du-Québec ont connu une croissance particulièrement forte de leur population, contrairement aux MRC des régions de la Côte-Nord et du Saguenay–Lac-Saint-Jean (ISQ, 2012).

Pendant que la population de la région du Nord-du-Québec s’accroissait globalement de 5 %, celle de la région de la Côte-Nord a diminué de 0,8 %. Ces taux ne reflètent pas l’accroissement démographique créé par l’afflux de travailleurs et de travailleuses qui habiteront dans des campements permanents ou temporaires situés dans ces régions. Bien que ces personnes passent plus de la moitié du temps dans la localité où elles travaillent, à titre de « travailleur permanent non-résident », elles sont recensées dans la localité de leur résidence principale7.

Dans la région du Nord-du-Québec, Eeyou Istchee et Kativik ont vu leur population s’accroître de 20,3 et de 16,4 pour mille respectivement, pendant la période 2006-2011, ce qui les place parmi les MRC et TE ayant connu la croissance la plus rapide. L’ISQ souligne en outre que les deux TE autochtones (Eeyou Istchee et de Kativik) se distinguent des autres MRC et TE en croissance en ce que « leur expansion démographique repose non pas sur leur force d’attraction, mais sur une fécondité particulièrement élevée, beaucoup plus élevée que la moyenne québécoise » (ISQ, 2012 : 136). Il faut dire que la région du Nord-du-Québec est celle qui affiche l’indice synthétique de fécondité le plus élevé au Québec, avec 2,81 enfants par femme en 2011 et qu’elle est suivie par celle de la Côte-Nord (2,07 enfants par femme). L’indice synthétique de fécondité est de 1,69 pour l’ensemble des femmes du Québec (ISQ, 2012 : 36).

Le taux de fécondité des adolescentes est particulièrement élevé dans les régions de la Côte-Nord et du Nord-du-Québec comme l’illustre le tableau suivant. Cette réalité n’est pas à prendre à la légère même si l’on peut se réjouir de la baisse observée en deux ans.

Tableau IV Naissances pour 1 000 jeunes filles (moins de 19 ans)
Année Côte-Nord Nord-du-Québec Ensemble du Québec
2009 28,9 95,0 10,8
2011 20,6 68,6 8,8

Source : ISQ 2012.

Alors que la région de la Côte-Nord dans son ensemble a connu, de 2006 à 2011, un recul de sa population, la MRC de Caniapiscau a vu la sienne augmenter au rythme de 10,9 pour mille par année. À Fermont et à Schefferville, le travail minier et la construction ont attiré de nouveaux résidents et résidentes, dans les limites des logements disponibles, comme nous le verrons dans la section 2.2.

Pour sa part, la MRC de Sept-Rivières a affiché une croissance annuelle moyenne de 5,6 pour mille, tandis que la MRC de Minganie a conservé une population plutôt stable, avec un taux d’accroissement de 0,6 pour mille.

Dans la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean, les MRC du Fjord-du-Saguenay (+ 9,1 pour mille par an) et, dans une moindre mesure, de Lac-Saint-Jean-Est (+ 1,6 pour mille) ont vu leur population s’accroître. Toutefois, trois MRC de la région de la Côte-Nord ont connu une baisse significative de leur population, soit les MRC de La Haute-Côte-Nord (- 12,1 pour mille), du Golfe-du-Saint-Laurent (- 9,8 pour mille) et de Manicouagan (- 6,1 pour mille) (ISQ, 2012).

Le marché du logement

La hausse de l’activité économique a causé l’expansion de la population des localités du Nord québécois et s’est répercutée sur le marché du logement, poussant les loyers à la hausse dans plusieurs centres urbains. Ainsi, Sept-Îles, Fermont, Schefferville, Chibougamau, Matagami et Lebel-sur-Quévillon, toutes des villes construites durant les décennies d’après-guerre dans le sillage du développement minier, font face aujourd’hui à de nouvelles perspectives de croissance.

Une crise du logement se dessinerait dans plusieurs villes du nord du Québec. Les logements deviennent hors de prix pour toute personne qui n’est pas employée d’un établissement lui fournissant le logement. Cela rend de plus en plus difficile l’installation de nouvelles familles dans ces localités. Dans la région de la Côte-Nord, le taux d’inoccupation des logements atteint des niveaux record : à Baie-Comeau, il est passé de 4,8 % en 2011 à 2,0 % en 2012, tandis qu’à Sept-Îles il a chuté de 0,7 % à 0,3 % (Lecavalier, 2012).

La ville de Fermont

À Fermont, la population a doublé de 2011 à 2012. L’arrivée de la main-d’œuvre embauchée par les exploitants miniers ArcelorMittal Mines Canada et Cliffs Natural Resources ou par les entreprises de construction est la cause de cet accroissement rapide. La mairesse de la ville déplore d’ailleurs que la nouvelle main-d’œuvre des compagnies minières compte autant de travailleuses et de travailleurs permanents non-résidents. Le cas de Fermont illustre bien la rencontre entre une communauté locale et des géants miniers, et c’est pourquoi nous en traitons plus longuement.

La Ville de Fermont accorde aux compagnies minières la permission d’établir des campements temporaires pour loger le personnel des entreprises venues construire des complexes résidentiels pour la main-d’œuvre permanente. Les compagnies minières formulent ces demandes à la pièce plutôt que suivant un calendrier qui permettrait aux autorités municipales de prévoir le tracé des quartiers.

Certains travailleurs ou travailleuses du complexe minier de Mont-Wright sont propriétaires d’un « condo » qu’ils ont acquis de leur employeur, ArcelorMittal Mines Canada. Leur titre de propriété est lié à l’exercice d’un emploi au complexe minier de Mont-Wright et, s’ils quittent leur emploi, ils seront tenus de revendre à la compagnie la copropriété qu’ils habitaient. Les employées et les employés permanents de la compagnie peuvent donc s’installer avec leur famille dans une résidence confortable située non loin du complexe minier. Avec leur famille, ils s’inséreront dans la communauté fermontoise au fil des mois et des années.

Puisqu’il faut travailler à la mine pour être titulaire d’un bail portant sur une copropriété de la compagnie, ce que les conjointes de mineurs sont rares à faire8, la rupture de l’union peut jeter à la rue l’ex-conjointe et les enfants du travailleur. De cette façon, les conjointes des travailleurs sont en quelque sorte tenues prisonnières de leur relation de couple. Les logements sont très rares à Fermont et les copropriétés ne sont pas abordables pour les gens dont le salaire est modeste. Il existe un petit nombre de logements sociaux à Fermont, mais tous sont occupés.

D’autres employées ou employés d’ArcelorMittal Mines Canada sont plutôt locataires d’une chambre dans une résidence familiale convertie en logement partagé. Ces personnes ne résident pas en permanence à Fermont et elles partent, sitôt leur période de travail terminée, retrouver leur famille, dans une région plus au sud. Les horaires de travail (12 jours de travail/12 jours de congé ou 14 jours de travail/14 jours de congé) déterminent les calendriers de séjour à Fermont des différentes cohortes de travail par rotation avec service de navette aérienne qui se succèdent à la mine et dans les résidences. C’est le principe du fly-in fly-out worker.

En 2012, la minière Cliffs Natural Resources a construit à Fermont un hôtel pour loger ses travailleuses et travailleurs permanents non-résidents. À l’accueil de l’hôtel comme à l’entretien ménager, le personnel se compose de femmes autochtones9.

Il n’y a pas de marché libre du logement à Fermont. Sur le site Web du Carrefour Jeunesse-Emploi de Duplessis, on peut d’ailleurs lire cet avertissement aux personnes désireuses de s’établir à Fermont : « Pour avoir accès à du logement, il faut obtenir un emploi auprès d’un employeur qui possède du logement (minières, écoles, municipalité, centre de santé et quelques entrepreneurs) » (Carrefour Jeunesse-Emploi de Duplessis, 2012 : 1).

Les environs de Schefferville

La population de Schefferville s’établit à 200 personnes, en 2011. Construite par la compagnie Iron Ore du Canada qui exploitait alors une mine de fer sur une propriété attenante, cette ville a été incorporée en 1955 en vertu de la Loi sur l’organisation municipale des villages miniers. Rappelons que Schefferville a vu sa population atteindre 4 500 personnes avant la fermeture de la mine survenue en 1981. La population innue de la communauté de Matimekosh–Lac-John, située à 2 km, a intégré progressivement la ville (Durand, 2011). Kawawachikamach, seul village naskapi du Québec, est situé à 12 km de Schefferville. Ensemble, la ville et les deux communautés autochtones voisines comptent maintenant 1 330 personnes.

À proximité de la ville, la New Millenium Iron Corporation a acquis les droits d’exploitation sur un gisement de fer qui s’étend dans la fosse du Labrador, sur plus de 200 km de part et d’autre de la frontière entre le Québec et le Labrador, pour y relancer l’exploitation du minerai. D’après les témoignages que nous avons recueillis, certaines familles innues habitant Schefferville et les alentours se sentent envahies et n’ont pas le sentiment d’être respectées. À leur avis, l’exploitation minière à ciel ouvert détruit le territoire; elle produit beaucoup de poussière et cause des maladies. Plusieurs trouvent que l’extraction du minerai se fait à un rythme anormalement élevé. Ce serait plus acceptable pour elle si les choses allaient plus lentement.

Les compagnies minières achètent tous les appartements disponibles pour les attribuer aux membres de leur personnel; certains travailleurs ou travailleuses louent des chambres ou des maisons en territoire innu.

La ville de Sept-Îles

Le taux d’inoccupation des logements à Sept-Îles est presque nul (0,3 %), reflétant la difficulté qu’aura toute personne ou famille arrivant dans cette ville à trouver un logement. Cette rareté pousse bien sûr les loyers à la hausse. Selon une intervenante de Sept-Îles, les logements sont si rares que des propriétaires subdivisent les logements en chambres qu’ils louent individuellement à des travailleurs ou à des travailleuses10.

Le Nunavik

Au Nunavik, les conditions de logement étaient difficiles dans plusieurs communautés, avant même l’arrivée des investisseurs miniers et de leur main-d’œuvre. Dans des maisons pouvant héberger convenablement quatre ou cinq personnes, il n’est pas rare de voir s’entasser jusqu’à quinze personnes, déplore Mme Lisa Koperqualuk, présidente de Saturviit, l’association des femmes du Nunavik. Bien qu’il n’en soit pas la seule cause, le surpeuplement des logements est à l’origine d’importants problèmes sociaux. Les problèmes d’alcoolisme et de toxicomanie sont toujours présents chez la population inuite, et ils entraînent à leur tour une recrudescence de la violence et des suicides au sein des communautés. Ces problèmes ne seront pas réglés tant que l’on ne s’attaquera pas aux causes (Lisa Qiluqqi Koperqualuk, le 2 mai 2012).

Il faut savoir que près de la moitié (49 %) de la communauté inuite du Nunavik vivait déjà dans des logements surpeuplés en 2006, alors que le surpeuplement touchait seulement 3 % de la population non autochtone au Canada (Statistique Canada, 2006).

Le Plan Nord prévoit la construction de 300 logements sociaux et de 200 logements, conformément à un programme d’accession à la propriété résidentielle au Nunavik. Même ajouté aux 340 déjà annoncés, cet agrandissement du parc de logements risque d’être insuffisant pour combler des besoins qui ont été évalués en 2008 et en 2010 à environ 1 000 logements (MacKay, 2012 : 14).

L’économie régionale

Les projets miniers façonnent depuis les années 50 la réalité socioéconomique des régions visées par le Plan Nord et les communautés crie et inuite ont vu leur territoire ancestral transformé, au milieu des années 70, par le projet hydroélectrique de la Baie-James. Plusieurs villes du Nord ont été construites au XXe siècle (ex. : Schefferville, Gagnon et Fermont) et se sont développées autour de l’activité minière, leur dynamisme étant conditionné par l’état du marché du fer. Sept-Îles est devenue le plus important port minéralier en Amérique du Nord, grâce aux forts tonnages de minerais extraits à la périphérie de cette ville et aux chemins de fer qui mènent jusqu’à elle.

L’économie de ces régions est peu diversifiée, centrée sur l’exploitation des ressources naturelles et sur l’industrie de la pêche. Le secteur manufacturier est lié à la première transformation des ressources ou à l’approvisionnement en biens et services des établissements miniers et des chantiers hydroélectriques. Le secteur des services est dominé par le transport, la production d’électricité et le tourisme.

Les nombreuses fermetures d’usines survenues au cours des dernières années dans les régions de la Côte-Nord et du Nord-du-Québec ont accentué la dépendance de l’économie régionale à l’égard de ses industries primaires. Dans la région du Nord-du-Québec, la part du secteur manufacturier a chuté de 10,9 % du produit intérieur brut (PIB) régional en 2005 à 3 % en 2008 (ISQ, 2011).

Aujourd’hui, sept établissements miniers sont en production sur le territoire du Plan Nord. On trouve deux producteurs d’or (Aurizon et N. A. Palladium) dans la partie septentrionale de l’Abitibi et, dans la région du Nord-du-Québec, un producteur de nickel, Xstrata, qui a fait l’acquisition en 2006 des titres sur un gisement considérable de sulfures de nickel. Les producteurs de fer et de fer titané de la région de la Côte-Nord sont ArcelorMittal et Cliffs Natural Resources, qui emploient respectivement 1 500 et 200 personnes dans leurs mines, ainsi que Rio Tinto, Fer et Titane, qui emploie 300 personnes à sa mine d’ilménite11 et qui exploite le chemin de fer reliant Schefferville à Sept-Îles via Wabush et Fermont.

Le tableau V permet d’apprécier l’importance de l’activité minière dans le Québec nordique. On voit que près de 5 000 personnes travaillent déjà dans ce secteur.

Tableau V Mines en exploitation sur le territoire visé dans le Plan Nord, 2012
Région Site minier Compagnie Siège social Substances extraites Nombre d’emplois
Abitibi-Témiscamingue Casa Berardi Mines Aurizon Vancouver Or 500
Géant Dormant N.A. Palladium Toronto Or 148
Jamésie et Eeyou-Istchee Persévérance Xstrata Zoug (Suisse) Cuivre, zinc, or et argent 235
Côte-Nord Lac Bloom Cliffs Natural Resources Cleveland (États-Unis) Fer 290
Lac Tio Rio Tinto, Fer et Titane Londres Fer et bioxyde de titane 250
Mont-Wright ArcelorMittal Luxembourg Fer 1 500
Nord-du Québec Raglan Glencore-Xstrata Zoug (Suisse) Nickel 850

Source : MRNF 2012 et site Web des compagnies visées.

Un marché du travail fortement ségrégé

Au Québec, le réseau des partenaires du marché du travail effectue un suivi attentif de l’état du marché du travail et des besoins en matière de main-d’œuvre observés ou prévus, grâce à ses antennes sectorielles et à ses comités consultatifs voués aux catégories de travailleuses et de travailleurs qui connaissent des problèmes particuliers d’intégration et de maintien au marché du travail.

De plus, le gouvernement a tenu, en 2011, deux consultations publiques afin d’amener la société québécoise à faire face aux changements démographiques, à passer d’une situation de surplus de main-d’œuvre à une situation de pénurie et à pallier l’insuffisance appréhendée des fonds de retraite.

Cependant, ces consultations n’ont pas permis de faire de la concentration professionnelle de la main-d’œuvre féminine une priorité gouvernementale. Le Conseil se désole de cette situation, lui qui tente depuis longtemps d’attirer l’attention du gouvernement sur la sous-représentation de la main-d’œuvre féminine dans les professions et les métiers traditionnellement masculins. En levant les obstacles qui empêchent les femmes de faire carrière dans des métiers comme ceux de la construction ou des mines, on ouvrirait aux entreprises un important bassin de main-d’œuvre compétente. On permettrait simultanément à la société québécoise d’avancer sur la voie de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Déjà, dans les écoles, on constate un manque d’intérêt des jeunes filles pour les carrières dans les mines : en 2008-2009, 64,6 % des étudiantes à la formation professionnelle au secondaire se concentrent dans les dix programmes où l’effectif féminin est largement majoritaire : secrétariat, santé assistance et soins infirmiers, comptabilité, assistance aux personnes en établissement de santé, coiffure, esthétique, assistance dentaire, décoration intérieure, assistance technique en pharmacie et assistance à la personne à domicile (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2010 : 16).

À l’université, par contre, les femmes sont relativement nombreuses à s’intéresser à la géologie. Ainsi, à l’automne 2012, le Département de géologie de l’Université Laval compte 16 femmes sur 33 inscriptions au baccalauréat et celui de l’Université du Québec à Chicoutimi en compte 9 sur 30. Il y a donc une moyenne de 40 % de femmes dans ces deux départements.

Une étude récente de la Commission de la construction du Québec a permis de constater que le nombre de femmes faisant partie de la main-d’œuvre active dans l’industrie de la construction demeure très faible, bien qu’il soit en hausse depuis 1997. Celles-ci représentent 1,24 % de l’ensemble de cette main-d’œuvre en 2010 (Commission de la construction du Québec, 2011 : 4). Dans les emplois de production, les femmes représentent, en 2010, 2,3 % de la main-d’œuvre employée comme « apprenti » au Québec et seulement 0,4 % de la main-d’œuvre qui porte le titre de « compagnon ». Finalement, les femmes fournissent 0,83 % des heures travaillées dans les métiers et 1,2 % des heures dans les occupations de la construction.

Quant à leur place dans le secteur minier, les femmes représentent au Québec 13,9 % de toute la main-d’œuvre employée en 2011 dans le secteur de l’extraction minière, pétrolière et gazière, des pêches et de la foresterie (ISQ, 2012). Toutefois, si l’on se limite aux emplois de production, les taux de féminité sont encore plus faibles, les femmes exerçant surtout les emplois administratifs (gestion, finances et administration) dans ce secteur. C’est ce qu’illustre le tableau VI.

Tableau VI Présence des femmes dans le secteur de l’extraction minière, Québec, 2006
Occupation Femmes % Hommes %
Extraction et préparation du minerai (mines souterraines) 0,7 99,3
Surveillance de l’exploitation des mines et des carrières 5,7 94,3
Manœuvres des mines 10,0 90,0
Gestion 11,0 89,0
Finances et administration 63,3 36,7
Toutes professions de l’extraction minière 12,9 87,1

Source : Statistique Canada (2006), cité dans Handal (2010 : 31).

Il faut dire que, pendant des décennies, la loi interdisait aux femmes et aux filles de travailler sous terre dans une mine, sauf comme ingénieure ou géologue. Cette disposition est restée en vigueur jusqu’en 1977.

Règle générale, les établissements miniers n’ont pas de stratégie particulière pour recruter une main-d’œuvre féminine plus nombreuse et se contentent de sélectionner leur personnel parmi les candidates et les candidats qualifiés qui se montrent intéressés12. Pourtant, la vice-présidente d’Xstrata Nickel Mine Raglan précise que les conductrices de machinerie lourde sont appréciées, car elles se préoccupent davantage de sécurité et ont moins d’accidents que leurs collègues masculins13.

Quelques expériences ont été tentées pour favoriser l’embauche de femmes. En 2011, voyant que la mine avait de nombreux postes à pourvoir et que plusieurs conjointes d’ouvriers n’avaient pas d’emploi, la compagnie ArcelorMittal Mines Canada a mis sur pied un projet pilote en vue de former des femmes à la conduite de camions et de les employer à la mine du Mont-Wright. Ce projet a été développé en collaboration avec le Comité sectoriel de main-d’œuvre de l’industrie des mines et le Centre Émersion de Baie-Comeau, dont la mission est de soutenir l’intégration des femmes dans les emplois non traditionnels. Le projet aurait bénéficié du soutien financier d’Emploi-Québec. La cible était de 15 participantes, mais le projet a dû être abandonné en raison du trop petit nombre d’inscriptions14.

Le petit nombre de candidates qui se sont présentées pour prendre part à ce projet illustre, selon nous, l’importance de la sensibilisation et de l’information des jeunes lorsqu’il s’agit d’intéresser les filles aux métiers traditionnellement masculins. Comme l’a démontré le Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail, la méconnaissance de ces métiers a été constatée chez les jeunes filles qui suivent des études professionnelles ou techniques, et cela joue un rôle central dans leurs choix d’études et de carrière. On note aussi que les services d’orientation ou d’employabilité ne sont guère proactifs en matière de diversification des choix professionnels (CIAFT, 2011).

Par ailleurs, les femmes ont de la difficulté à grimper les échelons dans l’industrie minière. Cela a incité Xstrata Nickel – exploitant de la mine Raglan – à mettre sur pied il y a six ans un programme de mentorat. Les jeunes professionnelles les plus prometteuses bénéficient des conseils d’une gestionnaire sélectionnée parmi les 100 femmes les plus influentes du Canada. Jusqu’ici, 50 employées ont bénéficié de ce programme. Autre stratégie utilisée à la mine Raglan : on tente de répartir les femmes trois par trois dans les équipes, afin qu’elles souffrent moins d’isolement dans un milieu de travail difficile qui demeure très masculin15.

Dans les mines à ciel ouvert, les progrès technologiques, notamment les équipements miniers nécessitant moins de force physique, et les besoins en fait de conducteurs de machinerie lourde ouvrent en principe de nouvelles possibilités pour les femmes. Mais encore faut-il que cette information se rende aux oreilles des filles avant qu’elles aient fait leur choix de carrière.

Nous n’avons pu obtenir de données globales sur la proportion de femmes travaillant sur les chantiers du Plan Nord, mais une illustration suggère qu’elles ne sont pas encore très nombreuses sur celui de la Romaine. Dans sa dernière édition, Nui Uapaten, journal du projet de la Romaine qui s’adresse aux employés autochtones, les grands titres sont éloquents : « Des gars d’action! »; « Travailleurs spécialisés en demande ». La page centrale présente des gars de métier, en pleine action : cinq hommes, avec photos, mais aucune femme. Il ne s’agit visiblement pas d’un outil de sensibilisation des femmes aux métiers de la construction (Nui Uapaten, printemps 2012). Un avis du Conseil, à paraître sous peu, examinera les raisons de la faible participation des femmes à l’industrie de la construction. Des pistes de solution seront proposées pour accroître cette participation.

Des campagnes d’information sur les métiers sont offertes, dans les écoles secondaires et les établissements d’enseignement collégial. Pour le Conseil, ces campagnes devraient être réévaluées dans l’optique d’amener les jeunes filles à choisir davantage les formations menant à un métier traditionnellement masculin.

Les obstacles auxquels font face les femmes : deux études canadiennes

En Colombie-Britannique, où l’industrie minière prévoit une pénurie de main-d’œuvre, un rapport publié en 2011 trace un portrait éclairant des obstacles qui se dressent devant les femmes et propose des pistes de solution. Dans cette province, 16 % de la main-d’œuvre de l’industrie minière est féminine et seulement 5 % des emplois non traditionnels sont occupés par les femmes. Autre élément révélateur, 64 % des conseillers et conseillères d’orientation des écoles secondaires connaissent peu ou pas l’industrie minière.

Une enquête menée auprès des employées des mines révèle que la rémunération et les avantages sociaux plus généreux qu’ailleurs les attirent, mais que les longues heures, l’éloignement, le manque de services de garde, bref, ce qui rend plus difficile la conciliation de la famille et du travail, sont les principales raisons qui incitent les femmes à quitter les emplois miniers. La culture masculine dans ce domaine constitue aussi un obstacle à l’entrée. Les travailleuses perçoivent un manque de respect à leur égard et elles ont souvent l’impression que l’on doute de leurs capacités. Le petit nombre de femmes dans des postes de direction contribue à la perception que les femmes ne sont pas égales aux hommes dans cette industrie (Howegroup Public Sector Consultants Inc., 2011).

Trois recommandations sont mises en avant par les auteurs de l’enquête :

Une autre étude pancanadienne rapporte les mêmes obstacles, mais elle ajoute que les différences salariales entre hommes et femmes dans l’industrie minière sont beaucoup plus élevées qu’ailleurs : les revenus des femmes sont de 32 % inférieurs à ceux des hommes, un fossé présent dans tous les groupes d’âge et dans la plupart des corps d’emploi. Par exemple, dans l’exploitation du minerai de fer, le salaire moyen des hommes atteint 81 196 dollars, alors que celui des femmes est de 55 278 dollars.

Les employées des mines sondées disent que les déplacements dans des endroits éloignés constituent pour elles un obstacle majeur, car, souvent, ils ne sont pas prévus. Les mères de famille ne peuvent donc pas planifier leur vie quotidienne en conséquence. Sans surprise, les travailleuses rapportent moins de barrières à l’avancement de leur carrière quand des femmes font partie de l’équipe de direction. Et, toujours selon cette enquête pancanadienne, les femmes estiment que les entreprises ne s’attaquent pas à un obstacle majeur : la culture masculine dominante, qui ne fait pas de place aux femmes (Mining Industry Human Resources Council, 2010).

Le Programme d’obligation contractuelle

Du côté des entreprises, des mesures contraignantes sont en vigueur depuis 1988, en vue d’équilibrer la représentation des femmes ainsi que celle d’autres groupes victimes de discrimination en emploi au sein de la main-d’œuvre des entreprises privées. Le Programme d’obligation contractuelle, conçu initialement pour accroître la représentation des femmes dans les emplois traditionnellement masculins, a été étendu aux autres groupes victimes de discrimination systémique en emploi, soit les Autochtones, les membres des minorités visibles et les personnes handicapées. En 2011, 140 entreprises québécoises étaient soumises à ce programme.

En vertu du Programme d’obligation contractuelle, tout fournisseur du Québec employant au moins 100 personnes doit, pour se voir adjuger un contrat de 100 000 dollars ou plus, s’engager au préalable à mettre en place un programme d’accès à l’égalité en emploi conforme à la Charte des droits et libertés de la personne. La même exigence s’applique à tout sous-traitant de l’entreprise, lorsqu’il répond aux mêmes critères. Les entreprises de construction ont toutefois été exemptées de cette obligation. L’aide gouvernementale aux compagnies minières prenant souvent la forme de crédits d’impôt, peu sont assujetties aux exigences du Programme d’obligation contractuelle. En effet, seulement 4 des 405 sociétés actives en 2012 y sont soumises. Aucune n’œuvre au nord du 49e parallèle.

La Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics

Entrée en vigueur le 1er avril 2001, la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics, est alors venue étendre à tous les organismes des secteurs public et parapublic, aux municipalités, aux commissions scolaires et aux établissements publics de santé l’exigence d’implanter des programmes d’accès à l’égalité. Hydro-Québec fait partie des organismes visés par cette loi et, étant donné sa présence sur les chantiers du Nord, le gouvernement devrait s’assurer que les programmes d’accès à l’égalité y sont respectés.

Les services

Fermont, ville fermée (company town), est plus qu’une ville mono-industrielle. Elle a été construite en 1974 par la compagnie minière Québec Cartier, alors filiale de l’United States Steel Company. À l’époque, lorsque la Compagnie minière Québec Cartier a élaboré son projet de mise en valeur du gisement du mont Wright, elle a fait de l’érection d’une nouvelle ville à proximité de la future mine une condition essentielle du succès de ce projet. Un document publié par la compagnie rappelle les motivations de la direction. On comprend que celle-ci tenait à offrir un milieu de vie sain à ses travailleurs de même qu’à leur famille :

[La] compagnie a pris en charge l’aménagement de la structure d’accueil de Fermont. Celle-ci devait prévoir la construction d’installations commerciales, résidentielles, sportives, récréatives et communautaires. Elle devait également inclure tous les travaux d’ingénierie civile comprenant le déboisement, le nivellement, la pose d’asphalte, les canalisations d’égouts sanitaires et pluviaux, les aqueducs, l’usine d’épuration, les canalisations souterraines, l’éclairage des rues et le chauffage des bornes-fontaines, l’aménagement des stationnements extérieurs, des parcs ainsi que des voûtes de transformation et de raccordement d’électricité. L’ampleur de la tâche n’était pas mince. Il s’agissait de construire toutes les infrastructures constituant une ville dans un territoire aride en quelques années seulement […] L’aménagement de l’agglomération urbaine de base aura nécessité une mise de fonds s’élevant à 100 M$ (Blog de la Compagnie minière Québec Cartier, 2007).

Lorsqu’en 2005 Arcelor S.A. a acquis les actifs de la Compagnie minière Québec Cartier, la société a hérité des infrastructures de la ville. Un document d’information précise néanmoins que « les infrastructures sportives et communautaires ont été cédées à la Ville de Fermont par la compagnie minière » (Rouleau, 2010 : 6-7).

Sur l’ensemble du territoire, l’offre de services de santé est coordonnée par des instances régionales :

Dans chaque centre, l’offre de services est prévue pour répondre aux besoins des communautés locales, si bien que le personnel est vite débordé lorsque s’ajoutent les employées et les employés des minières, accidentés du travail ou atteints de maladies chroniques. Le manque de ressources rejaillit alors sur la communauté, le personnel infirmier ayant moins de temps pour assurer le suivi médical habituel de la population locale.

De même, les services municipaux (eau potable, égouts et voirie, activités sportives, loisirs), les services de garde et les services commerciaux, dont l’offre correspondait à la population locale, font maintenant l’objet d’une demande accrue liée à l’arrivée massive du personnel des compagnies minières et des entreprises de construction.

Si les compagnies minières souhaitent que leur main-d’œuvre réalise l’intégration sociale la plus harmonieuse possible, elles ne croient pas, en règle générale, qu’elles devraient participer à l’effort en créant des garderies d’entreprise : « Ce n’est pas dans notre ligne », expliquera la porte-parole d’une des compagnies actives sur le territoire.

Chapitre III Les effets prévisibles du Plan Nord

Depuis quelques années, le territoire visé dans le Plan Nord connaît une activité minière intense, stimulée par la hausse importante des prix des métaux. De 2001 à 2011, le prix de l’or a en effet été multiplié par près de 6 (5,8), celui de l’argent par 8, celui du nickel a presque quadruplé (multiplié par 3,8), celui du cuivre a été multiplié par 5,5 et le prix du fer par 12,9 (MRNF, 2011 : 6).

Plusieurs compagnies multinationales ont acquis, en 2011 et en 2012, des titres d’exploitation sur des gisements de classe mondiale situés au Québec, au nord du 49e parallèle. L’exploitation de ces immenses réserves est si alléchante pour l’industrie qu’elle motive une activité spéculative intense pour acquérir les droits miniers sur le territoire du Plan Nord.

L’histoire de la mine Raglan illustre d’ailleurs très bien cet attrait du Nord. Située au Nunavik, entre les villages inuits de Salluit et de Kangiqsujuaq, la mine a été mise en production en 1997, après plus de 30 ans d’exploration, de négociation et de développement. C’est la seule mine de nickel exploitée en 2012 au Québec, et le gisement est d’une très grande valeur. Selon le ministère des Ressources naturelles du Canada, « la mine Raglan est aménagée dans l’un des plus beaux gisements de sulfure de nickel au monde » (Ressources naturelles Canada, 2007 : 1).

Après la fusion de Noranda et de Falconbridge en 2005 et l’acquisition de la nouvelle compagnie par Xstrata PLC en août 2006, l’exploitant de la mine Raglan a pris le nom de Xstrata Nickel.

Deux autres projets miniers d’importance sont susceptibles de transformer les conditions de vie des communautés inuites du Nunavik. Il s’agit des projets du lac Otelnuk et de Hopes Advance Bay.

Le projet du lac Otelnuk, situé à 160 km au nord de Schefferville et à 250 km au sud de Kuujjuaq, constituerait le plus gros projet minier de l’histoire du Canada. On y prévoit l’extraction de 50 millions de tonnes de minerai de fer par année sur une période qui pourrait s’étendre sur 100 ans. Une société d’État chinoise (Wisco) serait l’exploitante, en partenariat avec la société canadienne Adriana Resources. Le projet comprend la construction d’un concentrateur et d’une usine de bouletage sur les lieux mêmes de l’exploitation minière (Ouellet, 2011).

Quant au projet de Hopes Advance Bay, projet de mine de fer de la compagnie Oceanic Resources, il est en développement à 10 km de la communauté d’Aupaluk. Ce projet amènerait 1 500 travailleurs et travailleuses dans la petite communauté de 174 personnes. Bien que la compagnie soit en dialogue constant avec la communauté, cette dernière est très inquiète des répercussions sociales d’un tel projet et elle craint même pour sa survie.

KéMag est un autre projet minier encouragé par le Plan Nord. Situé près de Shefferville, il repose sur un gisement de fer s’étendant sur plus de 200 km, de part et d’autre de la frontière entre le Québec et le Labrador. Les réserves estimées de ce gisement s’élèvent à 14 milliards de tonnes de minerai, ce qui en fait le plus grand gisement de fer non encore exploité au monde (Infomine, 2012). New Millenium Iron Corp., compagnie dont le siège social est à Calgary, a créé, en octobre 2010, une coentreprise avec Tata Steel pour réaliser ce projet minier. Cette compagnie, détentrice des droits sur ce gisement, s’est inscrite à la Bourse de Toronto le 17 octobre 2011 (Bourse de Toronto, 2011).

Avant de démarrer, la coentreprise se prépare également à mettre en branle le projet Direct Shipping Ore (DSO), près de Schefferville. Ce projet consiste à ramasser le minerai disséminé en surface, le long du chemin de fer au Labrador, pour l’expédier par train jusqu’au port de Sept-Îles. De là, il sera exporté, à l’état brut, vers les aciéries européennes de Tata Steel.

On recense aujourd’hui dans le Québec nordique 23 projets miniers rendus aux stades de la mise en valeur ou du développement. La réalisation de ces projets crée une grande effervescence économique et laisse présager la mise en exploitation prochaine d’un grand nombre de mines. S’ajoutant à celles qui y sont déjà exploitées, de nouvelles substances seront bientôt extraites du sous-sol québécois, comprenant le diamant, les métaux usuels, les terres rares, le niobium, le tantale, l’apatite, l’uranium et le lithium. Le tableau VII décrit ces projets.

Tableau VII Projets miniers de mise en valeur et de développement sur le territoire du Plan Nord au 31 décembre 2011
Région Site minier Compagnie Siège social Substance extraite Coûts du projet M$ Année prévue de mise en production Nombre d’emplois prévus
Nord-du-Québec Black Rock Black Rock Metals New York Fer, titane et vanadium 600 2013 165
Eleonore Goldcorp Vancouver Or 1 400 2014 400
Lac Bachelor Ressources Métanor Toronto Or 150 2014
Vezza N. A. Palladium Toronto Or 45 2012 150
Lac McLeod Western Troy Capital Toronto Métaux usuels et or 210 2015 250
Bracemac-McLeod Donner Metals/Xstrata Zoug (Suisse) Zinc et or 160 2013
PD1 Donner Metals/Xstrata Zoug (Suisse) Métaux usuels et or n.d. 2013 250
Langlois Nyrstar Canada Bruxelles Métaux usuels, or et argent n.d. 2012 180
Matoush Ressources Strateco Boucherville Uranium 2013
Lavoie Ressources Abitex Val-d’Or Uranium
Eastmain Critical Elements Montréal Lithium 270 2013
Jamesbay Lithium Lithium One/Galaxy Resources Toronto Lithium n.d.
Whabouchi Nemasca Lithium Québec Lithium 90 2014 70
Renard Stornoway Vancouver Diamant 802 2015 300
Nunavik Nickel Jilin Jien Nickel Industry Co. Ltd. Panshi (Chine) Nickel 800 2012 270
B-Zone Quest Rare Minerals Montréal Terres rares 565 2015 190
Côte-Nord DSO New Millenium/Tata Steel Minerals Toronto/Mumbai Fer 2012 235
KeMag Taconite New Millenium/Tata Steel Minerals Toronto/Mumbai Fer 4 700 2016 1000
Fire Lake North Champion Minerals Toronto Fer 1 400 2015 475
Lac Otelnuk Adriana Resources/ Wisco Toronto/Beijing Fer 2 500 2016 2000
Arnaud Ressources Québec/ Yara International ASA Montréal/Oslo Apatite 800 2015 200
Saguenay-Lac-Saint-Jean Crevier Minières du Nord Toronto Niobium et tantale 350 2013 200
Lac-à-Paul Ressources d’Arianne Chicoutimi Apatite 2015 260

Source : MRNF (2012) et site Web des compagnies visées. Compilation : Conseil du statut de la femme.

Les dernières années ont également vu se concrétiser plusieurs projets de développement hydroélectrique sur le territoire nordique : les centrales Eastmain-1 et Péribonka sont entrées en service respectivement en 2006 et en 2007; la centrale Eastmain-1-A-Sarcelle-Rupert entrera en production en 2012. Le développement de quatre centrales sur la Romaine se poursuivra jusqu’en 2020 et de petites centrales seront construites sur la rivière du Petit Mécatina, ce qui ajoutera 3 500 MW à la capacité de production hydroélectrique d’Hydro-Québec.

Enfin, les projets de construction de routes annoncés dans le contexte du Plan Nord complètent le tableau. Plusieurs chantiers de taille imposante ont ainsi été ouverts sur l’immense territoire du Plan Nord, modifiant l’environnement et la vie de la population locale.

Les données sur l’emploi dans le domaine de la construction dans la région de la Côte-Nord reflètent une croissance soutenue depuis 2007. D’après la CCQ, en effet, le nombre des heures travaillées en 2011 représentait près de quatre fois celui de 2007, et ce, dans le secteur industriel comme dans celui du génie civil et de la voirie. La hausse de l’activité est imputable en bonne partie aux investissements du Plan Nord.

Les incidences du boum sur les communautés locales

Outre l’effet des projets en cours sur le milieu naturel, le développement entrepris influera de façon importante sur les communautés du territoire. Il y aurait lieu d’anticiper les effets de ce développement rapide, et de prévoir des mesures de mitigation, plutôt que d’attendre que ces effets se manifestent pour régler les problèmes qui auront été créés.

Le logement, les familles, la vie sociale et la sécurité

À Havre-Saint-Pierre, l’arrivée de jeunes familles accroît la demande de places en service de garde et se traduit par un allongement des listes d’attente pour le seul établissement existant. À Fermont, où le boum minier a entraîné une croissance accélérée de la population, les familles doivent faire face à une pénurie de places en service de garde. Le seul centre de la petite enfance n’a aucune place disponible et le projet d’un second CPE a une liste d’attente de 80 noms16. Les compagnies minières qui embauchent les nouveaux travailleurs et travailleuses n’offrent actuellement aucun service de garde en milieu de travail.

Comme il l’annonçait en octobre 2011, le gouvernement sortant a réservé 200 des 15 000 nouvelles places subventionnées en service de garde pour le territoire du Plan Nord. Cela devrait répondre, du moins en partie, aux besoins des familles nouvellement établies dans les régions visées. La ministre responsable de la famille a de plus annoncé, en juillet 2012, que les nouveaux projets de centres de la petite enfance présentés sur le territoire du Plan Nord devraient obligatoirement prévoir la participation financière d’une entreprise, pour au moins 25 % du coût total du projet (coût de construction et frais annuels d’opération). En contrepartie de sa contribution financière, l’entreprise bénéficiera d’un pourcentage équivalent de places réservées aux enfants de son personnel (Gouvernement du Québec, juillet 2012). Le Conseil voit d’un bon œil ce nouveau modèle de développement susceptible de faire évoluer les pratiques des compagnies actives sur le territoire, en faveur d’une plus grande participation aux infrastructures sociales.

Le développement minier accéléré crée, dans les villes et les villages du Nord québécois, une pression à la hausse sur le prix des loyers. Les familles ne parviennent plus à se loger à prix raisonnable ou se trouvent dans des logements insalubres, ce qui se répercute sur leur qualité de vie et sur l’apprentissage des enfants. Il faut dire que, même avant l’annonce du Plan Nord, plusieurs groupes demandaient aux différents paliers de gouvernement de hausser le financement du logement social pour sortir les familles de la crise du logement.

La crise du logement touche particulièrement les femmes. Une travailleuse sociale de la Commission scolaire du Fer a dit constater que plusieurs femmes ont du mal à obtenir un logement, particulièrement si elles annoncent qu’elles sont seules avec leurs enfants et qu’elles sont aux études. Certaines habitent chez des amis ou des amies, en alternance, ce qui s’apparente à de l’itinérance17.

Sur les sites miniers, les employées sont parfois victimes de harcèlement sexuel. Leurs relations de camaraderie avec leurs collègues masculins sont compromises par les cancans des hommes, qui surviennent aussitôt qu’une affinité se dessine avec l’un d’eux. Les femmes doivent alors prendre leurs distances par rapport aux membres de leur groupe de travail, ce qui compromet sérieusement leur intégration durable à l’emploi.

Les campements temporaires ou semi-permanents

Certains sites miniers sont éloignés de toute localité organisée. Les personnes qui y travaillent se voient offrir un horaire alternant de façon intensive les jours de travail et les jours de congé. Ce peut être 12 jours ou 14 jours (deux semaines) sur le site, suivis de 12 jours ou 14 jours de congé à domicile, ou d’autres combinaisons des semaines de travail et de congé, selon le principe du travail par rotation avec service de navette.

La mine Raglan, située dans la partie la plus septentrionale du Québec, est relativement éloignée des communautés les plus proches que sont Salluit et Kangiqsujuaq. Les déplacements se faisant par avion ou par bateau, les travailleurs et les travailleuses de la mine ne peuvent pas circuler à leur gré dans les villages voisins. Les contacts se font à la mine, car 144 personnes de la communauté inuite sont employées à Raglan. Au total, les femmes représentent 40 % de cette main-d’œuvre inuite et sont principalement affectées à l’entretien ménager. Tous les membres du personnel sont hébergés par la compagnie, dans des campements attenants à la mine.

Dans cette mine, près 20 % de la main-d’œuvre est féminine (188 femmes sur 958 personnes salariées) : c’est là une proportion plus importante qu’ailleurs et en hausse depuis quelques années. Les recrues inuites sont surtout cantonnées dans les emplois traditionnellement féminins. Une entente conclue en 1995 entre l’entreprise qui exploitait alors la mine Raglan18 et les représentants des communautés inuites « garantit que, de préférence, les emplois et les contrats seront accordés aux Inuits et aux entreprises inuites des environs qui sont qualifiés pour faire le travail » (Ressources naturelles Canada 2007 : 1). L’entente prévoit également une participation aux bénéfices et un programme de formation à l’intention de la population inuite, mais les femmes sont plutôt rares à s’en prévaloir. Plusieurs facteurs expliquent cette situation. Par exemple, les Inuites ont généralement la responsabilité entière des enfants et, d’autre part, certaines d’entre elles vivent des problèmes sociaux si importants qu’elles n’ont pas la disponibilité nécessaire pour apprendre un nouveau métier.

Si l’on considère l’ensemble des employées, on constate que les femmes sont relativement nombreuses dans les services administratifs comme dans les postes de professionnelles. Elles demeurent toutefois très rares (5 sur 157) dans les opérations minières (mineurs et fonctions associées au domaine minier). C’est ce qu’illustre le tableau VIII.

Tableau VIII Emplois à la mine Raglan
Professions Femmes
(nombre)
Femmes
(%)
Homme
(nombre)
Homme
(%)
Total
(nombre)
Professionnels œuvrant dans les sciences de la nature, de la géologie et de la terre 16 29 40 71 56
Autres professionnels des sciences (par exemple, des chimistes, des biologistes) 3 43 4 57 7
Ingénieurs non-géologique 3 17 15 83 18
Les techniciens en géologie et en environnement 5 13 35 88 40
Les techniciens de la production et de la transformation 3 6 51 94 54
Les mécaniciens d’équipements industriels, lourds et de chantier 0 0 169 100 169
Opérateurs d’équipements lourds et grutiers 0 0 93 100 93
Mineurs et fonctions associées au domaine minier 5 3 152 97 157
Services d’hébergement et de cuisine 74 52 69 48 143
Autres professions 18 18 81 82 99
L’administration et les services d’affaires 61 50 61 50 122
Nombre d’employé total 188 20 770 80 958

Source : Xtrata Nickel.

Plusieurs jeunes professionnelles qui sortent de l’université sont attirées par ces emplois éloignés mais bien payés où elles apprennent à être polyvalentes. Pour elles, c’est un peu une aventure. Toutefois, dès qu’elles souhaitent fonder une famille, la plupart ne veulent plus de cette vie de nomade.

Seuls des soins de santé de base sont assurés sur place. Il n’y a pas de médecins dans les campements construits à proximité des sites ni d’infrastructures médicales, mais seulement une superinfirmière qui traite les problèmes de santé courants. Les personnes qui ont besoin d’un suivi médical, par exemple les femmes enceintes, ne peuvent donc vivre dans ces conditions durant une période prolongée.

En outre, les campements sont construits et aménagés d’une façon plus ou moins permanente, selon le degré d’avancement du projet minier. Dans les campements temporaires, on essaie en général de séparer les chambres des femmes et celles des hommes, mais, suivant le témoignage d’une ancienne employée de la mine Raglan, il arrive que, en période de croissance rapide de la production et de l’emploi, ces chambres soient dans les mêmes corridors, avec douches et toilettes communes. Une telle situation insécurise des femmes et augmente les risques de harcèlement.

Les effets secondaires du système de travail par rotation avec service de navette

Les mouvements de main-d’œuvre suivant le principe du travail par rotation avec service de navette ont des effets sur la population des localités qui accueillent les campements ou sont voisines d’eux. Quand ces travailleurs et travailleuses circulent ou vivent carrément dans les localités nordiques, cela créé une pression sur l’accès aux services offerts. Ainsi, on a constaté dans plusieurs villes une carence des services de santé et des services de garde.

Le système de travail par rotation avec service de navette fait que les travailleurs viennent dans le Nord « gagner de gros sous » et repartent les dépenser au Sud. Si les compagnies estiment que ce système est plus approprié à l’exploitation de gisements d’une durée de vie limitée que la construction de villes minières qui seront éventuellement fermées, les communautés établies dans le Nord ne voient pas les choses de la même manière.

L’arrivée de nombreux travailleurs et travailleuses embauchés sur les chantiers des grands projets peut bouleverser les collectivités locales du fait que ces personnes, qui arrivent par centaines, ne développent pas de sentiment d’appartenance à la communauté d’accueil. Sachant qu’elles ne sont que de passage, elles peuvent adopter des comportements néfastes pour la collectivité : « Les travailleurs mettent les femmes enceintes puis repartent et les laissent seules et sans argent », a raconté une jeune femme innue de Matimekosh. À Fermont, un journal local a décrit le harcèlement auquel sont exposées les jeunes femmes : « les jeunes filles sont facilement repérables dans leur milieu de travail ou dans la pratique de leurs loisirs. “Peu importe où nous travaillons, on se fait toujours cruiser d’une façon déplacée par ces mêmes hommes” mentionne l’une d’elles » (Dumais, 2011 : 15).

L’afflux de travailleuses et de travailleurs permanents non-résidents a été associé à la hausse de la consommation de drogue et d’alcool ainsi qu’à la prostitution, des phénomènes hautement nuisibles pour la population des municipalités voisines des chantiers. Le député fédéral de Manicouagan, qui avait recueilli les témoignages de plusieurs sources concordantes, a dénoncé l’apparition d’un commerce de services sexuels, dans les localités voisines du chantier de la Romaine (Genest-Jourdain, 2012). Si le phénomène a été constaté au nord de Havre-Saint-Pierre, il est probable qu’il se reproduise ailleurs.

Dans une étude portant sur l’expérience de la Baie-James, Jean-Jacques Simard a examiné, 20 ans après la signature de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, les changements sociaux engendrés, au sein des communautés inuites et cries, par l’augmentation de la proportion de personnes venues de l’étranger dans les villages et par celle du nombre de personnes salariées dans les communautés autochtones. Sur le chapitre de la santé, cet auteur fait remarquer que « la morbidité reliée au mode de vie, à “l’urbanisation” de l’habitat et du logement, à l’érosion des solidarités communautaires et à l’isolement psychosocial des individus est en croissance rapide : troubles mentaux, violence domestique, drogues et alcool, accidents et traumatismes de toutes sortes, problèmes reliés à de mauvaises habitudes alimentaires, au “tabagisme”, etc. » Il ajoute ceci : « Les choses progressent effectivement dans le sens où elles allaient déjà » (Simard, 1995 : 80).

Allant dans le même sens, la directrice de l’Âtre, une maison d’hébergement en santé mentale à Sept-Îles, soutient que le Plan Nord est venu exacerber des réalités déjà là et que l’on assiste à une augmentation de la consommation de drogue. En rapport avec cette consommation, elle a remarqué une augmentation du nombre de travailleurs et de travailleuses fréquentant l’Âtre et s’attend même à voir déferler une vague de maladies mentales au cours des prochains mois19.

La coordonnatrice du Centre d’aide et de lutte aux agressions à caractère sexuel (CALACS) La Pointe du jour de Sept-Îles et Port-Cartier, a fait part au Conseil de son inquiétude quant à la hausse du nombre de jeunes filles (mineures) dans la clientèle du Centre par rapport à la situation des dernières années. Des jeunes filles se coordonnatrice souligne que nombre de cas est difficile à estimer puisque la violence contre les femmes est taboue, tout comme l’est la prostitution dans une petite communauté20.

Le Conseil s’inquiète de voir la prostitution se développer dans les environs des sites miniers où les travailleurs suivent le système du travail par rotation avec service de navette. Ce serait un effet du développement du Nord bien peu souhaitable et particulièrement néfaste aux femmes. Les familles des travailleurs soumis au système du travail par rotation avec service de navette risquent de ressentir les conséquences négatives des horaires de travail de ce type. La mère assume seule l’ensemble des responsabilités familiales, pendant que le père est absent. Quand il revient à la maison, il arrive qu’il soit trop déconnecté pour assumer sa part des responsabilités ou, au contraire, qu’il prenne toute la place auprès des enfants. Dans tous les cas de figure, la dynamique familiale est mise à l’épreuve21.

Une incitation au décrochage scolaire

La perspective d’occuper un emploi procurant un salaire élevé, avec en poche tout juste un diplôme d’études secondaires ou même avant l’obtention d’un tel diplôme22, peut intéresser plusieurs élèves, particulièrement dans les villes qui connaissent une effervescence minière. À ce sujet, une intervenante de la Côte-Nord a expliqué au Conseil la mécanique du décrochage scolaire des jeunes de la région de la Côte-Nord.

Selon les constatations de la coordonnatrice du Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) de Sept-Îles, l’attrait des salaires élevés incite les jeunes garçons à interrompre leur parcours scolaire avant d’avoir obtenu un diplôme. Si un emploi leur est offert dans un établissement minier avant qu’ils aient terminé leurs études secondaires, plusieurs seront tentés de se lancer sur le marché du travail. En corollaire, les jeunes filles décrocheraient de plus en plus souvent de leur parcours scolaire pour vivre aux dépens de leur copain qui touche un salaire horaire de 25 dollars. Lorsqu’elles tombent enceintes, elles restent à la maison, pensant qu’il leur sera possible de retourner aux études quand les enfants auront grandi, ce qui est plutôt irréaliste23.

Les grands chantiers drainent la main-d’œuvre qualifiée de la région, ce qui crée un manque de personnel dans les petites et moyennes entreprises. À la Commission scolaire de la Moyenne-Côte-Nord, le directeur des services éducatifs se montre préoccupé par le fait que ces entreprises recrutent leur personnel parmi les élèves du secondaire et ont tendance à les choisir de plus en plus jeunes. Si, auparavant, les élèves en difficulté étaient capables, avec le soutien de ressources pédagogiques, de cheminer vers un diplôme d’études professionnelles, les voici de plus en plus nombreux à répondre à l’appel des entreprises qui leur offrent des salaires alléchants même s’ils n’ont pas complété leur programme d’études24.

Les données les plus récentes ne permettent pas de mesurer les taux de décrochage scolaire depuis l’annonce du Plan Nord, mais les constatations de la coordonnatrice du CALACS portent à réfléchir. Elles sont d’autant plus préoccupantes que c’est au nord du

49e parallèle que les élèves du secondaire semblent avoir la plus grande propension à abandonner leurs études. Les statistiques laissent voir que c’est dans la région du Nord-du-Québec que les sorties sans qualification ni diplôme (du secondaire en formation générale des jeunes) sont proportionnellement les plus fréquentes et de loin. Comme on peut le voir au tableau VIII, plus des deux tiers (71 %) des filles de la région du Nord-du-Québec ont, en 2007-2008, interrompu leurs études secondaires générales avant l’obtention d’un diplôme.

Dans les écoles de la région de la Côte-Nord, le taux de décrochage des filles n’est pas aussi élevé (la région vient au quatrième rang en cette matière), mais le phénomène inquiète, et il y a lieu d’y accorder une attention particulière. Une gestionnaire de la Direction régionale de la Côte-Nord du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport a indiqué au Conseil que le décrochage avait été particulièrement élevé chez les jeunes filles de Havre-Saint-Pierre, au cours de la dernière année.

Dans l’ensemble du Québec, les taux de décrochage scolaire mesurés ont, durant la décennie, fluctué suivant une tendance à la hausse dans toutes les régions, mais la région du Nord-du-Québec a gardé le triste record du taux de décrochage le plus élevé depuis 1999-2000. Pour sa part, la région de la Côte-Nord avait généralement un taux inférieur à celui des régions de l’Estrie, de Montréal et de l’Outaouais tout au long de la période considérée.

Tableau IX Taux de décrochage du secondaire, en formation générale des jeunes, selon le sexe, 2007-2008
Région Filles (%) Garçons (%)
Côte-Nord 24,2 38,8
Nord-du-Québec 71,0 80,9
Ensemble du Québec 20,2 31,4

Source : Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (2010). Compilation : Institut de la statistique du Québec.

L’activité minière et la santé des femmes

L’activité minière suscite de l’inquiétude au sein de la population vivant près des sites d’extraction, en raison des risques que cette activité présente pour l’environnement et la santé. Plusieurs projets miniers du Plan Nord seront réalisés à proximité d’un village ou d’une réserve autochtone. En 2010, l’association Femmes autochtones du Québec a publié un article sur les répercussions que peut avoir l’activité minière sur la santé des femmes : « Les autochtones sont particulièrement vulnérables aux contaminants environnementaux puisque plusieurs comptent sur la chasse et la pêche pour se nourrir et sur la flore pour produire des recettes médicinales » (Loiselle-Boudreau, 2010 : 7).

L’auteure soutient de plus que les risques de contamination de l’environnement associés aux activités d’exploration et d’exploitation des gisements d’uranium poussent les femmes autochtones à s’opposer à ce que l’exploitation de ce métal radioactif naturel soit autorisée. Sur le territoire du Plan Nord, Uashat-Maliotenam, Natashquan, les monts Otish et le Nunavik font l’objet de projets de mines d’uranium.

Les craintes relatives aux conséquences néfastes de la radiation sur la santé humaine sont partagées par d’autres citoyennes et citoyens de la Côte-Nord. Deux groupes de pression se sont formés pour réclamer un moratoire sur les projets uranifères : Sept-Îles sans uranium et Minganie sans uranium (Lévesque, 2012).

Qui plus est, les femmes peuvent être particulièrement sensibles aux effets toxiques de certains minerais extraits ou rejetés comme sous-produits du traitement. Le cadmium, par exemple, risque de provoquer des mutations de l’ADN limitant la capacité de régénération des cellules et la résistance au cancer. La présence de fer dans l’organisme réduit l’absorption de cadmium, mais le taux de fer étant parfois très bas chez certaines femmes à cause du cycle menstruel, le taux de cadmium peut devenir anormalement élevé chez elles et causer d’importants problèmes de santé (Loiselle-Boudreau, 2010 : 7).

Les perceptions autochtones du Plan Nord

Les 33 communautés autochtones établies sur le territoire du Plan Nord appartiennent à quatre nations : innue, inuite, naskapie et crie. La position que les femmes de ces communautés défendent, à l’égard du Plan Nord, est largement influencée par la vision de la communauté à laquelle elles appartiennent. Et cette vision dépend à son tour du contexte économique et social que connaît la communauté.

Au nord du 49e parallèle, la population des réserves indiennes (nation innue), des terres réservées (aux nations naskapie ou crie) et des villages nordiques (nation inuite) est affectée par la mise en œuvre du Plan Nord, étant témoin du développement minier et de la construction de barrages, de routes ou de lignes de transport hydroélectrique qui prennent place dans le voisinage immédiat de sa communauté ou dans le territoire de chasse qu’elle utilise.

Il faut se souvenir que cette population a connu, il y a moins de 40 ans, un autre développement économique lorsque Hydro-Québec a réalisé ses grands chantiers de la Baie-James. Ce développement a donné lieu à d’importantes négociations entre le gouvernement et les nations visées. En 1975, le gouvernement du Québec et les personnes représentant les nations crie et inuite de la région du Nord-du-Québec ont signé la Convention de la Baie-James et du Nord québécois. Puis en 1978, la Convention du Nord-Est québécois a été signée pour étendre l’accord à la nation naskapie de Kawawachikamach.

L’expérience de la Baie-James a transformé de façon concrète le mode de vie des populations touchées. De plus, la Convention a amené la création de plusieurs institutions autochtones, venant structurer les sociétés des différentes nations. Il existe aujourd’hui environ 1 800 institutions autochtones (administrations, groupes, écoles, politiques et programmes). C’est d’ailleurs ce qui fait dire à l’anthropologue Carole Lévesque que les communautés autochtones ont su s’organiser et permettre que leurs sociétés fonctionnent.

Les femmes

Les femmes autochtones que nous avons rencontrées au sujet du Plan Nord ont été nombreuses à souligner qu’elles ne s’étaient pas senties engagées dans le processus de consultation de leurs communautés. Elles ont exprimé du mécontentement parce que la consultation, lorsqu’elle avait lieu, était menée, à leur avis, sans réelle préparation ni mandat 25. En outre, elles soutiennent que, si des personnes représentant chacune des nations ont été consultées, il n’y a pas eu de tournée des communautés pour informer les gens et recueillir le point de vue de tout le monde. Les femmes autochtones ne se sentent pas nécessairement représentées par les conseils de bande qui concluent des ententes avec le gouvernement ou avec les compagnies.

Pour aborder la définition de la vision qu’ont les femmes autochtones des enjeux du Plan Nord, il faut savoir que, dans la culture des Premières Nations, les rapports sociaux de sexe diffèrent de ceux qui existent en Occident. Dans les communautés autochtones, le statut des personnes est défini, avant toute chose, par les responsabilités confiées à chacune. Par exemple, le statut des femmes diffère selon leur âge et il dépend de la nation considérée.

Une chercheuse autochtone explique très bien cette différence d’ordre culturel entre la vision des Québécoises et celle des femmes autochtones :

La femme autochtone a traditionnellement rempli des fonctions bien précises et essentielles au bon fonctionnement de la vie communautaire. Perçues comme gardiennes des savoirs ancestraux que ce soit en matière de pratiques culturelles, de médecine traditionnelle ou de biodiversité, les femmes occupent un statut fondamental pour la préservation de l’équilibre mais également de l’identité autochtone, essentielle à la survie collective (Riverin, 2011 : 125).

Considérant les questions de nature ethnique et de genre comme interdépendantes, les femmes autochtones se refusent donc à segmenter leur expérience. Elles voient le bien-être de la femme autochtone comme indirectement associé au bien-être de sa collectivité.

Au cours des dernières années, les femmes autochtones du Canada ont pris des responsabilités de plus en plus importantes, au sein de leurs communautés, et leur influence s’est affirmée jusqu’à donner lieu, récemment, à la mise en candidature d’un nombre égal de femmes et d’hommes en vue de l’élection à titre de chef de l’Assemblée des Premières Nations du Canada. Ce fait, relevé par Michèle Audette, l’incite à poser l’approche inclusive des femmes autochtones comme l’un des facteurs favorisant leur accession au pouvoir (Scoffield, 2012).

L’éventail des positions adoptées

À l’égard du Plan Nord, la gamme des positions se dégageant des discours tenus par les membres des communautés autochtones vivant sur le territoire peut se résumer à trois positions générales. Certaines personnes rencontrées ont dit refuser catégoriquement le développement entrepris sur le territoire revendiqué par leur nation. D’autres, au contraire, estiment que les avantages que peut apporter à leur communauté le développement minier et énergétique du Nord sont suffisamment importants pour compenser les inconvénients environnementaux et sociaux, surtout que certaines règles encadrent les travaux de développement. D’autres personnes, enfin, se sont montrées d’avis que le développement entrepris ne deviendrait acceptable pour leur communauté que si des règles plus strictes touchant le respect de l’environnement et des communautés étaient imposées aux exploitants.

Cette dernière position est celle qu’ont adoptée des Innues de Maliotenam lorsqu’elles ont marché, au mois d’avril 2012, de leur réserve de la région de la Côte-Nord jusqu’à Montréal, pour dénoncer le Plan Nord. Ces femmes s’élevaient contre la discrimination envers les femmes autochtones (liée à celle dont sont victimes les hommes autochtones) et ont dit marcher « pour construire le chemin de nos enfants afin de leur léguer un avenir meilleur ». Leur action était consécutive au blocus de la route 138, auquel elles avaient participé contre la poursuite du chantier de la Romaine, aux côtés des hommes de la communauté (St-Pierre, 2012). Les Innues rencontrées à Maliotenam ont expliqué au Conseil qu’elles s’inquiètent de ce que le développement énergétique et minier va laisser aux générations futures. Elles aimeraient léguer à leurs enfants un milieu de vie sain de même que la connaissance des modes de vie traditionnels et de la culture de leur nation, mais elles estiment que le développement entrepris les prive de cette possibilité26.

Une position plus nuancée est défendue par la présidente de l’organisme Saturviit, Lisa Koperqualuk, qui est aussi membre de la Commission de la qualité de l’environnement Kativiik (CQEK). Celle-ci voit les ententes sur les répercussions et les avantages (ERA), négociées entre les compagnies et les communautés, comme un bon moyen de s’assurer que les membres des communautés tirent avantage des projets miniers. Elle ajoute que les compagnies minières participent au développement social dans plusieurs pays, et qu’elles pourraient le faire ici, par exemple en construisant des écoles. Mme Koperqualuk souhaiterait voir les femmes de sa communauté participer davantage à la prise de décisions et être mieux informées des enjeux du développement, d’autant plus que celui-ci transformera leur rôle dans la société inuite : opteront-elles pour un travail à la mine ou poursuivront-elles leurs activités traditionnelles, comme la cueillette de petits fruits?

Voici un exemple chiffré de ces ententes entre compagnies minières et communautés autochtones : à Schefferville, la Labrador Iron Mines compte 51 travailleuses et travailleurs locaux autochtones, dont 23 femmes. Ils viennent de la communauté innue de Matimekosh–Lac-John et de la communauté naskapie (Kawawachikamach). Les femmes autochtones travaillent dans l’exploration, les laboratoires et la sécurité, et elles représentent la moitié des chefs d’équipe (4 sur 8). L’entreprise Labrador Iron Mines loue le sens de la discipline, la patience et la force de caractère des femmes autochtones qu’elle emploie27. Toutefois, ces ententes ne font pas l’unanimité : pendant six jours, au début de juillet 2012, une trentaine d’Autochtones ont manifesté en bloquant l’accès à la mine pour dénoncer la prospection autour de leur communauté.

Les interventions gouvernementales

Le gouvernement participera au financement des travaux routiers nécessaires pour rendre plus accessible à la main-d’œuvre, aux touristes et aux compagnies le territoire du Plan Nord. Prolongement de la route 138 à l’est de Natashquan, amélioration de la route 138 entre Baie-Comeau et Port-Cartier et amélioration de la route 389 sont déjà en cours.

Concernant la promotion du Plan Nord, durant l’automne 2011 et l’hiver 2012, le gouvernement a mené une tournée (rendez-vous CAP NORD) dans 12 villes du Québec : Sherbrooke, Rouyn-Noranda, Saint-Georges de Beauce, Sept-Îles, Lebel-sur-Quévillon, Gatineau, Trois-Rivières, Laval, Jonquière, Rivière-du-Loup, Gaspé et Québec. Il a tenu le Salon Plan Nord à Montréal en mai 2012. Ses objectifs initiaux étaient de faire connaître les occasions d’affaires, de diffuser les offres d’emploi, de favoriser les rencontres interentreprises, d’amener les entreprises du Québec sur les chantiers du Nord et de développer la culture entrepreneuriale au Québec. Ce dernier objectif coïncide avec ceux de la Stratégie québécoise de l’entrepreneuriat, lancée en novembre 2011 par le ministre du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation.

En outre, un site Web de placement de la main-d’œuvre est tenu par Emploi-Québec : il regroupe les offres d’emploi des minières et de tous les employeurs du territoire. Par ailleurs, les emplois offerts par Hydro-Québec sont présentés sur son propre site Web.

À noter qu’il n’existe aucune mesure particulière qui aurait été mise en place par les autorités gouvernementales pour attirer des femmes dans les emplois offerts par les minières. Quant aux efforts en milieu scolaire, une conseillère en orientation au cégep de l’Abitibi-Témiscamingue précise que l’Ordre des conseillers et conseillères d’orientation du Québec prescrit de ne pas tenir compte du sexe de la personne pour suggérer un choix professionnel mais plutôt de s’en tenir aux caractéristiques ou aptitudes de la personne28.

Les initiatives locales

La table régionale de concertation en condition féminine de la municipalité de Baie-James, créée sous le nom de Comité Condition féminine Baie-James (CCFBJ), a organisé une tournée des écoles secondaires avec des femmes travaillant dans des métiers comme joaillère, archéologue, ingénieure minière ou contremaître dans les mines. Cette tournée a été réalisée en collaboration avec le Centre de formation professionnelle (relevant de la Commission scolaire de la Baie-James) et Emploi-Québec.

Le CCFBJ a aussi mené une tournée auprès des organismes employeurs pour les sensibiliser aux avantages que comporte le fait d’engager des femmes. Il a produit un DVD sur les métiers traditionnellement masculins qui sera présenté à l’automne 2012 aux élèves de quatrième et de cinquième secondaire.

Enfin, le CCFBJ a créé un guide d’implantation des politiques de conciliation famille-travail. Le Comité surveille l’application de ces politiques en milieu de travail et attribue une attestation à toute entreprise qui met en place une politique de ce type. Un journal régional relaie cette information. L’entreprise est alors reconnue comme « un bon citoyen corporatif ». De notre point de vue, ces initiatives devraient servir de modèle, car les organismes locaux sont souvent ceux qui connaissent le mieux la façon de changer les mentalités dans leur milieu respectif.

À remarquer que les initiatives locales que nous avons repérées ne font pas l’objet d’un suivi. Nous n’avons donc pas de données sur le nombre d’élèves ayant participé à des rencontres avec des femmes exerçant un métier non traditionnel ni sur le nombre d’entreprises sensibilisées à l’opportunité d’embaucher des femmes; nous n’avons pas non plus de données sur les retombées de ces tournées pour ce qui est d’une éventuelle hausse de l’emploi féminin dans les métiers non traditionnels ni en ce qui concerne l’inscription des filles dans des domaines d’études non traditionnels. À notre avis, il faudrait combler cette lacune sans tarder.

Chapitre IV Les défis du Plan Nord

Sous l’impulsion des investissements miniers, routiers, ferroviaires et hydroélectriques, le développement économique du Nord québécois entraînera la création de milliers d’emplois dans le domaine des mines et dans le domaine de la construction, sur le territoire visé dans le Plan Nord. D’autres emplois seront créés chez les fournisseurs des compagnies responsables de ces investissements : de telles retombées profiteront à l’économie locale et à l’économie québécoise, particulièrement à celle des régions limitrophes du 49e parallèle. Enfin, des emplois seront créés dans les établissements fournissant les biens de consommation et les services à une population locale en croissance. L’importance du développement dépend, bien sûr, du prix des métaux, qui recule depuis plusieurs mois.

Outre la création d’emplois, les communautés locales devront faire face aux effets collatéraux du développement mis en place. Modification du tissu social par l’afflux d’une main-d’œuvre suivant les horaires de travail par rotation avec service de navette aérienne, risque accru de décrochage scolaire chez les jeunes, pressions sur l’offre locale de services de même que sur le marché du logement et insécurité liée au harcèlement sexuel toucheront particulièrement la population féminine.

Le Conseil formule ci-dessous des recommandations afin que les retombées positives du Plan Nord, en matière d’emplois, bénéficient dans une plus large mesure aux femmes et permettent d’atténuer les effets indésirables du développement envisagé.

Un projet de développement économique de l’envergure du Plan Nord, qui s’inscrit dans un calendrier de plusieurs décennies, devrait nécessairement, selon le Conseil, faire l’objet d’une analyse différenciée selon les sexes (ADS), afin de mesurer les effets distincts que pourrait avoir, sur les femmes et sur les hommes, la mise en œuvre des projets encouragés par le programme de dépenses publiques. Le Conseil recommande donc :

  1. Que les ministères octroyant des contrats dans le contexte Plan Nord procèdent à l’analyse différenciée selon les sexes des investissements publics prévus, en tenant compte des réalités et des besoins distincts des femmes et des hommes.

    Équilibrer la gouvernance

    La participation des femmes aux structures décisionnelles étant une condition du succès du développement durable, le Conseil recommande :

  2. Que la Société du Plan Nord ou l’instance qui la remplacera, prévoie une représentation paritaire des femmes et des hommes au conseil d’administration.

  3. Que la ministre des Ressources naturelles s’assure que les besoins des femmes, notamment en matière de formation, d’emploi et de logement, soient entendus à la Table des partenaires du Plan Nord et qu’elle formule un mandat à cet effet.

    Aménager des milieux de vie accueillants et sécuritaires

    L’accroissement de la population vivant dans les localités du Nord devrait s’accompagner d’un développement social de ces localités. Il faudrait pour cela développer les services et favoriser l’intégration des personnes employées sur les nouveaux sites miniers, avec leur famille, au tissu social de ces villes. C’est dans cette optique que les mairesses de Port-Cartier, de Fermont et de Chibougamau ont fait adopter une politique familiale et une politique culturelle par leur conseil municipal (Dansereau, avril 2012).

    L’emploi de travailleurs permanents non-résidents (fly-in/fly-out) a des conséquences sur la population locale qui doit accueillir ces travailleurs. Toutefois, ces conséquences n’ont fait l’objet d’aucune étude systématique jusqu’à présent. C’est pourquoi, considérant que le phénomène mérite un examen attentif, le Conseil recommande :

  4. Que le ministère de la Santé et des services sociaux étudie les incidences de l’embauche massive de travailleurs permanents non-résidents sur la population des communautés locales, notamment les risques de prostitution et de harcèlement pour les femmes de ces communautés. Les conclusions de cette étude devraient guider le législateur pour encadrer l’octroi de permis d’exploitation et orienter les programmes d’aide aux femmes et aux localités visées dans le Plan Nord.

    Pour accueillir des milliers de travailleurs et leur famille, les villes du Nord doivent construire de nouvelles rues, de nouveaux logements et augmenter la production d’eau potable. Des investissements additionnels deviennent également nécessaires dans les écoles et dans les services de garde. En outre, il faudra développer l’offre de services médicaux et les services policiers. Des investissements publics substantiels sont nécessaires pour assurer la disponibilité de ces services. À ce titre, les autorités municipales des villes du Nord (Port-Cartier, Fermont, Sept-Îles, Havre-Saint-Pierre et Chibougamau) évaluaient, en janvier 2012, à 200 millions de dollars les investissements requis du gouvernement québécois pour assurer un développement social correspondant à la croissance économique.

    En réponse à cette demande, le premier ministre sortant a annoncé, en juillet 2012, la création du volet 4 du Programme d’infrastructures Québec-Municipalités, comprenant une aide financière de 200 millions de dollars pour la réalisation de projets municipaux de développement prioritaires associés au Plan Nord (communiqué du 17 juillet 2012). L’investissement est appréciable mais d’autres sommes devront être investies pour tenir compte de l’accroissement de la population des petites localités du Nord, dans le contexte de développement minier accéléré. C’est pourquoi le Conseil du statut de la femme recommande :

  5. Que le ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire s’assure que les localités visées dans le Plan Nord et faisant face à un afflux de travailleurs, résidents ou non, disposent de fonds suffisants pour développer les infrastructures municipales en fonction de l’accroissement effectif de la population.

  6. Que le ministère de la Santé et des Services sociaux s’assure que les infrastructures et les budgets de fonctionnement disponibles aux Agences de santé et de services sociaux au nord du 49e parallèle soient développés en fonction de l’accroissement de la population généré par la venue massive de travailleurs temporaires.

  7. Que le ministère de la Famille s’assure de tenir compte, dans l’offre de services de garde sur le territoire du Plan Nord, de la demande des familles nouvellement établies sur le territoire.

    Sensibiliser les jeunes aux dangers du décrochage scolaire

    La perspective de toucher de gros revenus en travaillant dans une mine risque de détourner les jeunes des régions nordiques de leur parcours scolaire. Il importe de sensibiliser les jeunes, garçons et filles, à l’importance de la formation et de l’obtention d’un diplôme, pour favoriser leur autonomie économique tout au long de la carrière. Il est essentiel aussi de montrer aux entreprises qu’elles ont une responsabilité sociale pour éviter le décrochage précoce des jeunes.

    Le Conseil du statut de la femme juge particulièrement préoccupante la question du décrochage scolaire élevé des filles, particulièrement en raison de ses conséquences sur le parcours de vie de ces dernières. En effet, comme ce décrochage est le plus souvent causé par une grossesse précoce, on conçoit aisément les difficultés auxquelles les jeunes femmes auront à faire face pour retourner aux études, avec un enfant à charge. Le phénomène est à prendre au sérieux dans le contexte du Plan Nord, étant donné la fréquence des grossesses précoces chez les jeunes femmes cries et inuites (voir section 2.1).

    De ce fait, le Conseil recommande :

  8. Que le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport mènent une campagne d’information auprès des jeunes, particulièrement des filles, pour les sensibiliser aux dangers du décrochage scolaire.

    Former la main-d’œuvre locale et l’intégrer en emploi

    Le premier plan d’action du Plan Nord comprend des mesures visant à rehausser le niveau de formation des habitants du territoire du Plan Nord et à permettre à cette population de s’intégrer dans les emplois créés. Ainsi, le Partenariat pour l’emploi des Cris, un projet majeur de formation conçu pour permettre de créer 418 emplois durables pour les Cris et auquel participe Emploi Québec, a permis à 150 Cris de décrocher un emploi stable après avoir complété un plan de formation individualisé dans le cadre de ce projet.

    D’autre part, pour identifier les problèmes concrets de l’intégration de la main-d’œuvre autochtone et y remédier, la ministre sortante de l’Emploi et de la Solidarité sociale avait annoncé la formation d’un Groupe des partenaires Emploi Plan Nord. Y seraient invités un représentant de chacune des nations autochtones situées sur le territoire du Plan Nord (crie, inuite, innue et naskapie) ainsi qu’une représentante de l’association Femmes autochtones du Québec. Pour le Conseil, il serait intéressant de créer un tel comité et de le mandater pour prendre en compte la situation des femmes autochtones face à l’emploi ainsi que de viser, pour elles comme pour les hommes, des cibles d’intégration en emploi.

    De plus, si le gouvernement veut favoriser la participation des femmes autochtones aux programmes de formation aux emplois miniers, il serait souhaitable qu’il tienne compte d’un facteur identifié comme la cause principale de l’abandon de leur formation, par bon nombre d’entre elles : l’exercice de leurs responsabilités familiales. Ces responsabilités, qui les empêchent de s’éloigner trop longtemps de leur communauté, seraient plus facilement conciliées avec les formations si celles-ci étaient offertes dans les communautés autochtones, ou à proximité de ces dernières. En donnant de la sorte aux femmes autochtones les moyens de compléter les programmes de formation, on accroîtrait de façon importante leurs chances d’être employées par les minières.

    C’est pourquoi, afin de favoriser leur participation à ces programmes en réduisant le temps de déplacement et afin de tenir compte des caractéristiques de la population locale, le Conseil du statut de la femme recommande :

  9. Que des formations préparatoires aux emplois miniers soient offertes dans ou à proximité des communautés autochtones qui avoisinent les sites miniers offrant des emplois. Que ces formations soient adaptées aux besoins des femmes des communautés nordiques afin qu’elles puissent mener à l’obtention d’un diplôme d’études professionnelles, évitant ainsi que les Autochtones soient obligés de se déraciner pour étudier dans le Sud.

    Accroître le logement

    Le manque de logements ressort comme un problème criant dans les communautés autochtones du nord, particulièrement celles du Nunavik, et est à l’origine d’importants problèmes sociaux, qui touchent très durement les femmes. Au contraire, un nombre suffisant de logements est une condition essentielle pour que les femmes de ces communautés puissent améliorer leur sécurité et leurs conditions de vie afin de pouvoir s’intéresser à leur avenir professionnel. C’est pourquoi le Conseil du statut de la femme recommande :

  10. Que le gouvernement fasse de la construction de logements dans les communautés autochtones une priorité du Plan Nord.

    Enfin, pour permettre que les travailleuses et les travailleurs s’intègrent harmonieusement dans le milieu d’accueil, le Conseil du statut de la femme recommande :

  11. Qu’une formation sur l’univers culturel des Autochtones soit donnée aux travailleuses et aux travailleurs dont les entreprises côtoient les différentes communautés. Que cette formation soit développée en partenariat avec les populations autochtones touchées par le développement.

    Favoriser l’accès et le maintien des femmes dans les emplois traditionnellement masculins

    Si la préoccupation pour la diversification professionnelle des femmes est présente au ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, elle n’a pas encore donné lieu à des mesures concrètes et centralisées pour atteindre cet objectif. C’est pourquoi le Conseil recommande :

  12. Que le Comité sectoriel main-d’œuvre-mines adopte l’objectif du Comité consultatif femmes en développement de la main-d’œuvre de diversifier les choix d’études et de carrière des jeunes femmes. Qu’il se voie confier la mission d’intégrer les femmes en plus grand nombre dans les emplois de production du secteur minier et qu’il ait l’obligation d’en rendre compte.

  13. Que le Secrétariat à la condition féminine, conjointement avec les ministères concernés, développe une campagne de publicité pour amener les femmes à postuler pour les emplois disponibles dans les domaines de la construction, de l’extraction, de l’exploitation et de la production minière sur le territoire du Plan Nord.

    Nous avons mentionné à la section 2.4.2 que les entreprises de construction étaient exclues du champ d’application du Programme d’obligation contractuelle. Le Conseil, qui s’interroge sur la pertinence de cette exclusion, formulera une recommandation à cet égard, dans un avis à paraître sur la situation des femmes dans les métiers de la construction. Pour ce qui est des établissements miniers, si l’aide publique qui leur est offerte devait prendre la forme de crédits d’impôt plutôt que celle de subventions, il y aurait lieu de revoir les règles d’application de l’obligation contractuelle pour qu’elle vise également le secteur minier. C’est pourquoi le Conseil recommande :

  14. Que le gouvernement étende l’application du Programme d’obligation contractuelle aux compagnies minières bénéficiant de crédits d’impôt de 100 000 dollars ou plus, afin qu’elles soient tenues de mettre en place un programme d’accès à l’égalité en vue de favoriser l’accès des femmes aux métiers traditionnellement masculins et la rétention de cette main-d’œuvre.

Conclusion

Le développement économique et social des régions nordiques du Québec, basé sur la mise en valeur des ressources naturelles et du territoire, est porteur d’intéressantes perspectives pour la population locale de même que pour toute la population du Québec. Ce développement comporte simultanément des risques d’écueil, des possibilités de retombées sociales négatives qu’il importe de prendre en considération afin de pouvoir les minimiser.

Aux yeux du Conseil du statut de la femme, le Plan Nord est une excellente occasion pour le gouvernement d’examiner l’ensemble des retombées prévisibles d’un développement amorcé récemment et appelé à se poursuivre pendant plusieurs décennies, en vue de mettre en place des mesures favorisant les effets positifs et d’autres capables de mitiger les effets indésirables entrevus. Le gouvernement devrait autant que faire se peut profiter de la réalisation d’un projet de l’envergure du Plan Nord pour tenter d’amener certaines transformations jugées souhaitables pour la société. Les besoins en main d’œuvre seront importants. Il faut profiter de cette demande pour que les femmes, autochtones ou non, aient accès aux emplois qualifiés.

Dans cet avis, nous avons examiné le projet gouvernemental du Plan Nord en analysant la signification des objectifs retenus, pour le Québec et pour la population locale. Afin d’entrevoir les transformations que peut apporter le développement proposé, nous avons tenté de décrire la rencontre d’une population locale bien établie et de compagnies minières qui s’implantent ou qui prennent de l’expansion à un rythme accéléré, dans le voisinage de cette population. Le survol de l’économie régionale nous a permis de mettre en évidence l’importance de l’industrie minière et la ségrégation du marché du travail. Nous avons également dépeint les effets du boum minier sur les localités nordiques, en raison notamment de l’afflux de travailleurs et de travailleuses et du recours de plus en plus fréquent au travail par rotation avec service de navette. Les membres des communautés autochtones perçoivent ces effets de façon marquée, car leurs habitations sont souvent situées à proximité des chantiers miniers ou hydrauliques. Enfin, nous avons analysé les défis du Plan Nord en ce qui a trait aux retombées des projets, à la gouvernance, à la sécurité des milieux de vie, au danger du décrochage scolaire des jeunes, à l’intégration de la main-d’œuvre en emploi et à l’accès des femmes aux emplois du Plan Nord.

Tout cela a amené le Conseil à formuler 14 recommandations capables, selon lui, de susciter une plus grande participation des femmes aux choix de développement économique et social du territoire nordique, tout en permettant aux femmes dans la population active de bénéficier, elles aussi, des retombées attendues de ce projet de développement du Nord. En vue d’améliorer les conditions de vie de la population déjà établie sur le territoire, le Conseil demande au gouvernement de s’attarder aux besoins pressants qui sévissent dans les communautés inuites.

Annexe
Liste des recommandations du Conseil du statut de la femme

  1. Que les ministères octroyant des contrats dans le contexte Plan Nord procèdent à l’analyse différenciée selon les sexes des investissements publics prévus, en tenant compte des réalités et des besoins distincts des femmes et des hommes.

  2. Que la Société du Plan Nord ou l’instance qui la remplacera, prévoie une représentation paritaire des femmes et des hommes au conseil d’administration.

  3. Que la ministre des Ressources naturelles s’assure que les besoins des femmes, notamment en matière de formation, d’emploi et de logement, soient entendus à la Table des partenaires du Plan Nord et qu’elle formule un mandat à cet effet.

  4. Que le ministère de la Santé et des services sociaux étudie les incidences de l’embauche massive de travailleurs permanents non-résidents sur la population des communautés locales, notamment les risques de prostitution et de harcèlement pour les femmes de ces communautés. Les conclusions de cette étude devraient guider le législateur pour encadrer l’octroi de permis d’exploitation et orienter les programmes d’aide aux femmes et aux localités visées dans le Plan Nord.

  5. Que le ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire s’assure que les localités visées dans le Plan Nord et faisant face à un afflux de travailleurs, résidents ou non, disposent de fonds suffisants pour développer les infrastructures municipales en fonction de l’accroissement effectif de la population.

  6. Que le ministère de la Santé et des Services sociaux s’assure que les infrastructures et les budgets de fonctionnement disponibles aux Agences de santé et de services sociaux au nord du 49e parallèle soient développés en fonction de l’accroissement de la population généré par la venue massive de travailleurs temporaires.

  7. Que le ministère de la Famille s’assure de tenir compte, dans l’offre de services de garde sur le territoire du Plan Nord, de la demande des familles nouvellement établies sur le territoire.

  8. Que le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport mènent une campagne d’information auprès des jeunes, particulièrement des filles, pour les sensibiliser aux dangers du décrochage scolaire.

  9. Que des formations préparatoires aux emplois miniers soient offertes dans ou à proximité des communautés autochtones qui avoisinent les sites miniers offrant des emplois. Que ces formations soient adaptées aux besoins des femmes des communautés nordiques afin qu’elles puissent mener à l’obtention d’un diplôme d’études professionnelles, évitant ainsi que les Autochtones soient obligés de se déraciner pour étudier dans le Sud.

  10. Que le gouvernement fasse de la construction de logements dans les communautés autochtones une priorité du Plan Nord.

  11. Qu’une formation sur l’univers culturel des Autochtones soit donnée aux travailleuses et aux travailleurs dont les entreprises côtoient les différentes communautés. Que cette formation soit développée en partenariat avec les populations autochtones touchées par le développement.

  12. Que le Comité sectoriel main-d’œuvre-mines adopte l’objectif du Comité consultatif femmes en développement de la main-d’œuvre de diversifier les choix d’études et de carrière des jeunes femmes. Qu’il se voie confier la mission d’intégrer les femmes en plus grand nombre dans les emplois de production du secteur minier et qu’il ait l’obligation d’en rendre compte.

  13. Que le Secrétariat à la condition féminine, conjointement avec les ministères concernés, développe une campagne de publicité pour amener les femmes à postuler pour les emplois disponibles dans les domaines de la construction, de l’extraction, de l’exploitation et de la production minière sur le territoire du Plan Nord.

  14. Que le gouvernement étende l’application du Programme d’obligation contractuelle aux compagnies minières bénéficiant de crédits d’impôt de 100 000 dollars ou plus, afin qu’elles soient tenues de mettre en place un programme d’accès à l’égalité en vue de favoriser l’accès des femmes aux métiers traditionnellement masculins et la rétention de cette main-d’œuvre.

Bibliographie