Étude - La participation au marché du travail des femmes immigrées du Maghreb : un cas d'étude

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Cette étude est dédiée aux femmes maghrébines, qui par leur généreuse participation, l’ont rendue possible

Table des matières

Introduction

Québec cherche Québécois pour relation à long terme et plus : Comprendre les enjeux de l’immigration. Le titre accrocheur du livre de Tania Longpré (2013) nous a inspiré ceci : Québec cherche immigrants maghrébins pour besoins économico-démographiques et pérennité du français : Comprendre les enjeux de l’intégration au marché du travail des femmes immigrées maghrébines.

En effet, malgré de nombreuses publications sur la participation au marché du travail des femmes immigrées maghrébines, la question demeure d’actualité et sa compréhension non définitive, notamment en ce qui a trait aux femmes hautement scolarisées. Et aussi parce que de 1995 à 2006, le nombre de femmes immigrantes nées au Maghreb a quintuplé et que ces dernières s’attendent à réussir leur intégration socioéconomique tout autant que le Québec compte bénéficier de leur expertise.

Or, pour les unes comme pour l’autre, la déception est grande. Le décalage entre le rêve et la réalité est réel. En fait, en prenant pour base certains indicateurs standards (taux d’emploi et de chômage), on constate que les femmes immigrées maghrébines ont une intégration peu favorable au marché du travail. On observe aussi qu’elles subissent un déclassement professionnel, comme toutefois beaucoup d’autres femmes immigrées très scolarisées.

Un certain nombre de barrières d’ordre personnel, institutionnel ou social ont été identifiées dans les écrits spécialisés cherchant à expliquer l’intégration difficile des femmes immigrées maghrébines au marché du travail. Cependant, dans la recherche québécoise portant sur cette population, peu d’attention a été portée aux stratégies d’acculturation et à l’identité ethnoculturelle comme barrières ou tremplins à la participation au marché du travail. Cette question fait l’objet de la présente recherche.

De plus, dans la continuité de recherches quantitatives entamées au cours des dernières années (Beaudoin, 2010, 2011, 2012), cette recherche qualitative donne la parole aux femmes immigrées maghrébines hautement scolarisées afin de saisir l’idée qu’elles se font des difficultés rencontrées au cours de leur cheminement professionnel post-migratoire; de ce qui fait, ou a fait, obstacle à leur intégration socioéconomique. Pour atteindre ces objectifs, des entrevues semi-dirigées et une enquête par questionnaire ont été réalisées avec 22 femmes immigrées maghrébines.

Présentation de l’étude

La revue de la littérature spécialisée et le cadre conceptuel

La participation au marché du travail des femmes immigrées arabes et du Maghreb

Globalement, la participation au marché du travail des femmes immigrées des minorités visibles1 est moins réussie que celle de l’ensemble des femmes immigrées. Les taux de chômage sont plus élevés, les taux d’emploi plus bas et les revenus d’emploi moyens inférieurs à ceux de l’ensemble des femmes du Québec. Or, malgré un niveau élevé de scolarité, une bonne connaissance du français et, pour une bonne proportion d’entre elles, de l’anglais, les femmes immigrées arabes éprouvent de la difficulté à s’intégrer au marché du travail québécois.

Dans une étude quantitative du ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles (MICC) publiée en 2012, on observe que le taux d’emploi des femmes arabes est inférieur à celui de l’ensemble des femmes immigrées et que leur taux de chômage, qui dépasse de cinq points de pourcentage celui des femmes immigrées des minorités visibles, est environ trois fois supérieur à celui de l’ensemble des femmes du Québec. Quant à leur revenu d’emploi moyen, s’il dépasse de 1 813 $ celui des femmes immigrées des minorités visibles, il est inférieur de 5 192 $ à celui de l’ensemble des femmes du Québec (Beaudoin, 2012, p. 33-34).

De façon plus précise, la situation des femmes originaires du Maghreb, un groupe en croissance démographique2 marqué par un hiatus profond entre le niveau de qualification et le taux d’emploi, se présente comme suit : les Algériennes ont un taux d’emploi de 49,8 % et un taux de chômage de 19,7 %; pour les Marocaines, le taux d’emploi s’élève à 48,4 % et le taux de chômage à 17,5 %; quant aux Tunisiennes, les taux d’emploi et de chômage atteignent respectivement 45,2 % et 20,3 % (MICC, 2012a). Par comparaison, le taux d’emploi de l’ensemble des femmes du Québec se chiffre à 55,7 % et le taux de chômage à 6,5 %.

En outre, des chercheurs comme Teelucksingh et Galabuzi (2007, p. 202-207) qualifient de « racisée » la participation au marché du travail des personnes des minorités visibles. Ainsi, un taux élevé de chômage, un faible taux d’emploi, la surreprésentation dans certains secteurs d’activité, l’inadéquation entre le capital humain et le statut de l’emploi ainsi qu’un accès difficile aux professions et aux affaires forment un ensemble d’indicateurs révélant une participation « racisée » au marché du travail.

Pour certains auteurs (Constant, Kahanac et Zimmerman, 2009, p. 7; Constant et Zimmerman, 2009, p. 29), tout à fait conscients qu’il n’existe pas de facteur unique capable de rendre compte de l’intégration économique ardue des femmes et des hommes des minorités visibles, la discrimination sociale joue un rôle de première importance. Bendriss (2009, p. 175-176) affirme que les Québécoises d’origine arabe subissent de la discrimination fondée sur leur origine nationale, ethnique et religieuse. Ainsi, la représentation négative que la société québécoise se ferait de ces femmes bloquerait leur intégration au marché du travail. Osmani (2007) abonde dans le même sens. Elle avance que les Québécoises d’origine maghrébine, souvent présentées dans les médias sous l’angle d’une identité négative, sont marginalisées quant à leur participation au marché du travail et que la discrimination et le racisme qu’elles subissent constituent des obstacles de taille à surmonter.

On constate donc que l’identité ethnique est étroitement liée à la participation au marché du travail, notamment par le biais du regard que pose la société sur certains de ses citoyens venus d’ailleurs.

La discrimination comme problème à la participation au marché du travail des minorités visibles, notamment des femmes maghrébines

La discrimination est le traitement inégal et défavorable d’un individu sur la base de caractéristiques physiques ou sociales. Les personnes des minorités visibles subissent de la discrimination fondée sur leur origine ethnique, mais les femmes issues des minorités ethniques vivent des expériences particulières de discrimination fondées à la fois sur le sexe et l’appartenance ethnoculturelle. La discrimination prend plusieurs visages et mène à la déqualification professionnelle des femmes immigrées, notamment des Maghrébines.

Les préférences discriminatoires et la hiérarchisation des immigrants

Dans un survol de la littérature spécialisée, Sam et Berry (2006, p. 170-173) confirment l’hypothèse voulant qu’une personne se sente plus attirée par une autre avec qui elle partage des similitudes culturelles; un phénomène qui est observé dans de nombreux pays. Il semblerait alors qu’un ensemble de marqueurs soient utilisés pour établir le degré de proximité et conséquemment, de la désirabilité de l’Autre; que cet Autre soit une personne immigrante ou appartienne à une origine ethnoculturelle différente. Ces marqueurs sont, entre autres, les valeurs, la langue, la religion, la couleur de la peau et le pays d’origine.

Dans cette optique, Bourhis, Barrette et Moriconi (2008, p. 92) rapportent que les Canadiens (anglophones et francophones) ont une perception défavorable des Arabes musulmans ainsi que des minorités visibles et que les immigrants arabes musulmans constituent un groupe dont le statut est « dévalorisé ». Les auteurs (2008, p. 91) rappellent aussi les résultats d’une étude de Montreil et Bourhis voulant que les Québécois francophones valorisent davantage les immigrants francophones nés en France que ceux originaires d’Haïti. L’attribution d’un statut « dévalorisé » aux immigrants arabes musulmans et aux Haïtiens serait fondée sur des stéréotypes qui dépendent vraisemblablement pour les uns, de la religion et du pays d’origine et pour les autres, de la couleur de la peau.

De plus, les préférences à l’égard des immigrants et des personnes de diverses origines ethnoculturelles feraient même l’objet d’une structuration de type hiérarchique (Hagendoorn, 1995, p. 225). Dans cet esprit, le professeur Robert Ford de l’Université de Manchester « soutient qu’il existe un phénomène de hiérarchisation des immigrants des plus acceptables aux moins acceptables; les personnes immigrées des minorités visibles étant le plus souvent associées aux immigrants inacceptables! La perception qu’ont les citoyens anglais d’une plus ou moins grande proximité culturelle et identitaire avec les différents groupes d’immigrants serait vraisemblablement à l’origine du classement effectué en termes d’attraction » (Ford, cité dans Beaudoin, 2012, p. 3).

Voulant mesurer la discrimination à l’embauche subie par des personnes de minorités visibles, Eid (2012) a mené une expérimentation auprès d’employeurs en recrutement du Grand Montréal. 581 curriculums vitae de candidatures fictives ont été envoyés portant des noms de famille associés au groupe social majoritaire (exemples : Sébastien Bélanger, Alexandra Côté-Bilodeau) ou à différents groupes de minorités visibles : groupe africain (exemples : Amadou Traoré, Aminata Dialo), groupe arabe (exemples : Mohamed Nabil, Latifa Ben Saïd) et groupe latino-américain (exemples : Carlos Salazar, Maria Martinez).

À compétences similaires des candidatures, le chercheur a observé que le taux de réponse des employeurs varie selon l’appartenance ou non à un groupe d’origine ethnique, inférée par le nom de famille. Plus précisément, pour les emplois qualifiés, les candidats du groupe majoritaire couraient 1,71 fois plus de chance d’être contactés que les candidats noirs; 1,63 fois plus de chance que les candidats arabes; et 1,58 fois plus de chance que les candidats latino-américains. Pour les emplois peu ou non qualifiés, les candidats d’origine africaine ont été appelés 45 % moins souvent que les candidats du groupe majoritaire, les candidats d’origine arabe et ceux d’origine latino-américaine, respectivement 40 % et 30 % moins souvent.

Les résultats mettent en évidence non seulement l’attitude apparentée à de la discrimination des employeurs, mais également le fait qu’ils expriment une préférence pour certains groupes minoritaires. De fait, les candidatures latino-américaines, hommes ou femmes, sont contactées plus souvent que les candidatures arabes et ces dernières plus souvent que celles d’origine africaine.

À leur insu ou non, les employeurs cherchent des « personnes qui leur ressemblent » ou cherchent à « éviter certains groupes négativement évalués, parce que socialement stigmatisés » (Eid, 2012, p. 45). Autrement dit, les employeurs se feraient une idée de la proximité ou de la distance culturelle et identitaire entre eux-mêmes et les candidatures reçues, et sur la base de cette évaluation, ils donneraient suite ou non aux offres de services.

En somme, les relations entre les citoyens seraient influencées par une classification s’effectuant, plus ou moins consciemment, en hiérarchisant les divers groupes d’immigrants.

Les principaux obstacles à la participation des femmes immigrées au marché du travail

La discrimination fondée sur l’ethnicité, la race et la religion (Castel, 2012, p. 220; Milot et Venditti, 2012, p. 270; Vatz Laaroussi, 2008, p. 52) constitue un obstacle majeur à l’intégration socioéconomique. Elle ne se limite d’ailleurs pas aux préférences discriminatoires individuellement exprimées et s’ajoute à d’autres formes d’obstacles, communs aux deux sexes, ou plus spécifiquement vécus par les femmes, qui ont été présentés dans les écrits spécialisés et dans des documents gouvernementaux ou issus du milieu communautaire (Belhassen-Maalaoui, 2009, p. 31-32; Bendriss, 2009, p. 176; Comité consultatif de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, 2013, p. 36; Guilbert, 2008, p. 111-112; Pierre, 2005, p. 88; Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI), 2012, p. 40-41, 44; Vatz Laaroussi, 2008, p. 47).

Obstacles communs aux deux sexes

Ainsi, dans la nomenclature des obstacles communs à l’intégration socioéconomique des immigrants des deux sexes – mais vécus différemment par les femmes et les hommes –, certains sont associés au marché du travail, d’autres aux institutions, d’autres encore aux personnes immigrantes. Résumés à larges traits, ce sont, relativement au marché de l’emploi : l’exigence d’une expérience de travail canadienne ou québécoise et de références d’anciens employeurs; la non-reconnaissance ou une reconnaissance dévaluée de l’expérience acquise dans le pays d’origine ainsi que les préjugés de nombreux employeurs à l’égard des personnes immigrantes.

En ce qui a trait aux institutions, les éléments suivants sont relevés : la dévaluation des diplômes obtenus dans le pays d’origine des personnes immigrées ou dans un tiers pays; la difficulté d’accès aux ordres professionnels; la rigidité des normes associées à certains programmes; des lacunes dans l’adaptation des services, notamment dans l’accompagnement offert par Emploi-Québec; la pénurie de garderies à prix abordables ainsi que des programmes de francisation non adaptés aux besoins.

Enfin, par rapport aux personnes immigrantes, mentionnons des lacunes parfois dans la connaissance du français et de l’anglais; une connaissance insuffisante du marché de l’emploi, des cultures organisationnelles et des compétences exigées dans les milieux de travail. L’absence d’un réseau professionnel ainsi que la présence d’un réseau social non influent sont également associées à une intégration plus difficile au marché du travail. Certains autres facteurs peuvent également entraver la participation au marché du travail tels qu’un faible niveau de scolarité, l’âge à l’immigration, la période d’immigration (Beaudoin, 2010, p. 102) ou le statut d’admission (Belhassen-Maalaoui, 2009, p. 24, 32).

Obstacles propres aux femmes

Cependant, d’autres facteurs touchent plus particulièrement les femmes immigrantes. Plusieurs obstacles vécus plus spécifiquement par les femmes résultent des inégalités entre les sexes et du fait que l’insertion professionnelle des femmes s’inscrit dans une dynamique familiale marquée par le genre (Vatz Laaroussi, 2008, p. 56-60). Ces inégalités entre les sexes se reflètent, entre autres manières, dans les multiples rôles que les femmes sont appelées à jouer (Lee-Gosselin et Ann, 2014, p. 32, 48, 49, 62) et dans la priorité accordée à la carrière du mari ou du conjoint plutôt qu’à la leur (Cardu et Sanschagrin, 2002, p. 106-109).

Dans les sociétés maghrébines, comme ailleurs, les inégalités entre les sexes sont intériorisées par les hommes et par une majorité des femmes et, malgré certains progrès, notamment d’ordre législatif, « l’ordre social qui impose une situation inférieure aux femmes dans la société n’est ainsi pas complètement remis en cause » (Kateb, 2011, p. 17).

Transposés au sein des institutions sociales que constituent le mariage et la famille, ces rapports inégalitaires prennent, par exemple, la forme de l’obligation pour les femmes de fournir un certificat médical prénuptial; du refus du mariage des femmes avec un non- musulman; de l’inégalité devant la loi quant au droit des femmes au divorce; de la préséance accordée à l’autorité parentale du mari ainsi que de la division sexuelle du travail à l’intérieur de l’espace domestique « où les femmes sont en charge de l’essentiel des tâches ménagères » (Kateb, 2011, p. 18-20).

Ces éléments mettent en relief que la division sexuelle du travail qui amène les femmes à assumer davantage le travail domestique et parental s’ajoute aux autres facteurs de discrimination vécus par les personnes immigrantes en général. La hiérarchie entre les sexes a également comme résultat d’une part, la mise en priorité de la carrière ou de l’activité salariée des hommes qui sont perçus comme les pourvoyeurs « naturels » des familles et d’autre part, l’affectation des femmes comme éducatrices « naturelles » des enfants et animatrices « naturelles » des réseaux sociaux, familiaux ou autres.

Dans le même ordre d’idées, Vatz Laaroussi (2008, p. 62-63) relate qu’au Québec, des intervenants dans les secteurs de l’emploi, de l’éducation, des services sociaux et de la santé se sont forgés une représentation « victimisante » des femmes maghrébines. Ces femmes sont vues, poursuit l’auteure, « comme victimes de leur culture d’origine, de la tradition, de leur religion, de leur mari, de leur famille. On les décrit comme opprimées, on généralise cette représentation collective à toutes les femmes maghrébines sans prendre en compte les divers éléments de leur trajectoire (…) qui permettraient de les voir autrement ».

Pourtant, ces musulmanes immigrées développent des stratégies pour faire face aux difficultés d’intégration professionnelle (Cardu et Sanschagrin, 2002, p. 115; Fillaud, 2001, p. 440-449), et elles refusent le statut de « victime » qu’on leur attribue souvent ainsi que l’enfermement dans une identité essentialiste et homogénéisée, notamment par rapport aux modèles de genre et de couple (Fillaud, 2001, p. 453-454). En d’autres termes, ces femmes rejetteraient le regard stéréotypé et figé dans le temps et dans l’espace que plusieurs posent sur elles.

Toutefois, comme le relate Bolduc (2010, p. 144), qui résume les propos de certaines femmes musulmanes interviewées, « des musulmanes vivent régulièrement des épisodes de discrimination parce qu’elles ne correspondent pas à l’idéal de la femme québécoise […] ». La visibilité religieuse, particulièrement le port du voile, peut faire obstacle à l’insertion professionnelle (Cardu et Sanschagrin, 2002, p. 108; Mossière, 2013, p. 201-202, 223-224). Conséquemment, selon Cardu et Sanschagrin (2002, p. 110), « des femmes musulmanes envisagent stratégiquement d’enlever leur voile afin de faciliter leur insertion sur le plan professionnel », et d’autres « ne le portent plus, ce qui a facilité l’intégration de leurs enfants à l’école et, par ricochet, leur propre intégration à la vie communautaire et à leur voisinage ».

On constate donc que toute la question relative aux obstacles propres aux femmes immigrées, notamment aux femmes immigrées maghrébines, est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît à première vue.

Le travail atypique et les ghettos d’emploi : la déqualification comme résultat de la discrimination

Ce qui est ressorti clairement de la littérature spécialisée, c’est que les pratiques discriminatoires contribuent au fait que les personnes immigrées sont surreprésentées dans le travail atypique. Discontinus dans le temps et dans l’espace, les emplois à temps partiel, les emplois occasionnels, temporaires, saisonniers, à domicile ainsi que les emplois des salariés des agences sont considérés comme des emplois atypiques (Bernier, 2013, p. 192). Les emplois des salariés des agences de location de personnel se distinguent cependant des autres emplois atypiques en ce qu’ils sont soumis à une relation de travail triangulaire mettant en présence le salarié, l’agence et l’utilisateur. Notons qu’il n’existe présentement aucune réglementation qui encadre le travail de ces agences (permis obligatoire, solvabilité, responsabilité de l’agence et de l’entreprise cliente, conditions de travail de la salariée et du salarié d’agence, etc.).

Ainsi, les changements d’ordre structurel apparus dans le monde du travail au cours des dernières décennies sont intrinsèquement liés à la précarité de l’emploi, à de faibles salaires, au désengagement voire au manque de loyauté de l’employeur à l’égard des employés, à la surcharge mentale ou au stress élevé ainsi qu’à des possibilités incertaines de progression en emploi (Mercure, 2013).

Il existe de la disparité entre le traitement des travailleuses et travailleurs des deux statuts d’emploi, typique et atypique, en termes de salaires, de congés, de protections sociales, etc. Les femmes sont plus nombreuses que les hommes dans ce type d’emploi (Bernier, 2013, p. 192) et les personnes immigrées (Gravel, 2013) constituent un bassin privilégié de recrutement pour les agences de location de personnel. En outre, ce marché du travail atypique inscrit un grand nombre de femmes immigrées dans des ghettos d’immigrants ainsi que dans des domaines d’emploi tels que le secteur manufacturier, les centres d’appels, le télémarketing, les services à distance à la clientèle, la vente de certains produits (cartes de crédit, cellulaires, systèmes d’alarme), les garderies, les institutions bancaires (comme caissières) ou de santé (comme préposées aux bénéficiaires). (Beaudoin, 2012, p. 27-28; Belhassen-Maalaoui, 2009, p. 28; Lee-Gosselin et Ann, 2014, p. 20-21; Pierre, 2005, p. 86).

De manière plus large, plusieurs recherches (Belhassen-Maalaoui, 2009, p. 89; Chicha, 2012a, p. 92-113; 2012b, p. 48-52; Guilbert, 2008, p. 112 et 116; Hadj-Moussa, 2004, p. 398;

Lee-Gosselin et Ann, 2014, p. 20 et 60; Pierre, 2005, p. 87-88) montrent que les immigrantes, y compris celles hautement qualifiées, subissent une déqualification professionnelle. Constituant une situation de discrimination systémique, selon Chicha (2009, p. 121), la déqualification professionnelle « résulte des interactions entre différents acteurs individuels (employeurs, collègues, conjoints, etc.) ou institutionnels (agences gouvernementales, ordres professionnels, intermédiaires du marché du travail, universités, etc.) dont les règles, les pratiques et les décisions ont un effet désavantageux sur les immigrées en fonction, notamment, de leur genre, leur origine étrangère et leur appartenance à des minorités visibles ».

Dans cette perspective, comme nous venons de le voir dans la section précédente, un grand nombre de facteurs d’ordre institutionnel, social et personnel peut contrecarrer l’accès des femmes immigrées au marché du travail ou faire en sorte que des femmes se retrouvent en sous-emploi. Ainsi, la conjugaison de plusieurs de ces facteurs a pour effet de créer des inégalités d’opportunité entre l’ensemble des femmes du Québec et les femmes immigrées; les femmes immigrées se retrouvant trop souvent forcées de travailler dans des milieux qui les déqualifient professionnellement et qui les maintiennent dans des conditions économiques précaires, voire de pauvreté.

Ce regard analytique rejoint celui de Pierre (2005, p. 88) qui écrit : « Il va sans dire que toutes ces difficultés auxquelles les femmes immigrantes se heurtent dans leurs démarches d’accès à l’emploi ou à de meilleures conditions salariales contribuent à laisser une partie importante de cette population dans une situation de pauvreté évaluée selon le seuil de faible revenu (SFR). Il ne suffit donc pas d’avoir un emploi pour être à l’abri de la pauvreté ».

Quelques stratégies d’insertion socioéconomique

Face à ces multiples obstacles, les femmes maghrébines refusant le statut de victime élaborent diverses stratégies adaptées à leur situation personnelle et familiale pour améliorer leur situation socioéconomique.

Par son travail auprès de femmes immigrantes et réfugiées à Québec, portant sur les dynamiques familiales, Guilbert (2008, p. 105) a mis en évidence trois principales stratégies utilisées par les femmes pour « réussir leur insertion socioéconomique et leurs projets personnels et familiaux ». Discutées en famille, ces stratégies peuvent changer en fonction de la trajectoire d’insertion sociale. Ce sont : le retour aux études, l’acceptation d’un emploi déqualifié et précaire pour entrer sur le marché du travail et le retour au foyer, et ce, malgré le fait que les femmes rencontrées par cette auteure exerçaient toutes des professions dans leur pays d’origine.

En phase avec la réflexion de Guilbert, Vatz Laaroussi (2008, p. 56-61) examine les stratégies d’insertion sociale des femmes maghrébines en mettant l’accent sur les dynamiques familiales qui les rendent possibles. Dans cette perspective, il semble que dans la majorité des cas, des considérations d’ordre pragmatique prévalent. C’est-à-dire que dans le couple, les conjoints accordent la priorité d’entrer en emploi rapidement à celui des deux qui est capable d’aller chercher un revenu pour subvenir aux besoins de la famille. L’autre membre du couple pourra alors, soit retourner aux études pour optimiser ses chances d’obtenir un bon emploi, soit rester à la maison pour s’occuper des enfants en bas âge, le cas échéant.

De plus, dans leur projet familial, l’ensemble des couples a prévu un éventuel retour aux études pour celui des deux conjoints qui est resté à la maison ou encore pour celui qui est rapidement entré sur le marché du travail. Ce scénario prévaut particulièrement lorsque les femmes ont un niveau de scolarité supérieur. Cependant, un autre scénario est observé cette fois dans les couples où la femme détient une formation professionnelle de niveau secondaire et le mari occupe un emploi peu qualifié ou qu’il est de retour aux études. C’est la femme qui devient entrepreneure; elle ouvre un commerce lié à la formation professionnelle acquise et le mari se joint à l’entreprise familiale.

Ces différents profils d’insertion socioprofessionnelle de femmes immigrées maghrébines mettent en lumière l’aspect dynamique des échanges qui ont cours au sein des couples pour assurer l’autonomie financière de la famille. La définition des rôles entre les femmes et les hommes apparaît passablement fluide et moins stéréotypée qu’on aurait pu s’attendre pour des couples d’origine maghrébine. En ce sens, selon la professeure Vatz Laaroussi (2008, p. 56), « ces dynamiques familiales multiples (…) permettent de saisir des familles immigrantes en mouvement, qui ne portent pas de manière statique des cultures d’origine ou des rôles prédéterminés, mais qui, au contraire, sont des vecteurs de changement et des potentiels de citoyenneté pour leurs membres ».

L’identité ethnoculturelle et la participation au marché du travail

Les travaux recensés dans la première partie de la revue de la littérature spécialisée font ressortir que l’origine ethnoculturelle constitue une dimension identitaire importante dans les relations que les citoyens établissent entre eux. Ainsi, on note dans de nombreuses sociétés, dont le Québec, que des groupes ethniques subissent des préjudices fondés, entre autres critères, sur la couleur de la peau, le pays de naissance ou la religion. À ce sujet, le milieu du travail est l’un des microcosmes où se manifeste de manière tangible un bon nombre de préjugés à l’égard des personnes immigrées. Les femmes et les hommes d’origine arabe, notamment maghrébine, qui ont choisi de vivre au Québec, n’en sont pas épargnés. Nous aborderons d’abord la question de l’identité collective, ensuite le processus de transformation de l’identité ethnoculturelle en contexte d’immigration.

Perceptions de la société québécoise envers les Arabes et les Maghrébins et vice versa

« Nous » et « Eux » : la population québécoise regarde les Arabes et les Maghrébins

Selon la littérature spécialisée ayant pour objet les représentations portant sur les communautés arabes et maghrébines au Québec, une part significative de la population québécoise, comme d’autres populations en Occident, jette un regard négatif sur les groupes arabes, musulmans et maghrébins, amalgamant souvent toutes ces identités en une seule, la musulmane. De nombreux Québécois pensent que certaines pratiques musulmanes menacent la préservation de valeurs comme la démocratie, la laïcité, l’égalité entre les sexes et la primauté du fait français. En effet, «comme le propose le modèle de menace intergroupe de Stephan et Stephan (2000), la présence d’immigrants arabes de religion musulmane peut constituer une menace symbolique, car leur présence remet en question la laïcité récemment acquise dans les institutions publiques de la majorité québécoise francophone » (Bourhis, Barrette et Moriconi, 2008, p. 98).

Dans le prolongement de cette idée, des auteurs (Bendriss, 2012, p. 1-4; Bendriss et Milot, 2012, p. 171-193) rapportent que si les Québécois, généralement, se définissent comme des citoyens « modernes », « évolués », « libres », « progressistes » et « égalitaires », ils projetteraient sur les musulmans une image radicalement opposée et incompatible avec la leur. De façon monolithique, la population islamique serait vue comme ayant à quelque part « raté le train de la modernité » : soumise aux diktats des imams et attribuant aux femmes un statut de deuxième classe, particulièrement dans les rapports entre les sexes.

Comment le disent Milot et Vendetti (2012, p. 287), « un stéréotype s’est formé : celui du musulman radical qui ne veut pas s’intégrer, qui rejette les valeurs fondamentales de notre société, qui veut remettre le religieux en selle dans les affaires publiques et qui utilise les pratiques d’harmonisation pour faire avancer un projet agressif de conquête à la faveur de nos chartes, de notre pluralisme et autres largesses ».

Cette mise à distance qui ferait de « Nous » des modèles et d’« Eux », des anti-modèles « qui excèdent le seuil de la différence », à la limite qui sont non intégrables, pour reprendre les propos de Bendriss et Milot (2012, p. 173-174), pourrait avoir des conséquences néfastes pour « Eux » autant que pour « Nous ». En effet, une société, qui garderait à l’écart une population apte à s’investir dans la vie collective, s’appauvrirait financièrement et culturellement.

En revanche, les personnes qui se sentiraient dévalorisées dans leur identité ethnoculturelle pourraient perdre confiance en leurs capacités et éprouver de la difficulté à faire partie de cette société-là. En phase avec Noels, Leavitt et Clément (2010, p. 755), Bourhis, Barrette et Moriconi (2008, p. 101) rappellent avec justesse que « les attitudes des immigrants peuvent varier selon qu’ils se sentent acceptés ou exclus par les membres de la communauté d’accueil ».

Hadj-Moussa (2004, p. 400), pour sa part, dit que « bien qu’elles ne soient pas les seules à être marginalisées, les femmes musulmanes sont l’objet d’un « déni de subjectivité » (Khosrokhavar, 1997) qui les confine implacablement dans l’espace de l’Autre par excellence ». Une forme de déni de reconnaissance qui assignerait symboliquement ces femmes dans un espace citoyen marginalisé. Ce qui signifie en un mot : un refus de participation paritaire dans la vie sociale.

« Eux » et « Nous » : les Arabes et les Maghrébins regardent la société québécoise

L’information portant sur la perception qu’ont, dans l’ensemble, les Arabes et les Maghrébins de la société québécoise, des Québécois et des Québécoises, provient d’enquêtes menées auprès de ces groupes, majoritairement des femmes (Bolduc, 2010, p. 144, p. 162-163; Cardu et Sanschagrin, 2002, p. 103-115; Fortin, LeBlanc et Le Gall, 2008, p. 121-122; Fillaud, 2001, p. 426-454; Milot et Vendetti, 2012, p. 271-278).

Globalement, les personnes interrogées apprécient les bienfaits d’un État de droit, « un État où l’on jouit de la liberté dans le respect à la fois des lois et des autres membres de la société », pour citer Milot et Venditti. Ces personnes se sentent en sécurité, libres de pratiquer leur religion dans un pays qui ne connaît pas la guerre. Elles apprécient également les valeurs citoyennes du Québec comme le montre le témoignage de Farida emprunté au même texte : « Il y a aussi des valeurs qui sont très belles ici […] comme l’entraide […] l’engagement social, les centres communautaires […] le bénévolat, tout ça je ne l’ai pas connu chez nous et je le découvre ici » (Milot et Vendetti, 2012, p. 273).

Les systèmes d’éducation, de santé, de sécurité publique, l’accès à l’information et les échanges interculturels sont autant d’aspects de la société d’accueil qui sont valorisés. Une bonne proportion des personnes qui ont participé aux enquêtes disent aussi apprécier l’ouverture, la bienveillance, la générosité, le respect, la compétence au travail et l’autonomie des femmes et des hommes québécois.

D’autres femmes rencontrées par Guilbert (2008, p. 118) font part d’un certain nombre de compétences culturelles qu’elles ont développées au Québec qui sont par exemple : le pragmatisme, la ponctualité, l’adaptabilité et la résilience, la nécessité d’adopter une attitude proactive, de faire respecter son point de vue et de défendre ses droits.

Toutefois, un grand nombre de femmes interrogées ont l’impression que les valeurs en général et familiales en particulier s’érodent au Québec. Le matérialisme, l’individualisme, l’excès dans l’usage de la liberté, la méfiance, la froideur, l’indifférence dans les relations interpersonnelles, la xénophobie et la représentation défavorable de l’islam dans les médias, constituent un ensemble de phénomènes que certaines des personnes arabes et maghrébines interrogées trouvent saillantes au Québec et déplorent.

Selon la littérature spécialisée recensée, il ressort donc que, de manière générale, les Arabes et les Maghrébins établissent une distance entre le « Nous » et le « Eux » québécois. Ils démontrent néanmoins de l’ouverture à l’égard de la société québécoise tout en critiquant certains traits perçus comme caractérisant une majorité de ses citoyens.

L’identité ethnoculturelle

Pour Constant et Zimmerman, l’identité ethnoculturelle est conçue comme le fruit d’un équilibrage entre d’une part, l’identification et l’engagement à l’égard de la culture et des normes de la société d’origine et d’autre part, l’identification et l’engagement à l’égard de la culture et des normes de la société d’accueil (Constant et Zimmerman, 2007, p. 4). À partir de ces deux pôles, quatre stratégies identitaires sont induites : l’intégration, la marginalisation, l’assimilation et la séparation.

Ainsi, en contexte d’immigration, on parlera de stratégie d’intégration lorsqu’une personne choisit de maintenir son héritage culturel tout en s’appropriant des éléments de la culture d’accueil. À l’opposé, celle qui se marginalise rejette à la fois sa culture d’origine et celle de la société d’accueil. Quant à la stratégie d’assimilation, elle témoigne du rejet de la culture d’origine et de la pleine adoption de la culture de la société d’accueil; à l’inverse, une stratégie de séparation valorise uniquement la culture d’origine.

Afin d’approfondir l’examen des liens entre l’identité ethnoculturelle et la participation au marché du travail, les deux chercheurs ont développé un outil permettant de mesurer cette identité : l’ethnosizer. Cinq indicateurs sont alors retenus pour mesurer l’identité ethnoculturelle : la connaissance de la langue de la société d’accueil et de la société d’origine, certains éléments culturels tangibles (musique, nourriture, médias, etc.), le degré d’identification à la société d’accueil et à la société d’origine, les contacts sociaux ainsi que l’intention par rapport à la résidence et à l’obtention de la citoyenneté.

À la suite d’analyses de simulation des probabilités, Constant et Zimmerman concluent que, pour les femmes, une stratégie d’intégration est corrélée positivement avec la probabilité d’augmenter la chance d’occuper un emploi tandis que des stratégies d’assimilation, de séparation et de marginalisation y sont corrélées de manière négative. Toutefois pour les hommes, ils observent une corrélation positive avec des stratégies d’intégration et d’assimilation et la probabilité d’augmenter la chance d’occuper un emploi pendant qu’une corrélation négative est notée avec les deux autres stratégies. S’adonnant au même exercice, les chercheurs rapportent des résultats similaires pour les deux sexes quant à l’augmentation ou la diminution du revenu d’emploi.

Ces travaux permettent par conséquent de mettre en évidence l’influence de l’identité ethnoculturelle et des stratégies identitaires sur l’emploi et le revenu. Ils montrent qu’une stratégie de type « intégration » favorise l’intégration économique des personnes immigrées. Constant et Zimmerman s’inspirent du modèle développé par le Canadien John

W. Berry, chef de file sur les questions de l’acculturation. À ce jour, le modèle de Berry continue d’alimenter une large publication sur l’acculturation, les stratégies d’acculturation, l’adaptation psychologique et socioculturelle ainsi que le développement d’une identité biculturelle.

L’acculturation dans un contexte d’immigration : intégration et adaptation des individus

L’acculturation réfère au processus de changement qui s’installe dès qu’une personne immigrée entre en contact avec celles de la société d’accueil. Idéalement, ce processus de changement est bidirectionnel; ce qui suppose que les personnes de la société d’accueil changent aussi au contact de celles d’autres cultures (Bourhis, Barrette et Moriconi, 2008, p. 90; Sam, 2006, p. 11). En contexte d’immigration, il existe plusieurs façons de s’acculturer et les stratégies d’acculturation témoignent des choix que les personnes immigrées peuvent faire par rapport à leur culture d’origine et par rapport à la culture de la société d’accueil.

Si l’intégration est la stratégie d’acculturation généralement associée de manière positive à l’adaptation psychologique et socioculturelle des personnes immigrées, au contraire, la marginalisation est la moins bénéfique. Quant à l’assimilation et à la séparation, elles occupent une position intermédiaire. Dans ce contexte, les chercheurs posent comme hypothèse que les personnes immigrées ayant opté pour une stratégie d’intégration s’adaptent mieux que les autres parce qu’elles acquièrent les compétences essentielles pour fonctionner efficacement dans la société d’accueil tout en maintenant des contacts avec la société d’origine, une forme d’appui psychologique important en contexte d’immigration (Liebkind, 2006, p. 84; Sam et Berry, 2010, p. 478).

Tout se passerait alors comme si le fait d’accepter la complexité de vivre au sein de deux cultures devenait un préalable à la capacité de composer efficacement avec les défis d’ordre personnel et social inhérents au processus migratoire (Verkuyten, 2012, p. 240). L’un des plus grands défis que doivent affronter les personnes immigrées demeure sans contredit l’adaptation au marché du travail. Au sens large, cela signifie non seulement obtenir et garder un emploi, mais aussi travailler dans un secteur d’activité connexe aux études complétées, à un niveau de complexité proche de l’expérience acquise et avoir la possibilité d’évoluer dans l’entreprise (Berry et collab. 2011, p. 327).

Antérieurement dans le texte, un certain nombre de facteurs qui freinent l’intégration au marché du travail des femmes immigrées, particulièrement des femmes maghrébines, ont été énumérés. En revanche, d’autres facteurs semblent favoriser l’adaptation des personnes immigrées, notamment le développement d’une identité biculturelle (Liebkind, 2006, p. 84) étroitement lié au choix de l’intégration comme stratégie d’acculturation.

L’identité biculturelle et la participation au marché du travail

En contexte migratoire, l’identité ethnoculturelle réfère à l’idée qu’une personne se fait d’elle-même et au sentiment d’appartenance qu’elle éprouve par rapport à sa culture d’origine et à la culture de la société d’accueil. À la lumière de son expérience dans la société d’accueil, la personne immigrée revisite son identité culturelle d’origine et s’interroge sur la place que celle-ci devrait continuer d’occuper.

L’expérience subjective de l’identité ethnoculturelle comprend plusieurs dimensions. Parmi les plus saillantes, on retiendra : l’identification personnelle, le sentiment d’appartenance, l’engagement à l’égard du groupe ethnique ou national, le sens de posséder des valeurs communes et les attitudes à l’égard de chacun des deux groupes culturels (Liebkind, 2006, p. 84)3.

Ainsi, l’identité ethnoculturelle peut être cernée de près au moyen de l’autoévaluation que fait la personne immigrée sur l’ensemble des dimensions énumérées ci-haut. On parlera alors d’identité biculturelle lorsque l’identification d’une personne, à la fois à sa culture d’origine et à la culture de la société d’accueil, est forte; d’identité marginale quand l’identification aux deux cultures est faible; d’identité séparée si l’identification à la culture d’origine est forte et l’identification à la culture de la société d’accueil est faible; enfin, d’identité assimilée lorsque l’identification à la culture d’origine est faible et l’identification à la culture de la société d’accueil, forte (Berry et collab. 2011, p. 317). Très concrètement, cet exercice d’autoévaluation prend pour objets les éléments ou marqueurs symboliques de l’identité ethnoculturelle.

En effet, l’identité ethnoculturelle comporte de nombreux éléments ou marqueurs identitaires, entre autres, la langue, la religion, la race, la couleur de la peau, les valeurs, la culture (musique, nourriture, vêtements, traditions, etc.), la provenance géographique, les relations sociales et l’idéologie politique. Certains marqueurs, jugés plus importants que d’autres par la personne, sont placés, pour ainsi dire, au centre de son identité : ils en forment le noyau. D’autres, perçus comme moins significatifs, sont logés en périphérie (Kozakaï, 2007, p. 199). Ces marqueurs identitaires symboliques servent également à établir une frontière entre les individus et entre les groupes sociaux, et conséquemment à mesurer la distance qui les sépare les uns des autres. C’est ce que nous avons vu antérieurement dans le texte dans les sections portant sur les préférences discriminatoires et la hiérarchisation des immigrants.

Dans cette foulée, examiner attentivement l’expérience subjective de construction et d’organisation d’une identité biculturelle jettera un éclairage additionnel sur le processus d’acculturation et sur les liens avec l’adaptation des personnes immigrées.

La construction d’une identité biculturelle

Bien que l’on puisse épingler l’identité biculturelle sur le plan conceptuel, il en est autrement quand il s’agit de la saisir sur le plan psychologique, en termes de processus, car l’identité n’est pas figée, fixée une fois pour toutes : l’identité n’est pas une chose. Elle est évolutive et fluide. Elle se construit, s’organise et se reconfigure au fil du temps. L’identité est le fruit d’un ensemble de processus cognitifs et d’attitudes. Elle est influencée dans son développement par l’environnement social au sens large aussi bien que par la famille et la communauté immédiate. De façon plus précise, c’est dans et par l’interaction sociale qu’elle prend forme et se structure.

De plus, l’identité résulte d’un perpétuel équilibrage entre un aspect subjectif individuel (psychologique et intériorisation du social) et un aspect collectif (normes et sanctions sociales perçues comme externes). Plus encore, l’identité se définit en confrontant ce que l’on croit être, avec l’estimation que les autres font de nous, ainsi qu’avec la perception que l’on se fait de l’estimation des autres sur nous (Noels, Leavitt et Clément, 2010, p. 747). Dans cette construction conceptuelle, l’estimation reflétée joue un rôle de premier plan.

De fait, selon Noels et ses collaborateurs, la perception négative que l’on se ferait de l’estimation des autres sur nous peut induire le sentiment d’être discriminé, voire provoquer la dépression. C’est donc l’évaluation d’un écart entre la perception qu’une personne a d’elle-même et la perception de la non-appréciation des autres à son égard qui serait à la source de ces deux phénomènes psychologiques. En d’autres mots, l’idée que les autres jugent négativement son identité ethnoculturelle peut déstabiliser la personne, susciter des émotions désagréables, engendrer des conflits et même l’obliger à questionner l’autoévaluation de son identité ainsi que la manière dont elle la rend visible.

Par exemple, une Québécoise d’origine chinoise, qui vit confortablement dans les deux cultures, se fait dire par les membres de la communauté chinoise qu’elle est « trop Québécoise » ou par les Québécois d’origine, qu’elle est « trop Chinoise », pourrait ignorer l’appréciation des uns et des autres et souligner à double trait son appartenance aux deux cultures ou choisir plutôt de mettre l’emphase sur l’une des cultures au détriment de l’autre. Plus globalement, Wiley et Deaux (2011, p. 56) soutiennent que lorsqu’une société établit une hiérarchie entre les différents groupes qui la composent sur la base de l’origine ethnoculturelle, les membres des groupes dévalorisés perçoivent une incompatibilité entre le développement d’une identité biculturelle et le mépris dont ils font l’objet.

En somme, pour qu’une identité biculturelle puisse être viable, elle doit pouvoir s’exprimer dans divers contextes et être jugée favorablement. Inversement, les situations où abondent les préjugés, les clichés, le rejet ou la mise à l’écart forcent souvent la personne à étouffer l’expression de la biculturalité (Benet-Martinez, 2012, p. 639; Verkuyten, 2012, p. 243). Explorant plus à fond l’expérience subjective de l’identité biculturelle, Benet-Martinez (2012, p. 623-647) propose un modèle capable de rendre compte des différences individuelles dans la gestion de l’identité biculturelle : le modèle de l’intégration d’une identité biculturelle.

Le modèle de l’intégration d’une identité biculturelle

Dans le modèle de l’intégration d’une l’identité biculturelle, les identités ethnoculturelles, d’origine et de la société d’accueil, sont conçues comme deux ensembles dont la personne prend la mesure du recoupement ou de la dissociation. Cette opération lui permet d’évaluer la compatibilité ou le degré d’intégration entre les deux identités ou encore d’estimer leur opposition et le degré de difficulté à les intégrer l’une dans l’autre. Autrement dit, la personne calculerait la distance qui sépare ou rapproche les deux identités (dimension distance-proximité) en même temps qu’elle évaluerait son attitude quant à la coexistence harmonieuse ou conflictuelle des deux identités (dimension harmonie-conflit).

Dans cette optique, la personne qui a développé une identité biculturelle forte juge que ses identités ethnoculturelles (d’origine et de la société d’accueil) sont proches l’une de l’autre, se recoupant ou se fusionnant, de même que les deux identités sont perçues comme étant en relation harmonieuse. A contrario, la personne qui a intégré une identité biculturelle faible trouve que ces deux identités sont plutôt loin l’une de l’autre, en opposition ou en conflit.

Les exemples suivants serviront à illustrer ces concepts (Huynh, Nguyen et Benet-Martinez, 2011, p. 830) : « Je suis une Chinoise américaine » (proximité) par opposition à « Je me perçois comme une Chinoise vivant aux États-Unis » (distance); « Je me sens coincée entre deux cultures » (conflit) par rapport à « Je ne crois pas qu’il y ait incompatibilité entre le mode de vie des Chinois et des Américains » (harmonie). On réfère aussi aux deux concepts bipolaires (proximité-distance et conflit-harmonie) par les termes fusion et harmonie (Huynh, Nguyen et Benet-Martinez, 2011, p. 840).

De plus, selon les tenants du modèle de l’intégration d’une identité biculturelle, certains facteurs liés à l’individu (personnalité) et d’autres au contexte social exercent un rôle important dans la gestion de l’identité biculturelle, notamment sur les dimensions de fusion et d’harmonie. Sur le plan de la personnalité, ce sont : la tolérance et l’intérêt à l’égard des valeurs et styles de vie divers ainsi que la stabilité émotionnelle (résilience et flexibilité). Sur le plan social, on note par exemple : les préjugés et les stéréotypes ethniques, le sentiment de vivre un isolement culturel ainsi que des relations interculturelles tendues. Cet ensemble de facteurs influence l’intégration d’une identité biculturelle ou l’entrave (Benet-Martinez et Haritatos, 2005, p. 1022-1023).

En outre, l’intégration d’une identité biculturelle est associée à une meilleure capacité d’adaptation psychologique et sociale : plus grande estime de soi, plus grand sentiment de bien-être et de satisfaction dans la vie, moins de dépression, d’anxiété et de solitude, de l’autonomie, des objectifs personnels porteurs de sens, une meilleure maîtrise de l’environnement, des réseaux sociaux plus riches ainsi que des réalisations empreintes de créativité. Les personnes qui ont intégré une identité biculturelle forte seraient encore plus adaptées que celles ayant intégré une identité biculturelle faible (Huynh, Nguyen et Benet-Martinez, 2011, p. 831; Nguyen et Benet-Martinez, 2010, p. 99).

À notre connaissance, la littérature spécialisée prenant appui sur le modèle de l’intégration d’une identité biculturelle a peu exploré la relation entre la participation au marché du travail et l’identité biculturelle, cernable par les dimensions de proximité et de distance ainsi que de conflit et d’harmonie. Toutefois, en se basant sur une approche différente, celle de la théorie de l’identité psychosociale (approche égo-écologique), des auteures ont examiné les représentations identitaires et les stratégies de femmes immigrantes en contexte d’insertion professionnelle dans la ville de Québec (Cardu et Sanschagrin, 2002, p. 87-116) et présenté l’étude de cas d’une immigrante d’origine argentine, âgée de 39 ans, en emploi depuis un an au Québec (Cardu, 2008, p. 171-179).

Il ressort de la revue de la littérature spécialisée introduite dans les sections précédentes que l’intégration socioéconomique des femmes immigrées maghrébines peut être abordée sous trois volets identitaires : femme (le genre), immigrée (le statut) et maghrébine (l’origine ethnoculturelle). Nous avons présenté un certain nombre d’obstacles discriminatoires liés à chacun de ces trois axes identitaires qui non seulement nuisent à la participation de ces femmes au marché du travail, mais constituent un défi de taille pour la structuration d’une nouvelle identité post-migratoire. In finale, les inégalités de genre, la déqualification professionnelle et le regard non valorisant que porte l’Autre, sont autant de facteurs de non-reconnaissance qui peuvent entraver la transformation identitaire et l’émergence d’une identité biculturelle en contexte d’immigration, notamment au regard de l’identité professionnelle.

Dans la foulée de ces idées, nous voulons explorer davantage cette hypothèse que l’intégration, en tant que stratégie d’acculturation, ainsi que le développement d’une identité biculturelle favorisent la participation au marché du travail des femmes immigrées nées au Maghreb.

Les objectifs de la recherche

La revue de la littérature spécialisée a permis de mettre en évidence un certain nombre de facteurs susceptibles de faciliter ou d’entraver l’intégration socioéconomique des personnes immigrées ainsi que l’importance des processus identitaires dans ce phénomène. Ces deux éléments ayant rarement été mis en relation dans la recherche spécialisée sur les femmes immigrantes d’origine maghrébine, il nous est apparu pertinent et utile d’interroger cette relation, du point de vue des femmes immigrantes maghrébines elles-mêmes. La difficile intégration au marché du travail des femmes immigrées maghrébines hautement qualifiées qui parlent français soulève en effet un questionnement d’ordre culturel.

Les principales questions de recherche autour desquelles s'est organisée cette étude sont les suivantes :

La méthodologie

La définition des termes : Maghreb, Maghrébins, Arabes et musulmans

Le Maghreb est cette région de l’Afrique du Nord qui comprend l’Algérie, la Tunisie, le Maroc, la Libye, la Mauritanie et le Sahara occidental. Dans cette étude, le mot « Maghrébins » fait référence aux personnes d’origine algérienne, tunisienne et marocaine. En Algérie, en Tunisie et au Maroc, on retrouve deux grands groupes linguistiques : l’arabe et le berbère.

L’islam est la principale religion pratiquée au Maghreb, mais il existe aussi des Maghrébins chrétiens ou juifs. En termes concrets, selon des données de 2012 du Pew Research Center’s Forum on Religion and Public Life, c’est plus de 95 % de la population de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie qui est de confession musulmane; 0,2 % ou moins de confession chrétienne et moins de 0,1 % de confession juive.

En somme, il s’agit d’éviter de confondre identité ethnique et linguistique, identité religieuse et pays d’origine. Par exemple tous les Arabes ne sont pas musulmans et tous les musulmans ne sont pas des Arabes. Tandis que certains Maghrébins ne sont ni Arabes ni musulmans, la majorité des Maghrébins sont par contre musulmans.

Les méthodes de recherche

Afin de comprendre le point de vue des femmes immigrées maghrébines sur le marché du travail et sur les obstacles à leur intégration, nous avons fait des entrevues qualitatives semi-dirigées. Ces entrevues ont été complétées par un questionnaire visant à mieux connaître les caractéristiques sociodémographiques des participantes et leur opinion sur des affirmations définies a priori, et portant sur des dimensions identitaires liées à l’intégration au marché du travail. Ces deux types de collectes de données nous ont permis d’obtenir une grande quantité d’informations pertinentes pour répondre à notre questionnement.

Dans la continuité de la démarche conceptuelle présentée précédemment, un échantillon qualitatif composé de vingt-deux femmes immigrées maghrébines a été constitué.

Les critères de l’échantillon recherché

Un ensemble de critères a guidé la composition de l’échantillon que nous voulions caractériser par la diversité des trajectoires et des expériences de femmes maghrébines en processus d’intégration. Ces critères sont :

Les critères relatifs à la durée du séjour, à l’âge, à la connaissance du français et au niveau d’études sont justifiés par des recherches, entre autres, celle de Beaudoin (2010, p. 102), qui ont montré que ces critères jouent un rôle important dans la participation au marché du travail des personnes immigrantes. En outre, une bonne diversité de situations matrimoniales et professionnelles était souhaitée, afin d’explorer la plus grande variété possible de cas dans un échantillon restreint.

Ajoutons que les femmes d’origine maghrébine au Québec se caractérisent de manière générale par leur scolarisation élevée, leur bonne connaissance du français, et dans une moindre mesure, de l’anglais. De fait, 35,9 % des femmes immigrées de 15 ans et plus nées en Afrique du Nord détiennent un grade universitaire par comparaison à 22,2 % de l’ensemble des femmes du Québec, un écart observé de 13,7 points de pourcentage (Institut de la statistique du Québec, page consultée le 10 décembre 2014). En outre, c’est 96,5 % de ces femmes qui connaissent le français et 56,4 % connaissent le français et l’anglais (Beaudoin, 2011, p. 11).

Ces femmes vivent toutefois une expérience de chômage et de sous-emploi plus importante que la moyenne des Québécoises et des Québécois, pourtant moins scolarisés en moyenne. Rappelons qu’on observe un écart négatif de près de 8 points de pourcentage entre le taux d’emploi des Maghrébines et celui de l’ensemble des femmes du Québec ainsi qu’un écart de plus de 12 points de pourcentage entre le taux de chômage des femmes nées au Maghreb et celui de l’ensemble des Québécoises.

Rappelons aussi que les femmes immigrées maghrébines forment un groupe en croissance démographique marquée. Au recensement de 2006, le nombre de Maghrébines arrivées au Québec entre 2001 et 2006 a plus que doublé par rapport au nombre de celles arrivées entre 1996 et 2000, et quintuplé en comparaison avec celui observé entre 1991-1995. En outre, le Maroc et l’Algérie se situent respectivement aux quatrième et cinquième rangs en importance des pays non européens d’immigration des femmes, suivant Haïti et la Chine, et talonnant le Liban. Selon les données du recensement de 2006 pour le Québec, la population féminine d’origine algérienne, marocaine et tunisienne s’élève à plus de 30 000. De ce nombre, près de 21 000 femmes sont nées au Maghreb.

Le recrutement de l’échantillon

Le recrutement des candidates, à Montréal et à Québec, s’est avéré laborieux. De fait, plusieurs organismes communautaires et gouvernementaux ont d’abord été sollicités, mais malgré la bonne volonté des interlocutrices et interlocuteurs, les démarches n’ont pas porté les fruits escomptés. Ce recrutement a finalement été rendu possible grâce à l’étroite collaboration de quelques personnes clés, bien connues de la clientèle maghrébine, dans trois ou quatre organismes communautaires. L’appui d’un étudiant d’origine tunisienne qui poursuivait des études postdoctorales en sociologie a également été sollicité. À quelques reprises, des participantes nous ont aussi référé de leurs connaissances. Le soutien du milieu communautaire a de la sorte contribué à caractériser la composition de notre échantillon.

Des 22 femmes présentes en entrevue, 10 sont Algériennes, 8 sont Marocaines et 4 sont Tunisiennes. Les entrevues se sont déroulées en novembre et en décembre 2012; 9 femmes habitaient à Québec et 13 à Montréal.

Bien que ne pouvant en aucun cas prétendre à la représentativité statistique du groupe à l’étude, nous estimons que le présent échantillon de 22 participantes est suffisant pour repérer, dans les récits, des processus et des logiques nous permettant d’illustrer et d’approfondir les constats de la littérature spécialisée sur l’identité biculturelle et l’intégration socioéconomique des femmes issues de l’immigration.

Le profil général et les caractéristiques socioprofessionnelles des participantes

L’ensemble des femmes immigrées maghrébines rencontrées cumule un séjour au Québec qui varie de 1 an à 10 ans. Plus précisément, la moitié des femmes ont élu domicile au Québec depuis 2 ans et demi ou moins; 40 %, de 3 à 5 ans tandis que 9 %, depuis 6 ans et plus, et 10 ans. Ces femmes sont âgées de 23 à 45 ans. La plus forte proportion (45 %) d’entre elles a de 31 à 40 ans. Quant au statut matrimonial, on remarque que 10 femmes sur les 22 interviewées sont mariées; 8 sont célibataires et 4 sont séparées, divorcées ou en instance de divorce. Le nombre total d’enfants est de 19; ce qui représente une moyenne inférieure à 1.

Relativement aux caractéristiques socioprofessionnelles, plus de 3 femmes sur 4 ont obtenu un diplôme universitaire hors du Québec et plus de 25 % de ces graduées universitaires détenaient une maîtrise ou un doctorat; les autres femmes possédaient un diplôme d’études collégiales. Toutefois, la moitié des femmes avaient poursuivi ou poursuivaient des études au Québec au moment des entrevues. De plus, la majorité des femmes constituant notre échantillon avaient une expérience de travail avant d’émigrer au Québec, notamment comme professionnelles ou techniciennes. C’est aussi la majorité des femmes qui avaient une expérience de travail québécoise, particulièrement dans la vente et les services, dans les techniques de l’informatique ou de l’administration ainsi que dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement.

Enfin, 7 des 22 femmes rencontrées n’avaient pas d’emploi au moment de l’entrevue; des 15 femmes qui occupaient un emploi, la moitié travaillaient à temps partiel.

Le tableau 1 en annexe fournit de l’information détaillée sur le profil général et les caractéristiques socioprofessionnelles des participantes.

La collecte des données

L’entrevue qualitative semi-dirigée

Dans le but d’atteindre l’objectif principal de la présente recherche qui est de comprendre le point de vue de femmes maghrébines à propos de leur identité post-migratoire et de leur intégration à la société québécoise, une entrevue qualitative de type semi-directif a été menée par l’auteure4 auprès de 22 femmes.

Le schéma d’entrevue (disponible en annexe 2) tient compte des obstacles rencontrés par les femmes maghrébines, selon la revue de la littérature spécialisée, ainsi que du fait que l’identité ethnoculturelle de ces femmes puisse changer en contact avec une nouvelle culture. On y retrouve les éléments suivants :

La collecte de données : le questionnaire

Un questionnaire fermé (disponible en annexe 3) a également été distribué après chaque entrevue. Il contient 65 questions qui sont regroupées en quatre parties. Il s’agit des données sociodémographiques, du parcours migratoire, de l’appartenance culturelle et de l’identité ainsi que de l’adaptation. Tandis que les données sociodémographiques ont procuré un aperçu des profils personnels et professionnels, les sections portant sur l’identité et l’adaptation ont fourni l’occasion de saisir le point de vue des femmes sur des affirmations uniformisées formulées en cohérence avec la revue de la littérature présentée précédemment.

En effet, les éléments retenus dans le questionnaire pour cerner l’identité post-migratoire sont basés sur les travaux des chercheurs introduits dans la section portant sur la revue de la littérature spécialisée, notamment Liebkind (2006, p. 84), Constant et Zimmerman (2009, p. 15-16; 2007, p. 4) et Huynh, Nguyen et Benet-Martinez (2011, p. 840). Ces éléments sont pour Liebkind : l’identification personnelle, le sentiment d’appartenance, l’engagement à l’égard du groupe ethnique ou national, le sens de posséder des valeurs communes et les attitudes regardant chacun des deux groupes culturels. Quant à Constant et Zimmerman, ils retiennent : la connaissance de la langue de la société d’accueil et de la société d’origine; des éléments culturels tangibles (musique, nourriture, médias, etc.); le degré d’identification à la société d’accueil et à la société d’origine; les contacts sociaux ainsi que l’intention par rapport à la résidence et à l’obtention de la citoyenneté. De la contribution de Huynh, Nguyen et Benet-Martinez, nous avons retenu ce qui suit : la perception de la proximité, de l’harmonie et de la compatibilité avec les valeurs québécoises.

Les données recueillies au moyen du questionnaire ne permettent ni généralisation ni analyse quantitative, mais elles complètent les informations recueillies dans le cadre des entretiens individuels.

Une analyse de contenu qualitative

Les 22 entrevues enregistrées ont été transcrites. L’analyse thématique des entrevues a été menée en fonction de la problématique générale et des différentes dimensions du phénomène à l’étude. De manière générale, la démarche d’analyse a été inspirée des travaux d’Albarello (2011), Blais et Martineau (2006, p. 1-18), L’Écuyer (1990, p. 51-123), Mayer et Deslauriers (2000, p. 159-189), Mayring (2010, p. 266-269) et Schmidt (2010, p. 253-258).

La première étape d’analyse, à la suite d’une première lecture annotée des 22 entrevues, a consisté en l’élaboration d’une dizaine de catégories d’analyse que nous avons pu faire émerger du discours des femmes rencontrées. Ces catégories sont des unités thématiques récurrentes, bien que variables, dans le récit des participantes à notre recherche. Ces catégories d’analyse sont : caractéristiques des emplois; déqualification professionnelle; ghettos d’emploi; valeurs liées au travail; connaissance du fonctionnement de la société et du rôle des institutions; importance de la famille et du rôle des femmes au sein de la famille; port du voile; désillusion et désenchantement ainsi que dimension psychologique. De plus, la connaissance de l’anglais, le retour aux études ou en formation et un ensemble d’enjeux liés à l’intégration (divorce, âge à l’arrivée, réseautage, préjugés, etc.) sont ressortis chez un bon nombre de participantes.

Dans un deuxième temps, les thèmes ont été regroupés en deux catégories, la première est l’emploi et la deuxième, les valeurs de la société d’origine, l’individu et l’acculturation. Des sous-catégories ont aussi été introduites à l’intérieur de chacune des deux grandes catégories. Il s’agit pour l’emploi : du profil de l’emploi, du profil de formation, de l’éthique du travail et des aspirations professionnelles. Pour les valeurs de la société d’origine, l’individu et l’acculturation, ce sont : la famille élargie, la famille nucléaire, certains attributs culturels, notamment le port du voile, les stratégies d’acculturation, les attitudes, les aspects cognitifs et affectifs.

Au cours de cet exercice de construction des catégories d’analyse, il est ressorti que les femmes rencontrées ne constituaient pas un groupe homogène au regard de leur rapport avec le marché de l’emploi. Les caractéristiques sociodémographiques et le parcours migratoire des participantes variaient considérablement en fonction du degré d’intégration en emploi ou du non-emploi. L’échantillon a conséquemment été subdivisé en trois groupes (ou types5) selon les caractéristiques de l’emploi occupé, du degré d’intégration en emploi, du degré de satisfaction par rapport à cet emploi ainsi que du non-emploi (chômage). Il s’agit des trois groupes suivants : intégration réussie au marché du travail (7 femmes), intégration mitigée au marché du travail (5 femmes) et échec de l’intégration au marché du travail - chômage - (7 femmes). Les critères de constitution de chacun de ces trois profils sont les suivants :

Groupe 1. Intégration réussie au marché du travail

  1. Détenir un emploi;

  2. Emploi dont le revenu est supérieur au salaire minimum;

  3. En relation avec le domaine d’études ou dans un domaine qui suscite de l’intérêt;

  4. En relation directement ou indirectement avec l’expérience acquise;

  5. Même si le niveau de complexité est inférieur à celui de l’emploi occupé dans le pays d’origine;

  6. Offrant une perspective d’évolution personnelle ou professionnelle;

  7. Apportant de la satisfaction.

Groupe 2. Intégration mitigée au marché du travail

  1. Détenir un emploi;

  2. Emploi dont le revenu équivaut au salaire minimum ou légèrement supérieur;

  3. Sans relation ou peu de relation avec le domaine d’études;

  4. Sans relation ou peu de relation avec l’expérience acquise;

  5. À un niveau de complexité inférieur à celui de l’emploi occupé dans le pays d’origine;

  6. Offrant une perspective limitée d’évolution personnelle et professionnelle;

  7. Suscitant de l’insatisfaction.

Groupe 3. Échec de l’intégration au marché du travail

  1. Ne pas avoir d’emploi;

  2. Être à la recherche d’un emploi;

  3. Éprouver de l’insatisfaction au regard de la situation de non-emploi (chômage).

La division a posteriori en trois groupes, selon la participation au marché du travail, constitue un apport de la présente recherche puisque la littérature spécialisée consultée ne va pas aussi loin dans la description de différents types possibles d’intégration au marché du travail. Cette approche nous permettra de soumettre quelques hypothèses, d’approfondir notre analyse en termes de genres de trajectoire ainsi que de comparer de manière plus spécifique les liens entre identité biculturelle et rapport au marché du travail.

Quelques données sociodémographiques des répondantes de chacun des trois groupes retenus

L’ensemble des femmes interviewées dont l’intégration au marché du travail est réussie a un séjour au Québec qui varie de 1 an à 5 ans, à l’exception de l’une d’entre elles qui est au pays depuis 10 ans. Elles sont âgées de 28 à 45 ans. Quant au statut matrimonial, deux des sept femmes sont séparées ou divorcées; l’une est célibataire et les quatre autres sont mariées. Trois des quatre couples ont des enfants : deux couples ont deux enfants et l'autre couple, un enfant. Aucune des femmes ne portait le voile au moment de l’entrevue.

L’ensemble des femmes rencontrées dont l’intégration au marché du travail est qualifiée de mitigée a un séjour au Québec qui varie de 1 an à 4 ans, pour une moyenne de 2 ans et demi. Elles ont de 23 à 45 ans. Une seule des cinq femmes est mariée, trois sont célibataires et une femme est séparée ou divorcée. Le couple n’a qu’un enfant et la femme qui est séparée ou divorcée en a deux à charge. Le nombre moyen d’enfants est inférieur à un. Une seule des cinq femmes portait le voile au moment de l’entrevue.

L’ensemble des femmes en quête d’intégration au marché du travail (en chômage), qui ont participé à la recherche, cumule un séjour au Québec qui varie de 1 an à 8 ans. Sauf pour l’une d’entre elles qui est âgée de 31 ans, elles ont plus de 37 ans et moins de 45 ans. De plus, cinq des sept femmes sont mariées et elles ont chacune deux enfants. La sixième femme, qui est mère d’un enfant, est en instance de divorce et la septième femme est célibataire, sans enfant. Le nombre moyen d’enfants est de 2. Enfin, 5 des 7 femmes en chômage portaient le voile au moment de l’entrevue.

Les résultats de l’analyse des 22 entrevues et questionnaires sont d’abord présentés globalement, selon les deux principales dimensions à l’étude, soit d’une part, l’emploi, le marché du travail et les institutions qui y sont rattachées, et d’autre part, l’identité ethnoculturelle, l’individu et la famille. L’analyse comparative des trois groupes, selon le degré d’intégration au marché du travail (intégration réussie, intégration mitigée, échec de l’intégration), est introduite à l’intérieur de la présentation des résultats globaux des deux principales dimensions à l’étude. De plus, afin de protéger l’anonymat des femmes qui ont participé aux entrevues, des prénoms fictifs ont été utilisés avec tous les extraits verbaux présentés.

Les résultats globaux

Les résultats globaux de l’analyse de contenu portant sur les 22 entrevues avec des femmes immigrées maghrébines sont présentés selon deux grandes dimensions : d’une part, l’emploi, le marché du travail et les institutions; d’autre part, l’identité ethnoculturelle, l’individu et la famille. Les données issues du questionnaire sont intercalées au fur et à mesure dans la présentation des résultats globaux.

L’emploi et le marché du travail

La déclassification sur le marché du travail

En phase avec les constats généraux faits au regard des femmes maghrébines dans la littérature spécialisée (Belhassen-Maalaoui (2009); Chicha (2009, 2012a, 2012b); Teelucksingh et Gabaluzi (2007)), les femmes immigrées maghrébines rencontrées en entrevue vivent une déclassification – un déclassement − sur le marché du travail. Elles occupent des emplois dont les exigences sont inférieures à leur niveau de scolarité ainsi qu’à l’expérience de travail acquise avant l’immigration. Dans la plupart des cas, l’emploi occupé ne correspond ni au domaine d’études ni à l’expérience professionnelle passée. Elles sont actuellement techniciennes, adjointes administratives, interprètes ou employées de services à la clientèle. Elles étaient ingénieures, enseignantes, analystes financières ou biologistes dans leur pays d’origine. De plus, les femmes en chômage, tenues malgré leur bonne volonté en marge du marché du travail, subissent elles aussi une forme de déclassement socioéconomique.

Les propos tenus par Karima et Dalila rendent compte de ce phénomène de déclassification :

« Puis j’ai commencé ce petit boulot de vente de cartes de crédit dans les grandes surfaces. Vous voyez que ça n’a rien à voir avec mon parcours, avec ce que j’ai fait en administration et tout ça ». (Karima)

« Donc actuellement, je suis adjointe administrative dans une société qui fait les ressources humaines. Et, au début, j’ai cherché un emploi identique à l’emploi que j’avais dans mon pays, c’est-à-dire que je…je rêvais un petit peu de quelque chose…un petit peu beaucoup trop ». (Dalila)

Mesurant l’écart qui sépare leur rêve de la réalité, l’ensemble des femmes rencontrées exprime de l’amertume. Elles ont souvent l’impression de reculer dans la vie et de devoir repartir à neuf. C’est le cas de Nassima, Nadia et Aïcha :

« Je vais vous dire qu’il y a beaucoup de personnes qui sont induites en erreur quand elles viennent ici. Elles croient que c’est le paradis. Parce que venir ici, recommencer à zéro, à zéro, à zéro… C’est pas facile […] Il faut vraiment vivre ça pour le comprendre ». (Nassima)

« Tu sais, on est plus pauvres ici que dans notre pays, hein… ». (Nadia)

« Mais, je me mets à la place de cette personne qui est au Maroc ou en Algérie ou en Tunisie, quand elle va arriver ici, il faut qu’elle retrousse ses manches, cherche du travail, cherche un logement qui coûte excessivement cher. Il faut qu’elle oublie son ancienne vie. C’est pas une continuité de la vie qu’elle a vécue, mais c’est une vie qu’elle va recommencer à vivre […] C’est ça qui pourrait être problématique ». (Aïcha)

Il est connu que la non-reconnaissance de l’expérience de travail, des diplômes et des titres acquis dans le pays d’origine, le manque d’expérience dans le marché du travail québécois, le fait de ne pas détenir de diplômes du Québec et de ne pas avoir de références ainsi que les préjugés de nombreux employeurs quant aux compétences des Maghrébins, contribuent à la participation surqualifiée au marché du travail des femmes immigrées maghrébines ou au chômage chronique (Bendriss, 2009, p. 176; Comité consultatif contre la pauvreté et l’exclusion, 2013, p. 36). Les propos d’Aïcha, Nadia, Dalila et Najma illustrent ces explications :

« Je ne doute pas de la qualité des études d’ici sauf que…sauf qu’on ne reconnaît pas mes études, mais je ne vais pas baisser les bras ». (Aïcha)

« Pendant la recherche d’emploi, ils me demandent tout le temps de l’expérience canadienne. Par contre, ils savent très bien que je viens d’arriver. Alors d’où je vais l’avoir? ». (Nadia)

« Parce que même si j’ai une expérience au Maroc de douze, presque treize années dans le domaine, c’est-à-dire quand j’arrive ici, j’ai pas d’expérience québécoise. Aucun employeur ne peut m’accepter. Et, en plus, j’ai pas de références, donc je suis comme un petit bébé qui vient de naître ». [rires] (Dalila)

« Le fait d’être Arabe en général, ça nuit à votre carrière. Ah oui. On peut pas s’intégrer comme ça, là, parce qu’ils croient qu’on est incompétents. On n’est pas compétents. On n’a pas été instruits. On n’a pas fait des études. C’est comme si on était bornés. Pourquoi vous nous avez fait venir ici si vous croyez qu’on n’est pas capables de faire ce que font les autres? Ils nous donnent pas la possibilité de s’intégrer ». (Najma)

Déjà, Najma suggère un lien entre les stéréotypes associés à son origine ethnolinguistique et ses difficultés d’insertion en emploi.

L’éthique du travail

La participation au marché du travail fait néanmoins partie intégrante des récits de vie des femmes immigrées maghrébines rencontrées. Le travail y revêt une grande importance. Il occupe une place centrale et a plusieurs significations.

Le travail est d’abord primordial pour son utilité : gagner de l’argent pour répondre aux nécessités de la vie et assurer son autonomie financière. Les femmes auront recours in extremis aux prestations d’aide sociale. Le point de vue de Nassima, de Malika et de Nisrine jette un éclairage sur cette valeur déterminante du travail :

« J’ai besoin d’argent. J’ai envie de travailler ». (Nassima)

« Nous, on n’a pas envie de rester sur le B.S. C’est une honte, non! […] On n’est pas handicapées, on est diplômées, on peut travailler ». (Malika)

« Nous sommes venus pour améliorer notre situation économique. Nous ne sommes pas venus pour que le gouvernement nous aide. Nous sommes encore jeunes pour travailler, oui. Nous sommes encore jeunes pour travailler, on espère que notre situation va s’améliorer, oui, oui ». (Nisrine)

Outre son utilité sur le plan économique, le travail revêt un ensemble d’autres significations pour les femmes immigrées maghrébines rencontrées. De fait, il est perçu comme le lieu et le moyen par excellence d’intégration à la société québécoise, et il permet de tisser des liens. Les femmes souhaitent aussi que le travail leur permette d’évoluer sur les plans personnel et professionnel. Enfin, par leur participation au marché du travail, les femmes se sentent utiles à la société et, pour plusieurs d’entre elles, non pas confinées dans le rôle de femme au foyer.

La diversité des significations du travail est illustrée par les témoignages qui suivent de Safia, Samira, Aïcha, Chirine et Hind :

« C’est sûr que l’argent j’en ai besoin pour payer mes factures, mais aussi j’ai besoin en fait d’une insertion sociale, d’être en contact avec les gens pour ne pas déprimer à la maison. Même si je fais beaucoup de bénévolat pour sortir ». (Safia)

« Et l’idée pour moi, c’est vraiment d’embarquer sur un emploi. Parce que c’est la meilleure manière aussi de côtoyer les gens, de se faire des réseaux et, aussi, de connaître plus la population, de connaître plus l’environnement ». (Samira)

« Et d’un autre côté, si on parle d’une satisfaction personnelle à part matérielle, c’est une satisfaction à 50 %. Parce que moi, comme personne, j’aime bien le contact avec les gens, j’aime bien me sentir utile, j’aime bien rendre service. C’est un travail que j’aime beaucoup. Mais, j’aimerais aussi, au bout de cet an et demi, j’aimerais atteindre d’autres objectifs. C’est-à-dire faire plus que çà. Donc, ce qui fait que je me sens frustrée. C’est ça le résultat ». (Aïcha)

« Comment… Il faut que je travaille. Parce que moi, chez moi, c’est important. Je faisais que travailler en Algérie. J’étais pas une femme au foyer ». (Chirine)

« J’étais habituée à bouger, à travailler. Le fait de rester à la maison, moi, ça m’angoisse, ça me tue ». (Hind)

Les propos de Naïma résument assez fidèlement quelques-uns des enjeux associés à l’intégration sur le marché du travail comme déclinés par les femmes immigrées maghrébines :

« Bien je sais pas, un emploi stable, permanent, qui va me permettre quand même de gagner, d’avoir un bon salaire. Je sais pas, de me permettre quand même d’avancer, soit sur le plan professionnel ou sur le plan, je sais pas…quelque chose qui va me permettre de progresser, mais bon ». (Naïma)

On remarque que l’importance qu’accordent au travail salarié les femmes immigrées interviewées rejoint tout à fait les orientations du Conseil du statut de la femme, comme en témoigne l’extrait suivant de l’avis Emploi atypique cherche normes équitables : « Le travail rémunéré représente, pour les femmes, la voie privilégiée pour atteindre l’autonomie économique. Pour cette raison, la situation du travail est au centre des préoccupations du Conseil du statut de la femme depuis sa création » (2000, p. 7).

Emploi atypique, précarité et ghettos d’emplois

Malgré le fait que l’éthique du travail des femmes immigrées maghrébines rencontrées s’arrime en tous points aux valeurs relatives au travail promues par la société québécoise, elles se retrouvent très nombreuses dans un marché du travail de plus en plus caractérisé par la sous-traitance, l’externalisation des services, le recours aux agences d’emploi et de location de personnel, la flexibilité, la polyvalence, le temps partiel ou temporaire, la non-syndicalisation et l’absence de protections sociales (Gravel, 2013). Bref, une bonne proportion d’entre elles évoluent dans un marché de l’emploi atypique tel qu’il a été défini précédemment dans la revue de la littérature spécialisée6.

Najma, Samira, Malika, Karima, Nassima et Aïcha décrivent dans leurs mots ce genre de travail :

« Cet emploi, je travaille pour le service à la clientèle. C’est avec [une compagnie de communication connue au Canada]. C’est une sous-traitance. C’est pas directement avec [cette compagnie], c’est X, la compagnie. Donc, je fais depuis trois ans le service à la clientèle avec cette compagnie ». (Najma)

« Donc, c’est à ce moment-là que j’avais eu une entrevue avec eux et qu’ils m’ont référée donc au ministère de l’Immigration. Donc, j’ai travaillé pendant trois ans avec eux en sous-traitance. Donc, c’est des contrats que j’avais avec la compagnie A d’abord pendant trois ans, et là, ma quatrième année à partir de cette année, c’est avec la compagnie Y ». (Samira)

« C’est qu’avec ces employeurs, on fait pas de contrat. Il y a ni contrat, on signe rien du tout. Il nous prend […] C’est intéressant, mais on est à la merci de l’employeur […] Parce que quand il n’est pas là, il me demande de ne pas venir ». (Malika)

« Des fois, il n’y a pas de travail. Ils nous demandent de rester chez nous ». (Karima)

« 9 $ de l’heure, le [salaire] minimum. En plus, c’était vraiment…on était coupés. C’est-à-dire, on n’arrivait jamais à 37 heures semaine par exemple ou…le salaire de 37 heures, je veux dire […] Sur les quatre côtés, c’était trop stressant ». (Nassima)

Bien que cette forme de travail touche plusieurs catégories sociales, les femmes issues de l’immigration y sont particulièrement représentées.

Et malgré le fait que le travail atypique et la précarité caractérisent la réalité de la majorité des femmes rencontrées en entrevues, celles dont l’intégration est mitigée7 subissent plus fortement que les autres cette situation.

En effet, ces dernières sont nombreuses à se retrouver dans des ghettos d’emploi à grande concentration d’immigrants ou dans des secteurs particulièrement circonscrits tels que la vente et les services à la clientèle, téléphoniques ou en ligne. Plusieurs des femmes actuellement en chômage ont déjà occupé ce genre d’emploi. Outre le fait que ces emplois sont précaires, sous-payés et en sous-traitance, ils exigent une charge de travail imposante et sous pression. Les risques pour la santé physique et psychologique sont aussi très présents.

Des extraits des entrevues avec Naïma, Najma et Nassima fournissent un bon aperçu des conditions de travail auxquelles elles ont été confrontées.

Naïma relate des problèmes de santé :

« En fait, et quand je travaillais au service à la clientèle, je prenais des appels et je commençais à avoir très mal aux oreilles. J’avais très mal aux oreilles. J’avais tout le temps la migraine. C’était difficile ». (Naïma)

Najma parle d’un travail exaspérant :

« Et moi? Et moi, comment je vais me libérer de la compagnie Z, là? Je me demande… Franchement, comment je vais me libérer? Je vais rester comme ça? Je vais continuer dans cet emploi-là avec les trois clients. “Bonjour, ma facture, mon Dieu, lalala…”. Toujours la même chose. Il a pas payé sa facture, “pourquoi j’ai des frais?”. “Bien vous n’avez pas payé. Vous avez oublié”. Il me dit “mais j’ai pas l’Alzheimer pour oublier”. Qu’est-ce que tu veux que je dise? Ils sont toujours mécontents. C’est ça, hein ». (Najma)

Et Nassima décrit la pression à laquelle elle était soumise :

« Mais sauf que c’était très stressant aussi, un centre d’appels. Mais il fallait vendre beaucoup. Il fallait vendre beaucoup […] On donnait, mais en l’occurrence, on ne recevait pas grand-chose. C’était au contraire, à chaque fois, le superviseur, il nous prenait à part “pourquoi tu as fait ça? Pourquoi tu as dit ça? Pourquoi ça? Il fallait dire ça”. À chaque fois, moi je sortais en pleurant […] Alors, je disais “mon Dieu. C’est pas possible” ». (Nassima)

Les propos suivants des femmes immigrées maghrébines rencontrées illustrent la division sociale du travail fondée sur l’origine ethnoculturelle observée dans la littérature. Même si plusieurs femmes finissent par sortir de ces ghettos d’emploi, il semble néanmoins exister un certain passage obligé dans ces milieux de travail. L’information livrée par Nassima, Naïma et Najma donne une idée de la concentration d’employés immigrants dans des lieux physiques d’emploi pendant que la concentration dans divers secteurs d’emploi est illustrée par Chirine, Nadia et Wassila :

Concentration d’employés immigrants

« Donc, j’ai travaillé pour à peu près deux mois, deux mois et demi à peu près, même trois mois, dans un centre d’appels. On vendait des assurances […] Il y avait des gens d’Algérie, d’Afrique, de Mauritanie, il y avait de la Tunisie, Marocains […] La plupart que j’ai connue là, la plupart était des universitaires ». (Nassima)

« Donc, là, je suis agente de services à la clientèle [chez une compagnie de communication bien connue]. Je travaille dans le département de E-Chat […] Il y a des Maghrébins, il y a de partout, de l’Amérique latine, d’Afrique… […] Il n’y a pas de Québécois ou Québécoises. Non, c’est rare. Il y en avait une quand j’ai pris la promotion. Il y avait une seule Québécoise. Après, elle est pas restée…elle était jeune ». (Naïma)

« Là où je travaille, je vous assure, il y a aucun Québécois. Ils accepteraient pas de faire le salaire minimum. Oui, c’est des immigrants pour la plupart. Le plancher où je travaille, tous, c’est des immigrants qui viennent d’Afrique, là, du Mali, du Congo, là ». (Najma)

Concentration dans divers secteurs d’emplois

« Garderie, ça ne me tente pas. C’est pas ma vocation. Je ne pourrais pas. Une garderie, non. Parce que c’est ça, mon mari il me dit “les hommes chauffeurs de taxi, les femmes garderie-là”. Je veux pas que ça soit l’étiquette sur les immigrants, surtout du Maghreb. Pourquoi bon Dieu… ». (Chirine)

« Ou bien je vais aller dans le chemin des garderies, éducatrice dans la garderie ou service de garde dans les écoles. […] Oui. Mais malheureusement, j’ai pas réussi le test […] Elle était très compréhensive et m’a comprise, elle m’a supportée et moi, je lui ai demandé pour une formation caissier-caissière dans les institutions financières. […] Et malheureusement, je n’ai pas passé l’examen aussi […] J’ai cherché, j’ai trouvé…ce qui est administratif, j’ai trouvé adjointe administrative, secrétaire scolaire. Alors c’est ce que je veux ». (Nadia)

« Puisque j’ai eu le permis de travail pour l’organisme communautaire, donc je travaille là-bas. Et là-bas, il y a les personnes âgées qui viennent, il y a les handicapés aussi, on les aide. Il y a les services de repas. On les écoute. Et moi, ça m’intéresse beaucoup comme domaine […] Et, j’ai essayé après de chercher un emploi dans les résidences de personnes âgées […] ». (Wassila)

Des conditions de travail particulièrement difficiles et l’absence de mobilité sociale sont vécues par plusieurs des femmes immigrées maghrébines qui ont participé à notre recherche. À cet égard, ce que dit Najma est éloquent :

« Bien oui, parce que moi aussi, qu’est-ce que j’ai gagné? Je suis toujours dans la même compagnie avec toujours les mêmes figures, avec les amis là, des pessimistes. On est toujours dans l’ombre, si je peux dire, là, c’est vrai. On est cachés parce qu’on travaille derrière un ordinateur, voilà. Et on nous traite de “tu es du Maghreb. Tu n’es pas compétent. Tu es patati, patata”. À un moment donné, tu te dis “qu’est-ce que je fais ici vraiment là”. Tu te dis “voilà, je pars”». (Najma)

Chirine, qui subit le chômage depuis cinq ans, témoigne également du désarroi associé à la perception de marginalisation vécue par plusieurs femmes immigrées maghrébines:

« J’essaie de m’adapter. Je n’arrive pas. C’est pas parce que je veux pas. J’ai appelé mon agent. J’ai pleuré au téléphone. Je dis que “ça se peut pas se terminer comme ça. J’ai bientôt 40 ans. Comment…il faut que je travaille […] Il faut pas les laisser tomber et, surtout les immigrants qualifiés, parce qu’ils arrivent à un certain âge”». (Chirine)

Et l’univers d’une Nisrine en chômage a basculé lorsque son mari, incapable de trouver un emploi, a décidé de quitter le pays :

« Et tout à coup, il a été stressé […] il m’a dit “ça y est, je peux pas rester ici sans travail ”. Il m’a laissée et il est parti au Maroc ». (Nisrine)

En outre, à la question du questionnaire, « Il m’arrive de sentir de la discrimination à mon égard », un plus grand nombre de femmes immigrées maghrébines interrogées ont répondu « occasionnellement » et « souvent » plutôt qu’elles n’ont répondu « jamais ». On observe de nouveau un lien entre le statut et les conditions d’emploi et l’évaluation subjective de subir de la discrimination. En fait, selon les données du questionnaire, les femmes en chômage ou qui occupent des emplois précaires ou ghettoïsés se disent victimes de discrimination tandis que les femmes qui occupent des emplois plus satisfaisants croient n’avoir jamais subi ce genre de préjudice.

On remarque donc, à la suite de l’analyse du questionnaire et des entrevues, une relation entre la participation ou non au marché du travail ainsi que les conditions de travail d’une part, et d’autre part, l’identification ethnoculturelle (Maghrébine vivant au Québec, Maghrébine-québécoise ou Québécoise-maghrébine) et le sentiment de subir de la discrimination.

Les trajectoires professionnelles

Pour l’ensemble des femmes rencontrées, l’intégration au marché du travail fait partie de la trajectoire de l’intégration globale à la société d’accueil; le milieu du travail étant clairement perçu comme un lieu d’intégration à la société. Cependant, les trajectoires professionnelles des femmes des trois groupes définis à partir du degré d’intégration au marché de l’emploi présentent de nombreuses différences.

Celles qui ont réussi leur intégration au marché du travail montrent une plus grande continuité dans le déroulement des événements que celles des autres femmes. Effectivement, les trajectoires professionnelles des femmes en chômage ou dont l’intégration est mitigée sont parsemées de plus d’embûches et d’échecs, provoquant une sorte de discontinuité ou de rupture et brisant pour ainsi dire l’élan initial.

Plus globalement, on remarque que les trajectoires de vie des femmes en chômage ou dont l’intégration est mitigée, sont formées d’un plus grand nombre d’événements biographiques (grossesse, maladie, retour temporaire au pays d’origine, divorce ou séparation, etc.) que celles des femmes qui ont réussi leur intégration au marché du travail. Ainsi, des trajectoires liées particulièrement aux relations familiales et interpersonnelles interfèrent passablement dans les trajectoires professionnelles; ce qui est moins le cas pour les femmes qui ont réussi leur intégration au marché du travail.

En somme, les trajectoires de vie, professionnelles et personnelles, des femmes qui ont réussi leur intégration au marché du travail sont plus simples, plus linéaires, moins touffues, en un mot moins complexes, que celles des femmes en chômage ou dont l’intégration professionnelle est mitigée. En conséquence, les premières subissent une charge mentale moins imposante que les autres femmes. Ce qui ne signifie pas pour autant que celles-ci soient exemptes de tous soucis d’ordre professionnel ou personnel.

On observe aussi que l’âge, le domaine d’études, la situation dans le couple, le nombre d’enfants ainsi que le port du voile sont des éléments qui distinguent Safia de Nisrine dont les trajectoires sont décrites dans les paragraphes qui suivent.

Les trajectoires de Safia et de Nisrine

Opposer la trajectoire de vie de Safia à celle de Nisrine permet d’illustrer les différences introduites plus haut entre les trajectoires relativement simples et continues et celles plus chargées et discontinues.

Au moment de l’entrevue, Safia, 28 ans, mariée et sans enfant, était au Québec depuis un an. Détenant une maîtrise en commerce, elle a d’abord occupé un emploi comme vendeuse dans une boutique de linge pour femmes et fait un stage d’insertion professionnelle dans une institution bancaire par l’intermédiaire d’un organisme communautaire dont la mission vise à faciliter l’intégration des personnes immigrées au marché du travail.

Au même moment où elle allait accepter un emploi de conseillère dans une autre institution bancaire, l’un des ministères du gouvernement du Québec lui offre un contrat de trois ans dans son domaine de formation, mais pour un emploi se situant à un niveau inférieur à son expertise professionnelle et à sa scolarité. Safia accepte, persuadée qu’elle saura bien gravir les échelons diligemment. L’emploi lui plaît et les relations de travail sont bonnes.

De son côté, Nesrine, une femme âgée de 40 ans et portant le voile, était établie au Québec depuis deux ans et demi lors de l’entrevue. Munie d’un diplôme d’études postsecondaires en hôtellerie et forte d’une bonne expérience de travail dans son pays d’origine, elle subit une situation de chômage chronique malgré sa volonté de participer au marché du travail. Mère de deux enfants, Nesrine voit sa vie chavirer lorsque son mari décide de retourner au Maghreb parce que complètement démoralisé de ne pas trouver, lui non plus, d’emploi dans son domaine, la restauration.

Ainsi, du jour au lendemain, Nesrine devient chef d’une famille monoparentale et tente de réconforter ses enfants qui acceptent mal le départ de leur papa. Elle prend toutefois la décision de rester au Québec et, afin d’élargir ses possibilités d’obtenir un emploi, elle complète une formation de 45 heures de préposée en garderie. Formation qui n’avait pas, au moment de l’entrevue, porté les fruits escomptés. Cependant, après une absence d’une année, le mari revient au Québec et le couple envisage de s’installer en région pour y trouver du travail.

Tel que nous le verrons plus loin dans le texte, en dépit des nombreux obstacles qu’elles doivent affronter pour participer au marché du travail, les femmes immigrées maghrébines rencontrées en entrevue ont choisi l’intégration comme stratégie d’acculturation telle que définie dans la littérature spécialisée. Elles ont aussi des points de vue intéressants sur les institutions qui sont responsables de leur soutien en emploi et de leur intégration à la société québécoise.

Les institutions chargées de la sélection et de l’intégration des immigrantes

Les femmes immigrées maghrébines rencontrées pensent que le gouvernement devrait fournir, en amont du processus migratoire, de l’information plus réaliste et plus juste sur la société québécoise et le marché du travail. Selon elles, ce manque d’information constitue un obstacle à l’intégration8.

Pour éviter la désillusion quant aux chances d’obtenir un emploi dans leur champ d’expertise, les femmes estiment que le recrutement des immigrants doit être mieux arrimé aux besoins du marché. Elles pensent que le Québec a davantage besoin de main-d’œuvre qualifiée que de professionnels. Aussi, plusieurs d’entre elles estiment avoir été leurrées par une fausse représentation des besoins du marché :

« Moi, j’ai mis huit ans pour faire l’immigration, vous donnez des exigences extraordinaires, pour après nous dire « allez refaire vos études ». Tenez-moi, je leur ai dit “dans mon pays au Maghreb, il y a plein de gens qui sont diplômés, c’est des techniciens, c’est de la main-d’œuvre. Vous voulez de la main-d’œuvre? Prenez ceux-là, ils viendront, il y a pas de problème. Mais, ne faites pas rêver les gens […]”». (Malika)

« Les métiers semi-spécialisés. Ça marche très bien pour un immigrant qui vient à 40 ans […] Moi, j’ai dit à mon frère de faire un diplôme de plomberie, de faire tout de suite peintre, de faire le lourd […] Parce que c’est payant. Ça va être rapide. ». (Chirine)

« On va dire que, lui-même [le mari], il me disait que, ici, on demande plus des… On a plus besoin de techniques que de littéraires. C’est ce qu’il me disait. Et c’est aussi ce que je me rends compte [rires]. C’est vrai. Mais moi, je suis plutôt littéraire ». (Nassima)

Interrogée sur les conseils qu’elle donnerait à une amie qui veut s’installer au Québec et y travailler, Samira a répondu ce qui suit : bien se préparer à l’immigration :

« Bien l’expérience que j’ai…enfin, le conseil que je lui donnerais, c’est beaucoup plus de se préparer déjà en Algérie. De préparer vraiment c’est quoi les opportunités d’emploi qui peuvent s’offrir à elle. Et, pourquoi pas, contacter directement les employeurs. Bon, c’est vrai que les employeurs c’est pas évident carrément de vous dire “en attendant, jusqu’à vous arriviez afin qu’on puisse commencer dans tel, tel boulot”. Mais, c’est une connaissance générale au moins de quel genre de tâches qu’on peut faire ici, donc au Québec ». (Samira)

Ce que toutes ces femmes mettent en relief, c’est l’importance d’obtenir toute l’information essentielle, en amont de l’immigration, pour faire des choix judicieux.

Arrivées au Québec, les femmes immigrées maghrébines interviewées disent utiliser les services des organismes qui ont pour mandat l’intégration des immigrants, notamment dans le marché du travail. Toutefois, bon nombre d’entre elles déplorent avoir manqué d’information sur le fonctionnement des institutions en général ainsi que sur le marché de l’emploi.

Les extraits suivants tirés des échanges avec Nadia et Zakia illustrent cette lacune :

« Oui, l’information a beaucoup manqué. Et c’est ça qui a reculé et qui a retardé notre chemin. Mon mari et moi, les deux. La mauvaise information qu’on avait, le mauvais encadrement. Parce qu’habituellement, c’est Emploi-Québec qui encadre les immigrants quand ils viennent. Quand on va chercher un travail ou une formation, si on n’a pas bien demandé la bonne information, on devrait avoir la bonne information à partir de chez eux. C’est là où on devrait avoir l’information ». (Nadia)

« J’ai dit […] “mais le suivi, vous faites comment? Moi, je viens d’arriver, je ne sais pas comment ça se fait, comment ça se passe. Mais vous…”. C’est-à-dire, j’allais lui dire le rôle, son rôle exactement, il est dans quoi? ». (Zakia)

Pour leur part, Najma et Samira critiquent les services qu’elles ont reçus au regard de la recherche d’emploi :

« Mais, j’ai été aussi à Emploi-Québec pour m’aider. Je leur ai dit : “Voilà. Aidez-moi à trouver un job dans mon domaine, là”. “Études, tu as fait biologie“. “Oui, mais je pourrais aussi faire l’anglais et tout”. “Bien, inscrivez-vous à l’université”. “C’est comme ça. Mais je te demande de m’orienter, non? Pourquoi je viens à toi? Oriente-moi. Qu’est-ce que vous avez comme marché du travail? Dis-moi qu’est-ce qui se passe. C’est quoi qui marche ici?”. Je vais faire une formation dans ce domaine et je m’intègre ». (Najma)

Le témoignage de Samira est semblable à celui de Najma :

« Moi, je trouve ça malheureux parce que quand on va au CLE, qui est le centre local de recherche d’emploi, habituellement…bien, je dis franchement. Habituellement, je devrais trouver quand même les réponses à certaines informations concernant le marché du travail. Mais là, malheureusement, c’est pas le cas. Je dis malheureusement, encore une fois, je ne blâme pas une institution. Peut-être que je suis tombée sur un ou deux agents qui n’étaient pas à la hauteur, ou peut-être que d’autres ils sont bons. Parce qu’il y a des gens qui ont été suivis, des amis qui ont quand même réussi, quand même persévéré avec eux ». (Samira)

Il est intéressant de noter que les femmes en emploi se montrent globalement plus critiques à l’égard de ces institutions que les femmes en situation de chômage. Effectivement, les premières regrettent davantage que l’information obtenue ne soit pas arrimée aux besoins réels du marché; elles déplorent l’absence de coordination entre les intervenants des différentes institutions en appui aux immigrés; elles remarquent aussi que la qualité des services est inégale à l’intérieur d’un même organisme.

Relativement à la sélection des immigrants, plusieurs des femmes qui occupent un emploi suggèrent que cette sélection s’arrime mieux aux besoins du marché de l’emploi alors que d’autres, comme nous le verrons plus loin, s’interrogent vivement sur le choix d’immigrants qu’elles qualifient de « conservateurs » et pour qui l’intégration à la société d’accueil serait synonyme d’assimilation et, en fin de compte, d’abdication de leurs valeurs et de leurs croyances.

Quelques suggestions des participantes

Les femmes rencontrées ont également fourni des idées pour bonifier les services offerts aux nouveaux immigrants en vue de faciliter et d’accélérer leur intégration au marché du travail. Il s’agit, entre autres, des activités suivantes : un véritable counseling en emploi, des stages en entreprise prenant par exemple la forme d’un parrainage ainsi qu’un rôle plus dynamique exercé par les organismes mandatés pour l’intégration en emploi, notamment en tant qu’intermédiaires (courtiers) entre les employeurs et les personnes à la recherche d’un emploi.

Tandis que Malika élabore sur les services que devraient offrir les organismes comme courtiers, Samira explique ce qu’elle entend par un véritable counseling en emploi :

« Mais, j’aurais aimé par exemple être mieux conseillée peut-être. Être mieux conseillée dans le sens où on me dirait “OK. Au lieu de faire tout ce parcours et puis de revenir à un certain…”. Parce que là, j’ai fait tout un parcours pour finalement carrément me rendre compte que... carrément me dire que finalement, j’aimerais faire ou travailler dans tout ce qui est système d’information et réalisation des systèmes d’information. Peut-être que si j’étais mieux conseillée… ». (Samira)

Un peu plus loin en cours d’entrevue, Samira revient sur l’importance de fournir des avis mieux ciblés :

« Pour ce qui est du CLE, je dirais qu’il y a eu quand même peut-être un manque d’information […] Il n’y a pas eu vraiment une connaissance approfondie ou carrément une discussion très approfondie de telle manière à se dire “bien, c’est quoi tes besoins. C’est quoi ceci, c’est quoi cela”. Et, on pourrait t’aider ». (Samira)

Malika quant à elle souhaite que des organismes tels qu’Emploi-Québec prennent davantage l’initiative de l’action auprès des employeurs afin de mettre en valeur les candidats à l’emploi :

« L’immigrant quand il vient, il croit qu’il va être assisté […] comment dire…être accompagné, pas être lâché comme ça. OK, il dit “non, nous on est là pour vous donner les outils et, le reste vous vous débrouillez” […] J’ai dit “s’il vous plaît, qu’est-ce que vous faites, vous, Emploi-Québec?”. C’est qu’en France, on a des agents […] moi j’ai mon frère enfin qui est là-bas. Il y a un suivi. Qu’est-ce qu’ils font les agents? Ils essaient de décrocher des emplois ». (Malika)

Poursuivant sur cet élan, Malika promeut l’idée d’un parrainage employeur-employé chapeauté par Emploi-Québec :

« Je suis d’accord, mais moi, je veux que ce soit comme un genre de parrainage. Ils devraient faire ce genre de…parrainer ces immigrants avec les employeurs et dire “voilà, j’ai cinq ingénieurs, vous les prenez en stage non rémunéré […] Essayez-les et dites-moi ce que vous en pensez”». (Malika)

Selon Malika, tout le monde y trouverait son compte :

« Et puis, il y a des gens qui viennent avec des compétences gratuites pendant un mois. Il est tout à fait gagnant, et peut-être que par le suite, il peut les embaucher ou peut-être les référer à quelqu’un d’autre ». (Malika)

Somme toute, on remarque que les femmes immigrées maghrébines rencontrées en entrevue émettent des critiques et des suggestions, qui méritent d’être examinées attentivement, en rapport avec les institutions et les organismes mandatés pour faire la sélection et l’intégration des immigrants, d’autant que ces suggestions pourraient devenir des occasions de développement d’une identité biculturelle pour les nouvelles arrivantes qui se trouveraient ainsi davantage en contact avec les codes culturels nécessaires à leur intégration.

Nous constatons ainsi avec les femmes interviewées que l’un des plus grands défis du gouvernement du Québec par rapport à l’immigration réside dans l’intégration globale des personnes immigrantes à la société, notamment au marché du travail. En effet, il ne s’agit pas uniquement d’accueillir correctement les immigrantes et les immigrants, encore faut-il leur fournir l’appui ainsi que les outils indispensables à leur pleine participation citoyenne et adaptés à leurs besoins, notamment en matières identitaire et culturelle.

Pourtant, malgré une kyrielle de programmes et de services offerts par les organismes gouvernementaux et leurs partenaires du milieu communautaire, de nombreuses femmes immigrées maghrébines hautement scolarisées subissent le sous-emploi ou le chômage comme le montrent les statistiques et les données présentées dans la première partie de cette étude.

Les aspirations des femmes rencontrées sont tout autres. Elles souhaitent occuper un emploi dans leur domaine d’études, à la hauteur de leurs qualifications et de l’expérience acquise. Elles veulent en finir avec la déqualification professionnelle.

Les femmes maghrébines rencontrées, qui ont recours aux différents organismes mandatés pour favoriser la participation des femmes immigrées au marché du travail, souhaiteraient mieux saisir le rôle que joue chacun d’eux; voir se développer une coordination accrue entre ces organismes; obtenir de l’information à la fine pointe de l’actualité sur les besoins d’emploi; bénéficier d’un encadrement plus serré pour trouver un emploi ou pouvoir combler, par de la formation, l’écart entre les exigences des employeurs et leurs acquis scolaires ou professionnels.

De plus, dans le cadre des différents programmes de subventions salariales offerts par Emploi-Québec aux employeurs, plusieurs des femmes maghrébines rencontrées verraient d’un bon œil que cet organisme prenne davantage d’initiatives pour mettre les chercheuses d’emploi directement en contact avec les employeurs en recrutement de main-d’œuvre et accroître ainsi leur chance d’obtenir un emploi qui leur convienne.

L’identité ethnoculturelle, l’individu et la famille

Le choix de l’intégration

Choisir l’intégration comme modalité d’adaptation à la société d’accueil semble aller de soi pour les femmes immigrées maghrébines rencontrées et ne pas faire l’objet de longues délibérations. Elles ont émigré volontairement au Québec pour des raisons économiques, professionnelles, politiques ou sociales, mais toujours dans l’espoir d’améliorer leurs conditions de vie et, le cas échéant, d’assurer à leurs enfants un avenir prometteur. Elles manifestent sans ambiguïté leur volonté de participer à la vie de la société qui les a accueillies comme en rendent compte Nadia, Safia et Chirine :

« On a décidé de venir ici, il faut s’intégrer ici. Il faut aller en avant, il ne faut pas reculer en arrière ». (Nadia)

« Je pense que moi, mon point fort, c’est quand j’arrive dans un pays, je me dis « écoute, moi, je suis citoyenne de ce pays. Je suis comme vous ». (Safia)

« Je faisais beaucoup plus de bénévolat pour ne pas rester une…comment dirais-je…exclue là ». (Chirine)

Vouloir s’intégrer est une chose. S’intégrer en est toutefois une autre. Au-delà des contraintes objectives liées aux discriminations vécues par les femmes issues de l’immigration, l’intégration exige de la part des individus de l’ouverture, de l’initiative et des efforts aussi bien qu’une certaine coupure avec la vie passée dans le pays d’origine. Tout comme le rappellent Benet-Martinez et Haritatos (2005, p. 1022-1023), des facteurs relevant de la personnalité, notamment la tolérance et l’intérêt à l’égard des valeurs et styles divers de vie ainsi que la stabilité émotionnelle (résilience et flexibilité), facilitent l’intégration. Cela dit, ces auteures ne minimisent pas pour autant l’influence du contexte social. Sous cet angle, selon quelques-unes des femmes interviewées, le travail, les études, le bénévolat et le voisinage constituent des moyens par excellence de participation à la vie de la société d’accueil.

« Non, moi, ma religion est l’islam. Je lis le Coran. On est pratiquants, mais on est ouverts vers les autres. On a des amis intimes, une famille amie intime québécoise, une famille intime française, une famille intime marocaine […] C’est comme ça, il faut être ouvert. Et, on est invités à pas mal de reprises à des soupers. Il y a des personnes qui boivent du vin; nous, c’est interdit dans notre religion, on les respecte. On les respecte […] On a nos valeurs. Ils ont leurs valeurs. On respecte les valeurs québécoises et les gens témoignent comme ça du respect ». (Aïcha)

« […] des fois, je parle comme les Québécois et c’est comme je pense comme les Québécois à tel point je…j’ai plein d’amis québécois plus que, excusez-moi, plus que de Tunisiens ». (Rahma)

« Il faut prendre l’initiative, aller vers l’autre et découvrir […] l’être humain est parfois réticent à tout ce qui est différent […] C’est l’ouverture sur le monde de l’emploi ou bien l’ouverture sur les études qui donne l’opportunité à la personne de nouer des contacts divers […] ». (Dalila)

« […] je pense et je suis sûre et certaine que le fait d’intégrer le marché du travail en étant une nouvelle arrivante, ça permet d’être en contact avec des Québécois et de se confronter aussi aux réalités professionnelles, personnelles et socioculturelles, etc. etc. ». (Safia)

Bien que toutes les femmes immigrées maghrébines rencontrées disent préférer participer à des activités culturelles et sociales en compagnie de Maghrébin(e)s et de Québécois(es), dans les faits cependant, selon l’information obtenue au moyen du questionnaire, une grande partie d’entre elles (10) affirment que leurs ami(e)s sont majoritairement originaires du Maghreb; d’autres femmes (7) ont des ami(e)s originaires autant du Québec que du Maghreb. Trois femmes disent toutefois que leurs ami(e)s sont des Québécois et des Québécoises né(e)s au Québec; enfin, une autre a ajouté que ses ami(e)s sont surtout des personnes immigrées.

On remarque que ce sont les femmes qui ont réussi leur intégration en emploi9 qui disent avoir autant d’amis québécois que maghrébins. Aussi, est-il légitime de s’interroger sur les milieux de travail comme espace privilégié pour nouer des amitiés avec des personnes non issues de l’immigration. D’ailleurs, les propos rapportés précédemment vont dans le même sens : le milieu du travail comme endroit par excellence d’intégration à la société d’accueil.

La majorité des femmes immigrées maghrébines qui ont répondu au questionnaire ne se sentent ni en retrait de la société québécoise ni à l’écart de la société maghrébine. Une grande proportion de ces femmes immigrées maghrébines se perçoit toutefois comme des Maghrébines vivant au Québec plutôt que des Québécoises, des Québécoises-maghrébines ou Maghrébines-québécoises.

Il est intéressant de noter que les femmes dont l’intégration socioéconomique est réussie se disent Québécoises-maghrébines ou Maghrébines-québécoises. A contrario, les femmes en chômage ou dont l’intégration est mitigée se voient plutôt comme des Maghrébines vivant au Québec. À titre d’exemple, le commentaire de Chirine qui remplit le questionnaire : « Quand j’aurai un emploi, je me sentirai québécoise »; d’ici là, elle se sent « maghrébine vivant au Québec ». Cette affirmation soutient donc l’hypothèse qu’il existe un lien entre le fait de participer ou non au marché du travail, le sentiment d’appartenance à la société d’accueil ou la prise de distance par rapport à celle-ci.

Cependant, le processus d’intégration à une nouvelle société s’accompagne fréquemment d’une sérieuse remise en question identitaire qui déstabilise la personne sur le plan psychologique et social. Le doute s’installe, aussi bien que l’ambivalence au regard même de l’intégration. Le fait de vivre le chômage semble accentuer la mise en cause de l’intégration comme stratégie d’acculturation. Les dires de Karima, qui subit actuellement le chômage, illustrent cette proposition :

« […] je vivais toujours cette phase de résistance. Le fait de vouloir s’intégrer et, en même temps, on n’est pas sûr […] Quand je vous ai dit, là, tout à l’heure, c’est cette phase de détachement et de résistance qu’on éprouve. Et ça durera, je pense, trois ans, cinq ans avant de céder, avant de dire que je vais vivre au Canada. Je sais que je passerai par cette étape et que d’ici un an, deux ans, je prendrai la décision de rester. Parce que je n’ai plus le choix de reculer. Je n’aurai plus la possibilité de faire marche arrière. J’ai tout laissé derrière et je suis venue. C’est une phase de résistance ». (Karima)

Karima poursuit son témoignage en relatant ce qu’elle a observé auprès de consœurs immigrantes maghrébines très scolarisées, en proie elles aussi aux mêmes difficultés d’adaptation :

« Oui, parce que moi, j’ai vu des femmes qui étaient là quand je suis venue là, il y a un petit groupe de femmes marocaines qui sont des pharmaciennes, c’est des gens qui avaient des business là-bas, et, jusqu’à aujourd’hui, elles peuvent pas s’intégrer. Pourquoi? […] …elles arrivent pas à faire le détachement psychique. Il faut travailler fort pour pouvoir dire que c’est ici que je vais commencer ma vie. Si on n’arrive pas à faire ce détachement, même si tu dis, si tu leur dis “voici le travail, il est là, vas-y. Ça se passe là. Vous voyez?”». (Karima)

Plusieurs femmes rencontrées expriment de l’abattement, de la lassitude, du découragement, du stress, de l’impatience, de la colère ou une certaine aigreur à la suite des nombreux obstacles rencontrés ou des échecs subis à répétition. On observe toutefois cette détresse psychologique davantage chez les femmes en chômage et dont l’intégration est mitigée que chez les femmes qui ont réussi leur intégration au marché du travail.

Globalement, les femmes immigrées maghrébines interrogées, selon leurs réponses au questionnaire, estiment qu’elles partagent les valeurs de la société québécoise et qu’elles n’éprouvent que rarement de la difficulté à concilier la culture québécoise et celle de leur pays d’origine. Par ailleurs, elles sont plus ou moins en accord avec l’idée voulant que la culture québécoise soit incompatible avec la culture de leur pays d’origine. Pour elles, l’intégration n’est pas un processus linéaire et calme; que malgré la volonté consciente de s’intégrer, il y a parfois de la résistance qui s’installe, particulièrement chez les femmes en chômage. C’est d’ailleurs ce que Karima a exprimé plus haut avec éloquence.

Dans le même ordre d’idées, Aïcha donnerait volontiers quelques conseils à une amie qui songerait à immigrer au Québec. Tourner la page, adopter les valeurs de la société d’accueil et démontrer de la souplesse :

« […] je vais dire qu’il faut qu’elle oublie sa vie là-bas si elle veut être intégrée […] je vais lui parler des valeurs d’ici. Première valeur, parler français. Est-ce que tu es prête à parler que français? […] Donc, je vais lui parler des valeurs québécoises et que, elle aussi, elle doit faire des concessions et que peut-être les premières années, elles seront pas comme elle espérait à moins d’un coup de chance ». (Aïcha)

En contexte d’immigration, la connaissance de la langue de la société d’accueil est l’un des plus importants indicateurs de l’identité ethnoculturelle. Toutes les femmes immigrées maghrébines rencontrées en entrevue parlent français puisque l’un des critères de l’échantillon recherché était la « connaissance du français ». Selon les données obtenues par le questionnaire, si l’ensemble des femmes en emploi parle surtout français, autant français qu’arabe ou autant français que berbère, dans la vie de tous les jours, les femmes en chômage parlent toutefois surtout arabe ou berbère. On peut donc se demander s’il existe un lien entre le fait d’être chômage et l’usage quotidien de la langue officielle du Québec.

Pour conclure cette section, nous constatons que les femmes immigrées maghrébines rencontrées veulent demeurer au Québec. Et ce, malgré le fait qu’elles expriment généralement de l’insatisfaction, notamment au regard de la participation au marché du travail et plus largement, d’un certain déclassement social et économique.

Au final, les propos des femmes rencontrées vont dans le sens des constats faits par les spécialistes lorsqu’ils affirment que parler français, sentir une proximité et une certaine harmonie avec les valeurs de la société d’accueil, avoir le sentiment de faire partie de cette société tout en maintenant une appartenance à la société d’origine, valoriser les contacts avec les Québécois et Québécoises d’origine ainsi que vouloir demeurer en permanence au Québec, constituent un ensemble d’indicateurs de la biculturalité (Benet-Martinez, 2012, p. 623-647; Berry et collab., 2011, p. 137; Huynh, Nguyen et Benet-Martinez, 2011, p. 830). Réitérons cependant que le fait d’avoir choisi l’intégration à la société québécoise et développé une identité biculturelle ne garantit pas pour autant l’intégration au marché du travail.

Le choix de la séparation pour d’autres personnes immigrées maghrébines

Plusieurs femmes immigrées maghrébines rencontrées critiquent vivement les personnes immigrées nées au Maghreb qui, de leurs points de vue, refusent de s’intégrer à la société d’accueil et optent plutôt pour le repliement communautaire et l’imposition de leur vision du monde. Il faut noter que les femmes qui ont réussi leur intégration au marché du travail se démarquent des autres femmes par un regard plus critique quant à l’attitude des Maghrébines et Maghrébins jugés conservateurs qui boudent, selon elles, l’intégration à la société d’accueil. Ces femmes, plus que les autres, font de l’intégration globale à la société d’accueil une démarche planifiée. De plus, elles donnent l’impression d’avoir plus souvent recours au recadrage et à diverses stratégies reliées à la recherche d’emploi.

Safia et Aïcha l’ont observé chez des nouveaux immigrants maghrébins et elles déplorent ce choix :

« Il y en a en fait, qui vont dire… qui vont penser que l’intégration, c’est l’assimilation. Donc, ils vont pas faire un effort pour aller s’intégrer. Pour aller, en fait, aller vers les Québécois […] Alors que le principe de l’islam c’est que tu dois être en contact avec les gens ». (Safia)

Safia poursuit :

« Donc, on n’est pas là pour juger les gens, et c’est le principe de l’islam. On n’est pas là pour juger, mais on est là en fait pour vivre ensemble […] Donc, il y en a qui comprennent pas ça. Il y en a, aussi, qui ne comprennent pas que…ils disent “oui, on vient dans un pays qui est libre, donc on va aller en fait appliquer ce qu’on pense de l’islam bien comme il faut”. Oui, il y a la liberté, mais il y a le respect ». (Safia)

Aïcha fustige également les immigrants du Maghreb qui, de son point de vue, se mettent volontairement à l’écart de la société d’accueil :

« C’est des familles qui arrivent ici, que les femmes ne veulent pas s’intégrer, qu’elles vivent en communauté entre eux, que quand elles viennent ici elles choisissent pour leurs enfants que l’école islamique […] Samedi et dimanche ils [les maris] jouent au soccer avec les hommes de leur communauté qui ne cherchent pas… […] Ah oui. C’est comme si vous aviez une famille du Maroc, que vous l’aviez ramenée ici… ». (Aïcha)

Certaines participantes remettent en question le processus de sélection qui accorde le statut de résident permanent à des personnes immigrées qu’elles qualifient de réfractaires à l’intégration :

« Je me suis dit “hé…mais comment que ça se fait que cette famille elle a pu atterrir ici? Comment elle a dépassé le stade de sélection?” […] Nous, depuis deux ans, on a remarqué qu’il y a pas mal de familles qui arrivent et pas obligatoirement les familles qu’il faut ». (Aïcha)

Il se dégage des entretiens avec les femmes immigrées maghrébines la croyance qu’elles auraient opté pour l’intégration à la société québécoise comme stratégie d’acculturation tandis que d’autres Maghrébines et Maghrébins de leurs connaissances auraient choisi la séparation en se réfugiant dans des réseaux communautaires proches de leur société d’origine.

Il est important de mettre en relief que les participantes à notre recherche sur l’intégration au marché du travail ont démontré de l’ouverture et une grande volonté de participer au marché du travail. Il est plausible que notre sujet de recherche n’ait pas suscité le même intérêt chez les femmes qui ont plutôt fait le choix de travailler à la maison ou de s’occuper des enfants. En conséquence, de par la composition de notre échantillon, nous sommes privés du point de vue de ces dernières.

Nous réitérons toutefois l’observation voulant que même les femmes qui veulent s’intégrer à la société d’accueil ne réussissent pas toujours pour autant à s’intégrer au marché du travail. En effet, une bonne proportion des femmes immigrées maghrébines rencontrées se trouvent, bien involontairement, en chômage. Cette constatation nous incite à relativiser l’importance des attitudes individuelles favorables à l’intégration dans l’ensemble des facteurs qui favorisent la participation au marché du travail.

Enfin, au-delà des perceptions négatives qu’ont plusieurs des participantes, relativement aux personnes immigrées nées au Maghreb qui refuseraient de s’intégrer à la société québécoise, un consensus se dégage sur le caractère central du port du voile dans l’intégration des femmes musulmanes en emploi. Sachant qu’aucune question ni dans le questionnaire ni dans l’entrevue n’a porté sur le voile, il apparaît que cet élément mérite qu’on s’y attarde de manière un peu plus approfondie.

Le port du voile (hidjab) et la participation au marché du travail

Selon l’information recueillie au moyen du questionnaire, la pratique religieuse est importante ou très importante pour l’ensemble des femmes immigrées maghrébines rencontrées. Celles qui portent le voile estiment cette pratique très importante. L’islam est leur religion.

Ce qui est frappant toutefois, c’est que l’ensemble des femmes immigrées maghrébines rencontrées (celles portant le voile et celles ne le portant pas) estiment que le port du voile constitue un obstacle à la participation au marché du travail. D’ailleurs, il est intéressant de noter que cinq des six femmes voilées rencontrées étaient en chômage au moment de l’entrevue. Dalila, Karima, Nisrine et Saliha partagent leur point de vue sur cette question :

« Ou bien, par exemple, la femme, elle a choisi une tenue vestimentaire très pudique. Elle porte, par exemple, une tenue vestimentaire très longue. Elle porte le foulard. Mais, quand elle veut travailler, ça devient un handicap pour elle de porter le foulard ». (Dalila)

« […] c’est elle [une conseillère aux études] qui parle là, elle me dit “je vous dis honnêtement, avec votre voile, ça serait difficile presque impossible de trouver un travail dans les ressources humaines”». (Karima)

Karima poursuit:

« […] si vous faites une étude sur les femmes voilées marocaines, vous allez trouver que la plupart ne trouvent pas de travail et qu’elles font des études. Qu’elles cherchent, elles cherchent, mais quand elles trouvent pas, elle font des études. Voilà. Elles disent “au moins je ne reste pas à la maison. Je refais dès le zéro. Même avant le zéro”». (Karima)

« Toutes mes copines [voilées] qui ont le même diplôme ont trouvé des difficultés à trouver du travail ». (Nesrine)

« Par exemple, il y avait des femmes qui mettent le voile, ça fait qu’elles trouvent plus de difficulté pour que les gens les acceptent, acceptent leur apparence […] J’avais une amie qui a passé, je pense trois ou quatre ans, elle cherche même un petit boulot, elle arrive pas à trouver. Pourtant, elle a une maîtrise en gestion. Mais les gens, surtout quand il y a un contact avec la clientèle, ils préfèrent ne pas mettre des gens comme ça, vous savez ». (Saliha)

Des femmes voilées se disent victimes de discrimination sur le marché du travail. Najma et Nisrine témoignent de leur expérience:

« Elle [directrice d’une garderie] me dit “je t’engage sur le champ”. C’est qu’est-ce qu’elle me disait au téléphone. Quand j’arrive là-bas, elle était bouche bée. Elle m’a vue voilée. C’est ça je vous le dis, hein. Elle était étonnée […] C’est moi qui a mené la conversation au lieu d’elle parce qu’elle s’attendait pas à me trouver voilée comme ça ou je sais pas. Ça m’a fait mal parce qu’elle m’a pas donné la chance […] Elle m’a choquée. J’ai plus postulé dans ce domaine [garderie]. C’est fini ». (Najma)

« Au téléphone, il m’a dit “ça y est, j’accepte, tu peux commencer telle date” et il m’a dit de venir à la date exacte. Quand je pars pour le voir, peut-être quand il me voit avec le voile, il m’accepte pas. Il m’a dit “si tu peux travailler la nuit…le soir”. Moi, j’accepte pas avec mes enfants. Ah oui ». (Nisrine)

Selon les femmes rencontrées, il existerait des préjugés tenaces dans la société québécoise à l’égard des musulmans qui affichent leurs croyances religieuses ainsi qu’une certaine hypocrisie quant à l’égalité des chances pour toutes les femmes de trouver un emploi.

« Là, j’ai commencé un petit peu à réaliser que c’était ça le Canada. Même si on le cache, on cache cette vérité, mais c’était ça. On accepte les gens facilement s’ils ne sont pas voilés […] On trouve quelques exceptions. C’est pour la façade. Moi, je vous parle en toute honnêteté […] Vous allez me dire “mais vous avez une femme voilée qui travaille à Emploi-Québec”. Je vous dis “oui”. Mais, une sur 1 000, c’est un pourcentage qui reste quand même mineur là, minime par rapport aux femmes qui cherchent du travail […] ». (Karima)

Quelques-unes blâment les médias qui présentent, selon elles, une image déformée des musulmans associés sans discernement à des activités terroristes.

« Là, voilà, je me présente avec un foulard, déjà il y a un préjugé. On est d’accord? […] La plupart des gens, une fois qu’ils te voient avec un foulard sur la tête ou bien avec une barbe, là ils te jugent tout de suite. C’est comme un voile ou bien une barbe, c’est égal au terrorisme. Ça n’a rien à voir. Vraiment ça n’a rien à voir du tout ». (Hakima)

Hakima insiste :

« Ils te voient avec le voile, puis c’est comme ça y est. Tu es une terroriste pour eux […] Parce que, malheureusement, les médias juste après le 11 septembre, je sais pas pourquoi à la télé […] c’est comme une étiquette qu’ils te collent. L’acte de terrorisme. Ben Laden, le blabla. Mais, ça n’a rien à voir avec l’islam. Nous, on est contre ça […] À la télé…ils parlent justement juste avec des gens qui sont, à mon avis, ignorants. Ignorants […] Ça, c’est inadmissible ». (Hakima)

Plusieurs femmes immigrées maghrébines rencontrées en entrevue pensent qu’il est beaucoup plus facile pour une femme voilée d’obtenir un emploi dans la fonction publique que dans le secteur privé, surtout si l’emploi convoité dans le privé exige que la personne soit en relation avec la clientèle. Safia et Nadia véhiculent particulièrement bien cette idée :

« Parce que, elle sait, en fait, qu’elle est voilée et qu’il y a que la fonction publique qui accepte les femmes voilées et elle a pas fait ses équivalences ». (Safia)

Safia poursuit :

« Moi, je connais, par exemple, je connais deux femmes maghrébines, elles sont voilées, elles ne travaillent pas. Dans le public, elles peuvent pas travailler. Il y a que la fonction publique qui accepte les… ». (Safia)

Et Nadia ajoute :

« […] j’ai eu la parole de ma communauté des femmes voilées qui travaillent au gouvernement. Elles m’ont dit “Nadia, n’écoute pas. Tu n’as pas besoin de jeter tes valeurs pour que tu trouves du travail. Tu vas trouver”». (Nadia)

Quelques-unes des participantes à notre recherche ont attiré l’attention sur la souffrance et le désarroi que vivent les femmes voilées à la suite des rejets vécus au cours de la recherche d’un emploi. Elles observent que la détresse peut prendre la forme d’un retrait de la vie sociale, d’une dépression, voire d’une remise en cause du choix de l’émigration. Najma et Naïma relatent leur expérience, l’une aux premières loges et l’autre comme observatrice :

« Moi, j’ai dit à mon mari “qu’est-ce que je vais faire là avec le voile, tu vois? Je suis venue ici. On me dit qu’il y a du travail, tu vas travailler”. Il y a rien. J’aurais dû rester dans mon pays. J’étais bien. J’étais tranquille ». (Najma)

« Et après, dans le collège, ils ont dit. Indirectement, ils lui ont dit “tant que vous porterez le voile, ils ne vont pas vous accepter” […] Elle a tout fait pour trouver un travail, le stage au moins pour qu’elle valide sa formation […] Sans le stage, vous ne pouvez pas avoir le diplôme. Finalement, elle n’a pas trouvé. Du coup, elle a déprimé, elle a vraiment déprimé. Elle avait une dépression et tout ça. Elle était malade ». (Naïma)

Ces témoignages mettent l’accent sur le désarroi intérieur des femmes que provoque le sentiment d’être mises à l’écart de la société et du marché du travail.

De plus, selon des données du questionnaire, cinq des six femmes voilées rencontrées en entrevue ont déclaré être totalement en accord avec l’énoncé « Je me sens une Maghrébine (Tunisienne, Algérienne, Marocaine) vivant au Québec ». Commentant son choix de réponse, Chirine a dit : « Le regard de l’autre me rappelle que ne suis pas Québécoise ». En revanche, la sixième femme s’est dite plutôt en accord avec les deux énoncés suivants : « Je me sens une Maghrébine (Tunisienne, Algérienne, Marocaine) vivant au Québec » ainsi que « Je me sens maghrébine-québécoise ou québécoise-maghrébine ». Cette femme exprime donc une plus grande proximité que les autres femmes avec l’identité québécoise.

Dans l’ensemble toutefois, les femmes rencontrées qui portent le voile ont tenu à marquer une certaine distance entre l’identité maghrébine et québécoise. Aucune d’entre elles ne se sentait vraiment Québécoise.

Partant de l’hypothèse voulant que l’intégration au milieu du travail favorise l’intégration globale à la société, la question suivante mérite notre attention : le port du voile, qui fait obstacle à la participation au marché du travail, fait-il également obstacle à l’intégration plus large à la société d’accueil? Ou encore faut-il questionner cette prémisse et considérer que les nombreux obstacles à l’intégration conduisent à un repli identitaire qui s’exprime notamment par le port du voile.

La question de la motivation pour porter ou non le voile est complexe. Cette motivation ne saurait être réduite à un seul facteur. Il ressort cependant des propos des femmes interviewées que le contexte historique et social, les expériences personnelles antérieures à l’immigration au Québec, les valeurs traditionnelles ainsi que le choix d’une stratégie d’acculturation davantage axée sur le repli communautaire que sur l’intégration à la société d’accueil pourraient rendre compte, en partie du moins, des motifs derrière le port ou non du voile. Il est toutefois impossible d’approfondir cette question dans cette étude dont l’objet principal est le regard porté par les femmes immigrées maghrébines sur le marché de l’emploi et l’identité ethnoculturelle dans l’ensemble de ses dimensions. Une vaste littérature scientifique existe toutefois sur le voile musulman. Compte tenu de l’importance accordée par les participantes à la question du voile et des motifs qui expliquent pourquoi certaines femmes ont choisi de le porter et d’autres non, nous avons rassemblé leurs propos sur cette question dans l’annexe 4.

La famille et les normes de genre

Le rôle des femmes au sein de la famille

La socialisation fortement différenciée des femmes et des hommes maghrébins confère aux femmes un rôle dans la sphère domestique qualifié d’« important » par les participantes; qu’il s’agisse de la reproduction, de l’éducation des enfants, des tâches ménagères, de l’organisation des réseaux sociaux ou des activités familiales. De telle sorte que cette charge représente pour plusieurs des femmes un obstacle à la participation au marché du travail et à l’épanouissement professionnel.

« Mais je reviens donc à l’éducation. C’est qu’on a reçu une éducation qui est vraiment de pousser plus la femme que l’homme. Parce que pour l’homme, c’est acquis. Tout est acquis. Le fait qu’il soit masculin. Pour la femme, c’est tout un travail sur elle […] Il fallait se débrouiller dans le ménage. Il fallait se débrouiller dans les études, il fallait aussi se débrouiller dans le monde. Vous voyez? Donc, il fallait se débrouiller dans pas mal de domaines ». (Samira)

À sa manière, Dalila abonde dans le même sens que Samira :

« Voilà. Voilà. C’est…je dirais, c’est la valeur de la famille qui prime dans les sociétés maghrébines. C’est pourquoi, la femme, parfois, fait ce sacrifice de ne pas avoir une vie professionnelle pour se consacrer sur sa vie familiale. Comme j’ai expliqué, la femme a une grande responsabilité chez nous, dans notre société. C’est-à-dire, elle doit être impeccable à la maison, d’une propreté impeccable. Être une bonne cuisinière et si le petit a un problème, c’est pas Monsieur qui a failli à ses engagements. C’est Madame qui n’a pas donné une bonne éducation à son fils ou bien à sa fille. Parce que c’est elle qui est responsable ». (Dalila)

Relativement aux conséquences sur le plan professionnel, Dalila tire cette conclusion :

« Donc, c’est ce sens des responsabilités qui pousse la femme, parfois, à sacrifier le travail pour se concentrer sur les petits ». (Dalila)

Sans s’apitoyer sur leur sort, Nassima, Nihad et Najma parlent des exigences associées à leur rôle de mère telles qu’elles les perçoivent :

« Ensuite, j’ai terminé ma grossesse et j’ai accouché. J’ai accouché d’un enfant malade, avec une tumeur […] C’était pas possible de penser…d’ailleurs là, j’ai mis vraiment une croix sur le travail, sur les études, formation, une carrière quoi. Je pensais juste à mon fils puisqu’il s’en est sorti de ces chirurgies vivant. Donc, je devais m’en occuper. J’avais presque le choix de le mettre dans un centre pour enfants malades, etc. Mais ça, c’était…hors de question. Non. C’était à moi de m’occuper de mon fils. Je l’ai mis au monde, c’était à moi de m’en occuper. Alors, voilà ». (Nassima)

De son côté, Nihad qui avait songé à retourner dans son pays d’origine y a renoncé pour assurer une bonne éducation à ses filles :

« Parce que moi, si c’était à refaire, je viendrais pas [au Québec] […] Je le fais pour mes filles. C’est pour ça que je fais n’importe quel travail et tout, mais je le fais vraiment pour mes filles. Parce que je vois que l’éducation des enfants ici est meilleure que celle qu’on a eue en Algérie, c’est-à-dire le parcours scolaire et tout […] je convoite leur faire une meilleure éducation, mais je laisse ma vie de côté, là, maintenant ». (Nihad)

Najma, elle, a dû mettre la poursuite de ses études en veilleuse après la naissance de son enfant :

« Après moi, à un moment donné, je suis tombée enceinte. C’était pas prévu, la petite, là, parce que j’allais faire des études. Elle est venue au monde la petite, là, elle est adorable. Donc, c’est un sacrifice que je fais pour ma fille. Je peux pas faire des études le soir. Qui va me la surveiller? Le papa aussi travaille ». (Najma)

Ce qu’expriment ces femmes n’est pas exceptionnel. Une abondante littérature scientifique confirme que les charges domestiques et parentales ont des effets négatifs beaucoup plus importants sur la trajectoire professionnelle des femmes que sur celle des hommes.

La remise en question des normes de genre au sein des couples

Les exigences de l’immigration et la remise en question des normes de genre menacent parfois l’équilibre des couples migrants et peuvent en provoquer la rupture. Ce sont souvent des difficultés d’ordre économique liées à la précarité des emplois ou au chômage prolongé qui ouvrent une première brèche dans les relations. En outre, selon ce que plusieurs des femmes nous ont dit en entrevue, la situation d’instabilité financière est vécue d’autant plus durement parce que la majorité des femmes ou des couples jouissaient d’un statut social plus élevé et d’un meilleur niveau de vie dans leur pays d’origine qu’au Québec.

Afin d’illustrer ce point de vue, les témoignages de Hajar et de Nassima sont retenus :

« Puis la pression économique commence, les problèmes commencent dans le couple quand il y a pas d’argent. On a vécu aisément en Algérie ». (Hajar)

« Dans la plupart des cas, c’est beaucoup. Le problème financier, il est là. Le problème de l’argent, il est très présent. Ça va créer des tensions à la maison […] Alors quand ça rentre, l’argent, entre un homme et une femme, je dois dire que c’est…c’est fini après la complicité […] Moi, je suis venue avec l’idée d’améliorer la qualité de vie au niveau financier, beaucoup de choses, voir le monde. Mais je suis venue, déjà le mariage lui-même, ça été un échec ». (Nassima)

En plus, en contexte d’acculturation, la remise en question, par l’un ou l’autre des partenaires, des rôles « naturellement » attribués aux hommes et aux femmes dans la culture d’origine, suffit amplement pour faire une brèche supplémentaire dans le couple. C’est que les attentes de la femme à l’égard du mari ou inversement ne sont plus respectées. Les exigences ont changé sans qu’il y ait eu d’entente mutuellement convenue au préalable.

Ce que disent Hind, Nassima, Dalila et Malika soutient cette affirmation :

« …la personne [l’homme] avait des problèmes avec sa conjointe parce qu’il pouvait plus la dominer ici comme dans le pays. Donc elle, elle avait trouvé une liberté d’expression, liberté d’agir, etc. Lui, il a pas supporté. Donc ce qu’il fait qu’il s’en est retourné [en Algérie] ». (Hind)

« Quand ils viennent ici, ils [les hommes] sont mêlés entre deux cultures : entre leur culture et la culture québécoise où la femme partage les responsabilités, si vous voulez. Alors, ils voient en nous comme on doit être la femme qui cuisine, qui élève les enfants qui fait tout. Comme en Algérie. Mais, en même temps, comme la femme québécoise. Alors ça… ». (Nassima)

« Mais ce qui est gênant, c’est que parfois, c’est le mari, il s’oppose à l’activité de sa femme. Il dit “non, tu ne travailles pas. Tu t’occupes des enfants et tu fais ceci et cela. Et moi, c’est moi qui prends en charge toute la responsabilité financière”». (Dalila).

« C’est le côté positif ici au Canada, qui est négatif pour les hommes, parce que la réputation que donnent les Maghrébins par rapport aux femmes maghrébines, c’est que quand elles viennent au Québec, c’est la liberté […] ». (Malika)

Malika poursuit avec fougue :

« Je leur dit “les hommes, s’ils se plaignent, c’est qu’ils ont comme on dit perdu la bataille, dans le sens où ils n’arrivent plus à maîtriser ou à écraser ces femmes-là”. Donc ils disent “ah oui, c’est parce que le Québec qui leur donne… c’est le pays des femmes”. Je dis “bien tant mieux”. Moi, mon mari, ce que je lui ai dit “bien tant mieux. Tant mieux pour moi, tant mieux”». (Malika)

Il ressort finalement des entretiens avec les femmes immigrées maghrébines rencontrées qu’en processus d’acculturation, les relations de couple peuvent subir d’importantes transformations; que les normes qui allaient plutôt de soi dans la culture d’origine sont mises au défi, même transgressées. L’augmentation du taux de divorce (selon l’estimation des femmes rencontrées) serait l’expression des changements qui s’opèrent au sein de ces couples relativement aux rôles attribués aux hommes et aux femmes :

« […] est-ce que vous l’avez remarqué ou pas…c’est le taux de divorce. Oui, oui, oui, oui, oui. C’est comme si les femmes et les hommes marocains là, je dis bien, parce que j’ai connu des couples qui étaient à l’aise. Mon amie même. Son mari l’a laissée, il est rentré chez lui […] C’est que les hommes, ils n’acceptent plus cette…ils viennent ici, ils trouvent pas le même travail et ils avaient un mode de vie et un rythme de vie assez animés et, une fois, c’est comme le choc culturel, ils peuvent pas assimiler tout ça. Ils préfèrent retourner. Alors que la femme, elle, même sans emploi, elle trouve qu’il y a d’autres points positifs ». (Karima)

De son côté, Aïcha fustige les rapports inégalitaires entre les hommes et les femmes dans le cadre de son travail où la personne responsable est d’origine maghrébine :

« Moi, un certain volet de notre culture que j’aimais pas chez nous, je l’ai retrouvé ici dans mon travail. Le fait de favoriser un homme parce que c’est un homme. Moi, j’ai horreur de ça. Et que parce que le monsieur c’est un monsieur, donc il a des charges de monsieur, et c’est monsieur qui paie le loyer. Il est monoparental et parce que, moi, je suis une madame et parce que mon mari travaille, donc moi, je suis prise en charge par une autre personne, ce qui fait que mon salaire, il va partir pour des broutilles et mon salaire ne doit pas être aussi important que le salaire de monsieur. Voilà ». (Aïcha)

Enfin, Chirine apprécie que la société québécoise fasse une plus large place aux femmes :

« Je veux dire, c’est une société de femmes [rires] que j’admire oui […] Je pense que c’est toute une politique que le Québec a installée. C’est bien. C’est bien. Ça…malgré que je trouve que ça travaille fort les femmes. Ça travaille vraiment. Elles ont beaucoup de défis ici. Elles sont courageuses, là je me dis. Elles sont vraiment courageuses ». (Chirine)

En somme, même si cette notion est hautement polysémique, on peut dire que l’égalité entre les hommes et les femmes est une valeur qui a la cote auprès de l’ensemble des femmes immigrées maghrébines rencontrées ainsi que les lois qui protègent les femmes en cas, entre autres, de violence conjugale. Ainsi, à leur manière, et quel que soit leur sentiment d’appartenance à la société québécoise, ces femmes apprécient cette dimension de la culture québécoise qui, peut-être, facilite le rapprochement identitaire avec leur pays d’accueil et vient relativiser les difficultés proprement économiques et professionnelles qu’elles vivent sur le marché du travail.

On peut dire que les femmes rencontrées dont l’intégration économique est réussie jettent un regard davantage critique sur la socialisation des filles et des garçons ainsi que sur la division plutôt cloisonnée des rôles féminins et masculins dans les sociétés du Maghreb. On remarque aussi que les femmes en chômage ont globalement plus d’enfants que les femmes qui occupent un emploi et qu’une plus forte proportion est mariée. A contrario, il y a un plus grand nombre de femmes célibataires ou divorcées chez les femmes qui sont actives sur le marché du travail.

Synthèse des résultats et conclusion

L’objectif général de la présente recherche est de mieux comprendre comment les femmes perçoivent les obstacles à leur intégration socioéconomique et comment une identité biculturelle peut faciliter ou non cette intégration.

Les résultats de l’analyse de contenu portant sur plus d’une vingtaine d’entrevues avec des femmes immigrées maghrébines en emploi ou en chômage montrent l’aspect multidimensionnel des facteurs associés à la participation au marché du travail en contexte d’immigration. Traversant l’ensemble des entrevues, deux grandes dimensions ont émergé. Il s’agit d’une part de l’emploi, du marché du travail et des institutions publiques chargées de l’intégration des immigrantes elles-mêmes; d’autre part, des aspects psychologiques de l’identité ethnoculturelle ainsi que de la famille. L’analyse des entrevues a permis la définition de trois groupes (types), selon le degré d’intégration au marché du travail : l’intégration réussie, l’intégration mitigée et l’échec de l’intégration (le chômage). Cette schématisation des expériences vécues des femmes rencontrées ne sert pas à des fins explicatives, mais permet d’organiser et de mieux comprendre les récits des femmes rencontrées.

Une participation au marché de l’emploi marquée par le travail atypique et la précarité

Surqualifiées pour les emplois occupés, les femmes immigrées maghrébines rencontrées se trouvent la plupart du temps dans un marché du travail caractérisé, entre autres, par la sous-traitance, l’externalisation des services, le recours aux agences d’emploi et de location de personnel, la flexibilité, la polyvalence, le temps partiel, le travail temporaire, la non-syndicalisation, l’absence de protections sociales, la précarité salariale, la surcharge de travail ainsi que la loyauté incertaine de certains employeurs à l’égard des employés.

Globalement, on remarque donc que les conditions de travail des femmes immigrées maghrébines interviewées sont de faible qualité. La déqualification professionnelle, la précarité des emplois, l’enfermement, pour certaines, dans des ghettos d’emploi, et la perspective restreinte d’évoluer dans l’organisation, expliquent la perception que l’écart entre le rêve et la réalité est imposant. Les femmes rencontrées qui occupent un emploi à faible revenu, suscitant de l’insatisfaction et sans aucun lien ou très peu avec le domaine de formation ou l’expertise acquise (intégration mitigée au marché du travail) subissent encore plus fortement que les autres femmes en emploi l’impact de conditions ordinaires de travail.

Pourtant, les femmes qui ont participé à la recherche accordent beaucoup d’importance au travail. D’autres motifs que financiers les motivent. Elles sont convaincues que la participation au marché du travail favorise l’intégration plus vaste à la société. Elles veulent se sentir utiles et développer leur potentiel sur les plans personnel et professionnel.

L’influence réciproque du travail et de l’identité ethnoculturelle

L’analyse des entrevues et du questionnaire montre que la participation au marché du travail est liée au développement d’une nouvelle identité ethnoculturelle (biculturelle) telle que cernée par les indicateurs suivants : la volonté de s’intégrer; la langue parlée dans la vie de tous les jours; les contacts sociaux; l’importance de la pratique religieuse; l’identification ethnoculturelle et le sentiment d’appartenance; la proximité, l’harmonie et la compatibilité avec les valeurs de la société d’accueil; la perception de subir de la discrimination ainsi que l’intention quant à l’établissement en permanence au Québec.

Ainsi, comparativement aux femmes en chômage, les femmes dont l’intégration au marché du travail est réussie parlent surtout français au quotidien; fréquentent autant les Québécois que les Maghrébins; accordent un peu moins d’importance à la pratique de la religion; disent ne pas être victimes de discrimination et se perçoivent comme Maghrébines-québécoises ou Québécoises-maghrébines plutôt que comme Maghrébines vivant au Québec. Elles ne portent pas le voile. À l’instar des autres femmes, elles expriment l’intention de s’établir en permanence au Québec.

Au total, les femmes qui occupent un emploi dans leur domaine ou dans un domaine qui suscite leur intérêt, qui apporte de la satisfaction, qui offre une perspective d’évolution personnelle ou professionnelle, donnent l’impression d’avoir élargi le spectre de leur identité ethnoculturelle davantage que les femmes qui sont en quête d’emploi, davantage aussi que les femmes dont l’intégration au travail est beaucoup moins favorable.

En effet, les femmes interviewées dont l’intégration au travail est qualifiée de mitigée, bien qu’elles parlent autant français qu’arabe ou berbère dans la vie de tous les jours, affirment subir souvent de la discrimination; elles se perçoivent comme Maghrébines vivant au Québec, marquant ainsi une distance avec l’identité québécoise. Ces femmes ont l’impression de tourner en rond dans des emplois subalternes et d’être tenues à l’écart des meilleurs emplois où leurs compétences pourraient être mises à profit. Ajoutons que plusieurs d’entre elles travaillent dans des ghettos d’emplois fortement occupés par des immigrants; ce qui freine les échanges interculturels avec les gens de la société d’accueil.

Un certain nombre d’indicateurs laissent croire que la nouvelle identité ethnoculturelle (biculturelle) des participantes en chômage semble moins solide (plus faible) que celle des femmes en emploi, notamment des femmes dont l’intégration au marché de l’emploi est réussie. Ainsi, les femmes en chômage parlent surtout arabe ou berbère dans la vie de tous les jours; elles fréquentent principalement des personnes originaires du Maghreb; elles disent subir de la discrimination et la majorité porte le voile. On a l’impression que tous les efforts qu’elles déploient pour s’intégrer au marché du travail ne portent pas les fruits escomptés.

Les résultats de la présente recherche font ressortir que certains attributs identitaires de la culture arabo-musulmane sont perçus comme des obstacles importants à la participation au marché du travail. Tel est le cas pour le port du voile. L’ensemble des femmes qui ont participé à la recherche en ont témoigné.

Plus concrètement, cinq des six femmes voilées qui se sont présentées en entrevue étaient en chômage, de manière chronique pour quelques-unes, tandis que la sixième femme voilée travaillait, comme elle le disait, « dans l’ombre », pour les services en ligne d’une grande entreprise de télécommunication. Pour reprendre ses paroles, elle est devenue une femme « invisible ».

On se retrouve donc au cœur d’un jeu d’influences circulaires : d’une part, l’exclusion du marché du travail entrave l’intégration plus ample à la société d’accueil ainsi que la consolidation d’une identité biculturelle; d’autre part, le voile en tant qu’attribut de la culture religieuse musulmane constitue un obstacle à la participation au marché du travail.

Les institutions responsables de la sélection des immigrants et de leur intégration au marché du travail

Les femmes immigrantes rencontrées déplorent avoir manqué d’information à propos des besoins réels du marché québécois de l’emploi avant d’émigrer. Un bon nombre d’entre elles pensent avoir été leurrées par le personnel des services mandatés pour la sélection des immigrants qui ne leur aurait pas donné l’heure juste sur la situation de l’emploi et leur niveau d’employabilité.

Toutefois, les reproches à l’égard du personnel de l’immigration ne s’arrêtent pas là. Plusieurs des femmes rencontrées n’arrivent pas à comprendre que le Québec sélectionne des immigrants qualifiés de très conservateurs, pour qui les valeurs religieuses musulmanes devraient régler toute la vie en société. De leur point de vue, ces personnes immigrées refusent l’intégration qu’elles confondent avec l’assimilation; elles auraient ainsi opté pour la séparation comme stratégie d’acculturation, et le repli communautaire comme modèle du vivre-ensemble.

Malgré cette perception négative, les femmes rencontrées ont eu recours ou continuent d’avoir recours aux institutions mandatées pour l’intégration des immigrants, particulièrement au marché du travail. Si les femmes sont dans l’ensemble satisfaites des services reçus, elles font pourtant valoir quelques critiques tout en apportant des suggestions pour bonifier ces services.

Ce qui ressort des entrevues, c’est que les agents affectés à l’intégration des personnes immigrées ne disposent pas d’informations suffisantes sur les besoins actuels du marché de l’emploi québécois; en conséquence, on ne les trouve généralement pas bien outillés pour orienter la clientèle. Se dégage aussi l’idée que ces agents arrivent mal à prendre en compte les études et le parcours professionnel des personnes immigrées afin de mieux les aider à trouver un emploi en rapport avec leur bagage.

Elles suggèrent que se mette en place un véritable counseling en emploi au cours duquel un agent, au fait des besoins du marché du travail et capable d’établir des liens entre ces besoins et leur parcours professionnel, leur fournirait un appui soutenu jusqu’à ce qu’elles trouvent un emploi qui se rapproche le plus possible de leur profil. Elles soumettent aussi l’idée qu’Emploi-Québec s’investisse plus activement auprès des employeurs; que cet organisme mette davantage à profit le poids de sa crédibilité pour servir d’intermédiaire entre les parties.

Enfin, quelques-unes des femmes rencontrées, déplorant que le contenu des séances portant sur la société québécoise soit plutôt mince, demandent que de l’information plus substantielle soit donnée, qui porterait notamment sur l’histoire de la société québécoise, la dynamique politique entre le Québec et le Canada, l’importance du français, les débats sociaux sur les accommodements raisonnables : dans le but de mieux faire comprendre la société d’accueil, les grands défis de l’immigration et de faciliter l’intégration des nouveaux arrivants.

La situation familiale, les trajectoires de vie et l’intégration au travail

Selon les femmes immigrées maghrébines rencontrées, les normes de genre dans les sociétés maghrébines sont clairement établies, différenciant ainsi les attentes à l’égard des femmes et des hommes au sein des couples. Dans ce contexte, le rôle des femmes est clairement associé au travail parental et domestique. Responsables de l’éducation des enfants, en charge des affaires domestiques et pivots des relations sociales, les femmes sont parfois contraintes de mettre leur carrière en veilleuse au profit de celle du mari ou du bien-être des enfants. Notons que les femmes en chômage rencontrées ont deux fois plus d’enfants que celles qui occupent un emploi; elles sont plus nombreuses à être mariées et à porter le voile.

Si la situation familiale diffère selon le degré de participation au marché du travail, la trajectoire de vie des femmes est également liée à ce facteur. On remarque donc que les trajectoires de vie des femmes en chômage et celles des femmes dont l’intégration en emploi est mitigée sont plus compliquées que les trajectoires de vie des femmes dont l’intégration est réussie. Le nombre d’événements biographiques qui touchent les femmes vient aussi affecter la recherche d’emploi ou le maintien en emploi. En conséquence, la charge mentale, qu’imposent aux femmes des trajectoires de vie complexes, constitue une barrière additionnelle à l’insertion au marché du travail.

Enfin, soulignons que l’arrivée au Québec est souvent synonyme de déstabilisation de l’équilibre conjugal tel qu’il existait avant la migration, notamment parce que les attentes de genre des femmes se modifient. La situation et les droits des femmes au Québec est d’ailleurs l’une des dimensions de la culture québécoise que les femmes rencontrées apprécient particulièrement et qui apparaissent comme favorable à la constitution d’une identité biculturelle.

Conclusion

L’analyse des entrevues avec des femmes immigrées maghrébines en emploi ou en chômage a permis de constater qu’il existe plusieurs barrières d’ordre personnel, familial ou institutionnel à leur participation au marché du travail. Dans cette foulée, les résultats de la présente étude corroborent et explicitent ceux d’autres travaux qui ont été présentés dans la revue de la littérature spécialisée.

Loin d’un modèle de causalité linéaire, l’analyse des entrevues a mis en évidence la présence de relations multiples entre deux grandes catégories de facteurs. Ceux-ci exercent non seulement une influence individuelle sur la participation au marché du travail, mais comme ils s’entrecroisent, on suppose qu’ils ont un effet l’un sur l’autre.

Cette analyse a également permis d’avancer que ces femmes ont choisi de s’intégrer à la société québécoise et qu’elles ont développé une identité biculturelle. Néanmoins, le facteur identitaire ne saurait à lui seul expliquer la réussite ou l’échec de la participation au marché du travail. En relativiser l’importance s’impose.

Un grand constat se dégage finalement : l’écart entre les aspirations des femmes immigrées maghrébines rencontrées et la réalité est grand. Une question se pose alors : comment réduire cet écart entre les aspirations des femmes (aspirations conformes à leur niveau de scolarité) et la réalité du marché du travail? Plusieurs constats faits par les femmes rencontrées rejoignent les recommandations formulées par le Conseil du statut de la femme dans les dernières décennies.

Par exemple, les résultats de notre étude font ressortir l’importance du travail atypique chez les femmes immigrées maghrébines et la précarité qui y est associée (Bernier, 2013, 191-192), ce qui a déjà été dit dans l’avis du Conseil du statut de la femme Emploi atypique cherche normes équitables (2000). Malgré le fait que la problématique du travail atypique suscite de l’intérêt dans plusieurs institutions gouvernementales, tous les efforts possibles doivent continuer d’être déployés pour assurer la protection des travailleurs et travailleuses à l’emploi des agences de location de personnel.

À l’instar des femmes rencontrées dans le cadre de cette enquête, le Conseil du statut de la femme a rappelé au gouvernement, dans plusieurs de ses publications, l’importance d’informer adéquatement, en amont et en aval de l’immigration, les futures et les nouvelles personnes immigrées (Répertoire des prises de position 1973-2013, 2013).

En somme, malgré une kyrielle de programmes et de services offerts par les organismes gouvernementaux et du milieu communautaire pour l’intégration socioéconomique, force est de constater que les femmes immigrées maghrébines rencontrées subissent le sous-emploi et le chômage. Il s’agit d’une question importante et complexe qui mériterait que le ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion et ses partenaires développent une stratégie intégrée de services pour soutenir l’intégration au marché du travail des femmes immigrées maghrébines.

Annexe I

Profil général et caractéristiques sociodémographiques des répondantes maghrébines
Numéro Pays d’origine Durée du séjour Âge à l’entrevue État civil Nombre d’enfants à charge Diplôme hors Québec Diplôme au Québec Expérience travail hors du Québec Expérience travail au Québec Situation actuelle en emploi
1 Algérie 5 ans 41 ans Mariée 2 Bac. sciences Aucun Contrôleuse de la qualité Aucune Sans emploi
2 Algérie 3 ans 31 ans Mariée 2 Bac. adm. Aucun Enseignante Adjointe adm. Emploi à temps plein
3 Algérie 2 ans 29 ans Célibataire 0 Maîtrise éducation Aucun Assistante petite enfance Professeure français langue seconde Emploi à temps partiel
4 Algérie 5 ans 42 ans Divorcée 0 Études collégiales en informatique En cours en informatique Technicienne informatique Technicienne soutien informatique Emploi à temps partiel
5 5 Algérie 3,5 ans 45 ans Séparée 2 Bac. génie civil Aucun Ingénieure Adjointe adm. Emploi à temps plein
6 Algérie 1 an 44 ans Mariée 2 Bac. sciences Aucun Gérante Bénévolat en garderie Sans emploi
7 Algérie 5 ans 31 ans En instance de divorce 1 Bac. traduction Aucun Enseignante Vente et services Sans emploi
8 Algérie 2 ans 32 ans Célibataire 0 Maîtrise éducation En cours en éducation Emploi d’étudiante Vente et services Emploi à temps plein
9 Algérie 4 ans 32 ans Mariée 1 Maîtrise sciences santé Aucun Technicienne laboratoire Vente et services Emploi à temps plein
10 Algérie 3,5 ans 43 ans Mariée 1 Études collégiales sciences humaines Diplôme obtenu : infirmière auxiliaire Technicienne en administration Santé Emploi à temps partiel
11 Maroc 8 ans 38 ans Mariée 2 Doctorat en physique En cours en éducation Aucune En recherche Sans emploi
12 Maroc 5 ans 40 ans Mariée 2 Études collégiales histoiregéographie En cours secrétariat Aucune Aucune Sans emploi
13 Maroc 2 ans 37 ans Célibataire 0 Bac. sciences humaines En cours adm. Ass. adm. agente RH Vente et services Sans emploi
14 Maroc 2,5 ans 40 ans Mariée 2 Études coll. techniques hôtelières 45 heures terminées en garderie Cuisinière Aucune Sans emploi
15 Maroc 2 ans 45 ans Mariée 2 Bac. sciences Aucun Enseignante Interprète Emploi à temps partiel
16 Maroc 1 an 28 ans Mariée 0 Maîtrise en finances Aucun Analyse en finances Technicienne en finances Emploi à temps plein
17 Maroc 1 an 23 ans Célibataire 0 Études collégiales climatisation Aucun Aucune Préposée clientèle org. communautaire Emploi à temps partiel
18 Maroc 1an 38 ans Célibataire 0 Bac. adm. En cours certificat économie Acheteuse à l’international Adjointe adm Emploi à temps plein
19 Tunisie 10 ans 34 ans Divorcée 0 Bac. marketing Maîtrise en communication Gestionnaire Chargée de projets vente et services Emploi à temps plein
20 Tunisie 4 ans 29 ans Célibataire 0 Maîtrise sciences de l’information En cours doctorat adm. Assistante d’enseignement Chargée de cours Emploi à temps partiel
21 Tunisie 2,5 ans 27 ans Célibataire 0 Bac. en sciences Maîtrise en sciences de l’eau (récemment obtenue) Information non disponible Assistante de recherche Emploi à temps partiel
22 Tunisie 2 ans 23 ans Célibataire 0 Bac. en sciences En cours diplôme 2e cycle en santé Aucune Vente et services Emploi à temps partiel

Annexe II – guide d’entrevue

Femmes maghrébines en emploi et à la recherche d’un emploi. Entrevue semi structurée enregistrée et transcrite. Entrevue suivie de la complétion d’un questionnaire

Structure de l’entrevue : femmes en emploi, à titre de salariée ou de travailleuse indépendante

Partie 1 : Emploi occupé

Partie 2 : Parcours professionnel

Partie 3 : Relations sociales et attitudes

Partie 4 : Aspirations professionnelles

Partie 5 : Vision globale

Structure de l’entrevue : femmes à la recherche d’un emploi

Partie 1 : Parcours professionnel

Partie 2 : Relations sociales et attitudes

Partie 3 : Aspirations professionnelles

Partie 4 : Vision globale

Annexe III – questionnaire

Partie 1 : Données sociodémographiques

  1. Nom (pseudonyme) :

  2. Adresse (ville seulement) :

  3. Âge :

  4. Âge à l’arrivée au Québec :

  5. Année de l’immigration au Québec :

  6. Catégorie d’immigrants :

    • Immigration économique

    • Regroupement familial

    • Réfugiés

    • Autre (précisez)

  7. Lieu de naissance (pays, ville ou village) :

  8. Connaissances linguistiques :

    • Arabe

    • Berbère

    • Français

    • Anglais

    • Autre(s) langue(s)

  9. Confession religieuse :

    • Aucune appartenance religieuse

    • Musulmane

    • Juive

    • Catholique

    • Protestante

    • Autre religion

  10. État matrimonial :

    • Célibataire

    • Mariée

    • Séparée

    • Divorcée

    • Vivant en union libre

    • Veuve

  11. Enfants :
    nombre:

  12. Plus haut niveau de scolarité atteint :

    • Études collégiales

    • Grade universitaire, niveau du certificat d’études

    • Grade universitaire, niveau du baccalauréat

    • Grade universitaire, niveau de la maîtrise

    • Grade universitaire, niveau du doctorat

  13. Dans quel pays avez-vous fait vos études collégiales ou universitaires?

  14. Dans quel domaine d’études avez-vous obtenu votre plus récent diplôme?

    • Éducation

    • Arts visuels, d’interprétation et technologie des communications

    • Sciences humaines

    • Sciences sociales, du comportement et droit

    • Commerce, gestion, administration publique

    • Sciences physique, de la vie, technologies

    • Mathématiques, informatique, sciences de l’information

    • Architecture, génie, services connexes

    • Agriculture, ressources naturelles et conservation

    • Santé, parcs, récréation, conditionnement physique

    • Services personnels, protection et transports

    • Autre (précisez)

  15. Êtes-vous actuellement en emploi ?

    • Oui

    • Non

  16. Si vous êtes actuellement en emploi, dans quelle catégorie de profession situez-vous votre travail?

    • Gestion

    • Affaires, finances, administration

    • Sciences naturelles et appliquées

    • Santé

    • Sciences sociales, enseignement, administration publique

    • Arts, culture, sports et loisirs

    • Ventes et services

    • Métiers, transports et machinerie

    • Professions du secteur primaire

    • Transformation, fabrication et services d’utilité publique

    • Autre (précisez)

Partie 2 : Parcours migratoire

Dans le pays d’origine

  1. Pour quelle(s) raison(s) avez-vous quitté votre pays d’origine?

  2. Était-ce un départ volontaire?

  3. Étiez-vous seule quand vous avez quitté votre pays d’origine?

  4. Sinon, qui vous accompagnait?

  5. Est-ce que vous occupiez un emploi avant de venir au Québec?

  6. Si oui, quel type d’emploi?

  7. Aviez-vous des enfants avant de quitter votre pays?

  8. Si oui, était-ce un problème de trouver une gardienne ou une garderie quand vous deviez aller travailler?

Au Québec

  1. Qu’est-ce que vous avez trouvé le plus difficile à votre arrivée au Québec?

  2. Qu’est-ce que vous trouvez le plus difficile actuellement?

  3. Avez-vous l’intention de vous établir de manière définitive au Québec?

  4. Si oui, pourquoi? Sinon, pourquoi?

  5. Qu’est-ce qui vous manque le plus au Québec par rapport à votre pays d’origine?

Partie 3 : Appartenance culturelle et identité

La langue

  1. Dans ma vie de tous les jours, je parle surtout arabe ou berbère:

    En accord avec l’énoncé
    En désaccord avec l’énoncé

  2. Dans ma vie de tous les jours, je parle surtout français :

    En accord avec l’énoncé
    En désaccord avec l’énoncé

  3. Dans ma vie de tous les jours, je parle autant français qu’arabe ou berbère:

    En accord avec l’énoncé
    En désaccord avec l’énoncé

  4. Dans ma vie de tous les jours, je parle surtout une autre langue que le français, l’arabe ou le berbère :

    En accord avec l’énoncé Précisez laquelle
    En désaccord avec l’énoncé

  5. À la maison, j’écoute surtout des émissions de télévision en arabe :

    En accord avec l’énoncé
    En désaccord avec l’énoncé

  6. À la maison, j’écoute surtout des émissions de télévision en français :

    En accord avec l’énoncé
    En désaccord avec l’énoncé

  7. À la maison, j’écoute des émissions de télévision autant en arabe qu’en français :

    En accord avec l’énoncé
    En désaccord avec l’énoncé

  8. À la maison, j’écoute surtout des émissions de télévision dans une autre langue que l’arabe et le français :

    En accord avec l’énoncé Précisez laquelle
    En désaccord avec l’énoncé

  9. À la maison, j’écoute souvent de la musique québécoise :

    En accord avec l’énoncé
    En désaccord avec l’énoncé

  10. À la maison, j’écoute surtout de la musique arabe ou berbère :

    En accord avec l’énoncé
    En désaccord avec l’énoncé

  11. Il m’arrive d’aller voir des films québécois :

    Jamais
    Occasionnellement
    Souvent

Les relations sociales

  1. Mes ami(e)s sont :

    Majoritairement des Québécois(es) né(e)s au Québec
    Majoritairement originaires du Maghreb
    Originaires autant du Québec que du Maghreb

Les valeurs

  1. En général, je partage les valeurs de la société québécoise :

    Totalement en accord
    Moyennement en accord
    En désaccord

  2. En général, je préfère les valeurs de mon pays d’origine :

    Totalement en accord
    Moyennement en accord
    En désaccord

  3. En général, je prends ce qu’il y a de mieux dans les valeurs de la société québécoise et dans celle de mon pays d’origine :

    Totalement en accord
    Moyennement en accord
    En désaccord

Intérêts sociaux et politiques

  1. Je m’intéresse à la politique québécoise et aux débats en cours :

    Totalement en accord
    Moyennement en accord
    En désaccord

  2. Je m’intéresse principalement à la politique et aux débats en cours dans mon pays d’origine :

    Totalement en accord
    Moyennement en accord
    En désaccord

  3. Je m’intéresse à la politique et aux débats en cours au Québec et dans mon pays d’origine :

    Totalement en accord
    Moyennement en accord
    En désaccord

Identité ethnique et nationale ainsi que stratégies identitaires

  1. Je me sens une Maghrébine (Tunisienne, Algérienne, Marocaine) vivant au Québec :

    • Totalement en désaccord avec l’énoncé

    • Plutôt en désaccord avec l’énoncé

    • Plus ou moins en accord avec l’énoncé

    • Plutôt en accord avec l’énoncé

    • Totalement en accord avec l’énoncé

  2. Je me sens maghrébine-québécoise ou québécoise-maghrébine :

    • Totalement en désaccord avec l’énoncé

    • Plutôt en désaccord avec l’énoncé

    • Plus ou moins en accord avec l’énoncé

    • Plutôt en accord avec l’énoncé

    • Totalement en accord avec l’énoncé

  3. Je me sens québécoise :

    • Totalement en désaccord avec l’énoncé

    • Plutôt en désaccord avec l’énoncé

    • Plus ou moins en accord avec l’énoncé

    • Plutôt en accord avec l’énoncé

    • Totalement en accord avec l’énoncé

  4. Il m’arrive souvent d’avoir de la difficulté à concilier la culture québécoise et la culture de mon pays d’origine, à me sentir prise entre les deux cultures :

    • Totalement en désaccord avec l’énoncé

    • Plutôt en désaccord avec l’énoncé

    • Plus ou moins en accord avec l’énoncé

    • Plutôt en accord avec l’énoncé

    • Totalement en accord avec l’énoncé

  5. Dans la vie de tous les jours, je compose bien avec la culture québécoise et la culture de mon pays d’origine, je concilie bien les deux cultures :

    • Totalement en désaccord avec l’énoncé

    • Plutôt en désaccord avec l’énoncé

    • Plus ou moins en accord avec l’énoncé

    • Plutôt en accord avec l’énoncé

    • Totalement en accord avec l’énoncé

  6. Je me sens en retrait de la société québécoise :

    En accord avec l’énoncé
    En désaccord avec l’énoncé

  7. Je me sens à l’écart de la communauté maghrébine (tunisienne, algérienne, marocaine) du Québec :

    En accord avec l’énoncé
    En désaccord avec l’énoncé

  8. Je trouve que la culture québécoise est incompatible avec la culture de mon pays d’origine :

    Totalement en accord
    Moyennement en accord
    En désaccord

  9. Je préfère participer à des activités culturelles et sociales :

    En compagnie de Québécois et de Québécoises d’origine
    En compagnie de Maghrébins et de Maghrébines
    En compagnie Maghrébin(e)s et de Québécois (es)
    Quand il n’y a ni Québécois(es) ni Maghrébin(e)s

La religion

  1. Il est important pour moi de pratiquer ma religion :

    Très important
    Important
    Peu important
    Pas important du tout

Sentiment de discrimination

  1. Je suis une personne de minorité visible :

    Oui
    Non

  2. On m’a déjà taquinée ou insultée relativement à mon origine ethnique :

    Jamais
    Occasionnellement
    Souvent
    Très souvent

  3. Il m’arrive de sentir de la discrimination à mon égard :

    Jamais
    Occasionnellement
    Souvent
    Très souvent

Partie 4 : Adaptation

  1. Dans l’ensemble, je suis satisfaite de ma vie :

    Pas du tout satisfaite
    Plus ou moins satisfaite
    Satisfaite
    Très satisfaite

  2. Généralement, je suis contente de moi :

    Pas du tout contente
    Plus ou moins contente
    Contente
    Très contente

  3. Je regrette d’avoir quitté mon pays d’origine :

    Jamais
    Occasionnellement
    Souvent

  4. Je regrette d’avoir choisi le Québec comme pays d’immigration :

    Jamais
    Occasionnellement
    Souvent

  5. Qu’est-ce que la migration au Québec vous a apporté?

Annexe IV – la polysémie du voile

Les motifs derrière le port du voile

Pourquoi les femmes portent-elles donc le voile? Dans un contexte où l’intégration au marché du travail s’avère difficile pour les femmes qui portent le voile, quels sont les motifs qui les poussent néanmoins à garder cette tenue vestimentaire? La conviction religieuse, la pression de la communauté, l’environnement sociopolitique de la société d’accueil et la montée des forces conservatrices musulmanes sont autant de facteurs dont pourrait dépendre le fait de porter ou non le voile. En vue d’illustrer les diverses significations du port du voile (sa polysémie), on a retenu les propos de Saliha, Chirine et Hajar :

« Moi, je connais deux catégories de femmes. Il y a des femmes qui sont convaincues. Parce que dès le début, elles mettaient pas le voile. Mais après, c’est par conviction qu’elles l’ont mis […] Mais, il y a d’autres femmes qui…qui sont habituées dès leur enfance, elles sont petites…et je…connais une qui avait, je pense, 9 ans quand elle a mis son voile. Elle l’a pas mis par choix personnel. Alors dernièrement, elle l’a enlevé ». (Saliha)

« Oui, oui. C’est que moi, j’ai eu peur. J’ai vécu pendant deux ans en France. C’est beaucoup de frustration, beaucoup. On a peur même qu’on nous refuse le papier parce tu es voilée là. Voyez-vous…C’est pas…on est à la merci du regard de la personne qui va nous recevoir. Alors, du coup, j’ai eu peur. En rentrant au Canada, j’ai dit à mon mari “ils vont me refuser le visa de me faire entrer parce que je suis une voilée là”. Je suis rentrée sans mon foulard. Un an après, j’ai décidé de le porter ». (Chirine)

« J’ai trouvé aussi dans certaines communautés algériennes des femmes qui portent le foulard. Moi, je suis…Ici, au Québec, ils [les gens] sont très ouverts peut-être à ça; moi je n’aime pas le foulard. J’ai fui mon pays pour ça […] ». (Hajar)

Hajar s’explique :

« Parce que j’ai souffert de l’intégrisme. J’ai pas mal d’amis qui ont été égorgés. J’ai été même dans la liste à flinguer. Et mon frère a été tué la veille de son mariage. Il a été égorgé […] L’arabisation a fait en fait que les femmes sont devenues aussi intégristes […] On me considérait pas comme assez musulmane pour eux, pour elles. C’est même pas…c’était une guerre entre femmes et femmes parce que les femmes qui portaient le foulard étaient plus… ». (Hajar)

L’expression des forces conservatrices musulmanes inquiète visiblement plusieurs des femmes rencontrées et elle est mise en relation avec une forme de refus d’intégration à la société d’accueil. Dalila et Aïcha rendent cette affirmation plus claire :

« Puis cette tendance, je dirais dans nos sociétés à une certaine radicalisation de la société avec tout ce qui se passe maintenant, ça aussi, moi aussi je le vois de mauvais œil. Parce que moi…Une autre chose qui était comme mes grands-parents, et mes parents ont connue, c’est une société ouverte, une société tolérante, une société… c’est, je dirais…moi, je parle du Maroc. Je ne connais pas le reste. Mais, ils ont côtoyé beaucoup de communautés européennes […] Ils ont noué des liens entre employeurs-employés, des liens d’amitié, de voisinage ». (Dalila)

Sur cet élan, mais particulièrement en rapport avec la condition actuelle des femmes marocaines musulmanes, Dalila ajoute :

« Donc, moi je vois que le regard qu’on a sur la femme est devenu un petit peu un regard, je dirais, de repli. De repli. Je trouve que la génération de mes parents et de mes grands-parents, les hommes je parle pas des femmes, ils sont meilleurs que les jeunes d’aujourd’hui. Ils sont plus ouverts ». (Dalila)

Relativement à ce qu’elle perçoit comme un rempli communautaire et un refus d’adaptation à la société d’accueil de certaines des femmes qui portent le voile, Aïcha est catégorique :

« Moi, je m’attendais à ce qu’on parle d’un autre problème par rapport aux dames qui viennent de ces régions qui ont un problème d’intégration, que ce soit une intégration sociale ou professionnelle. C’est les femmes voilées. C’est les femmes voilées. Moi, je constate qu’il y a pas mal de choses à aller gratter dans cette population. Il y a pas mal de problématiques ». (Aïcha)

Aïcha élabore sur cette question :

« Juste des observations. Première observation, beaucoup de femmes voilées ne travaillent pas. Beaucoup de femmes voilées, quand elles travaillent, elles choisissent de faire des garderies chez elle et de travailler sur place. Beaucoup de femmes voilées vivent en communauté de femmes voilées. J’ai jamais rencontré une femme voilée amie ou avec une Québécoise ou une famille québécoise. C’est avec ses enfants, avec ses copines voilées. Là, on ne parle pas de parler ou ne pas parler français ». (Aïcha)

Au diapason des propos des femmes immigrées maghrébines rencontrées, Rachad Antonius (2012, p. 155-161) soutient que le voile fait écho à une certaine vision du monde et qu’il est porteur de valeurs. Ainsi, selon le professeur de l’UQAM, le voile peut être : le porte-étendard de l’islamisme conservateur, un outil de séduction, le symbole d’un renouveau islamique ou encore, un acte d’autonomie, particulièrement en situation de migration.

ANNEXE V – ÉVOLUTION DU DOSSIER DE TRAVAIL ATYPIQUE AU GOUVERNEMENT DU QUÉBEC

Dans un avis de février 2000, Emploi atypique cherche normes équitables, le Conseil du statut de la femme sonne l’alarme sur l’ensemble du problème du travail atypique associé de près à un statut d’emploi précaire chez les femmes, et il soumet 21 recommandations au gouvernement, notamment de rendre illégal le traitement différent des personnes salariées en vertu de leur statut d’emploi.

Trois ans plus tard, M. Jean Bernier, Mme Guylaine Vallée et Mme Carol Jobin (2003) remettaient au ministre du Travail d’alors, M. Jean Rochon, un rapport commandé portant sur les besoins de protection sociale des personnes en situation de travail non traditionnelle. 53 recommandations sont déposées, elles couvrent : une plus grande accessibilité aux lois du travail, la suppression des disparités de traitement en fonction du statut d’emploi, la protection sociale des salariés d’agence et la protection des travailleurs autonomes. Le Rapport Bernier est toujours vivant bien qu’à ce jour, aucun suivi n’y ait été donné.

En 2005, un groupe de travail est formé ayant pour mandat de faire le point sur les pratiques contractuelles de l’industrie du placement temporaire et de proposer des solutions consensuelles aux iniquités constatées, sur cette question, dans le rapport Bernier. En mai 2007, l’organisme Au bas de l’échelle, le Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail et la Fédération des femmes du Québec déposent conjointement un rapport au ministre du Travail, M. David Whissel. Ce rapport est resté lettre morte.

Enfin, en février 2011, 11 ans après la parution de l’avis du Conseil du statut de la femme sur le travail atypique, le professeur Jean Bernier (2011) remet un avis sur une proposition d’encadrement du secteur des agences de travail temporaire, à la suite d’une demande d’avis faite par M. Sam Hamad (ministre du Travail de 2009 à 2010) au Comité consultatif du travail et de la main-d’œuvre portant sur un scénario élaboré par le ministère du Travail. Jusqu’à maintenant, le Comité consultatif du travail et de la main-d’œuvre n’a toujours pas remis son rapport. Il est permis de douter qu’il le fasse.

ANNEXE VI – INFORMATION AUX PERSONNES IMMIGRÉES EN AMONT ET EN AVAL DE L’IMMIGRATION

L’information : en amont de l’immigration

En 1991, « (…) le Conseil [du statut de la femme] croit que toutes les mesures devraient être prises pour informer les personnes qui désirent immigrer au Québec sur les caractéristiques principales du Québec, notamment sur les droits et obligations des Québécoises comme citoyennes et comme travailleuses. […] En 1997, il insiste sur l’information qui doit être transmise aux candidates et aux candidats à l’immigration, avant leur départ du pays d’origine, dans une langue qu’ils comprennent, au sujet des droits des femmes au Québec. Le ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration devrait aussi prendre les moyens pour que l’ensemble des nouveaux immigrantes et immigrants soient sensibilisés, après leur installation, aux valeurs de la société québécoise, notamment à l’égalité des sexes et des droits des femmes. […] En 2011, il reprend une recommandation de 1991 pour que soit renforcée avant l’immigration la promotion des valeurs incluses dans la Déclaration sur les valeurs communes de la société québécoise » (Conseil du statut de la femme, 2013, p. 217-218).

Paradoxalement, bien que les sites Internet du ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale ainsi que d’Emploi-Québec regorgent d’informations utiles pour la préparation à l’immigration et pour l’intégration sociale et professionnelle à la société d’accueil, il semble que les modes actuels de transmission de ces informations ne soient pas optimaux.

Notons, par exemple, que l’accès au service d’intégration en ligne (SIEL) ainsi que la séance pré-départ en ligne nécessite une connexion Internet à haut débit. En outre, il n’existe aucune campagne d’information et de promotion du Québec faite sur place au Maghreb, le ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion choisissant plutôt de se concentrer sur l’Amérique latine, l’Asie, l’Europe de l’Est, l’Europe de l’Ouest et le Nord-Est des États-Unis. Peut-on alors vraiment parler d’outils d’information, électroniques ou conventionnels, facilement accessibles à tous?

De plus, les candidats qui ont reçu leur certificat de sélection du Québec, sur analyse du dossier ou à la suite de l’entrevue de sélection sur place, ne bénéficient, autrement qu’en ligne, d’aucune séance d’information particulière sur la société québécoise et ses valeurs, le marché de l’emploi et les difficultés inhérentes à l’immigration, notamment de culture arabo-musulmane.

L’information : en aval de l’immigration

Pour faciliter les premières démarches d’installation, une session d’une durée de 24 heures, S’adapter au monde du travail québécois – Vivre ensemble au Québec, remplacée en 2012 par Objectif Intégration – Pour comprendre le monde du travail québécois, est offerte aux nouveaux immigrants par les partenaires du ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, dans plusieurs régions du Québec, sur une base volontaire. En 2011-2012, 8 654 personnes ont assisté à cette activité (Ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles, 2012b, p. 46); une donnée qui représente toutefois moins de 20 % des personnes immigrantes admises en 2011. Un constat qui pourrait inciter le ministère et ses partenaires à vouloir accentuer la promotion de cette séance d’information auprès des nouveaux arrivants et à se fixer des objectifs. Un défi à relever?

Toujours en termes de défis à relever, Tania Longpré (2013, p. 148), à l’instar de plusieurs des femmes maghrébines rencontrées en entrevue, regrette vivement qu’il n’y ait rien dans cette formation qui porte sur l’histoire, la politique ou encore la vie citoyenne au Québec.

De plus, dans le prolongement d’Objectif Intégration – Pour comprendre le monde du travail québécois, des modules spécialisés, ayant pour objets des secteurs tels que le génie et les sciences appliquées, l’enseignement et la petite enfance ainsi que la santé et les services sociaux, sont également donnés en personne, mais uniquement dans la région métropolitaine de Montréal.

Rappelons que dans une perspective semblable d’accessibilité, le Conseil du statut de la femme se préoccupait déjà, il y a plus de 15 ans, de l’accès universel et abordable à « l’inforoute de l’information »

« Pour le CSF, les inforiches et les infopauvres ne se trouvent pas uniquement sur la scène internationale, chez les pays développés comparativement aux pays sous-développés. À l’heure actuelle au Québec, il y a des inforiches et des infopauvres à cause des différences socioéconomiques entre les hommes et les femmes, des différences entre les professions, des différences entre les régions, etc. L’État devrait faire en sorte qu’il n’y ait pas, en plus, uniquement des infohommes » (Conseil du statut de la femme, 1996, p. 15).

La préoccupation du Conseil demeure actuelle.

Bibliographie