Les crimes d’honneur : de l’indignation à l’action

Ce document est la version HTML accessible du document Les crimes d'honneur: de l'indignation à l'action, disponible en format PDF sur le site Web du Conseil du statut de la femme.

Table des matières

Le Conseil du statut de la femme est un organisme de consultation et d’étude qui veille, depuis 1973, à promouvoir et à défendre les droits et les intérêts des Québécoises. Il conseille la ministre et le gouvernement sur tout sujet lié à l’égalité et au respect des droits et du statut des femmes. L’assemblée des membres du Conseil est composée de la présidente et de dix femmes venant des associations féminines, des milieux universitaires, des groupes socio-économiques et des syndicats.

Cet avis a été adopté par les membres du Conseil du statut de la femme le .

Liste des abreviations et des sigles

ACPO
Association of Chief Police Officers
BBC
British Broadcasting Corporation
CBC
Canadian Broadcasting Corporation
CDPDJ
Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse
CIC
Citoyenneté et immigration Canada
CSP
Community Safety Partnership
CSSS
Centre de santé et de services sociaux
DPJ
Direction de la protection de la jeunesse
FMU
Forced Marriage Unit
HRCP
Human Rights Commission of Pakistan
ICAHK
International Campaign Against Honour Killings
IKWRO
Iranian and Kurdish Women’s Rights Organisation
KMEWO
Kurdish and Middle Easter Women’s Organisation
MARAC
Multi Agency Risk Assessment Conference
MGF
Mutilations génitales féminines
MSSS
Ministère de la Santé et des Services sociaux
NSPCC
National Society for the Prevention of Cruelty to Children
ONG
Organisation non gouvernementale
ONU
Organisation des Nations Unies
SBS
Southall Black Sisters
SOGC
Société des obstétriciens et gynécologues du Canada
SPVM
Service de police de la Ville de Montréal
VBH
Violences basées sur l’honneur

Préambule

Depuis deux décennies, les pays occidentaux sont confrontés à la réalité des crimes d’honneur1. Au Québec, l’affaire Shafia, touchant une famille afghane de Montréal et impliquant le quadruple meurtre de trois sœurs et de la première épouse de leur père, a secoué l’opinion publique. Le fait que des intervenants sociaux avaient reçu des signalements concernant les jeunes victimes dans les mois précédant le meurtre a soulevé des questionnements sur la capacité de nos institutions de protéger les femmes vulnérables. Ce meurtre n’est ni le premier ni le seul crime d’honneur commis au Canada. Mais le procès Shafia, largement médiatisé, a été le catalyseur d’une prise de conscience sur cette réalité douloureuse jusqu’ici ignorée.

En novembre 2011, le Conseil du statut de la femme a reçu le mandat de la ministre de la Condition féminine de produire un avis sur les violences commises au nom de l’honneur. Il s’agissait de documenter l’ampleur du phénomène et d’analyser les mesures adoptées au Canada et dans d’autres pays pour contrer ce type de violences, afin de s’inspirer des meilleures pratiques. Le Conseil a également cherché à mieux comprendre le contexte propre aux violences justifiées par l’honneur, afin de dégager des pistes d’action visant à assurer la sécurité des femmes qui y sont vulnérables. Le Conseil est conscient qu’il s’agit d’un sujet sensible, difficile à aborder, surtout dans un contexte d’immigration, notamment à cause du risque de stigmatisation des communautés concernées. Loin de vouloir jeter le blâme sur l’immigration, le Conseil estime qu’il est nécessaire d’approfondir ce sujet si on veut agir pour contrer cette forme de violences qui touche plusieurs communautés de diverses cultures et religions. Il n’est plus possible d’ignorer cette réalité qui mérite d’être abordée avec prudence et dans le respect des membres des communautés touchées. Le Conseil croit que toute attitude de supériorité ou de dénigrement serait inacceptable et contre-productive, car elle risquerait d’alimenter le racisme des uns et le repli identitaire et défensif des autres.

Comme nous le verrons, le concept de l’honneur associé à la sexualité des femmes n’est pas exclusif aux cultures non occidentales. Rappelons qu’autrefois les jeunes filles-mères étaient ostracisées au Québec comme ailleurs. Elles étaient tenues de cacher leur grossesse et forcées d’abandonner leur enfant né hors mariage, sinon d’épouser un homme beaucoup plus âgé qu’elles, acceptant d’assumer la paternité pour sauver l’honneur de la famille. Cet ostracisme n’allait toutefois pas jusqu’au meurtre. Aujourd’hui encore, des milliers de femmes sont victimes d’agression ou de meurtre aux mains d’un conjoint jaloux. Les progrès réalisés en matière de droits et libertés reconnus aux femmes, qu’on tient parfois pour acquis en Occident, sont relativement récents et tributaires de longues luttes féministes.

Le Conseil considère que les femmes issues des minorités culturelles font partie intégrante de notre société et méritent le même respect de leur dignité et de leurs droits que toutes les autres citoyennes. Le Conseil croit que le respect de la diversité culturelle n’implique pas de conforter des pratiques discriminatoires ou préjudiciables aux femmes, souvent justifiées par la culture ou la religion. La lutte contre toutes les formes de violences à l’égard des femmes nous concerne tous et toutes, car il s’agit de notre avenir collectif. Vouloir ignorer la question délicate des crimes d’honneur en raison des défis qu’elle pose serait irresponsable et indigne d’une société pluraliste, égalitaire et démocratique, qui entend le rester.

Méthodologie

L’originalité de cet avis tient au fait qu’il est fondé à la fois sur une synthèse des recherches récentes relatives aux crimes d’honneur, sur des témoignages recueillis au Québec auprès de femmes touchées par le concept de l’honneur, sur une analyse des circonstances entourant les cas de crimes d’honneur répertoriés au Canada, ainsi que sur une analyse du modèle d’intervention adopté au Royaume-Uni visant à faire face à ce phénomène.

Concernant la recension des écrits, nous avons constaté que la plupart des études et rapports traitant du sujet sont fondés sur des éléments d’enquêtes policières et judiciaires ou d’articles de journaux. Les études empiriques faisant appel à des données basées sur une enquête terrain sont rares, d’où l’intérêt de cet avis pour lequel nous avons recueilli et colligé de nombreux témoignages de personnes touchées par cette problématique.

En ce qui concerne les témoignages recueillis au Québec, dans un premier temps, nous avons ciblé trois groupes distincts pour nous aider à mieux cerner les réalités complexes liées à l’honneur dans le contexte québécois. Tout d’abord, des femmes immigrantes issues de divers pays où le concept de l’honneur influence les comportements sociaux; puis des intervenantes et intervenants auprès de femmes vulnérables aux violences justifiées par l’honneur; enfin, des personnes considérées comme expertes sur le sujet, chercheurs et chercheuses ou professionnels et professionnelles, interpellées par cette problématique. Au total, trente-huit personnes ont été interviewées, entre décembre 2011 et mars 2012, à l’aide d’un guide de discussion (voir dans la version Web annexe I : Profil des femmes immigrantes interviewées, annexe II : Guide de discussion et annexe III : Liste des personnes interviewées ou consultées).

Dans un deuxième temps, compte tenu du fait que le Royaume-Uni est reconnu comme un chef de file en matière de lutte contre les violences basées sur l’honneur – terme couramment utilisé pour désigner diverses formes de violences justifiées par l’honneur – nous y avons mené une visite exploratoire, du 16 au 23 mars 2013. Au cours de celle-ci, nous avons rencontré des personnes œuvrant dans divers milieux institutionnels et autres, engagées dans le plan d’action national visant à contrer ce type de violences. Finalement, d’autres rencontres et échanges téléphoniques ont eu lieu avec des professionnelles et professionnels ainsi que des intervenantes et intervenants du Québec et d’autres provinces concernés par ce phénomène (voir annexe III dans la version Web : Liste des personnes interviewées ou consultées).

Nous sommes redevable à toutes les personnes consultées, qui ont accepté généreusement de partager avec nous leur réflexion et leur expérience concernant ce phénomène. Leur contribution a constitué un atout précieux qui a permis d’enrichir cet avis de leur expertise. Le Conseil du statut de la femme est toutefois seul responsable de l’analyse et des opinions émises dans ce rapport.

Introduction

L’ONU estime que les crimes d’honneur sont en croissance dans le monde entier et qu’environ 5 000 femmes en sont victimes chaque année (Commission des droits de l’homme, 2000). Mais il est généralement admis que ce chiffre est largement sous-estimé. En réalité, il n’existe pas de statistiques fiables concernant les crimes d’honneur, car il s’agit d’un phénomène caché et souvent ignoré des autorités pour diverses raisons. D’une part, plusieurs meurtres commis au nom de l’honneur ne sont pas rapportés comme tels; d’autre part, plusieurs crimes d’honneur sont déguisés en accidents, en suicides ou en disparitions par les familles des victimes. Les estimations varient donc considérablement, selon qu’il s’agit de sources officielles ou provenant de chercheuses et chercheurs indépendants et d’organismes œuvrant auprès des femmes.

Les crimes d’honneur ne sont pas limités à une seule culture ni à une seule religion. Ils touchent un grand nombre de pays de cultures très diverses, tels l’Afghanistan, l’Albanie, l’Arabie saoudite, le Bangladesh, la Bosnie-Herzégovine, l’Inde, l’Indonésie, l’Irak, l’Iran, Israël, la Jordanie, l’Ouzbékistan, le Pakistan, la Palestine, la Somalie, le Soudan, la Syrie, la Turquie et le Yémen (Fondation Surgir, 2012 : 11). Certains observateurs font remarquer que la majorité des crimes d’honneur sont commis dans des pays d’Asie du Sud et du Moyen-Orient, bien que d’autres régions d’Afrique, d’Amérique latine et d’Europe soient touchées aussi.

Les chiffres sont particulièrement alarmants dans les régions déchirées par des conflits armés ou des crises politiques, où la sécurité des citoyens n’est plus assurée et encore moins celle des femmes. À titre d’exemple, au Kurdistan irakien, plus de 5 000 femmes ont été assassinées au nom de l’honneur au cours des dernières années (Houzan2, cité dans IKWRO-ICAHK, 2006). Au Pakistan, la Human Rights Commission of Pakistan (HRCP) a recensé plus de 600 crimes d’honneur en 2008 et considère que ce n’est là qu’une fraction du nombre réel, la situation étant particulièrement grave dans les zones tombées sous le contrôle des talibans (HRCP, 2009 : 119). En Inde, dans la région du Pendjab (divisée entre le Pakistan et l’Inde), 1 261 crimes d’honneur ont été dénombrés en 2007 (Latif, cité dans Chesler, 2009). En Afghanistan, l’Afghan Independent Human Rights Commission a répertorié 1 500 cas d’agressions contre des femmes en 2006, ce qui inclut 200 cas de femmes ayant subi un mariage forcé (Husseini, 2009 : 116). Selon les organisations non gouvernementales (ONG) œuvrant dans ce pays ravagé par la guerre, la violence à l’égard des femmes a atteint des proportions épidémiques, et le statut social et juridique de celles-ci s’est gravement détérioré au cours des dernières années.

Compte tenu de l’immigration croissante issue de ces régions, les pays occidentaux sont de plus en plus confrontés au phénomène des crimes d’honneur. Plusieurs pays d’Europe ont enregistré un nombre croissant de tels crimes ces dernières années. Par exemple, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Suède et la France ont enregistré des dizaines de crimes d’honneur touchant notamment des familles originaires du Pakistan, de l’Inde, du Bangladesh, de Turquie et d’Afghanistan. En Allemagne, une soixantaine de procès pour crimes d’honneur se sont déroulés, entre 1996 et 2006, touchant majoritairement des familles originaires de Turquie ainsi que des Kurdes (Petermann, 2011). Le Canada n’échappe pas à cette réalité, bien que les chiffres y soient plus modestes. On y a enregistré deux douzaines de victimes de crimes d’honneur au cours des deux dernières décennies.

Pour tempérer l’alarmisme entourant ce sujet, certains font remarquer que le nombre de crimes d’honneur enregistrés dans les pays occidentaux ne représente qu’une infime partie du nombre d’homicides conjugaux. En effet, on a recensé au Canada 738 homicides entre conjoints en une seule décennie, de l’an 2000 à 2009 (Statistique Canada, 2011). En comparaison, le nombre de crimes d’honneur commis au Canada est relativement faible. Cependant, ce serait une erreur de conclure qu’on devrait éviter ce sujet délicat, vu le nombre restreint de crimes d’honneur. Il faut bien réaliser que les meurtres justifiés par l’honneur ne sont que la pointe de l’iceberg qui cache d’autres formes de violences liées à l’honneur, tels le mariage forcé, le contrôle excessif, les violences physiques, psychologiques et autres. Ignorer la question reviendrait à refuser de porter assistance aux femmes vulnérables à ce type de violences qui est rarement rapporté aux autorités.

De nombreux pays européens ont commencé à adopter des politiques et à développer des stratégies et des programmes visant à contrer les violences basées sur l’honneur, afin d’assurer la sécurité des femmes et des filles concernées, lesquelles sont souvent nées ou ont grandi dans les pays d’accueil. Le Royaume-Uni dont il sera question dans cet avis est considéré comme un chef de file à ce chapitre.

Présentation du document

Le présent rapport est divisé en trois grandes parties. La première traite de la problématique des violences basées sur l’honneur en se fondant sur une revue de la littérature. Le premier chapitre porte sur les enjeux liés aux crimes d’honneur, sur la controverse entourant la terminologie, ainsi que sur les appréhensions légitimes entourant ce sujet sensible, dont le traitement malavisé risque de renforcer le racisme et la stigmatisation des communautés touchées. Le deuxième chapitre dresse une synthèse des écrits et une réflexion approfondie sur ce phénomène permettant de situer les crimes d’honneur dans un contexte plus large. Ce chapitre expose la logique interne du concept de l’honneur et les justifications morales qui sous-tendent cette forme de violences, ainsi que les divers facteurs culturels, sociaux et politiques pouvant l’influencer, encourageant ou freinant son expansion.

La deuxième partie du rapport présente les perceptions et les répercussions du concept de l’honneur dans un contexte d’immigration. Le troisième chapitre dégage une synthèse analytique des entrevues effectuées auprès de femmes immigrantes ainsi que de divers intervenants et intervenantes et experts et expertes rencontrés au Québec, ce qui permet de tracer les contours du phénomène, tel que perçu et vécu en pratique par nos répondantes. Cette synthèse permet aussi de montrer concrètement l’influence du concept de l’honneur dans la vie des femmes concernées. Le quatrième chapitre porte sur les cas de crimes d’honneur recensés au Canada, au cours des deux dernières décennies. S’appuyant sur les cas concrets rapportés par les médias et dans les annales juridiques, ce chapitre tend à démontrer les liens entre les diverses composantes du processus qui mène aux violences justifiées par l’honneur énoncés précédemment et les crimes commis dans le contexte canadien. L’affaire Shafia est présentée de façon plus détaillée, à titre d’étude de cas, afin de montrer concrètement le processus d’escalade de la violence liée à l’honneur menant jusqu’au meurtre.

La troisième partie du document porte sur les perspectives d’action sur le plan politique, juridique et social. Le cinquième chapitre fait état de quelques initiatives québécoises et canadiennes intéressantes, issues de divers milieux (politique, juridique, policier, scolaire, médical et autres), visant à faire face aux violences basées sur l’honneur. Le sixième chapitre présente la politique adoptée par le Royaume-Uni, visant la prévention et la lutte contre les violences basées sur l’honneur, y compris les mariages forcés et les mutilations génitales féminines. Le modèle britannique étant considéré comme d’avant-garde en la matière, il est d’autant plus pertinent que le système juridique canadien s’inspire du modèle existant dans les pays membres du Commonwealth. Les éléments présentés dans ce chapitre s’inspirent largement des échanges fructueux réalisés avec les personnes des diverses instances rencontrées au cours de la mission effectuée au RoyaumeUni, du 16 au 23 mars 2013, dans le contexte de la préparation de cet avis.

Finalement, basé sur l’ensemble de l’analyse qui précède, le septième chapitre énonce des pistes d’action et des stratégies à développer pour lutter de façon globale et cohérente contre les violences basées sur l’honneur. Il comprend aussi une série de recommandations visant à prévenir ce type de violences et à protéger les personnes vulnérables.

On trouvera en annexe dans la version Web : le profil des femmes immigrantes interviewées (annexe I); le guide de discussion utilisé pour effectuer ces entrevues (annexe II); la liste des personnes interviewées ou consultées, y compris les intervenantes et intervenants ou expertes et experts rencontrés au Québec et au Royaume-Uni dans le cadre de notre recherche (annexe III). La bibliographie présentée à la fin du rapport ne prétend pas être exhaustive, mais elle inclut surtout les documents et les sites Web consultés en vue de la rédaction de cet avis.

Partie 1
La problématique des violences basées sur l’honneur

Dans cette première partie, nous commençons par souligner les multiples enjeux liés aux crimes d’honneur, y compris la difficulté d’aborder le sujet dans un contexte d’immigration, où le risque de stigmatisation des minorités touchées est réel (chapitre 1). Nous insistons sur la nécessité d’éviter le double piège du racisme et du relativisme culturel, en adoptant une position à la fois féministe et antiraciste. Nous clarifions enfin l’importance de nommer le phénomène et d’identifier ce qui le distingue des autres formes de violences familiales, afin de contrer efficacement ce type de violences.

Dans le deuxième chapitre, nous présentons un survol historique du concept de l’honneur dans diverses cultures et à diverses époques, et clarifions en quoi l’élément religieux a pu contribuer à renforcer ce phénomène. Nous explorons ensuite le concept de l’honneur et son corollaire, la honte ou le déshonneur, en tant qu’éléments structurants à la fois du statut social et de l’identité sexuelle dans les sociétés traditionnelles. Nous présentons les justifications morales fréquemment invoquées dans le contexte des crimes d’honneur, ainsi que quelques exemples de cas pour montrer comment les pressions sociales peuvent contribuer à encourager ces crimes. Nous explorons ensuite la dimension fonctionnelle de l’honneur ainsi que les facteurs sociaux qui infl le poids de l’honneur dans la vie des femmes. Finalement, nous abordons la question du mariage forcé, lequel fait partie des violences basées sur l’honneur, que nous distinguons du mariage arrangé.

Chapitre 1
Les enjeux liés aux crimes d’honneur

Il n’y a bien sûr aucun honneur dans le meurtre, mais pour combattre ce phénomène il faut utiliser ce mot, parce que dans le monde, il y a des gens qui disent qu’ils tuent pour « l’honneur » : bien sûr il s’agit de meurtre, et c’est une honte, pas un honneur.
Diana Nammi3, dans IKWRO-ICAHK, 2006

1.1 Définition et controverse

Le premier enjeu soulevé par le crime d’honneur est lié à sa défi Il n’est pas aisé de défi avec précision ce qu’est un crime d’honneur, d’autant plus que ce terme est lui-même objet de débat.

Plusieurs personnes, y compris des femmes issues des communautés touchées par les crimes d’honneur, s’opposent à l’usage de ce terme, craignant que cet étiquetage ne renforce le racisme en projetant une image exotique de ces crimes ainsi associés à une culture étrangère. Cette position est défendue par le Conseil canadien des femmes musulmanes qui refuse l’usage de ce terme, soutenant qu’il est inapproprié de désigner un crime par référence aux justifications de ses auteurs (Hogben, 2012). Certaines féministes suggèrent plutôt l’usage des termes « fémicide » ou « féminicide », selon les écrits, ce qui permet d’éviter toute référence au motif de ces crimes (Abu-Odeh, 1997; Razack, 2008; Amiraux, Blouin et Prud’homme, 2012).

Cependant, d’autres féministes rejettent cette position, affirmant que ce qui n’est pas nommé ne peut être changé. Ces féministes considèrent que les crimes basés sur l’honneur diffèrent des autres formes de violences à l’égard des femmes et que refuser de l’admettre serait une erreur stratégique (Keeping, Wiseman, Papp, dans MacIntosh et Shapiro, 2012; Mojab, 2012). Ces auteures insistent donc pour parler de crimes d’honneur, terme souvent utilisé entre guillemets, ou encore de « crimes dits d’honneur », afin de marquer une distance vis-à-vis de la justification morale de tels crimes. Pour tenter de concilier ces deux positions, certaines personnes emploient les termes « fémicide d’honneur » (Paré, 2009) ou « crimes sans honneur »4, ou encore « meurtres de la honte », pour bien signifier qu’il n’y a pas d’honneur à perpétrer de tels crimes.

Outre la controverse entourant le terme, il n’existe pas de définition universellement reconnue du crime d’honneur. ONU Femmes5 recommande l’adoption d’une définition assez large pour englober diverses formes de violences justifiées par l’honneur.

Elle doit être suffisamment générale pour englober les violences commises au nom de « l’honneur » sous quelque forme que ce soit, telles que le meurtre, le suicide forcé, le viol, le viol en réunion, la torture, les coups et blessures, le test de virginité, l’enlèvement, le mariage forcé, l’éviction forcée, les brûlures domestiques prétendument accidentelles, les attaques à l’acide et les mutilations6.

Selon la même source, toute définition de la violence commise au nom de l’honneur devrait comporter trois éléments clés :

  1. un pouvoir de contrôle sur la conduite d’une femme;

  2. la honte ressentie par un homme qui a perdu ce pouvoir de contrôle; et

  3. une pression de la collectivité ou de la famille qui contribue à aggraver cette honte ou à vouloir l’effacer.

Le Conseil de l’Europe, qui a reconnu l’urgence de combattre les crimes d’honneur, a adopté la définition suivante :

le concept de « crimes dits “d’honneur” » recouvre toute forme de violence à l’encontre des filles et des femmes (plus rarement des hommes et des garçons), au nom de traditionnels codes d’honneur, exercée par des membres de la famille, des mandataires ou par les victimes elles-mêmes. Les crimes dits « d’honneur » constituent une violation grave des droits de la personne qui les subit. (Conseil de l’Europe, 2009, paragraphe 13)

Nous avons adopté cette définition élargie dans le cadre de ce rapport. Toutefois, nous avons choisi d’utiliser le terme « crimes d’honneur » plutôt que celui de « crimes dits d’honneur », que nous utiliserons sans guillemets, à l’instar de divers auteurs, pour ne pas alourdir le texte. Il est bien entendu que nous ne cautionnons nullement les justifications morales de tels crimes. Nous emploierons donc ce terme pour désigner un continuum de violences liées au concept d’honneur pouvant aller jusqu’au meurtre. Nous utiliserons également le terme « violences basées sur l’honneur » (VBH)7, couramment en usage au Royaume-Uni et dans divers pays, qui présente l’avantage de distinguer le meurtre (Honour Killing) des autres formes de violences liées à l’honneur (Honour Based Violence), lesquelles incluent le mariage forcé, les agressions, le harcèlement, le contrôle excessif et les mutilations génitales féminines (MGF), alors que le terme « crime d’honneur » évoque spontanément le meurtre aux yeux du public peu au courant des définitions précises.

1.2 Entre le racisme et le relativisme culturel

La controverse soulevée par la terminologie n’est pas uniquement sémantique. Elle renvoie à l’enjeu réel du racisme et de la stigmatisation qui mérite qu’on s’y attarde. La question est de savoir comment aborder ce sujet délicat dans un contexte occidental, sachant que ces crimes touchent surtout des minorités issues de l’immigration, sans pour autant alimenter le racisme et la stigmatisation. Il n’existe pas de solution évidente à cette question.

Deux positions s’affrontent à ce sujet. D’une part, un courant de pensée soutenant que les crimes d’honneur ne diffèrent pas vraiment des violences familiales, et que l’attention exagérée qu’on leur accorde ne fait que refléter et renforcer le racisme. Cette position est soutenue au Québec dans plusieurs milieux, y compris des groupes de femmes et des intervenants sociaux, qui sont mal à l’aise avec la dénonciation publique des violences basées sur l’honneur. Il est vrai que le sensationnalisme des médias entourant ces crimes tend à justifier les appréhensions exprimées. D’autre part, un courant de pensée croyant que les crimes d’honneur, bien que s’inscrivant dans le contexte plus large des violences à l’égard des femmes, diffèrent des autres formes de violences familiales. Ce courant réclame une intervention accrue de l’État pour contrer ces crimes et assurer la protection des femmes vulnérables. Cette position a guidé la politique adoptée par le Royaume-Uni, dont il sera question plus loin.

Selon Shahrzad Mojab8 (2012), la position défendue par le premier courant de pensée, quoique bien intentionnée, s’inspire du relativisme culturel et ne permet pas de protéger et de défendre les intérêts des femmes à long terme.

Bien que la position raciste et celle du relativisme culturel soient diamétralement opposées, leur point de départ est le même : elles ne partent pas de l’intérêt des femmes, à savoir le démantèlement du régime de la violence masculine, et sont plus intéressées par la sauvegarde du statut de la race, de la nation ou de la culture. (Traduction libre, Mojab, 2012 : 126)

Rappelons que le relativisme culturel est apparu au début du XXe siècle en opposition à l’ethnocentrisme, lequel renvoie à une posture intellectuelle plaçant sa propre culture au-dessus des autres, ce qui peut conduire au racisme. À l’inverse, le relativisme culturel défend l’idée qu’il n’existe pas de morale universelle, que les valeurs défendues sont propres à chaque culture, et donc qu’on ne peut critiquer ni porter de jugements moraux sur des pratiques culturelles autres. Cette position généreuse est largement défendue au Québec comme au Canada au nom de la tolérance. Elle est invoquée chaque fois qu’une pratique culturelle issue des minorités semble heurter les valeurs dominantes de la société d’accueil, comme en témoigne la crise des accommodements raisonnables suscitée par les controverses entourant notamment le port du voile et du niquab, le refus de la mixité, etc.

S’inspirant du relativisme culturel, la politique du multiculturalisme adoptée au Canada et dans d’autres pays, sous diverses formes, visait à contrer le racisme envers les peuples anciennement colonisés. Cette politique aux objectifs louables valorise la diversité culturelle et rejette l’idée que la cohésion sociale exige l’intégration à la culture dominante. Le multiculturalisme soutient donc le droit des groupes minoritaires à préserver leurs coutumes ancestrales, ce qui a eu pour effet pervers d’encourager la ghettoïsation.

La politique du multiculturalisme est de plus en plus remise en question dans les pays qui s’en inspirent, notamment aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, à cause de son échec concernant l’intégration des membres des minorités. En encourageant ces derniers à préserver leur mode de vie, cette politique contribue à approfondir le fossé entre les minorités et la société d’accueil et à nourrir des tensions sociales croissantes. Le multiculturalisme est également critiqué par des féministes qui affirment qu’il contribue à renforcer des traditions patriarcales, au détriment du respect de l’égalité et des droits des femmes (Okin, 1999). Certains font même remarquer que le relativisme culturel, qui refuse l’application de droits universels, au nom des différences culturelles, « n’est finalement qu’une forme particulièrement pernicieuse du racisme », car il tend à considérer que les membres des minorités n’ont pas les mêmes aspirations et besoins légitimes de liberté que leurs concitoyens occidentaux (Boudjak, 2007 : 9).

Ces critiques témoignent d’une vive tension, voire de contradictions profondes entre l’universalité des droits humains et le relativisme culturel. En voulant faire preuve de tolérance et de respect de la diversité culturelle, on en vient à occulter et à légitimer certaines pratiques oppressives. C’est notamment le cas de l’excision, une mutilation sur laquelle les pays d’immigration ont longtemps fermé les yeux, estimant qu’il s’agit d’une pratique culturelle.

Pour sortir de ce dilemme moral, sans trahir l’idéal de l’universalité des droits, Mojab soutient qu’il est essentiel d’aborder la question des crimes d’honneur dans une double perspective, à la fois féministe et antiraciste. Pour cela, elle suggère tout d’abord de rappeler que les violences basées sur l’honneur émanent d’une culture patriarcale, laquelle n’est pas exclusive à une culture ou à une religion, contrairement à ce qu’affirment certains écrits qui ont tendance à attribuer ces crimes à l’islam et à la culture arabe. En outre, souligne-t-elle, il faut bien reconnaître qu’il existe au sein des sociétés patriarcales, où les crimes d’honneur sont fréquents, des forces de changement interne qui s’y opposent vigoureusement et sur lesquelles on peut miser pour contrer ces violences. Enfin, il faut admettre que le silence ou l’évitement de la question des crimes d’honneur ne font que renforcer les comportements misogynes et ne permettent pas de défendre les droits et les aspirations légitimes des femmes issues des communautés concernées (Mojab, 2012 : 124).

Autrement dit, il faut sortir du faux dilemme qui nous obligerait à choisir entre le racisme et le sexisme. Il est possible de se prémunir contre le double piège du racisme et du relativisme culturel qui contribue à renforcer des pratiques patriarcales préjudiciables aux femmes, au nom de la tolérance. Pour cela, il convient d’adopter une approche globale et cohérente, à la fois féministe et antiraciste, axée sur la défense des droits humains des femmes issues des minorités concernées. Il est clair qu’on ne peut y arriver sans confronter le système de valeurs fondé sur la hiérarchie des sexes préconisé par certaines personnes, hommes et femmes, au nom de leur culture ou de leur religion.

1.3 La nécessaire distinction entre les crimes d’honneur et les violences familiales

Nombre de personnes issues des communautés concernées et engagées dans la lutte contre les violences à l’égard des femmes croient qu’il est primordial de distinguer les crimes d’honneur des autres formes de violences familiales, si on veut agir efficacement pour contrer ce phénomène. Selon Dre Purna Sen9 (2006), ce qui distingue les crimes d’honneur des violences familiales, c’est qu’il ne s’agit pas seulement du désir de contrôle individuel d’un homme sur une femme. Il s’agit plus largement de l’imposition de normes sociales par une collectivité, à travers des punitions et des restrictions qui sont soutenues par une législation et une jurisprudence, lesquelles font preuve de clémence à l’endroit des personnes ayant la responsabilité d’imposer le respect de ces mêmes normes aux membres de leur famille, particulièrement aux femmes, mais aussi aux jeunes hommes.

Dre Sen distingue six éléments clés qui caractérisent les crimes d’honneur :

(Traduction libre, Sen, 2006 : 50)

Typiquement, la décision de commettre un crime d’honneur est discutée au sein d’une rencontre familiale, au cours de laquelle sera décidé qui effectuera le crime et comment il sera exécuté. La famille désigne parfois le plus jeune frère de la victime pour commettre le crime, afin de bénéficier de la clémence des juges en cas de condamnation.

En d’autres termes, contrairement aux cas de violence familiale qui impliquent un acte individuel, le plus souvent condamné par l’entourage et résultant d’un dysfonctionnement dans la relation, dans les cas du crime d’honneur, il s’agit d’une agression préméditée, menée en concertation avec d’autres membres de la famille, et découlant d’une éthique hautement morale, largement partagée par les membres de la communauté. Cela signifie que les crimes d’honneur comportent une dimension individuelle et une dimension collective, lesquelles ne peuvent être ignorées dans la lutte contre ce phénomène. Comme nous le verrons plus loin, le contrôle de la sexualité des femmes se trouve au cœur des violences basées sur l’honneur.

Chapitre 2
Le concept de l’honneur et sa fonction sociale

Il y a beaucoup de jeunes filles avec des bras cassés, des côtes cassées, des blessures au dos, à la tête… Une fois que vous avez été battue sévèrement, alors vous n’avez pas besoin d’être battue à nouveau, parce que la menace est toujours là…10
Traduction libre, Aruna Papp, extrait du documentaire Ces crimes sans honneur, de Raymonde Provencher

Une meilleure compréhension du concept de l’honneur et de son corollaire, la honte ou le déshonneur, est essentielle si on veut lutter effi contre les violences basées sur l’honneur. Il est utile de commencer par une mise en perspective de la notion de l’honneur à diverses époques, avant d’examiner comment ce concept détermine et oriente les rapports sociaux de genre et de classe au sein d’une société donnée, ce qui peut mener à légitimer la violence.

2.1 L’honneur dans diverses cultures

Historiquement, la notion de l’honneur, présente à diverses époques, a souvent servi à justifier des crimes. Ainsi, le roi Henri VIII a fait décapiter deux de ses épouses sur la foi d’allégations d’adultère, et la légendaire guerre de Troie aurait été déclenchée par un souverain lésé dans son honneur. En Europe médiévale, le code de l’honneur poussait un homme à convoquer en duel quiconque l’avait offensé, ne serait-ce que par une parole. Les duels d’honneur étaient donc pratique courante et se soldaient souvent par la mort de l’un des protagonistes.

Aujourd’hui encore, les suicides d’honneur sont bien connus au Japon. Dans plusieurs pays, tels l’Italie, l’Espagne, la Grèce et le Brésil, la culture du machismo pousse un mari jaloux ou un amoureux éconduit à tuer sa dulcinée, pour sauver son honneur bafoué. On qualifie généralement ces meurtres de crimes passionnels, mais la notion d’honneur n’y est pas étrangère.

Dans certaines sociétés patriarcales traditionnelles, la preuve de virginité est requise la nuit de noces. Celle-ci requiert l’exposition du drap tâché par le sang écoulé avec la rupture de l’hymen, pour attester aux yeux de la communauté que l’honneur familial est sauf. En l’absence de cette preuve tangible, le mari est en droit d’annuler le mariage, jetant ainsi le déshonneur sur la famille de l’épouse. Cette coutume ancienne, souvent associée à l’islam, remonte en fait à l’histoire biblique, comme en témoigne l’Ancien Testament (Deutéronome 22 :13-21). On l’observe aussi dans certains villages chrétiens d’Amérique latine, comme en fait état le célèbre roman de Gabriel Garcia Marquez11, intitulé Chronique d’une mort annoncée (1981).

L’histoire nous montre que les trois grandes religions monothéistes (le judaïsme, le christianisme et l’islam), qui ont pris naissance au Moyen-Orient avant de s’étendre aux quatre coins du monde, mettent l’accent sur l’honneur associé à la pureté et à la chasteté féminine. L’Église catholique a même sacralisé la virginité, à travers le culte de la Vierge Marie.

Rappelons aussi que la morale religieuse, tant chrétienne que juive et musulmane, condamne vivement l’homosexualité masculine, jugée contre nature et donc contraire à l’ordre divin. Étant souvent associée au comportement sexuel féminin et donc attribuée à un manque de virilité, l’homosexualité (avérée ou soupçonnée) est considérée dans plusieurs pays comme une atteinte à l’honneur familial et passible d’emprisonnement ou de mort.

Par ailleurs, le viol a souvent été vu comme une atteinte à l’honneur de la famille de la victime, plutôt qu’aux droits humains de cette dernière. Par conséquent, dans plusieurs pays du MoyenOrient, d’Afrique et d’Asie, un violeur est exonéré de tout blâme s’il épouse sa victime, et celle-ci est forcée d’épouser son violeur pour sauver l’honneur de la famille.

On voit ainsi que les violences basées sur l’honneur ne sont pas l’apanage d’une seule culture ni d’une seule religion. Ces crimes touchent des populations de cultures et de religions très diverses. Toutefois, il est difficile de nier que les crimes d’honneur semblent toucher aujourd’hui majoritairement des pays musulmans, ou ayant une proportion importante de populations musulmanes. Il est certes erroné d’attribuer ces crimes à l’islam. Mais comment alors expliquer la prépondérance de victimes musulmanes d’origines très diverses? Cette question mérite clarification, d’autant plus qu’elle heurte des sensibilités dont il faut tenir compte. L’ignorer risque de laisser le champ libre aux interprétations les plus racistes, comme on en trouve dans certains écrits.

2.2 Existe-t-il un lien entre les crimes d’honneur et certaines interprétations de l’islam?

Les textes sacrés de l’islam (le Coran et les hadiths12) ne font pas référence aux crimes d’honneur et ne justifient nullement le meurtre de femmes rebelles ou qui refusent un mariage arrangé. Comme d’autres religions, l’islam exige le consentement des conjoints pour valider le mariage. De plus, la vie du Prophète, consignée dans les moindres détails, indique que celui-ci n’a jamais levé la main sur ses épouses et qu’il s’est efforcé de protéger les femmes contre des traditions tribales préjudiciables pour elles, telles que le féminicide et leur exclusion de l’héritage.

Selon le courant réformiste de l’islam, le problème du statut inférieur des femmes observé dans les sociétés musulmanes vient du fait que certaines coutumes tribales et patriarcales ont été sacralisées et associées à l’islam par des siècles d’interprétations misogynes. Par exemple, les lois de la charia13, qui datent des premiers siècles de l’islam, ont intégré des lois coutumières préislamiques, prévoyant entre autres la lapidation des femmes accusées de zina (relations sexuelles extraconjugales). Pour sa part, le Coran prévoit un châtiment corporel, mais non la mort, y compris cent coups de fouet également pour l’homme et la femme adultères (v. 2, XXIV). Il prévoit aussi quatrevingts coups de fouet « pour ceux qui accuseront injustement une femme vertueuse, sans pouvoir produire quatre témoins » (v. 4, XXIV, Kasimirski, 1970). Cette dernière exigence est destinée à rendre la preuve extrêmement difficile, de façon à limiter de telles accusations.

Rappelons qu’à l’époque où l’islam est apparu (au VIIe siècle), les châtiments corporels et les exécutions étaient couramment admis dans tous les pays pour punir certains crimes. De fait, l’islam n’a pas introduit la lapidation, qui signifie littéralement tuer à coups de pierres. Cette forme d’exécution date de l’époque préchrétienne, comme en témoignent les textes sacrés du judaïsme (la Torah et le Talmud), autorisant la lapidation de la femme adultère et de son partenaire. Par ailleurs, dans la Rome antique, le droit romain accordait au chef de famille un droit de vie et de mort sur son épouse, ses enfants et ses esclaves. Le pater familias pouvait donc tuer en toute impunité sa femme adultère ou sa fille célibataire, si celle-ci perdait sa virginité en dehors du mariage. Ces pratiques, aujourd’hui qualifiées de « barbares » – terme qui renvoie aux étrangers qui n’étaient pas grecs ou romains – ont été graduellement abandonnées dans la plupart des pays occidentaux avec l’évolution du droit, alors qu’elles ont été maintenues dans plusieurs pays musulmans. La raison de ce décalage historique est, en partie du moins, liée à l’histoire de la colonisation.

Vers le milieu du XXe siècle, après la décolonisation, plusieurs pays musulmans ont adopté des réformes juridiques et ont cessé d’appliquer les châtiments corporels prescrits par la charia. Ironiquement, les codes nationaux instaurés dans les pays musulmans ayant acquis leur indépendance s’inspiraient souvent moins de la charia que du code pénal des pays colonisateurs ou encore du Code ottoman de 1863, lui-même inspiré du Code Napoléon (Abu-Odeh, 2011). Ainsi, l’article 324 du Code pénal français de 1810, qui n’a été aboli qu’en 1975 (par l’article 17, loi 617/75), se lisait comme suit :

Art. 324 : Pourra bénéficier d’une excuse absolutoire quiconque, ayant surpris son conjoint, son ascendante, sa descendante ou sa sœur en flagrant délit d’adultère ou de rapports sexuels illégitimes avec un tiers se sera rendu coupable sur la personne de l’un ou l’autre de ces derniers, d’homicide ou de lésion non prémédités.

L’auteur de l’homicide ou de la lésion pourra bénéficier d’une excuse atténuante s’il a surpris son conjoint, son ascendante, sa descendante ou sa sœur avec un tiers dans une attitude équivoque14.

D’autres codes européens, tels ceux de l’Espagne, du Portugal et de l’Italie (abrogés en 1979), offraient des circonstances atténuantes pour cause de provocation, dans les cas de crimes passionnels (Abu-Odeh, 2011). Par conséquent, les lois trop clémentes à l’égard des crimes d’honneur qu’on déplore aujourd’hui dans plusieurs pays musulmans s’inspirent des codes des pays occidentaux, où ces lois ont été en vigueur jusque dans les années 1970.

Bien que les châtiments corporels aient été largement abandonnés dans la foulée de la décolonisation par la plupart des pays musulmans, on a observé un retour vers ces pratiques, à partir de la fin des années 1980, sous l’impulsion de mouvements intégristes préconisant l’application rigoureuse des lois de la charia. Ainsi, la lapidation à mort est aujourd’hui appliquée dans divers pays, tels l’Afghanistan, l’Arabie saoudite, l’Iran, le Nigéria, le Pakistan, et le Kurdistan irakien. Malgré que le Coran et la charia précisent des conditions sévères pour porter des accusations d’adultère (quatre hommes doivent témoigner avoir vu l’acte de pénétration), rendant ainsi une sentence peu probable, l’exigence de cette preuve est souvent ignorée des juges. De plus, certains d’entre eux considèrent à présent qu’une victime de viol qui porte plainte pour dénoncer son agresseur peut elle-même être accusée de zina, si elle ne peut produire quatre témoins masculins, ce qui contredit clairement l’esprit du Coran.

En témoigne l’affaire d’une jeune femme norvégienne violée à Dubaï, qui a été condamnée lorsqu’elle a porté plainte pour viol, avant d’être graciée à la suite des pressions internationales15.

Les médias ont également rapporté récemment des cas de femmes et d’adolescentes violées puis accusées de zina qui ont été lapidées à mort lorsqu’une grossesse illicite a révélé leur état16. Ces dérives contribuent à renforcer les stéréotypes négatifs à l’égard de l’islam.

Plusieurs études démontrent que les législations en vigueur dans la plupart des pays musulmans tendent à légitimer les violences à l’égard des femmes. Par exemple, le code pénal de divers pays prévoit des sentences légères, allant de six mois à trois ans de prison, si les auteurs d’un crime invoquent l’obligation de défendre leur honneur. Autrement dit, la défense basée sur l’honneur est acceptée en cour. Il existe des variations d’un pays à l’autre en ce qui concerne l’impunité totale ou la réduction de la peine infligée, ainsi que l’étendue de la protection offerte aux auteurs de tels crimes. Certains pays limitent l’indulgence accordée uniquement au mari, en cas d’adultère de l’épouse, alors que d’autres pays l’étendent à d’autres membres de la famille, y compris le père, le frère, l’oncle ou le cousin de la victime (Abu-Odeh, 2011). Il est clair que la clémence des sentences contribue à rendre ces crimes socialement acceptables.

De plus, les autorités policières refusent parfois de consigner les circonstances d’un meurtre lié à l’honneur, se contentant d’enregistrer le décès de la victime comme un accident ou un suicide. Et l’entourage des victimes, complice ou au fait des circonstances du meurtre, refuse souvent de témoigner, soit par crainte des représailles, soit parce qu’il estime que la victime méritait son sort, sinon par souci de ne pas aggraver le sentiment de déshonneur de la famille, associé au comportement de la victime.

Des courants divergents de l’islam

En réponse à la détérioration du statut des femmes, renforcée par la montée de l’intégrisme religieux, des associations de femmes et des défenseurs des droits humains se mobilisent dans tous les pays pour tenter de modifier les lois et les coutumes misogynes qui favorisent les violences à l’égard des femmes.

À titre d’exemple, mentionnons la campagne nationale lancée en Jordanie, en 1999, sous le slogan « Right of life and the right for fair trial » (« Droit à la vie et droit à un procès juste »). Cette campagne dénonçait les crimes d’honneur et exigeait la modification des lois autorisant une réduction de peine pour les auteurs de tels crimes. Dans un livre retentissant, intitulé Murder in the Name of Honor (2009), Rana Husseini, journaliste et activiste jordanienne de renommée mondiale, témoigne de la mobilisation populaire qui s’est poursuivie durant plusieurs années, à travers notamment des tournées de sensibilisation, des pétitions, des émissions télévisées et radiophoniques. Cette campagne a été soutenue par des milliers de citoyennes et citoyens de toutes conditions, et par des personnalités politiques, y compris des membres de la famille royale jordanienne. Cependant, les réformes exigées ont été bloquées par des députés conservateurs au sein du Parlement jordanien. La campagne jordanienne sur les crimes d’honneur a néanmoins réussi à susciter un débat public et une remise en question des justifications morales soutenant de tels crimes.

Depuis plusieurs décennies, les réformes juridiques réclamées avec insistance dans divers pays musulmans ont souvent été freinées par l’opposition féroce de chefs religieux fondamentalistes.

Autres exemples de mobilisation contre les crimes d’honneur17

Une campagne mondiale intitulée « Violence is not our culture » (« La violence n’est pas notre culture »), lancée en 2007 avec l’appui du Rapporteur spécial des Nations Unies, dénonce toutes les formes de violences à l’égard des femmes « culturellement justifiées », y compris les crimes d’honneur, la lapidation pour adultère et les mutilations génitales féminines.

Au Pakistan, des campagnes contre les crimes d’honneur ont été lancées dès les années 1980, sous le slogan « There is no honour in killing » (« Il n’y a pas d’honneur à tuer »), à l’initiative d’une ONG, le Shirkat Gah Women’s Resource Centre.

Au Nigéria, un groupe local de défense des droits des femmes, BAOBAB, a réussi à renverser les sentences de lapidation visant des femmes. Ce groupe organise des ateliers de sensibilisation qui dénoncent la manipulation des textes religieux pour justifier les violences à l’égard des femmes et des filles.

En Iran, une campagne intitulée « Stop Stoning Forever » (« Arrêtez la lapidation pour toujours »), soutenue par des groupes de femmes, se poursuit depuis plusieurs années, réclamant l’abolition de telles sentences à l’encontre des femmes accusées de relations illicites.

Au Soudan, un groupe de femmes, le Salmmah Women’s Resource Center, appuyé par d’autres organismes, a lancé une campagne visant la réforme du Code pénal du Nord du Soudan, qui considère un viol comme un délit d’adultère.

En Indonésie, dans le contexte d’une campagne lancée en 2007, des groupes de défense des droits humains organisent des discussions dans les villages sur le danger de laisser la culture ou la religion justifier des violences à l’égard des femmes. Des groupes de femmes interpellent également les autorités et les décideurs, contestant le code pénal islamique qui a introduit, en 2009, la lapidation comme châtiment légal dans les cas d’adultère.

Malgré l’échec des réformes réclamées, ces revendications, souvent appuyées par des chefs religieux éclairés, ont le mérite d’exposer au grand jour les contradictions internes des interprétations opposées des textes religieux de l’islam qui servent tantôt à condamner tantôt à appuyer de tels crimes.

Ce paradoxe reflète l’existence de courants de pensée totalement divergents, qui instrumentalisent l’islam pour défendre leur propre vision sociale et politique. D’un côté le courant de pensée intégriste, devenu très influent à partir des années 1980, qui défend une interprétation rigoriste des textes religieux pouvant justifier les violences à l’égard des femmes et des infidèles; de l’autre, un courant de pensée réformiste de l’islam, datant de la fin du XIXe siècle et se poursuivant à ce jour, dans lequel plusieurs penseurs et théologiens réfutent les interprétations misogynes de l’islam et lui opposent une lecture plus respectueuse de l’esprit libérateur du message initial et des droits humains (Chebel, 2013; Benzine, 2004; Hourani, 1983). Ces deux courants de pensée coexistent depuis longtemps dans l’islam et alimentent de plus en plus de conflits et de luttes politiques qui déchirent présentement les pays musulmans.

Aujourd’hui, des forces de résistance regroupant des jeunes, des femmes et des hommes de toutes conditions s’organisent pour s’opposer au fanatisme religieux qui alimente et légitime les violences. Malheureusement, les attaques dirigées contre des intellectuels et intellectuelles, des artistes et des libres-penseurs et libres-penseuses qui osent critiquer les dérives associées à l’islam ne font qu’alimenter la peur et entretenir la confusion et les préjugés en Occident. Il est important de saisir ces divergences internes pour éviter de stigmatiser l’islam et l’ensemble des musulmans, qui sont issus de cultures très diverses et dont les positions reflètent un large spectre idéologique allant des plus conservateurs aux plus libéraux.

Des sensibilités exacerbées

Dans la foulée des attaques terroristes du 11 septembre 2001, les sentiments xénophobes ou racistes envers les musulmans ont atteint de nouveaux sommets. Ce contexte contribue à exacerber les sensibilités et à rendre malaisée toute critique des pratiques traditionnelles préjudiciables aux femmes qu’on associe, à tort ou à raison, à la religion ou à la culture islamique. D’où l’importance d’aborder la question des crimes d’honneur avec la plus grande prudence, tenant compte des sensibilités qui sont à fleur de peau, mais également pour éviter des réactions de repli identitaire allant dans un sens contraire aux intérêts des femmes. Il ne faut pas perdre de vue que bon nombre de citoyennes et de citoyens de confession musulmane vivant dans les pays occidentaux ont dû quitter leur pays pour fuir les violences commises par des groupes intégristes.

Il ressort de cette analyse que l’islam se prête à des interprétations contradictoires. Le concept de l’honneur justifiant les violences à l’égard des femmes émane d’une culture patriarcale, qui transcende les appartenances ethniques et religieuses. Ce type de violences se trouve donc aussi bien dans des sociétés musulmanes que dans les communautés chrétienne, sikhe et hindoue. Une

chose est claire, la religion est souvent instrumentalisée, comme le sont les lois, afin de maintenir en place un système de pouvoir, lequel régit les rapports sociaux entre les genres et entre les classes.

Au Québec, la plupart des citoyennes et des citoyens de confession musulmane ont été horrifiés comme d’autres par l’affaire Shafia qu’ils n’hésitent pas à condamner. Dans la foulée du procès Shafia, trente-quatre imams canadiens et américains ont émis une fatwa condamnant sans réserve les crimes d’honneur et soutenant que ces crimes sont totalement contraires à l’islam18. À l’issue du procès, plusieurs membres des minorités concernées ont exprimé un malaise relativement à la formulation du jugement condamnant les auteurs de ce quadruple meurtre, qui tendait à stigmatiser les communautés musulmanes en parlant de coutumes « barbares » et « contraires aux valeurs canadiennes », accentuant ainsi l’opposition entre « eux » et « nous ».

Pour éviter le piège de la dichotomie entre sociétés occidentales et non occidentales, entre le « eux » et le « nous », il est possible de concevoir les différences culturelles en termes de distanciation face aux valeurs patriarcales communes à plusieurs civilisations. Alors que ces valeurs sont encore omniprésentes dans certaines sociétés, elles sont en régression dans d’autres, notamment grâce aux luttes sociales en faveur de l’égalité des sexes et d’une plus grande justice sociale. Comme nous le verrons plus loin, on ne peut tout expliquer par la culture ou la religion. D’autres facteurs sociaux, économiques et politiques influencent l’évolution des mœurs et des coutumes, qui ne sont pas immuables. Il faudrait donc cesser d’essentialiser les cultures qui sont partout en pleine mutation, comme en témoigne la multiplication des soulèvements populaires observés ces dernières années aux quatre coins du monde.

2.3 L’honneur et le statut social

Le concept de l’honneur a été subtilement analysé par Julian Pitt-Rivers, un anthropologue britannique, qui a attiré l’attention sur l’importance de ce concept (Pitt-Rivers, 1966, 1992). Celui-ci définit ainsi le concept de l’honneur :

L’honneur est la valeur d’une personne à ses propres yeux, mais également aux yeux de sa société. C’est son estimation de sa propre valeur, sa demande de fierté, mais c’est aussi la reconnaissance de cette demande, son excellence reconnue par la société, son droit à la fierté. (…) Le droit à l’honneur, c’est le droit au statut social (au sens populaire aussi bien qu’au sens anthropologique), et le statut est établi à travers la reconnaissance d’une certaine identité sociale19.
Traduction libre, Pitt-Rivers, 1966 : 21-22

Autrement dit, l’honneur est lié à l’estime de soi et au statut social reconnu par la société, lequel est rattaché à l’identité. Il comporte ainsi une dimension individuelle et une dimension collective.

Bien qu’on ait tendance à croire que le concept de l’honneur est archaïque, il constitue en fait un élément central dans toute organisation sociale. Selon Pitt-Rivers, toute société, ancienne ou moderne, est fondée sur un code de l’honneur et de la honte, qui influence les relations sociales au sein de la famille et de la communauté, ainsi que les structures de pouvoir. Selon lui, l’honneur reflète les valeurs morales d’une société, que tout pouvoir politique prétend incarner. Ce dernier se donne le droit de dicter le bien et de punir le mal, d’attribuer l’honneur ou d’infliger le déshonneur aux individus, selon qu’ils se conforment ou non aux comportements souhaités (Pitt-Rivers, 1966 : 22).

L’auteur ajoute qu’il faut distinguer entre l’honneur assigné et l’honneur acquis.

Le sens rattaché à l’honneur et au déshonneur (ou la honte) qui influence le code de conduite est complexe et évolutif. Il varie dans le temps et dans l’espace, selon le genre, la classe et le milieu social (urbain, rural, tribal ou autre). L’honneur comporte donc une part d’ambiguïté qui donne lieu à des interprétations divergentes selon les contextes. De plus, le sens de l’honneur est parfois contesté au sein d’une société et associé à des luttes de pouvoir, et peut faire l’objet de négociations et de compromis. Par exemple, l’honneur d’un individu n’est généralement atteint que si la parole ou l’acte qui le déshonore est rendu public.

L’honneur est également objet de compétition, donnant lieu à des conflits personnels. Si autrefois ces conflits se réglaient dans un duel, dans les sociétés modernes, les individus acceptent généralement de déléguer ce pouvoir aux tribunaux. D’ailleurs, les codes criminels et civils occidentaux tiennent compte des conflits d’honneur, tel le délit de diffamation qui porte atteinte à la réputation d’une personne. Mais dans les sociétés plus traditionnelles, le devoir de défendre l’honneur, individuel ou collectif, est souvent dévolu au patriarche de la famille, au pouvoir religieux ou aux membres influents de la communauté.

L’honneur sexué

Des chercheuses ont poussé plus loin l’analyse du concept de l’honneur, en s’intéressant à la dimension sexuée de l’honneur, qui réfère à la différenciation selon le genre (Abu-Lughod, 1986; Tersigni, 2001; Osiek, 2008; Moxnes, 2010). Ces recherches indiquent que dans chaque société, il existe un lien étroit entre le concept de l’honneur et les rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes.

Alors que l’honneur assigné, lié à l’appartenance de classe, peut être similaire pour les hommes et les femmes, l’honneur acquis, associé à la vertu et aux comportements sociaux et sexuels attendus, est souvent différencié selon qu’il s’agit d’un homme ou d’une femme. Par exemple, bien que certaines sociétés traditionnelles considèrent les rapports sexuels en dehors du mariage comme étant déshonorants pour les deux sexes, l’honneur de la famille n’est pas atteint s’il s’agit d’un homme. De plus, tant les femmes que les hommes des classes supérieures bénéficient parfois d’une indulgence concernant leur inconduite morale, considérant que leur honneur est surtout lié à leur rang social.

L’honneur d’un homme est souvent rattaché à sa probité (honnêteté, respect des autres, etc.), à la bravoure et à la virilité (attributs associés à la masculinité), ainsi qu’à sa capacité de protéger les membres de sa famille. L’honneur d’une femme est plutôt rattaché à sa vertu et à ses qualités de dévouement familial (attributs associés à la féminité). Le comportement attendu d’une femme honorable est donc associé à la modestie, à la pudeur et à la capacité de préserver sa chasteté, en évitant tout contact avec les hommes étrangers à sa famille. Pour préserver son honneur, un homme doit assurer la chasteté des femmes se trouvant sous sa protection ou son autorité (sa mère, ses filles, ses sœurs et son épouse ou ses épouses).

Dans cette logique de l’honneur, les filles et les femmes étant considérées comme une source potentielle de déshonneur, leur contrôle social et sexuel est un devoir qui incombe aux membres masculins de leur famille et aux femmes plus âgées. Autrement dit, le devoir de protection assigné aux hommes implique un droit de contrôle sur les membres féminins de leur famille, et un devoir de soumission de la part des femmes. On voit ainsi que le code de l’honneur et de la honte est intimement lié à la division des rôles sociaux selon le genre, à la séparation des sexes et à la hiérarchie des sexes, principes fondamentaux du système patriarcal, souvent sacralisés par les religions. Cela ne signifie pas que les femmes ne détiennent aucun pouvoir social, mais celui-ci est souvent limité à certains domaines. Les mères et les femmes plus âgées exercent souvent un pouvoir indirect sur les hommes et sur les femmes plus jeunes. Ce sont elles souvent qui incitent les hommes à défendre l’honneur de la famille.

La révolution sexuelle et l’émancipation des femmes, phénomènes relativement récents, survenus vers la fin du XXe siècle, ont mis à rude épreuve le code de l’honneur et de la honte dans sa dimension sexuée. Dans un contexte de modernité, l’organisation sociale, régie par un système démocratique, repose sur de nouveaux principes, considérés comme universels, tels l’égalité des sexes, le respect des libertés individuelles, y compris sexuelles, et la laïcité. Il s’agit d’une rupture radicale avec les valeurs patriarcales liées à l’honneur, autrefois largement admises mais qui le sont de moins en moins, compte tenu de la mondialisation et de l’accélération des migrations. Il n’est donc pas surprenant que les conflits liés à l’honneur soient aujourd’hui exacerbés, d’autant plus quand il s’agit d’une société pluraliste, où se côtoient des groupes issus de cultures très diverses.

C’est dans ce contexte de transformation profonde et quasi inéluctable des valeurs morales associées à l’honneur que s’insère aujourd’hui la réalité des crimes d’honneur. Il importe donc de chercher à comprendre la dynamique interne liée au concept de l’honneur et du déshonneur, dans un groupe social donné, et de reconnaître les facteurs qui l’influencent, pour faire face à cette réalité.

La dimension fonctionnelle de l’honneur

Il est utile d’analyser le concept de l’honneur sous l’angle de sa fonction de régulation des comportements sociaux. La fonction complexe du système de valeurs axé sur l’honneur est ainsi décrite par une représentante d’une organisation palestinienne, Al Muntada, qui lutte contre les violences à l’égard des femmes :

Les structures informelles, comme la parenté, le patriarcat et le système tribal traditionnel, toutes contribuent à définir les frontières physiques et sociales dans lesquelles les femmes et les hommes peuvent se déplacer et agir. Elles sont les premières formes de régulation du comportement social, des rôles, responsabilités et relations des membres de la société en général. Elles se réalisent en assurant le maintien des normes sociales et codes de « l’honneur », qui définit la mobilité, le choix du mariage, le type et niveau d’éducation, le code vestimentaire, la profession, le comportement sexuel et le reste. (…) Le maintien du système de « l’honneur » sert à maintenir le pouvoir des structures informelles et à servir leurs intérêts matériels et sociaux. Même si la coexistence entre les structures formelles et informelles pourrait être une source de conflit, les deux structures coïncident souvent dans leurs attitudes et pratiques lorsque leurs intérêts se rencontrent.
Cité dans Boudjak, 2007 : 29-30

Cette réflexion montre le rôle complexe de l’honneur, qui remplit à la fois une fonction identitaire, permettant d’assurer la cohésion du groupe, et une fonction prescriptive, permettant de définir ce qui est licite, tolérable ou inacceptable, dans un contexte social donné. Par conséquent, le code de l’honneur et de la honte sert à maintenir en place des rapports de pouvoir hiérarchiques entre les sexes et entre les classes sociales.

On peut distinguer deux fonctions de l’honneur. L’honneur en tant qu’élément structurant du statut social, comme on l’a vu ci-dessus, et l’honneur comme noyau structurant de l’identité sexuelle.

Dans un contexte de modernité fondé sur les principes d’égalité des droits et des libertés, chaque personne assume entièrement la responsabilité de ses actes devant la loi, et l’honneur n’est plus lié à des normes sociales ou sexuelles imposées par une morale religieuse. À l’inverse, dans un système patriarcal traditionnel, les droits reposent moins sur l’individu que sur son appartenance à un groupe social donné, et l’honneur y est étroitement lié à la conformité aux rôles sociaux et aux comportements valorisés par la communauté, lesquels diffèrent selon le genre et le rang social des individus.

Dans les sociétés fondées sur une structure tribale ou clanique, les comportements sociaux sont régis par un code de l’honneur très strict. L’identité des individus y repose largement sur l’appartenance à une famille et à un groupe donné, et la loyauté au groupe est considérée comme la plus importante valeur, car l’exclusion du groupe signifie la mort sociale. Dans ce système à la fois patriarcal et tribal ou clanique, l’honneur dépend du comportement masculin (viril et agressif), tandis que le déshonneur repose surtout sur la vertu des femmes liée à leur chasteté. Le fait de déroger aux normes sociales établies est vu comme une source de honte et de déshonneur non seulement pour la famille, mais également pour toute la communauté.

Ainsi, l’inconduite d’une femme engendre un profond sentiment de honte chez tous les membres de sa famille, et leur déshonneur rejaillit sur l’ensemble du groupe. Or le pouvoir et l’influence qu’une famille exerce au sein de sa communauté dépendent de sa réputation, laquelle repose sur la rectitude morale de ses membres. Par conséquent, une atteinte à la réputation de la famille constitue une menace réelle pouvant se traduire par l’ostracisme social et économique, qui peut conduire à la ruine et pousser ses membres à l’exil. De plus, « l’impureté » d’une femme rejaillit négativement sur ses sœurs et ses cousines, anéantissant leurs chances de faire un mariage honorable. L’inconduite d’une femme signifie aussi que les hommes de sa famille sont incapables d’assurer leur contrôle sur les membres de leur famille, ce qui porte gravement atteinte à leur image de virilité aux yeux de la communauté (Boudjak, 2007 : 27).

Selon ce système de valeurs, il ne s’agit pas simplement du contrôle individuel d’un homme sur son épouse et ses enfants, comme c’est le cas dans un système patriarcal ordinaire. Il s’agit plutôt du contrôle de tous les hommes de la famille élargie (y compris les frères, les oncles, les cousins et les grands-pères) sur l’ensemble des femmes de la famille, selon le double système patriarcal et tribal. Cet élément crucial est propre aux crimes d’honneur, contrairement aux violences familiales, ce qui exige, comme nous le verrons plus loin, une approche spécifique tenant compte de la présence potentielle d’agresseurs multiples.

Les garçons apprennent dès leur jeune âge qu’il est de leur devoir de surveiller et de sanctionner le comportement des membres féminins de leur famille. Ils sont encouragés, souvent par leur mère, à adopter une attitude virile, impliquant agressivité et autorité à l’égard de leurs sœurs, fussentelles plus âgées qu’eux. Parallèlement, ils apprennent aussi à les protéger contre toute agression susceptible de provenir d’autres hommes. Cette double fonction du rôle masculin dicté par l’honneur, à savoir protection et sanction à l’endroit des femmes, explique pourquoi les femmes soutiennent ce système de valeurs patriarcales qui, d’une part, brime leur liberté mais, d’autre part, les protège, en principe du moins, contre des dangers extérieurs.

L’honneur constitue donc un élément structurant de l’identité sexuelle, laquelle détermine les comportements des hommes et des femmes. Ces dernières sont d’ailleurs considérées comme les gardiennes des valeurs patriarcales qu’elles ont souvent intégrées. Il n’est donc pas surprenant que des femmes collaborent à un crime d’honneur à l’encontre de leur propre fille ou qu’elles en soient parfois les instigatrices. Considérant que la moralité de la fille reflète celle de sa mère, cette dernière est souvent la première blâmée pour tout écart de conduite de sa fille. C’est ainsi que des mères peuvent être victimes d’un crime d’honneur, à la suite du comportement déshonorant de leur fille. Il n’est pas rare que la tante ou les sœurs de la victime, dont le comportement est source du déshonneur, soient également visées par le crime, pour avoir voulu la protéger ou cacher son comportement. Cela signifie qu’un seul crime d’honneur peut faire plusieurs victimes.

2.4 Les justifications morales et les pressions sociales

Les motifs invoqués dans les cas de crimes d’honneur sont variés et peuvent paraître futiles aux yeux de personnes étrangères. Nombre de jeunes filles sont tuées pour avoir perdu leur virginité, être tombées amoureuses d’un garçon ou pour avoir adopté un comportement jugé immodeste aux yeux de leur communauté (exprimé à travers l’habillement, le maquillage, les sorties, les fréquentations sociales, etc.). Le fait de s’opposer à la volonté de ses parents, notamment en matière de mariage, tels le refus d’un mariage arrangé ou l’insistance pour choisir un conjoint que les parents désapprouvent pour diverses raisons (s’il est d’une autre religion, d’une autre communauté ou d’une classe sociale inférieure), est à l’origine de nombreux crimes d’honneur. D’autres motifs invoqués incluent l’adultère ou le soupçon d’infidélité, le fait de refuser d’avoir des rapports sexuels avec son mari, de lui désobéir ou de sortir de la maison sans sa permission, ou encore de vouloir divorcer.

Un des mécanismes permettant de maintenir en place l’ordre social basé sur un code d’honneur est la surveillance publique et le commérage. Une femme sortant de chez elle est épiée par ses voisins et par les membres de sa communauté qui rapporteront ses faits et gestes à sa famille. La peur des ragots, qui peuvent ternir injustement la réputation d’une femme, agit comme une barrière efficace restreignant le champ de liberté des femmes (Boudjak, 2007 : 60-61). Les membres d’une communauté s’arrogent ainsi le droit d’agir comme un jury ayant le pouvoir d’attribuer l’honneur ou le déshonneur. Ce mécanisme est particulièrement étouffant dans les petites communautés (village ou quartier urbain) où toutes les familles se connaissent ou presque. On observe ce mécanisme de contrôle au sein de certaines communautés immigrantes vivant en Occident, y compris dans le contexte québécois.

Les exemples de cas qui suivent permettent d’illustrer concrètement les motifs fréquemment invoqués dans les cas de crimes d’honneur et les pressions sociales qui les sous-tendent.

Du’a Khalil Aswad, victime d’une rumeur

Du’a Khalil Aswad, Irakienne kurde âgée de 17 ans, était étudiante à la Faculté des beauxarts en Irak. Elle a été lapidée à mort, le 7 avril 2007, dans son village, par les membres de sa communauté. Du’a était tombée amoureuse d’un jeune homme musulman qu’elle voulait épouser, alors qu’elle était de confession yazidi20. Sa mise à mort par lapidation, filmée avec un cellulaire et diffusée sur Internet par un témoin de la scène, a fait le tour du monde et a ému l’opinion publique21. Ce drame a alimenté les tensions intercommunautaires entre musulmans et yazidis dans la région. La police irakienne présente sur les lieux s’est abstenue d’intervenir, considérant qu’il s’agissait d’une affaire privée. Il est intéressant de souligner que les auteurs de cette mise à mort collective étaient les oncles et les cousins de la victime, tandis que le père a tenté vainement de protéger sa fille. De plus, une autopsie a révélé que Du’a était vierge.

Le cas de Du’a montre que le comportement reproché à la victime n’a pas besoin d’être avéré. De simples soupçons mettant en doute sa chasteté suffisent à justifier le meurtre. Cet exemple témoigne aussi de la complicité des autorités policières qui ferment souvent les yeux sur de tels crimes. Il illustre enfin le fait que les pressions sociales en faveur du crime d’honneur proviennent parfois de la famille élargie ou des membres influents de la communauté qui peuvent décider du sort de la victime.

Deux autres cas de crime d’honneur, perpétrés en Jordanie, témoignent de l’importance capitale accordée à la virginité. Rana Husseini a interviewé les auteurs de crimes d’honneur dans une prison jordanienne, pour tenter de comprendre les raisons qui les ont poussés à commettre de tels crimes. Elle conclut que ces traditions patriarcales transforment un honnête homme en meurtrier et gâchent non seulement la vie des victimes, mais également celle de leurs proches qui se remettent difficilement après ces drames (Husseini, 2009 : 10-17).

Yasmin, victime de viol

Sirhan, un jeune Jordanien de 29 ans, a tué sa sœur, Yasmin, parce qu’elle avait été violée par son beau-frère et avait ainsi perdu sa virginité. Sirhan confia à la journaliste qu’il ne voulait pas tuer sa sœur qu’il aimait beaucoup, mais que les membres de son village ne lui adressaient plus la parole ainsi qu’à son père, leur disant d’aller laver leur honneur. La mort était la seule solution, dit-il, pour faire cesser les ragots et restaurer l’honneur de la famille. Lors d’une seconde rencontre avec la journaliste, après sa libération, Sirhan lui avoua qu’il n’arrivait pas à trouver une épouse, aucun homme du village ne voulant le marier à sa fille…

Kifaya, victime d’inceste

Khalid, un père de famille dans la trentaine, avait tué sa sœur âgée de 16 ans, Kifaya, parce qu’elle avait été violée par un autre de ses frères. Ayant dû passer cinq ans en prison, une sentence sévère comparativement à d’autres, Khalid confia à la journaliste que son séjour en prison avait bouleversé sa propre vie familiale, le privant entre autres de voir ses enfants grandir. Bien que Khalid affirme qu’il ne regrette pas son geste, il ajoute qu’il aurait mieux valu pour lui qu’il attache sa sœur comme une chèvre dans la maison, jusqu’à ce qu’elle meure ou que quelqu’un veuille bien l’épouser.

Les cas de Yasmin et de Kifaya témoignent du poids des pressions sociales qui peuvent pousser un père ou un frère à tuer sa fille ou sa sœur, qu’il chérit pourtant, même si celle-ci n’est pas responsable de l’acte associé au déshonneur. Pour restaurer l’honneur de la famille, c’est la victime et non l’auteur de l’agression sexuelle qui est visée par le crime d’honneur, car une fille ayant perdu sa virginité perd toutes ses chances de faire un mariage honorable, en plus de jeter le discrédit sur les autres jeunes filles de sa famille. Concrètement, cela signifie que les victimes de viol et d’inceste ne peuvent dénoncer leur agresseur sans risquer leur vie.

Typiquement, l’auteur d’un crime d’honneur n’éprouve pas de remords et ne doit pas cacher son geste mais le clamer publiquement pour restaurer l’honneur familial. Il est souvent perçu comme un héros aux yeux des membres de sa communauté, qui estiment son courage d’avoir sacrifié la victime pour sauver l’honneur familial. Mais le cas de Sirhan qui ne trouve pas d’épouse après avoir tué sa sœur Yasmin montre aussi que l’auteur du crime porte parfois les stigmates de son geste.

L’exemple qui suit montre que le divorce est souvent considéré comme la pire solution pour une femme, même en cas de violence conjugale.

Samia Sarwar, victime ayant voulu divorcer

Samia Sarwar22, fi d’un riche homme d’affaires et président de la Chambre de commerce de Peshawar, au Pakistan, a été abattue à Lahore, en avril 1999, alors qu’elle se trouvait dans le bureau de son avocate, Hina Jilani23, pour compléter les procédures de son divorce. La victime était séparée depuis trois ans de son mari qui la battait, lequel était également son cousin. Elle voulait officialiser leur séparation, afin de pouvoir épouser un autre homme dont elle était tombée amoureuse. Le meurtre a été organisé par la mère, le père et l’oncle de la victime.

Le cas de Sarwar montre qu’une femme souhaitant divorcer ne peut compter sur le soutien de sa famille, qui exercera souvent des pressions pour la pousser à demeurer avec son mari, en dépit d’une situation de violence conjugale. Lorsqu’il s’agit d’un mariage endogame, comme c’est souvent le cas, ces pressions visent entre autres à éviter les répercussions négatives sur d’autres membres de la famille, car le divorce aura des échos amplifiés au sein de la famille étendue.

Selon la formule consacrée, « Laver la honte dans le sang » vise donc à restaurer l’honneur de la famille en tuant la victime, pour éviter une mort sociale aux autres membres. Le poème qui suit, écrit par une femme irakienne, considérée comme une des plus importantes poètes contemporaines du monde arabe, témoigne du profond sentiment d’indignation suscité par le système de l’honneur, au sein même des sociétés qui y sont soumises.

Laver la honte24

« Maman », et puis le râle, le sanglot, le noir.
Le sang coule encore un peu,
le corps poignardé frissonne encore un peu.
Les cheveux bouclés s’enlisent dans la boue
« Maman! », mais ça, seul l’a entendu le bourreau.
Demain, c’est l’aube, et les roses au réveil,
On entendra crier vingt jeunes années,
et l’espoir enchanté. Alors, dira la prairie,
et diront les fleurs :
– Celle qui nous a quittés,
nous a quittés pour que la honte soit lavée.

Dans son village, reviendra le bourreau sauvage.
« La honte? » dira-t-il – et il essuiera son couteau
– « La honte, nous l’avons déchirée en mille morceaux!
Nous voici revenus, sans tache, le front haut, libres.
Eh patron! Un verre! Du vin!
Appelle la putain, la langoureuse au souffl de parfum.
Pour rançon de ses yeux, je donne le Coran,
et Dieu sait quelles destinées! »
– Remplis ton verre, bourreau.
La honte, seule la victime peut l’effacer!

L’aurore viendra. Les filles demanderont :
« Où est-elle? » La bête de sang répondra :
« Nous l’avons tuée.
Cette tache, à nos fronts, nous l’avons lavée. »
Les voisines raconteront son histoire.
Et aussi les palmiers du quartier.
Pas une porte de bois n’oubliera,
Les pierres répèteront :
– Laver la honte, Laver la honte.

Ô voisines, filles du village,
Nous ne pourrons pétrir le pain qu’avec nos larmes. Nous couperons nos tresses, écorcheront nos mains,
Afin que reste pure et blanche la tunique virile.
Ni sourire, ni fête, ni regard : le couteau
Nous guette dans la main de nos pères, de nos frères.
– Qui sait, quels déserts, demain,
Pour laver la honte,
Nous enseveliraient?

Par Nazik Al-Malaïka, poète irakienne (Baghdad 1923 – Le Caire 2007)

Bien que les crimes d’honneur soient minoritaires en comparaison d’autres crimes, ils ont un effet structurant au sein d’une communauté. Ils servent à la fois à punir la transgression des normes sociales et à prévenir l’insubordination à l’encontre de l’autorité patriarcale. En effet, ils sont perçus et présentés comme un avertissement aux autres femmes, afin de les pousser à se conformer aux normes sociales imposées. Cela a pour effet de limiter leurs choix de vie et d’orienter leurs comportements dans le sens de la soumission aux hommes de leur famille et aux traditions. Ainsi, le code de l’honneur constitue un outil de contrôle social redoutable, qui vise à maintenir et à renforcer un système patriarcal qui opprime les femmes et nie leur autonomie et leurs droits.

Les meurtres justifiés par l’honneur ne représentent que la pointe de l’iceberg. Avant d’en arriver là, pour restaurer l’honneur familial terni par le comportement jugé déshonorant d’une femme, les hommes de sa famille useront de divers moyens pour l’obliger à se soumettre aux normes sociales établies. Par exemple, l’honneur de la famille peut être restitué si la personne accepte de se conformer, en mettant fin à une fréquentation amoureuse ou en acceptant un mariage arrangé. Cela signifie qu’un meurtre lié à l’honneur ne survient pas subitement. Il est le plus souvent précédé de divers degrés de coercition visant à contraindre la victime à renoncer au comportement jugé déshonorant. Les mesures coercitives vont des menaces et des violences verbales aux châtiments corporels, en passant par le chantage et les pressions affectives et financières, ainsi que l’isolement au sein de la famille, la séquestration, la surveillance constante ou encore le mariage forcé. Pour se prémunir contre le risque de rébellion ou d’écart de conduite de la part de leur fille, les parents se dépêchent de la marier très jeune, parfois dès la puberté.

Le mariage précoce ou le mariage forcé, dont il sera question plus loin, est donc une composante des violences basées sur l’honneur, tout comme l’excision, censée réduire les pulsions sexuelles des femmes pour éviter des comportements déshonorants. D’autres pratiques, observées dans un contexte d’immigration, telles que le refus de la mixité et l’interdiction aux femmes d’avoir des fréquentations sociales en dehors de la famille, relèvent également des moyens de contrôle destinés à préserver l’honneur familial.

S’il est vrai que les victimes de crimes d’honneur sont très majoritairement des femmes, ces crimes touchent parfois des hommes, s’ils sont associés au comportement jugé répréhensible d’une femme ou s’ils transgressent les valeurs masculines de la virilité en adoptant un comportement homosexuel affiché (Paré, 2009 : 18). Des hommes homosexuels ou soupçonnés de l’être sont parfois soumis au mariage forcé pour sauver l’honneur de la famille. Ainsi, bien que les violences basées sur l’honneur ne soient pas toujours l’expression des inégalités entre les sexes, elles contribuent activement à les renforcer.

Par ailleurs, il existe aussi des suicides basés sur l’honneur. Certaines femmes sont poussées par leur famille à se suicider au nom de l’honneur, à la suite d’une grossesse illicite ou du dévoilement de rapports sexuels extraconjugaux. On a noté dans certains pays une augmentation soudaine du nombre de suicides de jeunes femmes, faisant suite à l’adoption de mesures législatives plus sévères à l’encontre des auteurs de crimes d’honneur. Il s’agit parfois de meurtres déguisés, sinon de harcèlement familial qui pousse les victimes dont le comportement est jugé déshonorant au suicide. On observe aussi un nombre élevé de suicides parmi les femmes de certaines communautés soumises au code de l’honneur, qui résulte d’une détresse psychologique réelle, souvent associée à la perspective d’un mariage forcé ou au déni de leur autonomie.

De plus, certains meurtres commis au nom de l’honneur cachent parfois d’autres motifs, tels des conflits liés à l’héritage, à la dot ou au désir de se défaire d’une épouse devenue indésirable. L’invocation mensongère de l’honneur par les auteurs de tels meurtres vise à obtenir le cautionnement moral des membres de leur communauté sinon une sentence plus clémente.

2.5 Les facteurs contributifs

Plusieurs facteurs peuvent influer sur le degré d’influence du code d’honneur au sein d’une communauté. Par exemple, le poids de l’honneur sur la vie des femmes est généralement plus lourd dans un milieu rural que dans un milieu urbain. L’anonymat des grandes villes et l’exposition à d’autres façons de penser, combinés à l’accès à l’éducation, sont des facteurs qui favorisent généralement une distance critique à l’égard de traditions étouffantes. À l’inverse, la tension opposant les exigences de la modernité aux traditions ancestrales peut constituer un facteur aggravant.

Dans certains pays, comme en Inde, les médias rapportent une vague de violences sexuelles sans précédent à l’encontre des femmes. À Delhi, devenue la « capitale indienne du viol », les jeunes femmes s’instruisent de plus en plus, entrent sur le marché de l’emploi, sortent avec des amis pour aller au cinéma, etc., mais doivent néanmoins continuer à se battre quotidiennement contre des mentalités profondément misogynes. Certains font remarquer que « les vieilles mentalités sont amplifiées par les nouvelles libertés, plutôt que redéfinies par elles » (Taillefer, 2013). Cette constatation s’applique à d’autres sociétés traditionnelles régies par un code d’honneur, où on observe que les femmes s’émancipent mais subissent de plus en plus d’agressions sexuelles et de harcèlement. Comme le souligne Ruchira Gupta25 (2012), la culture du viol repose sur des normes, des attitudes et des pratiques qui banalisent, tolèrent et même approuvent les violences à l’égard des femmes, violences qui sont ensuite normalisées par l’impunité accordées aux hommes qui en usent.

De fait, le concept de l’honneur-honte procure à certains hommes le pouvoir d’infliger le déshonneur à d’autres hommes, ce qui contribue à créer les conditions propices à la multiplication des violences à l’égard des femmes. La situation est aggravée par l’absence d’un système fondé sur la règle de droit. On observe ainsi une augmentation des viols et des violences basées sur l’honneur, dans les pays en proie aux conflits armés. C’est notamment le cas en Afghanistan, en Irak et dans les territoires palestiniens occupés. Des organismes humanitaires œuvrant dans ces pays rapportent que les femmes y sont souvent victimes de viols ou d’inceste, ou encore poussées à se prostituer pour survivre, et sont ensuite tuées au nom de l’honneur (IRIN, 2007).

Dans un contexte de migration en Occident, le degré d’importance accordé à l’honneur par les familles concernées est influencé par divers facteurs internes et externes, y compris les valeurs familiales et communautaires, mais également les conditions d’insertion dans la société d’accueil.

Au Royaume-Uni, où on compte une douzaine de crimes d’honneur chaque année, certains observateurs attribuent ce phénomène à l’influence du courant intégriste islamique en exil. Comme le souligne Nazir Afzal, directeur du Service des poursuites de la Couronne dans l’ouest de Londres, nombre de crimes d’honneur commis ces dernières années au Royaume-Uni peuvent être reliés à l’influence croissante de groupes fondamentalistes, dont le discours met l’accent sur la pureté et la virginité des filles, ainsi que sur le droit des hommes de sanctionner le comportement des femmes (Daily Mail, 26 mars 2007).

Cette analyse pourrait s’appliquer également au Canada. Comme nous le verrons dans la deuxième partie, certains hommes immigrants ayant adopté un mode de vie très permissif dans leur pays d’origine embrassent soudain des valeurs plus traditionnelles dans le pays d’accueil. Ce changement peut s’expliquer de diverses façons. Selon Mojab (2012), les membres des groupes minoritaires issus de l’immigration ont souvent tendance à se réfugier dans leurs traditions pour préserver leur identité culturelle menacée par l’assimilation. Or, comme nous l’avons vu précédemment, une des fonctions du code d’honneur est de resserrer les liens entre une personne et son groupe d’appartenance qui lui donne son identité.

Outre le désir d’affirmation identitaire, souvent renforcé par l’influence idéologique de groupes religieux conservateurs, le facteur économique joue un rôle non négligeable. Dans un contexte économique difficile, l’expérience migratoire est semée d’embûches. La perte du statut social et économique, liée au taux de chômage, souvent plus élevé que la moyenne nationale chez les nouveaux arrivants, ainsi que la non-reconnaissance de leurs diplômes, l’obligation d’accepter un emploi inférieur à leur niveau de compétence, conjuguées à la perte de réseaux sociaux anciens et la difficulté d’en créer de nouveaux, conduisent à un sentiment de rejet et d’humiliation. Cette situation contribue dans une large mesure au repli identitaire observé et au renforcement du désir de préserver ses traditions ancestrales.

2.6 Le mariage arrangé et le mariage forcé

Dans un système de valeurs basé sur l’honneur, le refus d’un mariage arrangé et toute rupture envisagée par la suite sont associés au déshonneur de la famille. Il existe donc un lien étroit entre les crimes d’honneur et le mariage forcé.

Le consentement est l’élément crucial qui distingue un mariage arrangé d’un mariage forcé. Dans le cas d’un mariage forcé, au moins l’un des futurs époux, généralement la femme, n’a pas la possibilité de se soustraire au mariage, alors que dans le mariage arrangé, les familles jouent un rôle central dans les contacts menant au mariage, mais le choix final de se marier ou non appartient aux futurs époux (Garcia et collab., 2004). On peut donc affirmer que tous les mariages forcés sont des mariages arrangés, mais que tous les mariages arrangés ne sont pas nécessairement des mariages forcés.

Historiquement, le mariage arrangé constituait la norme dans toutes les sociétés. L’idée qu’un mariage doit être le fruit d’un choix individuel, motivé par l’amour ou l’attraction entre deux conjoints, est relativement récente. Le mariage était avant tout un arrangement entre des familles, motivées par le désir de renforcer leur alliance ou de consolider leurs fortunes. Le mariage a évolué à travers les âges, à des rythmes différents selon les contextes. Le mariage arrangé est encore assez répandu dans les sociétés traditionnelles, où il revêt parfois un caractère endogame. En Asie du Sud, par exemple, le mariage arrangé constitue encore la norme, tandis qu’au MoyenOrient, les mariages entre cousins germains sont très fréquents et même encouragés, alors que cette pratique est découragée dans la plupart des sociétés occidentales26.

Aujourd’hui, le mariage forcé est considéré comme une forme de violence, à la fois physique et symbolique. Il est condamné au niveau international, en tant qu’atteinte aux droits humains. Le droit de choisir son conjoint est reconnu dans diverses conventions internationales, y compris la Déclaration universelle des droits de l’homme (article 16.2), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (article 23.3), la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW, article 16) et la Convention sur le consentement au mariage, l’âge minimum du mariage et l’enregistrement des mariages27.

Il n’existe pas de statistiques fiables concernant les mariages forcés. C’est un sujet tabou, qui a rarement fait l’objet d’études. On trouve des mariages forcés dans des groupes de diverses cultures et de diverses confessions (chrétiens, musulmans, juifs, sikhs, hindous, et autres). Il s’agit d’une pratique culturelle et non religieuse. Toutes les religions exigent en principe le consentement des époux. Les mariages forcés sont parfois motivés par des raisons économiques, telles que la pauvreté ou la cupidité des parents attirés par le montant de la dot versée en échange de leur fille, l’obtention d’un prêt ou l’effacement d’une dette.

Les mariages d’enfants (parfois dès la naissance) et les mariages précoces (dès la puberté) sont pratiques courantes dans divers pays d’Afrique subsaharienne, d’Asie du Sud, du Moyen-Orient et d’Amérique latine. À titre d’exemple, l’UNICEF estime qu’au Bangladesh, des milliers de fillettes sont mariées dès la puberté, parfois comme troisième ou quatrième épouse d’un homme beaucoup plus âgé qu’elles, alors qu’en Inde, 47 % des filles ayant moins de 18 ans seraient mariées, et 40 % des mariages d’enfants dans le monde sont pratiqués dans ce pays (World News, 2012). Bien que le mariage d’enfants soit illégal, y compris en Inde où des efforts ont été déployés pour le contrer, cette pratique subsiste dans les régions rurales et pauvres renforcée par des pressions sociales et économiques importantes (Niles, 2010). Étant donné qu’un enfant ne peut donner un consentement éclairé, les mariages précoces sont considérés comme des mariages forcés.

Selon Madeline Lamboley28, qui étudie les mariages forcés au Québec, il est difficile de départager les mariages arrangés des mariages forcés, car la ligne qui les sépare est parfois mince, « tout est dans le degré de liberté au moment de l’échange de consentement » (citée dans Verville, 2012). Nombre de jeunes femmes et quelques fois des jeunes hommes aussi sont soumis à des pressions importantes pour obtenir leur assentiment à un mariage arrangé par leurs parents. Il existe, ajoute-t-elle, différents types de contraintes familiales, sociales et économiques. Les contraintes exercées vont des pressions psychologiques au chantage émotif ou à la tromperie, concernant le caractère ou le statut du futur conjoint, qui est parfois déjà marié, sans emploi ou moins riche qu’il le prétend. Ainsi, dit-elle, le consentement au mariage est parfois arraché plutôt que le résultat d’un choix libre et éclairé. On trouve la pratique des mariages forcés dans tous les pays, y compris au Canada, où elle ne touche pas seulement des populations immigrantes, rappelle Lamboley, mais également des communautés mormones. Les jeunes homosexuels sont également à risque d’un mariage forcé, précise-t-elle.

En Europe, certains chercheurs soulignent que la réalité des mariages forcés touche principalement des jeunes filles issues de l’immigration (Garcia et collab., 2005). Une étude menée au Royaume-Uni indique que le mariage forcé concerne des communautés d’origines très diverses (d’Afrique, d’Asie, des Caraïbes et d’Europe de l’Est), et que les incitatifs varient selon les groupes, lesquels sont motivés par des facteurs économiques, sociaux ou idéologiques, y compris le désir de contrôler la sexualité des filles (Hester et collab., 2007 : 36).

Les conséquences d’un mariage forcé sont souvent dramatiques pour les femmes. Selon les témoignages recueillis, plusieurs d’entre elles comparent leur nuit de noces à un viol et certaines continuent de vivre les rapports sexuels conjugaux comme un viol répété, s’inscrivant dans le contexte d’une relation conjugale inégale, qui nie leur autonomie et leurs choix. Outre le fait d’interrompre les projets d’études et de carrière des jeunes femmes, le mariage forcé est souvent associé à la violence conjugale. Compte tenu du fait que le divorce est perçu comme déshonorant pour la famille, surtout s’il est amorcé par l’épouse, plusieurs femmes se résignent à vivre avec un conjoint qui leur a été imposé. D’autres prennent le risque d’être victimes d’un crime d’honneur en entreprenant les démarches vers une séparation ou sont acculées au suicide.

Le cas de Jaspritt, rapporté par les médias, notamment dans l’émission Enjeux, diffusée par Radio-Canada, le 5 mars 2007, laisse entrevoir que le phénomène du suicide associé au mariage forcé est une réalité au Québec.

Jaspritt, acculée au suicide pour se soustraire au mariage forcé

Jaspritt est cette jeune fille d’origine indienne, âgée de 16 ans, qui a grandi à Montréal et qui était tombée amoureuse d’un jeune Indien de son école, âgé de 19 ans. Ses parents s’opposèrent vivement à leur relation, d’autant plus que le jeune homme était issu d’une caste inférieure et que leur fille était promise dès l’enfance à un homme résidant dans leur pays d’origine. Les parents interdirent à leur fille de poursuivre son idylle et la soumirent à un contrôle excessif, l’accompagnant quotidiennement à l’école pour éviter toute fréquentation. Désespérée, Jaspritt confia son désarroi à une psychoéducatrice de son école et accepta que celle-ci fasse un signalement à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), pour violence physique et psychologique à son endroit. Les parents ont alors été avertis et tenus de respecter certaines conditions laissant un peu plus de liberté à leur fille. Mais les menaces et les pressions sur Jaspritt s’accentuèrent au sein de sa famille. Moins d’une semaine plus tard, le 11 décembre 2001, Jaspritt et son amoureux se jetèrent devant une rame de métro, à la station Frontenac, laissant sur le quai leur sac d’école contenant une lettre destinée à leurs parents, dans laquelle ils expliquaient leur geste.

Dans le cas d’un mariage arrangé, laissant aux conjoints la liberté d’accepter ou de refuser l’union, l’issue dépend largement de la nature de la relation conjugale qui se développe par la suite. Selon Lamboley, il existe une règle implicite dans certaines communautés vivant au Québec, voulant qu’une personne ayant réussi à immigrer au Canada doive choisir un conjoint du pays d’origine pour lui donner cette chance. Il peut parfois s’agir d’un mariage blanc (expression qui désigne un mariage feint), justifié uniquement par l’immigration ou la régulation des papiers de séjour de l’un des conjoints. Une autre raison du mariage arrangé (et parfois forcé) serait le contrôle du comportement social et sexuel des femmes, lié à l’honneur. Il s’agit d’un moyen pratique, permettant aux parents de caser hâtivement une jeune fille rebelle, pour éviter que son comportement porte atteinte à l’honneur familial. Dans de tels cas, les parents se tournent vers leur pays d’origine pour choisir un gendre issu de leur communauté. Comme nous le verrons dans la deuxième partie, quels que soient les motifs invoqués, ce type de mariage comporte de grands risques d’abus pour les femmes.

Conclusion de la première partie

En guise de conclusion de cette première partie, il convient de souligner deux éléments importants à retenir. D’une part, les réalités des crimes d’honneur sont complexes et elles touchent des communautés d’origines et de religions diverses. De plus, il ne faut pas perdre de vue que les cultures changent et évoluent constamment sous l’effet des exigences de la vie moderne. L’accès des femmes à l’éducation et au marché de l’emploi ainsi que leur engagement dans des luttes sociales et politiques contribuent à transformer les rapports sociaux de genre. Par conséquent, on ne peut préjuger des comportements des personnes issues de l’immigration en se basant sur leur origine ethnique.

D’autre part, les crimes d’honneur qui suscitent notre indignation ne sont pas un phénomène nouveau. L’histoire nous montre qu’ils sont associés à une culture patriarcale commune à plusieurs civilisations, et qu’ils sont influencés par divers facteurs sociaux, économiques et idéologiques, lesquels se conjuguent pour créer les conditions favorisant la régression ou la perpétuation de tels crimes. Autrement dit, les crimes d’honneur ne sont pas une réalité immuable associée à des cultures « autres », mais résultent de l’interaction de multiples facteurs dont il faut tenir compte, si on veut lutter efficacement contre ce type de violences. D’où la nécessité d’examiner également le contexte d’immigration et de distinguer les facteurs aggravants qui peuvent exacerber les violences basées sur l’honneur, ce que nous ferons dans la deuxième partie.

Partie 2
L'honneur dans un contexte D'immigration

Dans cette deuxième partie, nous présentons les perceptions et les expériences liées au concept de l’honneur dans le contexte québécois et canadien, afin de nous aider à mieux comprendre les réalités complexes de l’honneur dans un contexte d’immigration.

Le troisième chapitre présente les principaux éléments dégagés à partir des entrevues effectuées au Québec, auprès de trois groupes distincts : des femmes immigrantes touchées par le concept de l’honneur (désignées ici comme répondantes); des intervenantes et intervenants auprès des femmes victimes de violence; et des professionnelles et professionnels qui sont en contact avec cette réalité. Bien qu’il ne soit pas possible de généraliser à partir des données recueillies, notre échantillon de trente-huit personnes interviewées nous permet de dégager le sens commun de l’honneur aux yeux de nos répondantes (section 3.2), de distinguer les facteurs de socialisation au code de l’honneur dans un contexte d’immigration (section 3.3) et d’évaluer le degré d’influence de l’honneur sur la vie des répondantes (section 3.4). Ces éléments révèlent des similitudes et des différences individuelles en ce qui a trait à l’attitude face au code de l’honneur, mais également dans le degré d’influence qu’il exerce sur la vie des femmes. Ils permettent aussi de montrer les liens entre diverses pratiques culturelles observées, telles que le mariage arrangé, la survalorisation de la virginité et le refus de la mixité dans l’espace public commun, qui découlent du concept de l’honneur.

Dans le quatrième chapitre, nous présentons une analyse des circonstances entourant les crimes d’honneur commis au Canada. Nous commençons par dégager quelques constats et caractéristiques concernant ces crimes et les familles touchées, y compris les victimes et leurs agresseurs (section 4.1). Nous présentons ensuite un résumé des éléments connus entourant chacun de ces drames familiaux, regroupés selon les principaux motifs sous-jacents aux crimes commis, ce qui nous amène à dégager une analyse des comportements liés à l’honneur permettant de mieux cerner ce phénomène (section 4.2). Nous présentons enfin une étude de cas plus détaillée, basée sur l’affaire Shafia, pour témoigner de la complexité et de l’interaction des facteurs pouvant mener jusqu’au meurtre (section 4.3).

Ces constats et cette analyse démontrent que les comportements associés au concept d’honneur sont complexes et résultent du croisement de plusieurs facteurs sociaux, économiques, culturels et idéologiques. Nous dégageons en conclusion les défis à relever pour faire face à ce phénomène.

Chapitre 3
Les perceptions et les pratiques liées à l’honneur

Il y a une vérité universelle, applicable à tous les pays, cultures et communautés : la violence à l’égard des femmes n’est jamais acceptable, jamais excusable, jamais tolérable.
Ban Ki-moon, Secrétaire général des Nations Unies (ONU, 2008)

Nous présentons dans ce chapitre une synthèse des principaux éléments dégagés à partir de l’enquête réalisée au Québec, entre décembre 2011 et mars 2012, dans le cadre de cette recherche, auprès de personnes concernées par les réalités liées au système de l’honneur. Avant de faire état des résultats de notre enquête, il convient de souligner que le visage de l’immigration au Canada a beaucoup changé au cours des dernières décennies.

3.1 Le contexte

Selon l’enquête nationale menée auprès des ménages, en 2011, le Canada comptait la plus forte proportion de personnes nées à l’étranger, comparativement aux pays du G8, soit 6,8 millions de personnes, ce qui représente 20,6 % de la population29.

La part des immigrants récents nés en Asie (y compris au Moyen-Orient) a augmenté graduellement, passant de 12,1 % en 1971, à 58,3 % en 2006, tandis que celle des immigrants récents nés en Afrique est passée de 3,2 % à 10,6 % durant la même période30. Cela signifi que le Canada reçoit davantage d’immigrants issus de pays où les violences basées sur l’honneur (VBH), y inclus les mariages forcés et les mutilations génitales féminines (MGF), sont pratiques courantes. On estime aujourd’hui que 26 % de la population immigrante au Canada vient de l’Afrique subsaharienne, où les MGF sont très répandues. Pour sa part, le Québec a reçu, entre 2007 et 2011, 65 633 immigrants issus de pays asiatiques (y compris le Moyen-Orient) et 81 781 ressortissants de pays africains, y compris des pays où les MGF sont une coutume largement admise31.

Par ailleurs, le plus grand groupe de minorités visibles au Canada est composé de ressortissants de pays d’Asie du Sud, dont la majorité vivent en Ontario (Statistique Canada, 2011). Parmi les dix pays de naissance en tête de liste pour les immigrants récents au Canada, on trouve l’Inde, le Pakistan et le Sri Lanka32, pays où les VBH sont très fréquentes. Il n’est donc pas surprenant si les crimes d’honneur répertoriés au cours des vingt dernières années au Canada touchent surtout des familles issues de ces trois pays, outre l’Afghanistan dont la majorité des ressortissants sont arrivés au pays plus récemment (section 4.1). Bien entendu, cela ne signifie guère que les VBH ne concernent que les ressortissants de ces pays, mais cela indique que les femmes issues de ces communautés sont parmi les plus vulnérables à ce type de violences.

Méthodologie

Au total, trente-huit personnes ont été interviewées au Québec, dans un premier temps, entre décembre 2011 et mars 2012, pour nous aider à cerner les manifestations du concept de l’honneur dans le contexte québécois. Les entrevues réalisées ont été menées auprès de trois groupes distincts, comprenant :

Pour effectuer ces entrevues, un guide de discussion a été utilisé (voir annexe II dans la version Web), lequel s’inspire de l’outil développé lors de la préparation d’une thèse de maîtrise en travail social portant sur les crimes d’honneur au Liban (Paré, 2009).

Concernant le choix des femmes immigrantes interviewées, désignées ici comme les répondantes, nous avons contacté des représentantes d’organismes œuvrant auprès des communautés immigrantes ou qui viennent en aide aux victimes de violences conjugales, basés dans trois villes : Montréal, Québec et Sherbrooke. Le choix de ces régions a été dicté par le fait que la grande majorité des nouveaux arrivants au Québec choisissent l’une de ces villes comme lieu de résidence. Compte tenu de notre objectif, nous leur avons demandé de nous adresser à des femmes issues de communautés influencées par le concept de l’honneur, vivant ici depuis au moins deux ans, et ayant soit vécu elles-mêmes des situations de violence liées à l’honneur ou qui connaissent des proches l’ayant subie. À partir des premiers contacts ainsi établis, nous avons privilégié la méthode dite « boule de neige », fréquemment utilisée en sciences sociales, qui consiste à faire appel aux répondants pour recruter d’autres personnes de leur entourage correspondant aux critères retenus par les chercheurs (Beaud, 1996). Cette technique s’est avérée tout à fait pertinente pour les besoins de notre recherche. Sans prétendre être représentatif, notre échantillon de personnes interviewées nous a permis d’apporter un éclairage intéressant sur les perceptions et les réalités des violences basées sur l’honneur dans le contexte québécois.

En ce qui concerne l’analyse du contenu des entretiens effectués, nous avons utilisé une méthode qualitative de type sémantique, laquelle nous a permis de dégager les dissemblances et les ressemblances des unités d’enregistrement des entrevues pour la constitution des catégories d’analyse afin d’interpréter les résultats.

Pour respecter la confidentialité des femmes interviewées, nous mentionnons seulement la région d’origine des femmes immigrantes citées, car cet élément nous semble pertinent pour mieux comprendre le contexte culturel lié à leur perception de l’honneur et leur expérience à ce sujet. Pour les personnes intervenantes ou expertes interviewées (voir la liste à l’annexe III dans la version Web), nous indiquons ici uniquement leur titre ou leur fonction, afin de situer leur propos, dont nous n’avons retenu que l’essentiel dans le but d’apporter un complément d’information aux situations vécues par nos répondantes qui constituent le cœur de notre analyse.

3.2 Le profil et les caractéristiques des répondantes

Les femmes immigrantes interviewées dans le cadre de cette recherche partagent certaines caractéristiques communes répondant à nos critères de sélection (voir annexe I dans la version Web). Tout d’abord, il s’agit de femmes issues de communautés soumises à un code de l’honneur qui oriente les comportements sociaux. Puis, il s’agit de femmes vivant au Canada depuis au moins deux ans. Parmi les autres éléments qui les caractérisent, soulignons les suivants :

Régions et pays d’origine des répondantes

Asie du sud et sud-est

Afrique subsaharienne

Moyen-Orient

Nombre total

Afghanistan

1

Cameroun

1

Égypte

1

Bangladesh

2

Sénégal

1

Tunisie

2

Pakistan

2

Togo

1

Maroc

1

Philippines*

1

Sri lanka

1

7

3

4

14

*C’est le seul pays de cette catégorie faisant partie du Sud-Est asiatique, les autres pays listés étant classés dans la région désignée comme Asie du Sud.

3.3 Le sens de l’honneur

Comme on pouvait s’y attendre, le sens de l’honneur et du déshonneur associé aux comportements masculins et féminins évoqué par nos répondantes reflète les valeurs dominantes dans leur pays d’origine, ce qui signifie qu’elles sont bien conscientes du code d’honneur-honte régissant les rapports sociaux de leur communauté, bien qu’elles ne soient pas nécessairement d’accord avec ce code moral. Comme nous le verrons, des zones de convergence, de divergence et des zones grises apparaissent dans leurs propos.

Comportements permettant de préserver l’honneur

À la question de savoir ce que l’honneur signifie concrètement dans leur communauté, les éléments suivants ont été mentionnés par plusieurs répondantes :

Comportements causant le déshonneur

À la question de savoir ce que signifie le déshonneur pour elles et leur famille, comme on pouvait s’y attendre, les qualités citées précédemment sont mentionnées négativement, avec un accent particulier mis sur la chasteté des femmes :

Les réserves exprimées

Les répondantes n’adhèrent pas nécessairement à tous les éléments listés plus haut. Certaines se dissocient clairement du sens accordé à l’honneur par leur communauté ou leur famille, alors que d’autres semblent avoir intégré, en partie du moins, les valeurs sous-jacentes à l’honneur, comme en témoignent ces deux extraits.

Selon une répondante d’Asie du Sud qui s’affirme en tant qu’athée :

Pour ma communauté, le déshonneur c’est aller à l’encontre des enseignements de l’islam et des valeurs très traditionnelles. (…) Le déshonneur, c’est faire les choix qu’une femme voudrait faire et ne pas faire qu’est ce que les hommes voudraient. (…) c’est aussi le respect des grands, ne pas s’habiller n’importe comment, ne pas sortir n’importe comment, ne pas avoir de rapports sexuels avant le mariage. (…)
Pour moi, la façon dont ma communauté interprète le mot honneur, ce n’est pas ça l’honneur (…) c’est un moyen de contrôle des hommes envers les femmes principalement. Ça évolue, mais très très lentement, la prochaine génération afghane ici au Québec sera différente. (…) Moi, ma famille est plus éduquée. Mon père a grandi dans d’autres pays que l’Afghanistan, il a souvent voyagé, il est plus ouvert d’esprit. Mais ma communauté ne l’est pas justement, (…) en ayant la famille que j’ai, je suis capable de voir la différence.

Selon une autre répondante née au Canada, dont les parents sont issus du Moyen-Orient, qui affirme son identité religieuse :

Le déshonneur, c’est vraiment quelque chose qui va faire honte à la famille. (…) dans une autre famille, sortir avec un gars c’est un déshonneur à l’extrême. Mais moi, dans ma famille, c’est un déshonneur si je dis, je pars de la maison et je loue un appartement. Ça va montrer à la communauté qu’on a des problèmes entre nous et que je n’arrive pas à supporter ma mère (…). Deuxième chose, si je tombe enceinte avant le mariage, ça c’est horrible. Pour ma mère et pour la communauté, c’est vraiment mal vu. (…) connaissant ma mère, elle ne le supporterait pas, c’est sûr elle va me mettre à la porte, elle sera très fâchée, mais après, je crois qu’elle va me supporter. (…) elle ne voudra jamais perdre ses enfants, le fait qu’elle n’a pas mon père dans sa vie (la mère est divorcée) ni un autre homme, donc elle tient beaucoup à nous.

Les propos de la première répondante rapportés plus haut témoignent de l’existence d’une vaste gamme d’opinions, allant du conservatisme extrême au libéralisme, au sein de chaque communauté, y compris les plus traditionnelles. Les derniers propos rapportés plus haut laissent entrevoir que même des parents ayant des valeurs traditionnelles peuvent faire preuve d’ouverture et surmonter le sentiment de honte associé à un écart de conduite de la part de leurs enfants, pour ne pas rompre les liens familiaux. Il y a tout lieu de croire que cette attitude de compromis serait plus fréquente qu’on ne l’imagine chez les familles immigrantes issues de milieux traditionnels, même si elle fait rarement l’objet de reportages ou de recherches.

3.4 La socialisation au concept d’honneur

À la question de savoir quels sont les principaux agents de socialisation qui transmettent les valeurs liées à l’honneur, toutes les répondantes s’entendent pour dire que c’est avant tout la famille, ensuite la communauté, puis l’école et la société. Toutefois, en l’absence d’une masse critique regroupant les membres d’une même communauté vivant dans un contexte d’immigration, le rôle de l’école privée religieuse occupe parfois une place prépondérante dans la transmission des normes sociales de la communauté d’origine. En témoigne le propos d’une répondante issue du Moyen-Orient :

Au primaire, je suis allée à l’école normale publique, mais au secondaire je suis partie à l’école privée musulmane. Presque toutes les filles de ma communauté allaient à cette école privée là, donc on se connaissait toutes. Surtout, j’ai appris mes valeurs en termes d’honneur là-bas. Mes parents aussi avaient une grande influence sur moi, mais je dirais surtout mon école.

Bien qu’en général le poids de l’honneur pèse moins lourdement dans un contexte d’immigration comme au Québec, où les libertés sexuelles sont largement admises, ce n’est pas toujours le cas. Les restrictions imposées par le code de l’honneur-honte peuvent être maintenues et renforcées par l’éducation religieuse et les pressions sociales exercées au sein des communautés immigrantes. La crainte du jugement des autres membres de la communauté contribue parfois à restreindre la liberté de mouvement et d’action des femmes, particulièrement lorsque les familles vivent dans un quartier à forte concentration ethnique. Ces craintes sont justifiées dans la mesure où les rumeurs et les ragots peuvent ruiner la réputation d’une jeune fille et gâcher ainsi ses chances de faire un mariage honorable au sein de sa communauté.

Cette réalité est illustrée par l’anecdote suivante, rapportée par la répondante citée plus haut, laquelle précise qu’elle vit à Montréal, dans un quartier ayant une forte concentration d’immigrants issus du Maghreb et d’Égypte. Pour nous, dit-elle, « c’est comme une ville à part », si quelqu’un se marie, « tout le monde doit savoir » et « tout le monde parle de tout le monde ». Elle raconte qu’un jour, une femme de sa communauté l’a aperçue dans un lieu public, accompagnée d’un garçon avec qui elle faisait des projets de mariage dont sa mère était informée :

Quand elle m’a vu, elle était super choquée. Elle est partie dire à ma mère qu’elle m’avait vue avec un gars, c’est quoi ça? Est-ce qu’elle va le marier ou c’est juste comme ça? Toute une histoire a commencé. (…) Donc ça a causé beaucoup de rumeurs et ma mère s’est fâchée. Ma mère, elle le savait déjà, mais elle ne voulait pas que d’autres personnes le sachent. Ma mère m’a dit, pourquoi tu fais ça, alors que je te laisse sortir et faire ce que tu veux, au moins soit un peu subtile. Elle ne voulait pas que l’image se détériore, donc ça m’a causé beaucoup de problèmes. Donc c’est très étouffant.

Cet exemple illustre le fait que les pressions sociales peuvent jouer un rôle déterminant dans le renforcement des normes dictées par l’honneur, dans un contexte d’immigration. Cette anecdote montre aussi qu’un comportement, jugé acceptable et toléré par les parents, peut devenir déshonorant s’il est dévoilé publiquement. Autrement dit, la dimension collective de l’honneur prime parfois sa dimension individuelle et l’importance relative accordée à l’honneur au sein d’une famille. Elle montre aussi que même en exil, la réputation d’une femme est tributaire du regard et du jugement des autres membres de la communauté. Ainsi, il arrive parfois que des parents très ouverts d’esprit soient poussés à adopter une attitude plus rigide à l’égard de leurs enfants, par crainte du jugement négatif des membres de leur communauté et de l’ostracisme qui s’y rattache.

Une autre répondante, également originaire du Moyen-Orient, rapporte le durcissement des mœurs observé chez certains de ses compatriotes, après leur immigration au Canada.

Ce que je vais vous dire va vous étonner, mais je trouve que ceux qui viennent ici (…), je ne sais pas pourquoi, ils deviennent plus stricts que quand ils étaient là-bas. (…) Par exemple, j’ai un couple d’amis, là-bas il était très cool, mais quand il est arrivé ici, il laisse pousser sa barbe, il va à la mosquée à chaque prière, et il oblige sa femme à porter le voile. Il ne veut pas qu’elle étudie, alors qu’elle était à l’université là-bas, il ne veut pas qu’elle porte des talons, il ne veut pas qu’elle mette des habits un peu serrés. Il est devenu vraiment très très strict. (…) Je trouve que c’est un grand problème. On dirait que lui, il n’est pas convaincu, mais vu l’influence de ses amis, il doit suivre la communauté. Il a peur d’être mal vu ou rejeté. (…) certains gens qui viennent d’arriver, on dirait que pour s’intégrer ils doivent suivre les autres. (…) Ils (ce couple d’amis) discutaient au départ et elle lui disait pourquoi elle ne veut pas porter le voile. Mais pour lui, la seule excuse c’était que : toutes les femmes de mes amis sont voilées, donc tu vas être voilée!

Ce propos témoigne de ce que de nombreuses femmes musulmanes savent déjà, à savoir que le voile dit islamique (ou hidjab33), revendiqué par les unes comme symbole religieux ou identitaire, est souvent imposé par la contrainte et les pressions morales à d’autres femmes. Il suffit de rappeler que le hidjab, sacralisé par un certain discours religieux, est depuis longtemps objet de controverse dans les pays musulmans (Geadah, 2001). Précisons également que le code vestimentaire préconisé au nom de valeurs religieuses varie d’une communauté à l’autre et d’une famille à l’autre. Une répondante musulmane nous faisait remarquer que le port du voile n’est pas exigé au sein de la communauté afghane du Québec, bien que ses membres partagent le même code d’honneur que d’autres groupes de confession musulmane.

Les propos cités précédemment concernant le durcissement des mœurs de la part de certains hommes, après leur immigration, est corroboré par des intervenantes œuvrant auprès de familles immigrantes. Cette situation peut s’expliquer par l’effet combiné d’au moins deux facteurs. D’une part, la diffusion au sein des communautés immigrantes d’un discours religieux conservateur, qui insiste sur la pureté et la virginité des femmes, et encourage le maintien de pratiques traditionnelles, afin de préserver l’identité culturelle et religieuse. D’autre part, cela reflète le malaise ressenti par plusieurs immigrants issus de sociétés plus traditionnelles, face aux mœurs sexuelles plus permissives existant dans le pays d’accueil, ce qui les pousse vers un repli identitaire plus conservateur. Comme nous le verrons plus loin, ce malaise est partagé par les hommes et les femmes, quand il s’agit de l’éducation de leurs enfants. Par ailleurs, plusieurs répondantes, bien que très croyantes, ont fait état de leur réticence à fréquenter les lieux de culte, pour ne pas avoir à subir les pressions sociales des autres membres de leur communauté. Une répondante d’Asie du Sud souligne ainsi le caractère phallocrate du discours religieux dominant dans sa communauté :

La religion musulmane donne beaucoup de droits à la femme, mais ils ne sont pas appliqués, parce que dans les mosquées ce sont surtout des hommes. L’imam donne toujours des conseils, des sermons, contre les droits des femmes. Je n’aime pas ça (…). La religion n’a jamais dit de garder les filles dans les maisons comme des prisonnières. Parce qu’ils (les imams) ne veulent pas que les femmes aillent dehors pour connaître les choses, pour connaître leurs droits, c’est pour cela qu’ils veulent toujours garder les femmes dans la maison. C’est l’excuse selon mon opinion. (…) Je n’aime pas les imams, ils donnent toujours beaucoup de droits aux hommes. (…) Et ils demandent toujours aux femmes d’accepter les mauvaises choses parce qu’ils disent que c’est mieux pour elles, pour la famille. Ils ne disent jamais aux hommes, ne faites pas ça.

Une intervenante sociale nous faisait remarquer que la situation n’était guère mieux du côté de l’Église catholique, où certains prêtres n’hésitent pas à condamner une femme qui voudrait quitter un mari violent, l’incitant plutôt à se soumettre. Ces propos nous renvoient à la réalité du renforcement du système patriarcal par toutes les religions. La question se pose à savoir s’il est possible d’amener les chefs religieux à jouer un rôle plus positif auprès de leurs fidèles, afin de contrer les violences à l’égard des femmes.

3.5 Le degré d’influence de l’honneur sur la vie des répondantes

Les témoignages recueillis révèlent des similitudes et des différences concernant le degré d’influence de l’honneur sur la vie des répondantes, selon leurs trajectoires de vie. La nature des liens maintenus avec le pays d’origine influe également sur le degré d’adhésion au code de l’honneur-honte et à sa mise en pratique à travers l’éducation des enfants.

Nous avons retenu quatre indicateurs pour rendre compte du degré d’influence de l’honneur sur la vie des répondantes. Il s’agit de la valorisation de la virginité; de la justification du mariage arrangé; du contrôle excessif visant à préserver l’honneur; et de l’acceptation de sanctions au déshonneur.

3.5.1 La valorisation de la virginité

Les répondantes sont très majoritairement d’accord avec l’importance accordée à la virginité avant le mariage, mais certaines considèrent comme acceptable le fait que des jeunes filles célibataires puissent fréquenter des garçons et avoir un chum. Plusieurs répondantes relativisent donc l’importance de la virginité à leurs propres yeux, comme le montrent les deux extraits suivants. Selon une répondante venant d’Afrique subsaharienne :

Pour la virginité, moi je ne partage pas cette idée. Pour moi ce n’est pas important, parce que le monde d’aujourd’hui a tellement changé et donc on ne peut plus respecter ce principe là. (…) C’est à cause des médias, d’Internet et de la télévision. Avant, les mamans n’allaient pas à l’école, elles restaient à la maison et se mariaient à 16 ou 17 ans. Elles n’ont même pas le temps d’aller faire n’importe quoi. Maintenant, les femmes veulent étudier et avoir un bel avenir, puis se marier plus tard. Il y a aussi l’influence de l’Occident, tout ça fait que c’est plus difficile pour les jeunes d’aujourd’hui de respecter vraiment cette règle.

Selon une autre répondante issue du Moyen-Orient, les mœurs ont changé dans son pays d’origine :

(…) ça arrive dans nos pays qu’une femme perde sa virginité, ou qu’elle sorte avec des copains et tout. On ne la punit pas, on parle avec elle, on lui dit que ce n’est pas bon, qu’il faut avoir un mari. Un mari, c’est une protection pour la femme et pour l’homme. Regardez maintenant les maladies du col de l’utérus, du sida… Si l’homme reste avec une seule femme et la femme reste avec un seul homme, c’est mieux que d’avoir plusieurs partenaires. (…) et si une femme tombe enceinte hors mariage, on peut arranger ça et les marier, pour eux-mêmes oui, mais pour l’enfant aussi.

Une autre répondante rapporte la réaction des parents d’une camarade d’école issue du MoyenOrient qui s’est retrouvée enceinte :

Ils (ses parents) ont essayé de le cacher et elle s’est mariée super vite, avec un gros mariage religieux et tout. Mais le monde l’a su, parce que son ventre commençait à se voir. (…) c’est vrai que c’est un déshonneur. Quand moi je l’ai su, j’étais choquée et ça me fait mal. Pourquoi elle a eu des rapports sexuels avant le mariage? J’étais déçue.

Ces propos révèlent que l’importance accordée à la virginité est parfois relativisée, même dans le pays d’origine. Ils révèlent aussi que le premier réflexe des parents est de cacher le comportement jugé déshonorant de leur fille, et non le meurtre. Lorsqu’un mariage hâtif avec le géniteur n’est pas possible ou souhaité, une solution de rechange réside dans le recours à un mariage de convenance, lequel est parfois immédiatement suivi d’un divorce. L’important est de légitimer la grossesse aux yeux de la communauté pour « sauver la face ». Le recours à l’avortement est parfois pratiqué s’il est accessible.

Pour se conformer à l’obligation de virginité la nuit de noces, le recours à l’hyménoplastie, une opération médicale consistant à recoudre l’hymen, est devenue pratique courante dans plusieurs pays du Moyen-Orient, et cette opération est parfois effectuée avec la complicité de la mère de la jeune fille. Comme cette opération est coûteuse, elle n’est accessible qu’aux familles aisées.

On voit ainsi que pour pallier la perte de virginité, divers mécanismes de camouflage du déshonneur qu’on y associe sont utilisés. Cela signifie que les pratiques individuelles relatives aux mœurs sexuelles changent plus rapidement que les valeurs morales collectives, préconisées et défendues publiquement. Les règles sociales évoluent partout, quoique à des rythmes différents selon les contextes, et les jeunes de toutes origines négocient de nouveaux espaces de liberté.

3.5.2 La justification du mariage arrangé

Comme mentionné précédemment, il existe une distinction importante entre les mariages forcés, où au moins l’un des deux partenaires n’a pas vraiment la possibilité de refuser l’union proposée, et les mariages arrangés, considérés comme étant la norme dans les communautés sud-asiatiques34 et dans d’autres aussi. Mais la ligne de démarcation est parfois ténue entre les deux.

Cette réalité le plus souvent cachée est reflétée dans l’expérience de nos répondantes. Parmi elles, trois sur quatorze avaient subi un mariage forcé. Une quatrième a demandé l’asile au Canada, afin d’échapper au mariage forcé que son père lui destinait dans son pays d’origine. L’ayant promise dès l’enfance à l’un de ses amis, qui avait le double de son âge ainsi que deux autres épouses, le père de la jeune femme se sentait déshonoré s’il devait manquer à sa promesse. Six autres répondantes ont accepté de faire un mariage arrangé par leurs parents. Trois d’entre elles se sont mariées dans leur pays d’origine avant d’émigrer avec leur époux, et se disent raisonnablement satisfaites de leur mariage. Trois autres répondantes ont accepté d’épouser un homme qu’elles ne connaissaient pas, issu du pays d’origine. Leur expérience a conduit à des abus, qui seront exposés dans les cas rapportés plus loin.

Lorsqu’on les interroge sur leurs intentions concernant le mariage de leurs propres enfants, la plupart des répondantes condamnent le mariage forcé et affirment vouloir laisser à leurs enfants le libre choix. Mais le mariage avec une personne de même origine a nettement la préférence. Certaines répondantes ont exprimé une vive inquiétude à l’idée que leurs enfants, sans égard au sexe, choisissent leur conjoint ou conjointe à l’extérieur de leur communauté. Ces répondantes expliquent leurs appréhensions ou leurs réticences par le fait que le partage de valeurs communes et d’une même langue faciliterait la communication et le maintien de liens familiaux étroits entre tous les membres de la famille.

Le problème surgit lorsque ce désir légitime de la part des parents se transforme en contrainte imposée aux enfants. L’opposition entre le désir des parents de préserver leurs valeurs culturelles et le désir non moins légitime de leurs enfants (plus souvent leur fille), nés ou ayant grandi au Québec, de choisir leur propre conjoint selon d’autres critères, est à l’origine de nombreuses tensions familiales qui peuvent conduire au drame quand le concept de l’honneur s’en mêle. Rappelons que plusieurs crimes d’honneur commis au Canada comme ailleurs sont liés au sentiment profond de déshonneur ressenti par des parents confrontés au refus de leur fille de se soumettre au mariage forcé, ou devant sa détermination à vouloir épouser un homme choisi par elle, à l’extérieur de sa communauté ou de sa classe sociale.

Les échanges avec nos répondantes nous éclairent sur ce qui motive certaines jeunes femmes, nées ou ayant grandi au Canada, à accepter volontairement un mariage arrangé, avec un homme qu’elles ne connaissent pas ou très peu, qui réside parfois dans leur pays d’origine. Selon une répondante du Moyen-Orient :

Il y a des femmes ici, qui vont dans leur pays se marier avec quelqu’un. (…) peut-être qu’elles n’ont pas trouvé un mari ou un partenaire ici. Et en plus, ils parlent la même langue, ils ont la même tradition. Peut-être qu’elles vont être plus à l’aise. Ici les hommes ne se marient pas. Ils sont avec une femme aujourd’hui, demain ils sont avec une autre. Pour une femme musulmane, elle cherche la stabilité, elle veut avoir des enfants, elle veut un foyer. Pour moi et pour les autres femmes musulmanes, on ne veut pas changer de chum chaque jour. (…) Elles ne sont pas contre le fait d’épouser un Québécois, mais peut-être qu’elles n’ont pas trouvé ici un homme qu’elles aiment ou qui les aime. (…) Mais ici, c’est rare que l’homme reste avec une femme, il reste un mois, deux mois et il va chercher ailleurs.
(…) je connais deux libanaises, qui sont nées ici et qui se sont mariées avec des hommes dans leur pays. J’ai demandé à l’une d’elles, est-ce que c’est ton papa et ta maman qui veulent te marier là-bas? Elle m’a dit non, ici, je suis allée à l’école, je suis allée à l’université, je n’ai pas trouvé un homme qui veut vivre avec moi longtemps et avoir des enfants. J’ai rencontré des hommes, mais tout ce qu’ils veulent c’est le plaisir, ils veulent vivre avec moi, un mois, deux mois et c’est tout. Dès le début, ils te disent qu’ils ne veulent pas d’enfants. Mais cette fille voulait avoir des enfants, une famille, une maison…

Ce témoignage, corroboré par ceux d’autres répondantes, révèle qu’une des motivations principales poussant des jeunes femmes vivant en Occident à accepter un mariage arrangé, avec un conjoint qu’elles ne connaissent pas ou à peine, résidant parfois dans leur pays d’origine, serait le désir de fonder une famille dans une relation durable. Cette réponse pointe vers l’idée que les femmes issues des communautés régies par le code de l’honneur-honte seraient face à un bassin réduit de maris potentiels dans le pays d’accueil, remplissant tous les critères requis (c’est-à-dire issus de la même origine ethnique, appartenant à la même religion, de classe sociale égale ou supérieure) et surtout, qui soit prêt à fonder un foyer. Cette hypothèse reste à vérifier. Deux éléments pourraient expliquer cette situation. Premièrement, le fait que plusieurs hommes issus des mêmes communautés préfèrent une épouse traditionnelle, qu’ils ont tendance à aller chercher dans leur pays d’origine. Deuxièmement, le fait que ces hommes bénéficient d’une plus grande liberté de mouvement et sont moins sujets que les femmes aux pressions les obligeant à effectuer un mariage endogame. Ils ont ainsi plus souvent l’occasion de choisir une conjointe à l’extérieur de leur communauté, ce qui réduit d’autant les options acceptables de mariage, selon les critères établis, pour les femmes de leur communauté.

Les risques associés au parrainage

Qu’elles soient parrainées elles-mêmes ou répondantes d’un conjoint issu du pays d’origine, ce type de mariage arrangé comporte de grands risques pour les femmes. Trois des répondantes, toutes issues de pays d’Asie du sud, en ont fait l’amère expérience.

La première d’entre elles avait fait un mariage arrangé par son oncle, avec un jeune homme de même origine qu’elle ne connaissait pas, lequel vivait au Canada alors qu’elle demeurait dans son pays d’origine. Une fois parrainée, elle s’est retrouvée ici avec un mari violent qui a divorcé d’elle au bout de six ans de mariage, la laissant seule avec trois enfants. Elle affirme qu’elle n’avait pas le choix d’accepter ce mariage arrangé et qu’elle ne peut pas envisager de retourner dans son pays ni même de se remarier, car ce serait déshonorant pour sa famille.

Les deux autres répondantes ont vécu également des abus à la suite d’un mariage arrangé avec un conjoint issu de leur pays d’origine qu’elles avaient parrainé, et qui était uniquement motivé par un but d’immigration. Dans l’un des cas, le conjoint avait menti sur son statut. Il était déjà marié et avait un enfant d’une première épouse dans son pays d’origine. La jeune femme a réussi à obtenir des autorités canadiennes l’annulation de son mariage frauduleux, après de longues démarches visant à réunir les preuves nécessaires. Le mari a dû retourner dans son pays d’origine à l’expiration de son visa.

Le cas de la troisième répondante est plus complexe. Celle-ci a vécu une double expérience malheureuse, avec un premier mariage forcé et un second mariage arrangé. Nous présentons plus bas un résumé de son expérience douloureuse, qui témoigne d’un cumul d’abus associés au code de l’honneur. Cet exemple nous paraît pertinent à plusieurs égards. Il témoigne à la fois de l’instrumentalisation de l’enlèvement et du viol à des fins de mariage forcé, en plus d’illustrer le poids de l’honneur sur la vie des femmes, qui peuvent parfois « consentir » à orienter leurs choix par souci de ne pas déshonorer leur famille.

Cas impliquant des abus multiples : enlèvement, viol, mariage forcé et mariage arrangé

Il s’agit du cas d’une jeune femme de 28 ans, arrivée au Canada encore enfant, qui a vu sa vie basculer à 18 ans, lors d’une visite avec ses parents dans son pays d’origine, en Asie du sud. Alors qu’elle se rendait au marché avec une parente, la jeune fille a été enlevée et violée par un homme du village qu’elle ne connaissait pas, lequel a ensuite menacé ses parents s’ils refusaient de l’autoriser à la marier. La jeune femme a donc « consenti » à ce mariage forcé et son mari l’a gardée au pays en employant la contrainte, confisquant ses papiers, jusqu’à ce qu’elle tombe enceinte. Usant d’un subterfuge, elle a réussi à convaincre son mari de la laisser repartir au Canada pour accoucher, promettant de le parrainer. Une fois de retour au Canada, la jeune femme a raconté son histoire aux autorités canadiennes et a pu obtenir l’annulation de ce premier mariage.

Trois ans plus tard, célibataire et ayant un enfant à charge issu de ce premier mariage, la jeune femme consent à faire un mariage arrangé par son oncle, demeurant dans le pays d’origine, avec un homme de son village. Sa famille lui vante les qualités du futur mari qu’elle ne connaît pas, et lui font valoir qu’elle aurait peu de chances de trouver un autre mari au Canada dans sa situation. Elle leur fait confiance et retourne dans son pays d’origine pour se marier, étant entendu que son nouvel époux accepte d’émigrer au Canada pour y vivre avec elle. De retour au Canada, elle entreprend les démarches de parrainage et envoie à son époux de l’argent, beaucoup d’argent (26 000 $), qu’il réclame pour diverses démarches. Quand l’époux la rejoint au Canada, le couple vit pendant quelques mois en harmonie, le temps d’obtenir ses papiers de séjour, dit-elle, mais petit à petit,

je voyais que son caractère est changé. Il était devenu comme un peu méchant, il me parlait méchamment, il me traitait de pute, il ne me respectait pas. Il sortait et rentrait tard, il fumait, il buvait, puis il me frappait la nuit… juste pour faire l’amour. (…) après, je suis tombée enceinte, mais il continuait à me frapper. (…) j’avais des bleus partout sur le corps. Mais je n’ai jamais parlé aux gens, je n’ai jamais appelé la police (…). J’ai toujours pensé parce que c’est mon deuxième mariage, (…) je ne veux pas que les gens sachent, c’est vraiment mal vu. C’est un mariage arrangé et tout ça, si la communauté le sait, ils vont dire que nous on n’est pas une bonne famille. (…) j’aurais dû appeler la police quand il m’a frappée, après c’était trop tard. C’est lui qui a été voir les policiers, il est allé dire que c’est nous qui le frappions, qu’on était méchants, qu’on ne lui donnait pas à manger, qu’on a essayé de l’empoisonner et, comme il a travaillé pour notre famille, qu’on lui prenait tout son argent (…) et qu’on lui avait confisqué ses papiers.

Par la suite, c’est le mari qui porte des accusations de voies de fait contre son épouse et ses beaux-parents. Toutefois, l’époux ne réussit pas à convaincre le juge de sa version des faits et la plainte est retirée, mais la jeune femme n’est pas au bout de ses peines. Le mari disparaît, la laissant sans nouvelles, avec un nouvel enfant sur les bras. Selon la jeune femme, la fausse accusation de confiscation de ses papiers était destinée à lui permettre d’obtenir de nouveaux documents pour faire venir son frère illégalement. De plus, dit-elle, comme elle n’avait pas porté plainte contre lui, il est libre de refaire sa vie au Canada, alors que pour elle, il n’est pas question de se remarier encore une fois, car ce serait très mal vu dans sa communauté.

Les gens vont dire : regardez cette fille, elle se marie trois fois. Elle fait partie des prostituées. C’est vraiment mal vu et, honnêtement, moi je ne veux pas. Le gars peut se remarier parce que c’est un gars, mais la fille, elle ne peut pas. (…) moi je ne peux pas faire ça, parce que tout le monde le sait que c’est mon deuxième mariage.

Cet exemple montre concrètement comment le code de l’honneur peut conduire à des abus multiples. Curieusement, le fait de subir des violations flagrantes de ses droits humains au nom de l’honneur ne mène pas nécessairement à une remise en question de ce concept. Selon ce témoignage, malgré les nombreux abus subis et justifiés au nom de l’honneur, la jeune femme ne semble nullement disposée à remettre en question le sens de l’honneur, pas plus qu’elle ne semble nourrir de ressentiment à l’égard de ses parents, estimant qu’elle leur est redevable de l’avoir soutenue dans ses épreuves. Il est vrai que les circonstances décrites dans ce témoignage comportaient tous les éléments pouvant conduire au crime d’honneur. En ce sens, les parents ont le mérite d’avoir choisi une stratégie d’évitement, préférant marier leur fille à son violeur plutôt que la tuer.

Mais si on analyse les faits objectivement, on constate premièrement, que dans les circonstances entourant l’enlèvement et le viol, les parents n’ont pas su protéger leur fille et ont cédé au chantage du ravisseur pour « sauver la face » aux yeux de leur communauté. Deuxièmement, les parents sont responsables du second mariage arrangé ayant entraîné d’autres abus pour leur fille. Troisièmement, face à la situation de violence conjugale vécue par leur fille, dont les parents étaient informés, il est permis de croire que ces derniers ont sans doute encouragé leur fille à supporter la situation en silence pour ne pas déshonorer la famille. L’option du divorce, comme le fait de dénoncer son mari, étant considérée comme déshonorante pour une femme, selon le code de l’honneur.

Ce cas complexe témoigne de l’imbrication du concept de l’honneur avec d’autres facteurs socioculturels et affectifs, qui maintiennent les femmes dans la résignation face aux violations flagrantes de leurs droits. Il reflète également l’influence de la communauté sur les comportements sociaux dans un contexte d’immigration. Comme on peut le constater, ces parents, sans doute affectueux et soutenant leur fille dans toutes ses épreuves, se sont sentis obligés de respecter les normes sociales de leur milieu, au détriment du bien-être de leur fille. Cet exemple pointe clairement vers la nécessité d’une remise en question en profondeur du concept de l’honneur au niveau collectif.

3.5.3 Le contrôle excessif

Comme nous l’avons mentionné précédemment, le degré de contrôle imposé aux femmes et aux filles au nom de l’honneur dépend de chaque famille et peut varier largement selon le milieu d’origine (rural, urbain), le niveau d’instruction des parents, leur idéologie et leur ouverture d’esprit. Plusieurs répondantes témoignent de situations où des jeunes filles et des femmes mariées vivant au Québec doivent respecter un couvre-feu, strict ou négociable selon les cas.

Une répondante d’Asie du Sud affirme que dans sa communauté, certaines femmes ne sont pas autorisées à sortir de la maison sans leur mari, « pas le droit d’aller au dépanneur de son quartier, pas le droit de voir sa mère, ni sa famille ». Une autre répondante rapporte le cas d’une amie d’origine iranienne, âgée de 16 ans, soumise à des restrictions sévères de la part de son père, qui lui interdisait toute sortie et qui la battait si elle désobéissait. Lorsqu’elle s’en est plainte à l’école, dit-elle, le directeur a simplement appelé le père pour lui dire qu’il n’avait pas le droit de frapper sa fille et qu’autrement, il rapporterait son cas à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ). Or, ajoute-t-elle, « quand son père a su qu’elle a parlé à l’école, il l’a juste frappée encore plus ». Cet exemple montre qu’une intervention superficielle et sans suivi, qui ne tient pas compte de la culture de l’honneur, risque d’empirer la situation des victimes.

Ces témoignages sont corroborés par les intervenantes œuvrant dans des organismes communautaires, qui nous confirment que plusieurs femmes immigrantes sont très isolées, non seulement à cause de la barrière de la langue, mais parce que le mari leur interdit de sortir en son absence, par crainte que l’épouse ne se laisse influencer par le mode de vie occidental. D’ailleurs, c’est une des raisons principales qui pousse certains hommes immigrants, parfois bien intégrés dans la société d’accueil, à retourner dans leur pays d’origine y chercher une épouse. Ils espèrent ainsi reproduire un modèle familial traditionnel, où leurs privilèges masculins seraient préservés.

Coupées de leurs réseaux sociaux et familiaux et ignorant parfois la langue du pays, ces épouses parrainées sont particulièrement vulnérables aux violences basées sur l’honneur.

D’autres intervenantes travaillant dans le milieu scolaire nous assurent que certaines jeunes filles sont étroitement surveillées par leur sœur ou leur frère fréquentant la même école, qui s’empresse de rapporter leurs faits et gestes aux parents. Comme mentionné dans le chapitre précédent, les garçons élevés dans le respect du code de l’honneur sont poussés par leurs parents, y compris par leur mère, à adopter un comportement machiste, agressif et contrôlant à l’égard de leurs sœurs, comportement qu’ils auront tendance à transposer dans leur relation conjugale, perpétuant ainsi le cercle vicieux des violences basées sur l’honneur.

L’exemple suivant, rapporté par une intervenante œuvrant dans un quartier multiethnique de Montréal, expose concrètement le cas d’une jeune fille soumise à un contrôle excessif de la part de ses parents35.

Cas impliquant un contrôle parental excessif et la crainte d’un mariage forcé

Il s’agit d’une jeune fille de 15 ans, originaire de l’Asie du Sud, qui vit à Montréal depuis environ une dizaine d’années. L’adolescente a confié à son école qu’elle craignait de subir un mariage arrangé par ses parents. Son père étant souvent absent pour le travail, c’est sa mère qui surveille étroitement son horaire quotidien pour s’assurer qu’elle rentre directement à la maison après ses cours, en minutant le temps du trajet. Si la jeune fille a un retard de dix minutes après l’école, elle est sévèrement réprimandée par sa mère. De plus, les parents se montrent très exigeants et ne sont jamais satisfaits des résultats scolaires de leur fille. Bien que celle-ci fasse de son mieux pour réussir, elle est constamment soumise à des pressions psychologiques la poussant à performer davantage. Les parents lui interdisent également de parler avec des garçons de son école. La jeune fille était devenue très méfiante à l’égard de ses camarades de classe, dont elle percevait les taquineries comme une agression. Il a fallu beaucoup de suivis de la part de la psychoéducatrice de l’école pour lui apprendre à décoder les échanges avec ses camarades.

À l’automne 2011, des ateliers ont été offerts à l’école par des animatrices d’un centre communautaire sud-asiatique, qui organise des groupes de discussion avec des jeunes filles issues de cette région, pour discuter de leurs problèmes. La jeune fille voulait y prendre part, mais ses parents refusaient de la laisser participer à une activité après les heures de classe. La psychoéducatrice a dû intervenir auprès des parents pour qu’ils lui permettent d’y participer. Par la suite, la jeune fille a commencé à suivre un cours de danse offert au centre communautaire. Elle adorait cela, mais sa mère s’y est opposée, estimant que la danse était une activité à la limite du vulgaire et contraire à la modestie exigée. La mère exigeait de sa fille qu’elle étudie tout le temps et ne fasse rien d’autre. La jeune fille était de plus en plus désespérée et avait des idées suicidaires.

Dans la foulée du procès Shafia, la psychoéducatrice n’a pris aucune chance et a fait appel à la DPJ. Les parents ont été convoqués et une rencontre s’est tenue rapidement à l’école. La jeune fille pleurait beaucoup, la mère aussi. Cette dernière, ne parlant ni français ni anglais, a eu besoin d’une interprète. La mère était en état de choc pour avoir été convoquée par la DPJ. Après négociation, les parents ont accepté que leur fille suive le cours de danse, mais à certaines conditions: qu’elle consacre davantage d’heures à ses études, accomplisse plus de tâches ménagères et qu’elle obtienne de meilleures notes dans son bulletin scolaire. Face à ces nouvelles exigences, la jeune fille a laissé tomber la danse, car elle ne pouvait supporter davantage de pressions.

L’année suivante, durant l’automne 2012, la jeune fille était toujours soumise à des pressions familiales élevées. Ses parents lui reprochaient d’avoir fait intervenir la DPJ et la culpabilisaient à ce sujet. Selon l’intervenante scolaire, la jeune fille semble résignée, mais craint d’être obligée d’accepter un mariage arrangé par ses parents. Elle trouve cela injuste, d’autant plus que ses parents avaient eux-mêmes fait un mariage d’amour, en s’opposant à leurs propres parents qui les destinaient chacun à un autre conjoint, et ce faisant, ils se sont aliénés une partie de la famille. La jeune fille trouve la position de ses parents totalement incompréhensible, compte tenu de leur histoire personnelle. « Pourquoi alors, dit-elle, vouloir m’imposer un mariage arrangé, alors qu’ils avaient eux-mêmes refusé cette pratique? »

À la fin de l’année scolaire, durant l’été 2013, la jeune fille qui terminait sa 3e secondaire semblait jouird’un peu plus de liberté, telle l’autorisation, pour la première fois, d’inviter des amies chez elle et de faire une sortie avec elles. Mais lorsqu’un garçon de sa classe lui a manifesté de l’intérêt, les parents ont fermement réprimandé leur fille. Quand l’intervenante lui a demandé comment elle envisageait son avenir, l’adolescente a répondu avec résignation et détachement qu’elle fera « évidemment un mariage arrangé » et que c’est mieux ainsi, car si le mariage tournait mal, elle pourrait blâmer ses parents et compter sur leur soutien, autrement elle ne le pourrait pas… La situation de la jeune fille semble précaire et suscite l’inquiétude de l’intervenante.

La situation décrite plus haut n’est pas unique en son genre, comme peuvent en témoigner les enseignantes à qui ces jeunes filles se confient parfois. Plusieurs intervenantes en milieu scolaire observent que certains parents immigrants exercent un contrôle sévère sur leurs enfants au chapitre de leurs fréquentations, mais également en ce qui concerne leur réussite scolaire et leur choix de carrière. Par exemple, plusieurs parents insistent pour que leurs enfants choisissent une profession libérale, telle que médecin ou ingénieur, destinée à rehausser leur statut social et leur honneur aux yeux de leur communauté. Plusieurs jeunes issus de certaines communautés sont donc soumis à des pressions familiales importantes.

Les appréhensions des parents immigrants

Plusieurs répondantes nous ont fait part spontanément de leurs craintes concernant l’éducation de leurs enfants au Québec. Certaines ont souligné le fait que les valeurs de respect des parents et l’exerCICe de l’autorité parentale se heurtent parfois aux normes sociales canadiennes concernant les droits des enfants. Comme le résume une répondante du Moyen-Orient :

Ils disent que c’est difficile d’élever les enfants ici. Il y a certaines règles qu’on doit respecter qu’il n’y a pas chez nous. (…) Par exemple, la punition, ici on ne peut pas frapper un enfant alors que chez nous, tu peux donner de petites fessées pour qu’il ne fasse pas telle ou telle chose. Tout le monde me fait cette remarque. Qu’il ne peut pas donner une petite fessée. Quoi d’autres? Quand ils sont un peu plus grands, l’influence des amis. Les amis font telle ou telle chose, mais nous on ne peut pas le faire. Par exemple, les filles peuvent sortir avec leur chum, (…) parfois dès 8-11 ans, mais pour nous c’est trop tôt, c’est une trop jeune fille pour qu’elle ait un chum, alors qu’ici c’est permis, c’est normal.

Cette dernière remarque traduit un sentiment assez répandu chez les parents immigrants issus de milieux traditionnels, qui sont choqués par la mode vestimentaire observée chez les jeunes – habillement trop sexy pour les filles, mode pimp pour les garçons – et par les libertés sexuelles parfois admises dès la puberté. D’autres comportements heurtent également les valeurs morales, tels que le fait de fumer ou de consommer de l’alcool – activités associées à la prostitution dans certains pays – ou encore le fait de cluber (c’est-à-dire sortir dans des clubs de nuit) – activité associée au flirt et aux relations sexuelles passagères.

Cet élément mérite d’être approfondi, car il est souvent source de tensions familiales entre des parents immigrants et leurs enfants, nés ou ayant grandi ici, qui aspirent à jouir des mêmes libertés que leurs camarades. Ces tensions non résolues, trop souvent ignorées ou mal gérées, peuvent dégénérer et conduire jusqu’au meurtre. En témoignent les cas d’Aqsa Parvez, victime d’un crime d’honneur en Ontario, en 2007, et celui des jeunes filles Shafia, en 2009.

Comme le fait remarquer une pédopsychiatre, s’il est vrai que certains parents immigrants imposent des restrictions trop strictes à leurs enfants, de l’autre côté, l’hypersexualisation des filles dans la société québécoise expose les adolescentes à des risques non négligeables36.

3.5.4 Les sanctions liées au déshonneur

Comme mentionné précédemment, le contrôle excessif visant à préserver l’honneur commence souvent à l’adolescence et implique fréquemment l’imposition d’un code vestimentaire, y compris l’interdiction de vêtements révélateurs et de maquillage. Et, pour éviter le risque de relations amoureuses pouvant compromettre la réputation ou la virginité d’une jeune fille, l’interdiction de parler à des garçons ou de participer à des activités sociales. L’opposition fréquente des jeunes à ce genre de restrictions peut entraîner des sanctions, comprenant menaces, coups, séquestration, isolement, voire l’imposition d’un mariage forcé pour mater une jeune fille rebelle.

Une intervenante en milieu scolaire rapporte que lorsque des parents sont avertis qu’ils n’ont pas le droit de battre leurs enfants, ils ont parfois recours à la violence psychologique qui ne laisse pas de traces physiques, mais qui est non moins dommageable. Certaines répondantes reconnaissent que pour punir leur fille ou leur garçon, elles peuvent décider de les ignorer pendant quelque temps, jusqu’à ce que la jeune fille ou le jeune homme change son comportement. Lorsqu’elle est appliquée avec rigueur, cette approche de l’isolement au sein de la famille implique que tous les membres de la famille ignorent systématiquement la personne visée et ne lui adressent plus la parole, afin de casser son esprit rebelle. Comme le souligne une intervenante, l’isolement affectif est une forme de violence psychologique aux conséquences non négligeables, pouvant pousser la jeune fille ou le jeune homme au désespoir et même au suicide. Cela montre la nécessité d’assurer un suivi un peu plus long auprès des parents aux prises avec des conflits avec leurs adolescents, qui devrait aller au-delà du simple avertissement de ne plus frapper leur enfant.

Une répondante du Moyen-Orient évoque ainsi le déshonneur associé à la dénonciation de la violence conjugale dans sa communauté.

J’ai une amie qui a été violentée, mais elle ne voulait pas en parler du tout. (…) quand ses voisins entendent des cris, ils viennent à sa porte et lui demandent si tout va bien et à chaque fois, elle disait oui, tout va bien. Parce que pour nous, le fait d’aller dénoncer son mari, c’est comme si on le déshonore, lui et toute la famille. (…) Surtout lorsqu’il y a des enfants. (…) Garder la famille ensemble, c’est plus important que de dénoncer la violence. (…) Même si elle subit la violence, une femme doit préserver sa famille, c’est le plus important. (…) Mais pour moi, je préfère divorcer et bien élever mon enfant seule, que de rester dans une ambiance comme ça et d’éduquer les enfants avec tout le temps des chicanes. L’enfant qui regarde sa mère subir la violence, il ne va pas être équilibré. Donc il vaut mieux être divorcée, que de subir les violences chaque jour.

Bien entendu, le sentiment de honte associé à la violence conjugale n’est pas exclusif à une communauté particulière. Le syndrome bien connu des femmes battues montre qu’il est très difficile de dénoncer ou de quitter un conjoint violent, surtout en l’absence de solutions de rechange acceptables. Cette difficulté est amplifiée dans un contexte d’immigration, compte tenu de l’isolement et de la perte des réseaux sociaux et familiaux.

Une jeune répondante d’origine sud-asiatique rapporte que lorsque la famille résidait dans son pays d’origine, elle a vu sa mère se faire battre par les oncles de son père, si elle n’agissait pas « correctement ». Le comportement déclencheur de sanction peut être aussi anodin que la façon de parler ou de servir la nourriture sans y mettre toute la déférence attendue d’une femme à l’égard d’un homme de sa famille. « Mon père n’osait rien dire, car il était le plus jeune de la famille et sous l’influence de ses oncles. » Ce n’est qu’avec le recul qu’il a réalisé, dit-elle, que cette façon d’agir était inacceptable, et « il n’a plus jamais levé la main sur ma mère ». Ce propos corrobore un élément important de l’analyse présentée dans la première partie, à savoir que le concept d’honneur est lié à une culture à la fois patriarcale et tribale, qui accorde un droit collectif aux hommes de surveiller et de punir le comportement de n’importe quelle femme de la famille.

Fait significatif à noter, bien que toutes les répondantes condamnent sans hésitation le meurtre justifié par l’honneur, toutes ne rejettent pas les sanctions infligées pour un comportement jugé déshonorant. L’une d’elles estimait par exemple que « les filles Shafia avaient trop exagéré » et que « les filles doivent comprendre qu’il doit y avoir un juste équilibre ».

D’autres répondantes jugeaient que l’éducation axée sur le concept de l’honneur pousse les filles à considérer comme « normal » le fait d’être battues par leur père ou leur frère, si elles ont un comportement jugé déshonorant. Ainsi, une répondante rapporte que certaines de ses amies, qui ont grandi comme elle au Québec, sont régulièrement battues par leur père ou par leur frère si elles sortent avec des amis. Elles le font quand même, dit-elle, parce qu’elles veulent s’amuser un peu, mais elles savent à quoi s’attendre au retour. « Dans le cas de ma meilleure amie, elle trouve ça normal de se faire battre, puisque tout le monde vit ça… ». À l’extérieur, dit-elle, « elles font semblant d’adopter le mode de vie québécois, mais à la maison, c’est l’anarchie dure ».

Paradoxalement, bien que ces jeunes femmes soient relativement émancipées et libres en apparence, elles doivent constamment jongler entre la culture de leurs parents et celle de la société d’accueil. Certaines font preuve d’ingéniosité pour se déguiser et se maquiller en dehors de chez elles, avant de rejoindre leur cercle d’amis. D’autres adoptent des comportements diamétralement opposés selon les contextes. Elles peuvent se montrer joviales et très sociables avec leurs amis, mais redeviennent très sérieuses et réservées, en présence des membres de leur famille ou de leur communauté.

Lors d’une entrevue radiophonique diffusée par Radio-Canada37, une jeune femme de 22 ans issue du Moyen-Orient exprimait ainsi la dualité qu’elle vivait :

Oui, j’ai deux personnalités. Je n’arrive pas à être à 100 % moi-même quand je suis à la maison. (…) ce n’est pas parce que je ne fais pas confiance à mes parents ou que je ne les aime pas, mais je ne veux pas les offusquer. Je ne veux pas qu’eux non plus croient qu’ils m’ont mal élevée, que tout ce qu’ils ont fait pour nous à la fin c’est parti à la poubelle, alors je préfère les réconforter d’une certaine manière.

Dans le cadre de la même émission, Dre Cécile Rousseau, psychiatre, faisait remarquer que la question du choc des valeurs entre les générations est une question générale qui s’est toujours posée et qui se pose de façon plus importante encore pour les jeunes immigrants. La question délicate qui interpelle les intervenants sociaux, dit-elle, c’est comment intervenir de façon à permettre à ces jeunes de préserver leurs deux appartenances, sans nécessairement rompre tous leurs liens avec leur famille ou leur communauté. Donc, ajoute-t-elle,

il faut faire très attention de se dire que ces jeunes sont dans la révolte, dans la remise en question, et ils ont absolument le droit de choisir les références culturelles qui leur conviennent. Il faut les soutenir, mais de façon sage, de façon à ce qu’ils ne perdent pas des choses qui ensuite vont s’avérer dans un deuxième temps essentielles pour eux, comme leur famille ou leur communauté. Sans toutefois restreindre leur droit à être des Québécois à part entière.

Cette analyse fort pertinente de manière générale semble toutefois ignorer le niveau de risque plus élevé associé au contexte particulier lié au concept de l’honneur. S’il est vrai qu’il existe dans toute société un conflit de valeurs entre les générations, les adolescentes soumises au code de l’honneur-honte courent un risque plus élevé que d’autres de subir des violences. Dépendamment du degré d’ouverture d’esprit des parents, leur marge de négociation est parfois dangereusement réduite, quand elles décident de refuser un mariage arrangé ou d’exercer leur droit de choisir un conjoint. Les cas de crimes d’honneur rapportés plus loin montrent que certaines jeunes filles n’ont pas d’autres choix que de rompre les liens familiaux, auxquels elles tiennent pourtant, si elles veulent rester en vie, sinon elles doivent se soumettre aux abus.

De plus, l’expérience nous montre que les sanctions justifiées par l’honneur ne se limitent pas uniquement à la personne dont le comportement est jugé déshonorant, mais peuvent retomber sur ses proches, par exemple sa mère, pour l’avoir soutenue, ou ses sœurs plus jeunes, pour éviter qu’elles suivent l’exemple. C’est d’ailleurs la crainte exprimée par une répondante africaine réfugiée au Canada pour fuir un mariage forcé dans son pays, qui redoute que sa mère et sa plus jeune sœur, restées au pays, n’en payent le prix.

Si dans mon cas, mon père devient plus furieux, il peut aller jusqu’à tuer ma mère ou ma petite sœur, et le problème ne serait pas résolu. J’aurai ce fardeau que je vais porter toute ma vie. Comme quoi c’est moi qui ai déshonoré ma famille, et c’est ça qui a causé la mort de ma mère. Je pourrais même me suicider pour ça.

Finalement, il est clair que les sanctions liées au déshonneur couvrent un large éventail de mesures, dont les effets négatifs à long terme sont indéniables. Les coûts sociaux, économiques et humains des violences basées sur l’honneur sont loin d’être négligeables.

Les enjeux du refus de la mixité : le contrôle social des femmes

Le refus de la mixité entre les sexes dans l’espace public, mis en avant par une petite minorité de membres de certaines communautés, est intimement lié aux violences basées sur l’honneur. Ce refus de la mixité, tout comme l’exigence d’un code vestimentaire très strict, ainsi que le contrôle excessif, tel le refus de sorties ou de fréquentations, sont des pratiques qui contribuent à l’isolement des femmes vulnérables aux violences basées sur l’honneur. Les jeunes filles élevées à l’abri de contacts sociaux avec des garçons de leur âge deviennent plus vulnérables au mariage forcé ou précoce sinon au mariage arrangé avec un homme qu’elles ne connaissent pas. Or le droit de choisir son conjoint, reconnu dans diverses conventions internationales, constitue un facteur d’émancipation non négligeable, ayant des répercussions sur les choix de vie ultérieurs. La négation de ce droit hypothèque l’avenir des filles et les prive de la possibilité d’orienter leur propre destinée en plus de les exposer aux abus.

Le fait de céder à certaines demandes d’accommodements, en réponse au refus de la mixité, à travers le réaménageant de l’espace public, même à faible échelle, contribue à créer les conditions favorables au contrôle social accru des femmes et des filles par les hommes de leur famille. C’est là d’ailleurs un des principaux enjeux sous-jacents au principe de la non-mixité liée au code de l’honneur. Bien qu’évaluées au cas par cas, ces dispositions ont un effet collectif indéniable à long terme, car elles établissent de nouvelles normes sociales à respecter. Il devient alors plus facile d’imposer aux femmes et aux filles issues de ces minorités les restrictions justifiées par l’honneur. Or plus la liste des interdits sociaux s’allonge, plus les risques de transgression augmentent, et plus les violences justifiées par l’honneur augmentent également, pour sanctionner ces transgressions.

Il se produit ainsi une chaîne de conséquences liberticides pour les femmes, particulièrement durant leur vie reproductive.

Finalement, la position inspirée du multiculturalisme canadien, qui consiste à agréer des demandes d’accommodements38 souvent inspirées d’une vision patriarcale liée à l’honneur, par souci de respecter la diversité culturelle, soulève un dilemme éthique important. Cette position contribue à occulter les intérêts et les droits des femmes et des filles issues des minorités qui aspirent aux mêmes libertés que les autres citoyennes.

Chapitre 4
Les crimes d’honneur au Canada : études de cas

Lorsque la richesse est perdue, rien n’est perdu; lorsque la santé est perdue, quelque chose est perdu; lorsque l’honneur est perdu, tout est perdu.
Proverbe pakistanais

Il est utile d’examiner de plus près les cas de crimes d’honneur commis au Canada pour saisir la complexité des situations familiales entourant ces crimes et surtout pour en tirer les leçons qui s’imposent. Pour recenser les cas de crimes d’honneur rapportés ici, nous avons consulté diverses sources de données, comprenant les médias, la jurisprudence canadienne, ainsi que d’autres études portant sur le sujet (Dick, 2009; Fournier, 2012; Robert, 2012). Quatre procès sont présentement en cours concernant les cas les plus récents. Nous les avons inclus dans notre recension, car les circonstances qui les entourent pointent vers un crime d’honneur. Nous avons également inclus les cas où les victimes ont survécu à l’agression justifiée par l’honneur.

Une des premières difficultés rencontrées est celle de savoir comment déterminer si un crime relève ou non du concept d’honneur. Doit-on attribuer à l’honneur tout homicide intrafamilial issu de certaines communautés? Ou encore doit-on qualifier de crime d’honneur, indépendamment de l’origine ethnique de l’agresseur, tout homicide conjugal lié à une séparation ou à l’infidélité présumée de l’épouse, vu que la notion d’honneur n’y est pas étrangère? Bien que les réponses à ces questions doivent être nuancées, cela ne signifie pas qu’il n’y a aucune distinction à faire.

Il faut reconnaître que certains crimes d’honneur s’apparentent parfois à d’autres cas de drames conjugaux, suscités par la jalousie ou l’honneur viril blessé. Il faut donc admettre qu’il existe une zone grise, qui rend difficile toute classification parfaitement étanche sur ce plan. Pour notre part, outre les caractéristiques propres aux crimes d’honneur (voir section 1.3), nous avons retenu le critère de l’invocation du concept de l’honneur par l’accusé lui-même pour sa défense, ainsi que l’importance que ce concept revêt aux yeux des membres de sa communauté.

Ajoutons que la marge d’erreur possible concernant le lien du crime avec l’honneur n’a pas d’incidence majeure, puisque le crime d’honneur n’est pas une catégorie distincte dans la loi canadienne. De plus, leurs auteurs ne bénéficient d’aucune clémence en ce qui a trait à la sentence et les juges ont tendance à se montrer particulièrement sévères dans ces cas. Sachant cela, dans les cas plus récents de crimes d’honneur commis au Canada, la défense s’abstient d’invoquer l’honneur, comme on a pu le constater dans le procès Shafia.

Une deuxième difficulté rencontrée dans l’analyse des cas répertoriés tient au fait que les informations connues entourant ces crimes ne reflètent qu’une partie de la réalité complexe que recouvrent ces drames humains. Nous sommes bien consciente que les victimes décédées ont emporté avec elles une partie de leur histoire que nous ne pourrons jamais connaître, tandis que les survivantes font preuve de réserve pour ménager les membres de leur famille. Notre analyse est donc fondée sur les circonstances connues entourant ces crimes, ainsi que sur le cadre conceptuel présenté dans la première partie. Le but de cette analyse est d’illustrer par des exemples concrets la réalité complexe de l’honneur dans le contexte canadien, afin d’en tirer quelques leçons utiles pour la prévention à l’avenir.

4.1 Constats et caractéristiques des crimes recensés

Comme le montre le tableau suivant, nous avons recensé au total 20 cas de crimes d’honneur reconnus comme tels, commis au Canada. Certains cas ayant fait plus d’une victime, ces crimes ont touché 29 victimes, dont 5 ont survécu à leur agression. Étant donné que ce phénomène était jusqu’ici peu connu des autorités policières, il est fort possible que d’autres cas ayant été classés simplement comme homicides, accidents ou suicides, soient en fait des crimes d’honneur déguisés.

Nombre de cas et de victimes de crimes d’honneur recensés au Canada

Période

Nombre de cas

Nombre de victimes

1954 à 1983

3

3

1991 à 2000

4

7

2001 à 2010

10

16

2011–2012

3

3

Total

20

29

Total depuis 1991

17

26

Pour notre analyse, nous nous sommes limitée aux crimes d’honneur survenus à partir de 1991. Avant cette date, 3 cas seulement ont été répertoriés au Canada39. Pour les 17 cas retenus, répertoriés entre 1991 et 2012, on dénombre 26 victimes, dont 21 ont été tuées et 5 ont survécu à leur agression. À partir des 17 cas retenus, nous pouvons tirer les constats suivants :

Tendance à la hausse

Tout d’abord, on note une augmentation du nombre de cas de crimes d’honneur à partir de 2001, ce qui tend à confirmer la tendance mondiale.

Répartition par sexe

Parmi les victimes, on compte 20 femmes et 6 hommes. Certains crimes impliquant plusieurs membres de la famille, on dénombre 22 agresseurs, dont 18 hommes et 4 femmes. Comme on pouvait s’y attendre, la proportion de femmes est plus élevée parmi les victimes (20 femmes : 6 hommes), et celle des hommes plus élevée parmi les agresseurs (18 hommes : 4 femmes). Parmi les 5 survivants aux agressions commises, 3 étaient des hommes associés à la victime visée (voir les cas 4 et 7 plus bas).

Rôle des femmes parmi les agresseurs

Dans le cas des quatre femmes identifiées comme agresseuses, une seule est accusée d’avoir commis elle-même l’agression (cas 2). Les trois autres femmes impliquées dans l’agression étaient des complices (cas 4, 15 et 17).

Répartition par âge des victimes

Parmi les victimes, on compte :

Comme on peut le constater, la majorité des victimes avaient moins de 30 ans (21 : 26), ce qui confirme le fait que les crimes d’honneur touchent surtout des jeunes femmes en âge de procréer. Dans la logique du patriarcat, c’est durant cette phase de leur vie que le contrôle social et sexuel des femmes atteint son apogée.

Répartition selon le pays d’origine et la province de résidence au Canada

Les crimes d’honneur répertoriés touchent principalement des familles d’origine sud-asiatique, à l’exception d’un seul :

Les lieux de résidence des agresseurs sont répartis dans quatre provinces :

Cette répartition montre que la province la plus touchée est sans contredit l’Ontario, avec près de la moitié des cas et des victimes (9 cas sur 17, et 12 victimes sur 26).

En examinant les dates des crimes d’honneur commis au Canada, on note que les crimes survenus au Québec sont plus récents (cas 2, en 2010; cas 13, en 2012; et cas 17, en 2009), comparés à ceux commis en Ontario, dont les plus anciens remontent à 1999 (cas 14 et 15), alors qu’en Alberta, l’unique cas remonte à 1991 (cas 3).

Répartition des agresseurs selon leur lien de parenté avec les victimes

En ce qui concerne les 22 agresseurs identifiés, leurs liens de parenté avec la victime se répartissent comme suit :

Dans 13 cas, il s’agissait d’un agresseur unique, ce qui n’exclut pas nécessairement que le crime ait pu être planifié en concertation avec d’autres membres de la famille. Dans 4 cas seulement, il s’agissait d’agresseurs multiples (cas 1, 4, 15 et 17).

4.2 Analyse des principaux motifs sous-jacents

À partir des éléments connus concernant les circonstances entourant ces crimes, il est possible de dégager quatre principaux motifs sous-jacents, sans pour autant nier la complexité des cas qui recouvrent parfois plusieurs motifs. Parmi les motifs présumés répertoriés, figurent le désir d’autonomie de la victime face au contrôle parental; le désir de choisir son propre conjoint; le désir de divorcer; et le fait d’être soupçonnée d’infidélité. Les deux derniers motifs comportent certains éléments communs avec les homicides conjugaux qu’on trouve dans la société en général. Néanmoins, dans les cas rapportés ici, l’attachement des agresseurs au concept de l’honneur, selon les données recueillies, ne fait pas de doute et justifie leur inclusion dans notre analyse. Le cas des victimes Shafia qui recoupe plusieurs motifs est analysé séparément à la fin.

4.2.1 Le désir d’autonomie face au contrôle parental

Dans les cas se rapportant à des victimes célibataires, on note qu’il s’agit surtout de jeunes femmes qui commençaient à exercer leur autonomie et refusaient de se soumettre au contrôle parental excessif. Deux exemples illustrent ici ce cas de figure, mais c’est aussi le cas des jeunes filles Shafia que nous examinerons plus loin.

Premier crime d'honneur recensé

Cas no 1

Date du crime

Décembre 2007

Nom de la victime

Aqsa Parvez (16 ans)

Nom des agresseurs

Muhammad Parvez (57 ans) Waqas Parvez (26 ans)

Liens de parenté

Père et frère

Pays d'origine

Pakistan

Lieu de résidence

Mississauga, Ontario

Circonstances du crime

Étranglée au domicile familial par le père et le frère

Aqsa Parvez était connue à son école comme étant une jeune fi intelligente, sociable et sérieuse. Elle était en confl avec sa famille, entre autres parce qu’elle refusait de porter le hidjab et voulait socialiser avec ses amies. Son esprit rebelle et son comportement étaient jugés déshonorants par sa famille. Aqsa se plaignait à son école du contrôle excessif de ses parents, des pressions et des violences subies à la maison, où elle vivait avec une dizaine de membres de sa famille qui ne lui laissaient aucune intimité. Un mur de sa chambre était ouvert à moitié, permettant ainsi aux autres de la surveiller constamment. Les tensions entre elle et sa famille s’étant accrues et craignant pour sa sécurité, la jeune fille, avait quitté la maison familiale et trouvé refuge chez une amie, dont les parents avaient accepté de l’héberger quelque temps. Aqsa espérait se trouver un emploi à temps partiel pour répondre à ses besoins, tout en poursuivant ses études. Un jour qu’elle se rendait à l’école, son frère l’a abordée en voiture et lui a proposé de l’accompagner à la maison pour prendre ses affaires. En arrivant à la maison, Aqsa a été étranglée dans sa chambre, par son père et son frère. Les deux hommes ont été condamnés par la cour ontarienne à la prison à vie.

Deuxième crime d'honneur recensé

Cas no 2

Date du crime

12 juin 2010

Nom de la victime

Bahar Brahimi (19 ans) – survivante

Nom de l'agresseur

Johra Kaleki (40 ans)

Lien de parenté

Mère

Pays d'origine

Afghanistan

Lieu de résidence

Dorval (Montréal), Québec

Circonstances du crime

Poignardée par la mère, dans le sous-sol de la maison familiale

Bahar Brahimi refusait de se soumettre aux restrictions imposées par sa famille. Comme d’autres jeunes de son âge, elle voulait sortir avec des amis, aller danser, fumer ou boire de l’alcool. La veille de l’agression, elle avait rejoint des amis dans un club de nuit et n’était revenue que le lendemain matin à la maison. La mère inquiète soupçonnait sa fille de se prostituer et craignait que son exemple n’entraîne ses trois sœurs plus jeunes à suivre cette pente. À son retour à la maison, les parents l’ont réprimandée, mais devant son refus d’obtempérer, la mère a demandé au père de les laisser seules au sous-sol, puis a invité sa fille à se coucher sur le ventre pour lui faire un massage avant de la poignarder dans le dos, avec un couteau de cuisine. Bahar a réussi à se soustraire à l’agression et a couru se réfugier dans sa chambre d’où elle a appelé à l’aide. Dans le cadre du procès de la mère accusée d’agression, Bahar a témoigné en faveur de sa mère et la défense a plaidé une folie momentanée au moment de l’agression. Les médias ont rapporté que lors de son arrestation, la mère avait déclaré aux policiers :

Je sais que j’ai commis un crime, oui. Mais même si la loi dit que j’ai tort, personnellement, je sais que j’ai fait la bonne chose. Quand j’irai en prison, quand je passerai le reste de ma vie en prison pour ce crime, je veux y aller comme une personne fière et honnête, pas comme une lâche. (Traduction libre, Hamilton, 2012a)

À la suite de cette agression, à laquelle Bahar a survécu, cette dernière a accepté un mariage arrangé par sa mère, laquelle a été libérée en attendant son procès en cour (2013).

Éléments d’analyse

Ce dernier cas fait ressortir deux éléments. Premièrement, le propos de la mère au moment de son arrestation révèle le sentiment du devoir accompli, sans remords, sentiment typique de la part de l’agresseur motivé par le code de l’honneur. Deuxièmement, la position de la victime, qui a non seulement témoigné en faveur de sa mère mais a accepté par la suite le mariage arrangé par celle-ci, témoigne sans doute d’un sentiment de culpabilité fréquent chez les victimes de violences basées sur l’honneur, qui hésitent souvent à dénoncer leurs agresseurs. Bien que désireuses de se libérer du contrôle excessif et des violences subies, le plus souvent, les victimes ne souhaitent pas voir leurs proches punis pour ces actes. Cela signifie qu’un soutien psychologique est nécessaire pour les survivantes de crimes d’honneur, si on veut éviter qu’elles retombent dans des rapports de domination, en acceptant un mariage arrangé ou autrement, motivées par le désir de se racheter aux yeux des membres de leur famille qu’elles aiment malgré tout.

Quant au cas d’Aqsa Parvez, il se situe dans le prolongement des témoignages rapportés par nos répondantes et les intervenantes en milieu scolaire, concernant le contrôle excessif exercé par certains parents à l’égard de leurs enfants, surtout leurs filles (voir section 3.3.3). En l’absence de soutien et de suivis adéquats, ces tensions familiales peuvent dégénérer et avoir des conséquences néfastes. Sans aller jusqu’au meurtre, elles risquent de pousser les jeunes à la dépression, au suicide ou à l’acceptation d’un mariage arrangé, qu’elles ne souhaitent pas vraiment, ce qui risque d’entraîner d’autres abus pour elles.

4.2.2 Le désir de choisir son propre conjoint

Parmi les crimes d’honneur répertoriés, près du tiers (5 sur 17) sont liés au fait que la victime a voulu choisir son propre conjoint et a refusé de renoncer à une relation amoureuse que ses parents n’approuvaient pas.

Troisième crime d'honneur recensé

Cas no 3

Date du crime

19 mars 1991

Nom des victimes

Kalwinder Dulay (20 ans)

Gurdawr Singh Dulay (28 ans), son mari Mukesh Sharma (28 ans), un ami du couple

Nom de l'agresseur

Daljit Singh Dulay

Liens de parenté

Frère de Kalwinder

Pays d'origine

Inde (Sikh)

Lieu de résidence

Calgary, Alberta (le couple résidait à Calgary, mais la famille de la victime habitait Vancouver)

Circonstances du crime

Le frère de la victime a abattu le couple par balles, ainsi que leur ami, dans un stationnement.

Kalwinder Dulay était tombée amoureuse de Gurdawr Singh Dulay, mais sa famille, résidant à Vancouver, s’opposait à leur projet de mariage. Le couple s’est marié secrètement, en 1990, puis s’est enfui à Calgary, loin de la famille, avec l’aide d’un ami, Mukesh Sharma. Le frère de la victime a engagé un détective privé pour retrouver sa sœur, puis s’est rendu à Calgary à la recherche du couple. Il l’a suivi dans un stationnement, où il a criblé de balles sa sœur et son mari, avant d’abattre leur ami, Mukesh, qui se trouvait avec eux et tentait de fuir. Dans son témoignage, l’accusé a soutenu que son père était si accablé par le sentiment de honte lié au mariage réprouvé de sa fille, qu’il ne sortait plus de sa maison et ne pouvait se rendre au temple sikh pour remplir son devoir religieux. Le frère estimait qu’il lui incombait, en tant que fils aîné, de restaurer l’honneur de la famille en tuant sa sœur et son mari. Il a été condamné à la prison à vie pour meurtre prémédité.

Quatrième crime d'honneur recensé

Cas no 4

Date du crime

Juin 2000

Nom des victimes

Jaswinder Kaur Sidhu (25 ans)

Mithu Sidhu, (âge non disponible), son mari – survivant

Nom des agresseurs

Malkit Kaur Sidhu (63 ans) Surjit Singh Badesha (67 ans)

Liens de parenté

Mère et oncle de Jaswinder (instigateur du meurtre)

Pays d'origine

Inde

Lieu de résidence

Vancouver, Colombie-Britannique (le meurtre a été commis au Punjab en Inde, mais a été commandé par la famille résidant à Vancouver)

Circonstances du crime

Jaswinder a été tuée dans une embuscade visant le couple, mais le mari a survécu à ses blessures.

Le cas de Jaswinder Kaur Sidhu (connue sous le nom de Jassi) est complexe. Il a fait l’objet de plusieurs reportages, ainsi que d’un livre, un film et un site Web40. Jassi est née à Vancouver, où elle a grandi à Maple Ridge, dans une famille riche et très influente dans son pays d’origine. En 1995, âgée de 19 ans, Jassi se rend avec sa famille en visite au Punjab, où elle tombe amoureuse de Mithu Sidhu, un jeune homme pauvre, avec qui elle entretient, à son retour, une correspondance amoureuse qui dure quatre ans. En 1999, la famille retourne au Punjab pendant trois mois, dans le but de marier Jassi. Mais celle-ci rejette tous les prétendants présentés par sa famille et s’arrange pour épouser secrètement Mithu. Ayant découvert son mariage secret, sa famille s’estime déshonorée et fait pression sur Jassi pour la pousser à divorcer. Celle-ci refuse et tient bon. De retour au Canada, Jassi entreprend des démarches pour parrainer son mari, mais l’oncle de Jassi s’arrange pour faire arrêter Mithu, au Punjab, sous de fausses accusations d’enlèvement et de mariage forcé à l’endroit de Jassi. En avril 2000, Jassi se rend à nouveau au Punjab pour faire libérer Mithu. Le couple vit ensuite caché, en attendant son retour au Canada, mais la famille de Jassi les retrouve à l’aide d’un subterfuge. Le couple est alors victime d’une embuscade, au cours de laquelle Jassi est tuée, alors que son mari survit à ses blessures. Sept personnes ont été jugées au Punjab en relation avec ce meurtre, qui a été planifié à partir de Vancouver par la mère et l’oncle de Jassi. Ces derniers ont continué à vivre librement à Vancouver et ce n’est qu’en 2012, onze ans après le meurtre, qu’ils ont été arrêtés et traduits en justice. Leur procès est présentement en cours.

Cinquième crime d'honneur recensé

Cas no 5

Date du crime

30 juillet 2003

Nom de la victime

Amandeep Atwal (17 ans)

Nom de l'agresseur

Rajinder Singh Atwal (47 ans)

Lien de parenté

Père

Pays d'origine

Inde (Sikh)

Lieu de résidence

Vancouver, Colombie-Britannique

Circonstances du crime

Amandeep a été poignardée par son père, assise dans l’auto familiale.

Amandeep Atwal était tombée amoureuse à 15 ans d’un copain de sa classe, qui n’était pas sikh comme elle. Son père lui avait interdit de le fréquenter, mais le jeune couple a poursuivi son idylle en secret durant deux ans. Quand le père d’Amandeep l’a appris, il était furieux et a exigé de sa fille qu’elle rompe cette relation, mais celle-ci a refusé d’y renoncer. Peu après, un mois avant le crime, alors qu’elle venait de terminer ses études collégiales, Amandeep annonça à ses parents qu’elle avait décidé de déménager avec son amoureux dans une autre ville, à Prince George, pour y vivre ensemble et chercher du travail. Devant sa détermination, le père fit mine d’accepter la décision de sa fille, mais lui fit promettre de se joindre au voyage familial annuel, prévu avant son départ. Amandeep est donc partie avec sa famille pour des vacances, mais au bout de quelques jours, elle voulut retourner à Prince George pour s’y installer. Le père s’est offert pour la raccompagner. En route, il a arrêté sa voiture sur le chemin et a poignardé sa fille, encore assise dans l’auto et maintenue par la ceinture de sécurité. Il a ensuite conduit sa voiture jusqu’à l’hôpital où il s’est présenté avec le corps de sa fille, déclarant qu’elle s’était infligée elle-même ses blessures. Le père avait émigré jeune, à l’âge de 17 ans, au Canada, où il résidait depuis une trentaine d’années. Il travaillait depuis longtemps pour la même compagnie, où il était très apprécié de ses collègues. Il était également connu et respecté au sein de la communauté sikhe dans laquelle il était très engagé. Durant son procès, le père a reçu des dizaines de lettres d’appui de son entourage, témoignant de son honnêteté et de sa grande moralité. Il a été condamné à la prison à vie.

Sixième crime d'honneur recensé

Cas no 6

Date tu crime

18 septembre 2006

Nom des victimes

Khatera Sadiqi (20 ans)

Feroz Mangal (23 ans), son fiancé

Nom de l'agresseur

Hasibullah Sadiqi (23 ans)

Lien de parenté

Frère de Khatera

Pays d'origine

Afghanistan

Lieu de résidence

Ottawa, Ontario

Circonstances du crime

Le couple a été assassiné par balles, par le frère de la victime, dans un stationnement.

Khatera Sadiqi était tombée amoureuse de Feroz Mangal qu’elle avait décidé d’épouser, malgré l’opposition de son père. Défiant sa famille et voulant échapper aux tensions, Khatera avait quitté la maison familiale et était allée habiter dans la famille de son fiancé, en attendant leur mariage. Selon les traditions afghanes, son comportement était jugé doublement déshonorant. Après une soirée passée avec un groupe d’amis, à laquelle le frère de Khatera participait également, celui-ci les a rejoint dans le stationnement, où il a abattu le couple. Il a été condamné par une cour ontarienne à la prison à vie, en 2009, pour meurtre prémédité. L’accusé a porté sa cause en appel, en mars 2011, pour tenter d’alléger sa peine, arguant que le meurtre n’était pas prémédité, mais commis sous l’effet de la provocation de la part de Feroz (procès en cours).

Septième crime d'honneur recensé

Cas no 7

Date du crime

Juin 2007

Nom des victimes

Anitha Selvanayagam (16 ans) – survivante

Prashanna Anadarajah (17 ans), son amoureux – survivant Lenin Sandrasingam (21 ans), beau-frère d’Anitha – survivant

Nom de l'agresseur

Selvanayagam Selladurai (47 ans)

Lien de parenté

Père d’Anitha

Pays d'origine

Sri Lanka

Lieu de résidence

Scarborough, Ontario

Circonstances du crime

Le père a foncé délibérément avec sa voiture sur les trois victimes, leur occasionnant des blessures : Anitha, traînée sous la voiture sur 5 mètres, a été blessée à la tête, son copain s’en est tiré avec une foulure à la cheville, et le gendre a eu des fractures à la hanche.

Anitha Selvanayagam était tombée amoureuse de Prashanna Anadarajah. Le père de l’adolescente s’opposait à la relation de sa fille, car la famille du jeune homme appartenait à une caste inférieure. Il craignait que cette relation ne gâche les chances de mariage honorable pour sa fille et ne ternisse la réputation de sa famille. Anitha s’était enfuie avec son amoureux, trois jours avant le drame, aggravant ainsi le sentiment de déshonneur de son père. Alors que les trois victimes étaient debout près de la maison, le père a foncé sur elles avec sa voiture, leur infligeant des blessures. Après l’accident délibéré, le père avait poursuivi le copain de sa fille qui s’enfuyait et l’avait menacé de mort. La famille de l’accusé a plaidé pour une sentence clémente, arguant que le père souffrait de dépression depuis un an, qu’il avait tenté de se suicider et avait suspendu ses médicaments au moment de l’attaque. Initialement accusé de tentative de meurtre, le père a été condamné à cinq ans de prison pour agression aggravée. Le procureur de la Couronne a qualifié cette agression de crime d’honneur.

Éléments d’analyse

Les justifications qui sous-tendent ces cinq cas sont très similaires, et renvoient au sentiment profond de déshonneur ressenti par le patriarche de la famille, lorsque sa fille refuse son autorité et affirme son autonomie en voulant choisir son propre conjoint. Le sentiment de déshonneur est d’autant plus grand, lorsque le conjoint choisi est issu d’une autre communauté, d’une autre religion ou s’il a un statut social inférieur.

Ces cas confirment le fait que les hommes peuvent être victimes de crimes d’honneur, s’ils sont liés aux comportements jugés déshonorants des femmes visées. C’est le cas de quatre des six hommes agressés dans le cadre des crimes d’honneur répertoriés. Les deux autres hommes se trouvaient fortuitement avec les couples visés, mais s’étaient montrés solidaires de leur idylle (l’ami du couple Dulay, ainsi que le beau-frère d’Anitha Selvanayagam). Par ailleurs, le cas d’Amandeep Atwal n’est pas sans rappeler celui des Shafia, où le père a amené toute la famille en vacances puis s’est arrangé pour tuer les victimes.

Le documentaire41 réalisé sur l’histoire de Jassi déplorait le manque de volonté de la part des autorités canadiennes de poursuivre les instigateurs de ce crime, commis à l’étranger, lesquels avaient continué à vivre à Vancouver pendant plusieurs années avant d’être finalement arrêtés. C’est grâce à la persévérance des amis de Jassi, réclamant que justice lui soit rendue, si l’affaire a soulevé l’opinion publique canadienne et finalement poussé les autorités à porter des accusations contre la mère et l’oncle de Jassi (en 2012), onze ans après le meurtre. Il est probable qu’à la suite d’autres crimes commis au Canada, la sensibilité accrue à l’égard des crimes d’honneur a contribué à modifier l’attitude des autorités judiciaires.

4.2.3 Le désir de divorcer

Sur les 17 crimes d’honneur répertoriés, près du tiers, soit 6, sont liés à une séparation récente ou annoncée, à l’initiative de l’épouse. Bien que le divorce soit généralement associé au déshonneur pour l’épouse et sa famille, le fait qu’une épouse refuse de demeurer dans une relation légitime, en amorçant elle-même une séparation, est également considéré comme une cause de déshonneur pour le mari.

Huitième crime d'honneur recensé

Cas no 8

Date du crime

19 mai 2001

Nom de la victimes

Kanwaljeet Kaur Nahar (22 ans)

Nom de l'agresseur

Dilbag Singh Nahar (24 ans)

Lien de parenté

Mari

Pays d'origine

Inde (Sikh)

Lieu de résidence

Surrey, Colombie-Britannique

Circonstances du crime

Poignardée à mort par son mari dans son appartement

Kanwaljeet Kaur Nahar avait fait un mariage arrangé par ses parents, au Punjab, en Inde, avec un homme qu’elle ne connaissait pas, résidant au Canada depuis trois ans. Parrainée par son mari, à son arrivée, le couple a vécu avec la famille de celui-ci. Leur relation était tendue et l’épouse a porté plainte, au moins une fois, pour violence conjugale et son mari a été arrêté. Kanwaljeet est tombée rapidement enceinte et peu après son accouchement, elle s’est enfuie avec son bébé de la maison des beaux-parents, trouvant refuge dans une maison pour femmes victimes de violence. Elle a ensuite été hospitalisée quelques jours, sans doute à cause d’une dépression post-partum, puis a aménagé avec son enfant dans un logement indépendant, que la maison de refuge l’avait aidée à trouver. Son mari les a rejoint et le couple a habité ensemble pendant près d’un an, mais la relation du couple est demeurée houleuse. Le mari reprochait à son épouse sa désobéissance, son manque de respect et certains comportements, tels le fait de recevoir des appels téléphoniques de la part d’hommes, de fumer et de consommer de l’alcool. Quelques semaines avant le meurtre, le couple s’était séparé à nouveau. Durant son procès, le mari a rapporté que le soir du crime, il s’était rendu chez son épouse pour essayer de la raisonner, mais celle-ci lui aurait signifié qu’il n’avait plus autorité sur elle, et qu’elle pouvait maintenant agir à sa guise. Arguant que l’attitude de son épouse était déshonorante pour lui, selon sa culture sikhe, le mari a plaidé la provocation. Il a été condamné pour meurtre non prémédité.

Neuvième crime d'honneur recensé

Cas no 9

Date du crime

18 mars 2008

Nom de la victime

Randjida Khairi (53 ans)

Nom de l'agresseur

Peer Mohammad Khairi (65 ans)

Lien de parenté

Mari

Pays d'origine

Afghanistan

Lieu de résidence

Toronto, Ontario

Circonstances du crime

La victime a eu la gorge tranchée et a été quasi décapitée, avant d’être poignardée à plusieurs reprises par son mari pour l’achever.

Randjida Khairi, mère de six enfants, avait eu des tensions croissantes avec son mari, qui lui reprochait entre autres de soutenir leur fille, laquelle refusait un mariage arrangé avec son cousin. La victime voulait quitter son mari et avait contacté l’Association de femmes afghanes de Toronto, deux jours avant sa mort, pour demander son aide. Selon une intervenante qui aidait l’épouse et sa famille à s’adapter depuis leur arrivée au Canada, le mari était insatisfait de sa vie ici. Ne parlant pas anglais, il n’avait pas d’emploi et critiquait souvent ses enfants pour leur habillement et leurs comportements non conformes à la culture afghane. Il critiquait aussi sa femme pour son désir d’émancipation et son soutien aux enfants contre son autorité paternelle. La cour ontarienne a condamné le mari à la prison à vie.

Dixième crime d'honneur recensé

Cas no 10

Date du crime

1er janvier 2009

Nom de la victime

Amandeep Kaur Dhillon (22 ans)

Nom de l'agresseur

Kamilar Singh Dhillon (47 ans)

Lien de parenté

Beau-père

Pays d'origine

Inde (Sikh)

Lieu de résidence

Mississauga, Ontario

Circonstances du crime

Poignardée dans le sous-sol de l’épicerie familiale par son beau-père

Amandeep Dhillon avait fait un mariage arrangé par ses parents au Punjab, avec un homme qu’elle ne connaissait pas, originaire de son village mais résidant au Canada. Parrainée par son mari, à son arrivée, le couple a vécu avec les parents du mari. Dès son arrivée au Canada, Amandeep a été victime de violences et d’abus de la part du mari et de sa belle-famille. Selon des amis de la famille, le beau-père avait arrangé le mariage de son fils, atteint de maladie mentale, et exploitait sa belle-fille dans son commerce, une petite épicerie, où il la faisait travailler avec lui de longues heures quotidiennement. Selon la famille d’Amandeep, demeurée en Inde, la belle-famille lui réclamait toujours plus d’argent qu’elle n’était pas en mesure de fournir. De plus, la belle-mère s’étant séparée de son mari, elle était retournée vivre en Inde et avait ramené avec elle le fils d’Amandeep, âgé de 18 mois, privant ainsi la mère de son enfant. Amandeep n’osait pas se plaindre aux autorités canadiennes des abus subis, car elle comptait obtenir sa résidence permanente pour parrainer ses parents, espérant que les choses s’arrangeraient lorsqu’ils l’auraient rejointe au Canada. Quelques semaines avant le meurtre, elle avait obtenu ses papiers et avait annoncé à son beau-père son intention de déménager dans un logement indépendant pour y accueillir ses parents. Le beau-père l’a poignardée dans le sous-sol de l’épicerie, puis s’est infligé quelques blessures pour faire croire à une attaque externe. Il a fini par avouer le meurtre et a affirmé pour sa défense que la victime était sur le point de quitter son fils et que cela aurait déshonoré sa famille. Il a été condamné à la prison à vie.

Onzième crime d'honneur recensé

Cas no 11

Date du crime

22 juillet 2011

Nom de la victime

Shaher Bano Shahdady (21 ans)

Nom de l'agresseur

Abdul Malik Rustam

Lien de parenté

Mari

Pays d'origine

Pakistan

Lieu de résidence

Toronto, Ontario

Circonstances du crime

Étranglée par son mari à son domicile

Shaher Bano Shahdady avait émigré très jeune au Canada avec sa famille, puis, à 18 ans, avait fait un mariage arrangé par son père avec un cousin demeurant au Pakistan, et a dû demeurer avec son mari au pays. Elle n’a pu revenir à Toronto qu’à cause d’une grossesse difficile et dut y demeurer plus d’un an, après son accouchement, car son fils avait besoin d’une opération cardiaque et de suivis médicaux. Elle a donc parrainé son mari qui l’a rejointe, mais la relation conjugale est devenue de plus en plus difficile. Selon ses amis, Shaher voulait reprendre ses études et travailler, alors que son mari exigeait qu’elle porte le voile intégral et renonce à tous ses projets. Elle venait de déménager avec son fils, âgé de 2 ans, dans un appartement indépendant et s’apprêtait à divorcer, lorsque son mari l’a assassinée dans son nouveau domicile, en présence de l’enfant. Le dossier de cette affaire est à l’étude, mais les éléments rapportés laissent croire à un crime d’honneur.

Douzième crime d'honneur recensé

Cas no 12

Date du crime

28 juillet 2011

Nom de la victime

Ravinder Bhangu (24 ans)

Nom de l'agresseur

Manmeet Singh (26 ans)

Lien de parenté

Mari

Pays d'origine

Inde

Lieu de résidence

Vancouver, Colombie-Britannique

Circonstances du crime

Poignardée par son mari sur son lieu de travail

Ravider Bhangu travaillait comme traductrice et secrétaire pour un journal hebdomadaire de Vancouver, publié en anglais et en punjabi. Mariée depuis deux ans et mère d’une fillette d’un an, Ravinder venait de quitter son mari depuis quelques mois, à cause de problème conjugaux, et avait aménagé avec sa fille chez une tante. Un collègue de Ravider a été blessé durant l’agression en essayant de lui porter secours. Le mari est accusé de meurtre au premier degré dans ce que plusieurs observateurs ont qualifié de crime d’honneur.

Treizième crime d'honneur recensé

Cas no 13

Date du crime

11 août 2012

Nom de la victime

Anuja Baskaran (21 ans)

Nom de l'agresseur

Sivaloganathan Thanabalasingham (27 ans)

Lien de parenté

Mari

Pays d'origine

Sri Lanka (Tamoul)

Lieu de résidence

Montréal, Québec

Circonstances du crime

Égorgée par son mari

Anuja Baskaran avait accepté, en avril 2011, de faire un mariage arrangé par son père, qui avait obtenu un prêt de 50 000 $ de la famille du mari. Ce dernier s’est avéré être un homme violent et Anuja a porté plainte contre lui à trois reprises. La dernière fois, le mari, qui n’avait pas encore sa citoyenneté canadienne, a été arrêté pour violence conjugale. Lors de l’arrestation de ce dernier, le père d’Anuja avait soutenu son gendre affirmant aux policiers qu’il était inoffensif. Quelques semaines avant le meurtre, Anuja s’était présentée à la Cour du Québec pour demander la libération de son mari.

Éléments d’analyse

Comme on peut le constater, plusieurs victimes de crimes d’honneur commis par le mari avaient fait un mariage arrangé, souvent avec un homme qu’elles ne connaissaient pas, et impliquant le parrainage de l’un des conjoints. Comme mentionné dans la première partie, les mariages arrangés sont encore la norme dans certaines régions (notamment en Asie du sud) et les femmes n’ont souvent pas leur mot à dire quand vient le moment de se marier. Le refus d’un mariage arrangé tout comme le fait de vouloir divorcer par la suite sont considéré(s) comme déshonorant(s) et passibles de sanctions pouvant aller jusqu’au meurtre. Ces mariages arrangés s’apparentent souvent aux mariages forcés, et tout semble indiquer que ce soit le cas pour certaines victimes rapportées plus haut.

Dans le cas d’Anuja Baskaran, plusieurs indices corroborent cette hypothèse comme le fait que son père ait obtenu un prêt de 50 000 $ de la famille de son gendre et qu’il ait soutenu ce dernier lors d’une première arrestation pour violence conjugale. On peut également supposer qu’Anuja était sous pression pour demander la libération de son mari, survenue peu avant l’assassinat, vu que son père était redevable à son gendre pour le prêt consenti. Le procès en cours saura sans doute apporter un éclairage sur les circonstances familiales entourant ce meurtre.

Le cas de Randjida Khairi confirme que les mères sont tenues responsables du comportement jugé déshonorant de leur fille et qu’elles risquent parfois d’en payer le prix. Cette menace réelle explique, en partie du moins, le fait que certaines mères puissent collaborer aux crimes d’honneur contre leurs enfants.

Dans le cas d’Amandeep Dhillon, on note le cumul d’abus subis, comportant le harcèlement lié au montant de la dot, l’exploitation économique rattachée à l’obligation de travailler de longues heures dans le commerce du beau-père, la privation de son enfant en bas âge (probablement pour qu’elle puisse se consacrer entièrement à son travail), et l’exploitation sexuelle liée au mariage arrangé avec un homme souffrant de maladie mentale (état qu’elle ignorait sans doute avant de se marier).

Rappelons que les conflits familiaux entourant la dot sont très fréquents en Inde, où des milliers d’épouses meurent chaque année, brûlées vives dans un simulacre d’accident domestique, pratique appelée sari burning ou dowry burning. On a rapporté en Inde 8 391 cas d’épouses ainsi brûlées, en 2010, dans le but de permettre à la belle-famille d’obtenir une nouvelle dot en remariant leur fils (Bedi, 2012). Ce motif pécuniaire s’ajoute au code de l’honneur, qui maintient et renforce les conditions favorables à la négation des droits des femmes.

4.2.4 Le fait d’être soupçonnée d’infidélité
Quatorzième crime d'honneur recensé

Cas no 14

Date du crime

14 octobre 1999

Nom de la victime

Aysar Abbas (46 ans)

Nom de l'agresseur

Adi Abdel Humaid

Lien de parenté

Mari

Pays d'origine

Émirats arabes unis

Lieu de résidence

Ottawa, Ontario (le crime s’est produit lors d’une visite à Ottawa, mais le couple résidait à Dubaï pour le travail)

Circonstances du crime

La victime a été poignardée par son mari.

Aysar Abbas était soupçonnée d’infidélité par son mari. Le couple, tous les deux ingénieurs et citoyens canadiens, vivait à Dubaï (Émirats arabes unis). L’épouse était en visite pour affaires à Ottawa, avec un de ses collègues, lorsque le mari les a rejoints sans prévenir. Le meurtre s’est produit à Ottawa, à l’issue d’une dispute où le mari accusait sa femme d’avoir une relation extraconjugale avec ce collègue, ce qu’elle n’a pas nié. Le mari a été condamné par la cour ontarienne à la prison à vie pour meurtre prémédité. La défense a tenté d’obtenir une sentence plus clémente, arguant que l’infidélité de l’épouse était une atteinte à l’honneur, selon sa culture islamique, mais la Cour suprême du Canada a refusé l’appel basé sur la défense de provocation.

Quinzième crime d'honneur recensé

Cas no 15

Date du crime

6 décembre 1999

Nom de la victime

Farah Khan (5 ans)

Nom des agresseurs

Muhammad Khan et Fatima Khan

Liens de parenté

Père et belle-mère

Pays d'origine

Pakistan

Lieu de résidence

Toronto, Ontario

Circonstances du crime

La fillette a été battue et égorgée par son père, aidé par sa nouvelle épouse.

Le père de Farah Khan doutait de sa paternité à l’égard de sa fille, issue d’un premier mariage, dont il aurait obtenu la garde au Pakistan. Le père aurait donc planifié de tuer l’enfant après son arrivée au Canada pour restaurer son honneur. Avant le meurtre, le père se serait procuré des instruments chirurgicaux. Pour se débarrasser du corps de la fillette, celui-ci a été démembré et diverses parties ont été placées dans des sacs de poubelle que le couple a dispersés à différents endroits d’un parc. Le père et la belle-mère ont été condamnés à la prison à vie.

Seizième crime d'honneur recensé

Cas no 16

Date du crime

4 novembre 2006

Nom de la victime

Thayalini Subramaniam (31 ans)

Nom de l'agresseur

Sugirthanraj Kailayapillai (41 ans)

Lien de parenté

Mari

Pays d'origine

Sri Lanka (Tamoul)

Lieu de résidence

Markham, Ontario

Circonstances du crime

La victime a été assommée avec une barre de fer et ensuite pendue dans le garage du domicile familial par son mari.

Thayalini Subramaniam, mariée depuis treize ans et mère de trois enfants, était soupçonnée d’infidélité par son mari. Dans leurs témoignages, la sœur et la mère de la victime ont rapporté que depuis ce drame, elles éprouvent un sentiment de honte et d’exclusion de leur communauté tamoule, laquelle a tendance à blâmer la victime pour ses mœurs jugées répréhensibles selon leur culture. Elles s’inquiétaient aussi de l’avenir des enfants de la victime, compte tenu de l’ostracisme exercé à l’endroit de la famille par les membres de leur communauté. Le mari a été condamné par la cour ontarienne à la prison à vie, pour meurtre non prémédité.

Éléments d’analyse

Dans le cas d’Aysar Abbas, les informations recueillies lors du procès indiquent que l’épouse avait plus de succès professionnel que son mari, lequel était sans emploi depuis un an au moment du meurtre, et qu’elle détenait le contrôle sur les finances du couple. De plus, il semble que le couple menait un mode de vie très émancipé à Dubaï, ce qui n’a rien de surprenant, sachant que dans les sociétés les plus traditionnelles, les membres des classes aisées adoptent souvent les mœurs sexuelles et le mode de vie qu’on trouve en Occident. Cela laisse entrevoir que le motif principal derrière ce meurtre serait moins l’attachement au code de l’honneur invoqué par la défense, que la cupidité du mari qui voulait se débarrasser de son épouse émancipée et mieux nantie que lui, afin de s’accaparer sa fortune.

Le cas de Farah Kahn, âgée de 5 ans, est atypique, car c’est généralement l’épouse accusée d’adultère qui est ciblée pour un crime d’honneur. Les enfants sont rarement accusés de comportement déshonorant. Que le père ait tué sa fillette parce qu’il doutait de sa paternité renvoie néanmoins au concept de l’honneur pour justifier ce meurtre.

Dans le cas de Thayalini Subramaniam, le témoignage de la mère et celui de la sœur de la victime corroborent le fait qu’un comportement jugé déshonorant peut entraîner l’ostracisme à l’égard de tous les membres de la famille et non seulement de la victime, même dans un contexte d’immigration.

4.2.5 Une analyse globale des cas présentés

De l’ensemble des cas présentés plus haut, on peut dégager certains éléments d’analyse. Premièrement, on note que dans la plupart des cas rapportés, les victimes sont loin d’être des femmes soumises. Sauf pour le cas de la fillette Farah Khan, il s’agit de jeunes filles ou de femmes qui refusaient de se soumettre à l’autorité du père ou du mari et qui voulaient exercer des choix autonomes. De fait, on constate que ce sont souvent les femmes fortes de caractère qui sont le plus à risque, car c’est lorsqu’elles contestent ou transgressent leur rôle traditionnel qu’elles sont le plus susceptibles de devenir victimes de crimes d’honneur. Cela signifie concrètement qu’il faut user de prudence lorsqu’on cherche à aider les personnes vulnérables à ce type de violence. Les intervenants sociaux devraient s’assurer que ces jeunes femmes bénéficient de protection avant de les inciter à s’affirmer, tenant compte des risques accrus liés à l’honneur. D’où l’importance primordiale d’une formation allant au-delà de la diversité culturelle pour tenir compte spécifiquement de cette réalité complexe.

Deuxièmement, on constate que ces crimes ne touchent pas uniquement des familles immigrantes récentes, mais aussi d’autres parfois établies depuis longtemps au Canada. Cela confirme notre analyse selon laquelle le poids du code d’honneur dépend souvent de la profondeur des liens entretenus avec les membres de la communauté, en exil ou dans le pays d’origine. Dans le cas d’Amandeep Atwal, dont le père résidait au Canada depuis une trentaine d’années, il est clair que son attachement à sa communauté rendait d’autant plus intolérable à ses yeux le comportement de sa fille, qui transgressait les normes de conduite qui y sont admises. L’appui que celui-ci a reçu de son entourage, tant professionnel que communautaire, en dépit de son crime, montre aussi que les auteurs d’un crime d’honneur sont souvent des personnes honnêtes et ayant un grand sens moral, contrairement à d’autres criminels. Par ailleurs, l’ostracisme dont font l’objet les membres de la famille d’une victime, comme dans le cas de Thayalini, montre aussi que les membres de la communauté ont tendance à appuyer moralement l’auteur d’un crime d’honneur, estimant qu’il n’a fait qu’accomplir son devoir.

Troisièmement, bien que les justifications qui sous-tendent certains crimes d’honneur comportent des éléments comparables à ceux qu’on trouve dans les cas de violence conjugale, notamment en cas de divorce ou de soupçons d’infidélité, la confusion entre les deux mérite d’être dissipée. Contrairement aux violences conjugales, à présent condamnées socialement, les violences basées sur l’honneur sont justifiées moralement, et l’entourage de la victime aura tendance à blâmer cette dernière tout en excusant l’agresseur. Par conséquent, après avoir quitté un mari violent, la victime n’est pas au bout de ses peines. Elle risque de perdre d’un coup tout son réseau social et familial, qui fera pression sur elle pour qu’elle retourne avec son mari en dépit des risques pour sa sécurité. L’ostracisme exercé au nom de l’honneur ajoute un obstacle de plus, dont il faut tenir compte dans les solutions envisagées pour mieux répondre aux besoins des victimes.

Quatrièmement, on constate que d’autres motifs, pécuniaires ou autres, sont parfois mêlés aux crimes d’honneur, ce qui rend cette réalité encore plus complexe à décoder. Les femmes sont souvent l’otage des intérêts familiaux associés à leur mariage, ce qui accroît les pressions qu’elles subissent lorsqu’elles décident de rompre une relation conjugale ne faisant plus leur affaire. Cela signifie que les femmes des classes aisées ne sont pas moins à risque que celles des familles pauvres de subir des violences justifiées par l’honneur. Les cas de Jassi et d’autres démontrent que les femmes issues de familles riches ou très influentes ne sont pas libres d’ignorer le statut social de leur famille et peuvent être la cible d’un crime d’honneur, si elles insistent pour épouser un conjoint moins fortuné ou issu d’une autre communauté qu’elles. Cela témoigne de l’imbrication de plusieurs facteurs, liés aux inégalités de genre, d’ethnie et de classe, dans le système de valeurs fondé sur l’honneur.

4.3 Étude de cas : l’affaire Shafia

Dix-septième crime d'honneur recensé

Cas no 17

Date du crime

30 juin 2009

Nom des victimes

Zainab Shafia (19 ans) Sahar Shafia (17 ans), sœur Geeti Shafia (13 ans), sœur

Rona Amir Mohammad (50 ans), 1re épouse de leur père

Nom des agresseurs

Mohammad Shafia (58 ans) Touba Yahia (41 ans) Ahmed Shafia (19 ans)

Liens de parenté

Père, mère et frère des trois sœurs

Pays d'origine

Afghanistan

Lieu de résidence

Montréal, Québec (crime commis en Ontario)

Circonstances du crime

Les quatre victimes ont été retrouvées noyées dans une voiture plongée au fond d’un canal, à Kingston Mills.

L’affaire Shafia est sans doute le crime d’honneur le mieux connu au Québec. Ce drame familial, qui a touché une famille afghane résidant à Saint-Léonard (Montréal), a été le déclencheur d’une prise de conscience collective sur les crimes d’honneur. D’abord présenté comme un triste accident, selon l’hypothèse évoquée par le père des trois jeunes victimes, les résultats d’une enquête policière minutieuse ont révélé qu’il s’agissait plutôt d’un quadruple meurtre, soigneusement planifié et exécuté pour faire croire à la thèse de l’accident. À la fin janvier 2012, au bout de deux mois et demi d’un procès retentissant, le père, la mère, et leur fils Ahmed ont été jugés coupables de ce quadruple meurtre et condamnés à la prison à vie. Trois autres enfants du couple ont survécu à ce drame familial : deux filles âgées de 9 ans et 17 ans, et un garçon âgé de 16 ans au moment du drame.

Nous présentons ici une description des éléments les plus significatifs entourant ce drame familial, dans le but de montrer la complexité des facteurs contextuels liés au crime d’honneur. Ces éléments sont publiquement connus, ayant été rapportés durant le procès largement médiatisé. De plus, cette affaire a déjà inspiré deux livres : Without Honour […] de Rob Tripp (2012) et Honour on Trial […], de Paul Schliesmann (2012).

Survol historique du parcours de vie familiale

La famille Shafia avait dû fuir son pays d’origine à cause de la guerre, en 1992, et s’était établie pendant quelques années au Pakistan, ensuite à Dubaï, avant d’émigrer au Canada, en 2007. Malgré son faible niveau d’instruction, le père des jeunes victimes, Mohammad Shafia, était un homme d’affaires prospère, ayant réussi à développer son commerce d’import-export d’appareils électroniques, en dépit de la guerre. Il avait épousé en premières noces Rona Amir, en 1978. N’ayant pas pu avoir d’enfants, Rona dû consentir à voir son mari prendre une seconde épouse, Touba Yahia, qui lui donna sept enfants. Comme le veut la tradition afghane, Rona continua de faire partie de la famille et vécut avec son mari, sa nouvelle épouse et leurs enfants.

La biographie familiale, reconstituée par une enquête journalistique minutieuse (Tripp, 2012), souligne que pendant les premières années de cohabitation, les deux femmes s’entendaient raisonnablement bien. Rona aidait de son mieux Touba à élever ses sept enfants, qu’elle aima comme s’ils étaient les siens, et ces derniers la considéraient comme une seconde mère. Les liens affectifs unissant Rona à Sahar, l’une des jeunes filles Shafia, était plus forts encore, car Touba l’avait confiée dès sa naissance à Rona en lui disant qu’elle pouvait la considérer comme sa fille.

Aux fins d’immigration au Canada, le mari ne pouvant déclarer sa polygamie, avait inscrit la mère de ses enfants comme son épouse légitime, et fait passer Rona pour une cousine, occupant la fonction de servante auprès de sa famille. Après son arrivée au Canada, Rona perdit donc son statut d’épouse, et la relation entre les deux femmes devint plus tendue. Les enfants ayant grandi, Touba avait moins besoin de Rona et commença à la considérer comme une rivale gênante, dont elle aurait voulu se débarrasser.

Le père ayant choisi d’inscrire ses enfants à l’école publique du quartier Saint-Léonard, les filles Shafia ont sans doute expérimenté un choc culturel. Comme le souligne Tripp, celles-ci habituées à fréquenter jusqu’ici une école privée, réservée aux filles de familles riches à Dubaï, ont soudain été parachutées dans un milieu social radicalement différent. Dans cette école mixte, regroupant des centaines de nouveaux immigrants de toutes origines, les jeunes filles Shafia étaient entourées de garçons et d’adolescentes aux allures décontractées, qui se laissaient courtiser et flirtaient avec leurs camarades sans aucune gêne. On peut imaginer, ajoute Tripp, l’effet électrisant que ce climat permissif a dû avoir sur des adolescentes ayant vécu jusqu’ici dans un cocon familial protecteur, à l’abri des contacts avec les garçons. Ce changement brusque de milieu de vie, dit-il, a pu avoir des effets perturbateurs, surtout pour les deux adolescentes, Zeinab et Sahar, qui, selon leurs camarades, étaient particulièrement jolies et attiraient les regards admiratifs des garçons.

Transgression des normes culturelles et sanctions progressives

Comme on pouvait s’y attendre, les deux adolescentes tombèrent amoureuses, Zeinab d’un jeune Pakistanais, et Sahar d’un jeune Latino-Américain, de religion chrétienne. Craignant pour leur vertu, leur père qui voyageait souvent pour affaires, avait investi son fils, Ahmed, de l’autorité paternelle pour contrôler ses sœurs en son absence. Ahmed, qui fréquentait la même école que Zeinab, surveillait celle-ci étroitement, tandis que Sahar était surveillée par une sœur plus jeune qu’elle. Leurs faits et gestes étaient rapportés régulièrement à leur père, alimentant ainsi des tensions à leur endroit, et le climat familial se détériora rapidement.

Les jeunes filles durent essuyer à maintes reprises des violences physiques et verbales, y compris des menaces de mort, de la part de leur frère et de leur père, exigeant qu’elles respectent le code de conduite lié à l’honneur. Mais Zeinab et Sahar continuèrent à ignorer les interdits familiaux, dans leur façon de s’habiller et de se comporter, et poursuivirent leur idylle amoureuse en cachette. Voulant imiter leurs camarades, elles avaient poussé l’audace jusqu’à prendre des photos avec leur cellulaire les montrant en petite tenue ou en compagnie de leur amoureux. À l’affût de leurs incartades, leur frère, Ahmed, confisqua un jour le cellulaire de Sahar et imprima les photos compromettantes pour les montrer à leur père, attisant ainsi sa rage et son sentiment de déshonneur.

Pour sa part, Rona tenta à maintes reprises de protéger les filles contre la colère de leur père qu’elle jugeait trop rigide. Dans son journal intime, découvert après sa mort, Rona relatait les tensions familiales et les humiliations quotidiennes qu’elle-même subissait de plus en plus aux mains de sa coépouse, Touba. Elle rapporte comment, depuis leur arrivée au Canada, Touba l’humiliait et la traitait comme une servante, en plus de manigancer dans son dos pour semer la discorde entre elle et son mari. Touba ne manquait pas une occasion de critiquer Rona sur sa façon de s’habiller et de se maquiller, et rapportait à son mari que celle-ci sortait souvent seule de la maison, sans dire où elle allait, semant ainsi le doute dans son esprit. Touba avait même réussi à convaincre son mari de suspendre ses démarches pour l’obtention de la résidence permanente pour Rona, espérant qu’elle serait renvoyée en Afghanistan ou en France, chez son frère, à l’expiration de son permis temporaire.

Désespérée et craignant pour sa vie, Rona multipliait les appels à l’aide auprès de sa sœur et de son frère qui résidaient en France. Elle téléphonait aussi à une amie de longue date, résidant aux États-Unis, à qui elle confiait le harcèlement dont elle était l’objet. Pour échapper à la surveillance incessante à la maison, Rona prenait soin d’appeler ses proches d’un téléphone public, à l’aide d’une carte d’appel. C’était là d’ailleurs la raison de ses sorties fréquentes que Touba critiquait, semant ainsi le doute sur sa vertu dans l’esprit du mari. Compte tenu de la détérioration du climat familial, Rona avait demandé à quelques reprises le divorce à son mari qui l’avait refusé. Celui-ci détenait le passeport de Rona ainsi que son certificat de mariage, et Touba lui avait confisqué ses photos de mariage. Rona n’avait ainsi aucune preuve de son statut marital et se trouvait piégée, totalement à la merci du mari et de sa coépouse. Ironiquement, les proches de Rona tentaient de calmer ses appréhensions, l’assurant qu’elle était en sécurité au Canada.

De leur côté, Zeinab et Sahar nourrissaient l’espoir de se marier dès que possible avec leur amoureux, afin d’échapper au climat familial étouffant. Sahar attendait impatiemment d’avoir 18 ans pour pouvoir le faire, et avait promis à Rona de l’emmener avec elle, pour la soustraire au harcèlement de ses parents. En attendant, les jeunes filles rebelles étaient de plus en plus soumises à des violences physiques et psychologiques, y compris coups, menaces et isolement affectif. Sahar fut même retirée de l’école pendant plusieurs semaines, en guise de représailles pour son comportement.

Craignant pour leur vie, les jeunes filles ont tenté de chercher de l’aide à l’extérieur, en évoquant timidement leurs problèmes familiaux à l’école. Sahar s’était confiée à une enseignante, à qui elle parla de ses angoisses et des abus subis à la maison. Elle lui rapporta les agressions répétées de son frère à son endroit, et se plaignit de l’isolement auquel elle était soumise depuis quelque temps au sein de la famille. Elle était également soumise aux pressions pour porter le hidjab à l’école, ce qu’elle fit pendant quelque temps. Sahar rapporta à son enseignante que la vie familiale était devenue insupportable pour elle, qu’elle se sentait dépressive et rejetée de ses parents. Elle lui confia aussi qu’elle voulait mourir, qu’elle avait déjà fait une tentative de suicide et que Rona l’avait secourue, tandis que sa propre mère montra de l’indifférence devant sa tentative. L’enseignante, inquiète pour Sahar, avisa l’administration de l’école, qui fit appel au Centre de la jeunesse et de la famille Batshaw. L’intervenante du centre rencontra Sahar et l’informa qu’elle devait, selon la loi en vigueur, contacter ses parents et les informer de sa plainte. Terrorisée à l’idée de la réaction de son père, Sahar se rétracta. Le dossier fut classé, après la rencontre de l’intervenante du centre avec la mère, le père et le frère qui nièrent toutes les allégations de Sahar.

Le 17 avril 2009, Zeinab s’enfuit de la maison familiale pour se réfugier dans un centre d’hébergement pour jeunes femmes (Passages). Sa désertion inquiéta au plus haut point ses sœurs et son plus jeune frère. Inquiets des conséquences sur eux-mêmes de la fureur du père, ces derniers alertèrent la police. Geeti, qui affectionnait particulièrement ses grandes sœurs et craignait d’être totalement à la merci de ses parents après leur départ, avait eu l’audace de demander à la police de la placer dans une autre famille. Malheureusement, par manque de preuve tangible et compte tenu de ce que les enfants s’étaient rétractés devant leur père, leur plainte ne fut pas prise au sérieux et le dossier fut classé encore une fois. Dans les mois précédant le drame, la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) fut également mêlée au dossier des enfants Shafia, sans plus de résultat.

Durant son court séjour à la maison d’hébergement, Zeinab, qui n’avait jamais auparavant été séparée de sa famille, éprouva de la nostalgie et téléphona à sa mère. Celle-ci la supplia de revenir à la maison, lui assurant que son père serait en voyage d’affaires pendant plusieurs semaines, et lui promit même de l’aider à épouser son jeune amoureux pakistanais. Cédant aux pressions de sa mère, Zeinab revint à la maison, le 1er mai 2009.

Selon la reconstitution des derniers événements par le journaliste d’enquête, il semble qu’à ce moment, le père était déjà en train de planifier avec son fils, Ahmed, le meurtre des jeunes filles (Tripp, 2012 : 80-96). Zeinab connut alors un moment de répit et fut même autorisée à fréquenter son amoureux librement. Avant son départ, le père avait confié à son fils, Ahmed, le soin d’organiser en son absence le mariage hâtif de Zeinab. Ce dernier avisa le fiancé de Zeinab de se préparer pour le mariage. Pris de court, le fiancé affirme avoir informé Ahmed dès le départ que ses parents désapprouvaient son mariage hâtif, vu qu’il était encore aux études et dépendant financièrement d’eux, et qu’ils refuseraient donc d’assister à son mariage. Mais Ahmed tint cette information secrète, ménageant ainsi l’effet de surprise aux membres de la famille élargie, y inclus ses oncles, ses tantes et ses cousins venus célébrer le mariage de Zeinab.

Le jour de la cérémonie, qui se tint le 18 mai 2009, l’absence de la famille du fiancé fit l’effet d’une bombe. Elle sema la consternation et exacerba le sentiment de déshonneur pour toute la famille Shafia. Devant ce nouvel affront, Zeinab dut essuyer la désapprobation générale de la famille élargie. Fortement ébranlée, elle consentit à l’annulation de son mariage, dès le lendemain de la cérémonie. Le désastre de ce mariage attisa davantage la rage de Mohammad Shafia qui appela Zeinab de Dubaï pour tenter de la convaincre d’épouser un cousin résidant en Afghanistan qu’elle ne connaissait pas, mais celle-ci refusa.

Dès son retour de Dubaï, le père emmena toute sa famille en tournée, le 23 juin 2009, pour des vacances aux chutes du Niagara. Le parcours du trajet avait été soigneusement planifié avec son fils, pour lui permettre de se débarrasser de quatre membres de la famille. L’enquête a révélé l’existence d’un complot impliquant le père, la mère et le frère des victimes qui s’étaient concertés pour commettre leur crime en le déguisant en accident, afin d’échapper à la justice canadienne.

Analyse du cas Shafia

Dans le résumé des événements présentés ci-dessus, on trouve réunis tous les motifs fréquemment invoqués pour justifier un crime d’honneur, destiné à laver la honte associée au comportement jugé déshonorant des victimes.

En ce qui concerne Zeinab et Sahar, celles-ci avaient refusé de respecter les normes culturelles de leur pays d’origine, en dépit des violences physiques et psychologiques exercées à leur encontre pour les contraindre à se conformer. Elles continuèrent de défier les valeurs liées à l’honneur, en s’habillant de manière jugée immodeste, en ayant des fréquentations amoureuses et en voulant choisir leur propre conjoint. Elles ont même osé parler de leurs problèmes familiaux à l’extérieur. De plus, le choix de leur conjoint allait totalement à l’encontre des standards familiaux. L’amoureux de Sahar était un Latino-Américain de religion chrétienne42, tandis que le prétendant de Zeinab, bien que musulman, n’avait rien pour plaire à la famille. Il était pakistanais et non afghan, il était sunnite alors qu’elle était chiite, et le statut social de sa famille était inférieur à celui des Shafia. De plus, étant encore aux études, il n’avait aucune autonomie financière. Tous ces éléments réunis contribuèrent sans doute à attiser le sentiment profond d’humiliation ressenti par le père, exacerbé encore par l’affront ultime causé par l’absence de la famille du fiancé au mariage, suivi du refus de Zeinab d’accepter un mariage arrangé en Afghanistan, dans un dernier effort visant à sauver son honneur bafoué.

Par ailleurs, il est intéressant de souligner aussi que Sahar, tout comme Aqsa Parvez et Shaher Shahdady, ont été soumises à des pressions familiales pour les pousser à porter le voile contre leur gré, afin de décourager le mariage ou les relations en dehors de leur communauté.

Quant à Geeti, bien qu’étant trop jeune pour avoir un amoureux comme ses sœurs, selon la reconstitution de l’histoire familiale, elle a été complice de leur idylle. De plus, ayant un grand attachement affectif pour Sahar, qu’elle craignait de voir partir bientôt de la maison, Geeti avait osé porter plainte à la police et lui avait même demandé de la placer dans une autre famille. Son comportement pouvait laisser entrevoir son caractère rebelle, et son faible attachement à ses parents. Par conséquent, son père a sans doute jugé préférable de la sacrifier avec ses sœurs.

En ce qui concerne Rona, celle-ci n’avait commis aucun manquement à l’honneur. Cependant, une des raisons principales l’ayant désignée comme cible du crime est sans doute le fait qu’étant très proche des enfants et ayant tenté de les protéger à plusieurs reprises, elle aurait été un témoin gênant si elle était demeurée vivante. De plus, Rona était tombée en disgrâce aux yeux de son mari, influencé par Touba qui alimentait ses soupçons. N’en pouvant plus de subir ce harcèlement quotidien, Rona voulait divorcer pour se soustraire aux vexations quotidiennes de Touba. Mais sa demande ne pouvait être satisfaite sans dévoiler le statut bigame du mari, ce qui aurait embarrassé ce dernier et l’aurait placé en situation d’irrégularité face aux autorités de l’immigration, mettant ainsi son statut en danger.

Les conflits entre coépouses au sein des ménages polygames, résultant de la compétition entre elles, représentent une autre réalité pénible à laquelle sont confrontées les femmes de certaines communautés43. Cet aspect du drame familial des Shafia a été totalement ignoré des médias.

L’oncle de Zeinab a rapporté lors du procès une conversation qu’il avait eue avec Mohammad Shafia, peu avant le meurtre, au cours de laquelle celui-ci accusait sa fille aînée d’avoir voulu le déshonorer et d’être « une pute, une malédiction, et une sale femme»44 (traduction libre, cité dans Tripp, 2012 : 83). Ces propos rudes et irrévérencieux, surtout venant d’un père parlant de sa propre fille, dénotent un profond sentiment de déshonneur, lequel est corroboré par une autre conversation, enregistrée par la police, à l’insu des accusés, où ce dernier affirmait à son fils après l’accident suspect :

il n’y a rien de plus important que notre honneur. Je te le dis maintenant, comme je te le disais avant, quiconque joue avec mon honneur, ma réponse est la même. La vie n’a pas de valeur sans honneur45. (Traduction libre, cité dans Schliesmann, 2012: 108)

Bien que les accusés aient continué à nier leur crime et que la défense n’ait jamais fait référence à l’honneur, les éléments recueillis laissent peu de doute sur le fait que l’honneur serait le principal motif derrière ce quadruple meurtre.

Conclusion de la deuxième partie

L’analyse qui précède montre en premier lieu que les justifications des violences basées sur l’honneur dans un contexte d’immigration sont très similaires à celles qu’on trouve dans les pays d’origine. En effet, les situations évoquées par les femmes issues des communautés concernées (chapitre 3) et celles des victimes des crimes d’honneur (chapitre 4) comportent des similitudes frappantes avec les exemples présentés dans la première partie. La différence réside essentiellement dans le contexte propre à l’immigration qui, tout en offrant des occasions d’émancipation plus grandes aux femmes, induit aussi des tensions accrues liées aux changements des rôles sociaux et de la dynamique familiale, résultant de la nécessité de s’adapter à de nouvelles réalités.

En deuxième lieu, l’expérience malheureuse de nombreuses victimes de violences basées sur l’honneur, associées à un mariage arrangé entre conjoints qui ne se connaissent pas ou très peu, laisse entrevoir que, si autrefois un tel mariage avait quelques chances de réussir, c’est de moins en moins le cas aujourd’hui. La difficulté est décuplée dans un contexte d’immigration, lorsque le mariage arrangé implique le parrainage d’un conjoint ayant évolué dans un contexte socioculturel différent, bien qu’issu du même pays d’origine. Les conflits qui en résultent augmentent le risque pour les femmes de subir des violences basées sur l’honneur.

En troisième lieu, il faut bien réaliser que les obstacles rencontrés par les femmes et les filles vulnérables aux violences basées sur l’honneur sont plus nombreux que pour les victimes de violences familiales. Comme pour ces dernières, la dépendance économique et affective pousse souvent les femmes à demeurer dans une situation de violence. À cela s’ajoute l’isolement et l’absence de réseaux sociaux et familiaux, liés au contexte de l’immigration. En voulant s’émanciper face à l’autorité parentale ou conjugale, elles courent le risque de subir des violences accrues, ainsi que l’ostracisme de la part de tous les membres de leur famille et de leur communauté, ce qui accentue encore leur isolement. Par ailleurs, les proches de la victime (tels la mère, la sœur ou leurs enfants) risquent eux aussi de subir des représailles pour la démarche d’émancipation entreprise par celle-ci.

La compréhension du facteur culturel est donc primordiale pour évaluer adéquatement les risques accrus liés à l’honneur, dont il faut tenir compte dans toute intervention auprès des personnes vulnérables. Cela signifie qu’il est essentiel de développer une approche globale visant à assurer la sécurité non seulement des victimes, mais aussi des autres membres de la famille. Cela signifie également qu’il est urgent d’adopter des mesures efficaces visant à favoriser l’intégration socioculturelle des minorités et d’aider les familles à surmonter les conflits de valeurs dont l’escalade peut mener jusqu’au crime d’honneur.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l’intégration économique reste le facteur structurant majeur qui favorise l’autonomie des individus et la transformation des rapports de pouvoir au sein de la famille. Exhorter les nouveaux immigrants à modifier leurs valeurs reste de l’ordre des vœux pieux, s’ils ne sont pas accompagnés d’efforts sérieux d’ouverture du marché du travail aux membres des minorités.

Partie 3
Les perspectives d'action

Dans cette troisième partie, nous présentons des perspectives d’action visant à faire face au phénomène des violences basées sur l’honneur (VBH) au Canada et au Royaume-Uni. Le cinquième chapitre présente des initiatives canadiennes, au niveau fédéral et provincial. Bien qu’aucune politique ou plan d’action visant particulièrement ce type de violences n’ait été adopté jusqu’ici, certaines initiatives impliquant divers acteurs institutionnels et autres méritent d’être soulignées. Comme nous le verrons, une loi interdisant les mutilations génitales féminines (MGF) au Canada a été adoptée, en 1997, mais rarement sinon jamais appliquée.

Le sixième chapitre présente le modèle britannique reconnu comme étant à l’avant-garde en matière de lutte contre le mariage forcé et d’autres formes de VBH. Le Royaume-Uni a adopté, en 2010, une politique s’inscrivant dans un plan d’action national ambitieux qui vise précisément l’éradication de ce type de violences. L’accent y est mis sur l’éradication du mariage forcé, considéré comme un élément clé autour duquel se greffent, en amont et en aval, d’autres formes de violences justifiées par l’honneur. Le plan d’action britannique comprend une centaine de mesures concrètes, misant sur l’engagement de divers acteurs sociaux issus de tous les milieux, dans la poursuite de cet objectif commun.

Chapitre 5
Des initiatives canadiennes

C’est seulement lorsqu’on sait ce qu’on cherche, qu’on peut trouver les indices liés aux violences basées sur l’honneur et évaluer adéquatement les risques.
Traduction libre, propos d’un officier de police de Calgary, lors d’une table ronde tenue en septembre 2012

Nous présentons ici quelques exemples d’initiatives récentes issues de divers milieux, visant à faire face au phénomène des violences basées sur l’honneur (VBH), sans prétendre en dresser un portrait exhaustif.

5.1 Le volet institutionnel

Bien qu’il n’existe pas de politique globale concernant la lutte contre les VBH, des efforts ont été déployés par divers acteurs pour tenter de mieux comprendre cette réalité complexe et y faire face. Plusieurs événements publics portant sur les mariages forcés ou d’autres formes de VBH ont été mis en place récemment. Mentionnons à titre d’exemple :

La multiplication de tels événements démontre l’intérêt croissant du public et des professionnels et intervenants engagés dans divers milieux, qui ont à faire face de plus en plus aux réalités des VBH.

Concernant les mariages forcés, certaines études ainsi que des reportages médiatiques et des documentaires51 confirment qu’ils sont devenus une réalité ici comme ailleurs. Une enquête nationale, menée par la SALCO, faisait état de 219 cas de mariages forcés, répertoriés entre janvier 2010 et novembre 2012, en Ontario, au Québec et en Colombie-Britannique52. L’enquête confirme que les mariages forcés touchent des personnes issues de cultures et de religions très diverses, qui ne sont pas nécessairement des immigrants récents, et pas seulement des femmes (6 % d’hommes). Ils concernent aussi différents groupes d’âge, majoritairement des jeunes, parfois des personnes mineures, mais également des adultes (5 % avaient entre 12 et 15 ans; 25 %, entre 16 à 18 ans; 31 %, entre 19 et 24 ans; 25 %, entre 25 et 34 ans; et 13 % avaient 35 ans et plus).

Les auteurs de cette étude reconnaissent que le nombre de cas rapportés ne reflète qu’une faible portion de la réalité. Les organismes auprès desquels l’enquête a été menée reconnaissent qu’ils ne sont pas outillés pour identifier et répertorier les cas de mariages forcés qu’ils observent de plus en plus. La SALCO incite le gouvernement canadien à intervenir avant que la pratique des mariages forcés n’atteigne des proportions endémiques (Radio-Canada, 2012b, 2013).

5.1.1 Affaires étrangères

Bien qu’aucune loi canadienne n’interdise le mariage forcé, ce dernier est considéré comme illégal en vertu des conventions internationales. Ainsi, le gouvernement fédéral met en garde les voyageurs contre le mariage forcé, précisant que :

Le mariage forcé constitue une violation des droits de la personne en vertu du droit international. Cette forme de violence peut être dirigée contre les femmes et les hommes, contre les enfants (personnes mineures) et contre les personnes vulnérables (personnes handicapées)53.

La même source conseille aux voyageurs menacés d’un mariage forcé à l’étranger de faire appel aux autorités provinciales, y compris l’aide sociale, la police locale ou un conseiller juridique, ou encore de demander l’aide de leur ambassade. Les Affaires étrangères sont donc de plus en plus sollicitées pour secourir des citoyennes et citoyens menacés d’un mariage forcé à l’étranger. Ainsi, le haut-commissariat du Canada à Londres collabore régulièrement avec les autorités britanniques pour secourir des citoyennes et citoyens menacés d’un tel mariage transitant par Londres. En 2012, 14 cas de mariages forcés ont été rapportés au département des Affaires étrangères et, en date du 19 avril 2013, 28 cas étaient à l’étude54. Ces chiffres plutôt modestes, en comparaison du nombre de cas rapportés aux autorités britanniques, ne reflètent que les cas de victimes qui décident de porter plainte aux autorités canadiennes, ce qui, selon les responsables, est loin d’être représentatif de l’ampleur du phénomène.

Contrairement au Royaume-Uni, les ambassades canadiennes ne mènent pas des opérations de sauvetage visant à porter secours à des victimes de ces mariages forcés outre-mer. Les autorités se limitent à offrir leur aide aux personnes de citoyenneté canadienne qui se rendent jusqu’à l’ambassade ou au consulat pour demander leur protection. De plus, en l’absence de réglementation sur les mariages forcés, les autorités ne sont pas en mesure d’aider une victime tenue de parrainer son conjoint, mais qui serait réticente à le faire, sans la mettre en cause. La victime risque même d’être accusée de fausse déclaration, si elle n’a pas admis au départ qu’il s’agissait d’un mariage forcé.

Justice Canada

Dans le cadre de l’initiative de lutte contre la violence familiale, le gouvernement fédéral a créé un groupe de travail interministériel sur le mariage forcé et la violence liée à l’honneur. Ce groupe de travail55 appuie des projets axés sur la collaboration entre divers ministères et assure la liaison avec des organismes communautaires et d’autres intervenants du système judiciaire, dans le but de lutter contre les crimes d’honneur.

Justice Canada a collaboré avec la Gendarmerie royale du Canada (GRC), afin de l’aider à élaborer du matériel de formation axé sur le mariage forcé et sur les VBH, qui serait intégré aux modules de formation de la GRC en matière de violence familiale. Grâce à cette collaboration, la GRC a élaboré une norme de formation en matière de violence familiale, qui comprend des éléments sur le mariage forcé et sur les VBH. Ce cours sera offert en ligne à tous les employés et à tous les agents de première ligne de la GRC.

De plus, Justice Canada a organisé, depuis 2009, une série d’ateliers de travail sur le mariage forcé et sur les VBH, réunissant des groupes d’intervenants de différents secteurs et régions du pays, ayant une expérience directe liée à cette forme de violences. Des experts du Royaume-Uni et du Canada y ont fait des exposés sur le sujet. Ces ateliers de travail ont été tenus avec des membres de la police, des procureurs de la Couronne, des fournisseurs de services de première ligne et des représentants de la protection de l’enfance.

Finalement, une nouvelle brochure de vulgarisation contenant de l’information juridique destinée aux nouveaux arrivants, intitulée La maltraitance est inacceptable peu importe la langue, produite en 2013 et disponible en douze langues, traite explicitement des violences basées sur l’honneur et du mariage forcé56.

5.1.3 Citoyenneté et Immigration Canada (CIC)

Dans un nouveau guide destiné aux immigrants, le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration (CIC), rappelle le principe de l’égalité des sexes et précise que :

L’ouverture et la générosité du Canada excluent les pratiques culturelles barbares qui tolèrent la violence conjugale, les « crimes d’honneur », la mutilation sexuelle des femmes, les mariages forcés ou d’autres actes de violence fondés sur le sexe. Les personnes coupables de tels crimes sont sévèrement punies en vertu des lois pénales du Canada. (CIC, 2013 : 36)

Notons que certains critiques ont jugé le terme « pratiques culturelles barbares » offensant. Mais d’autres estiment que ce paragraphe a le mérite d’énumérer clairement les pratiques culturelles jugées condamnables et de préciser qu’elles sont inacceptables, en dépit de l’ouverture préconisée par la politique du multiculturalisme.

Par ailleurs, les autorités canadiennes jugent préoccupante la pratique des mariages de complaisance, lesquels sont contractés à d’autres fins que la vie commune, parfois utilisés dans un contexte d’immigration. Des mesures de vérification ont été adoptées, dans les cas de parrainage d’un conjoint, afin de s’assurer qu’il ne s’agit pas d’un mariage frauduleux. Cela implique des délais supplémentaires, jugés trop long pour les couples de bonne foi.

De plus, pour décourager les mariages de complaisance, une nouvelle politique a été annoncée par le CIC, en octobre 2012, laquelle introduit une période de résidence permanente conditionnelle de deux ans pour certains conjoints parrainés. Selon les nouvelles règles, cette politique s’applique aux conjoints parrainés dont la relation avec le parrain dure depuis deux ans ou moins et qui n’ont pas d’enfants en commun. Si le conjoint parrainé ne cohabite pas et ne reste pas dans une relation conjugale avec son parrain, sa résidence permanente pourrait être révoquée et la personne déportée, sauf si une preuve de violence ou de négligence de la part du répondant est fournie.

Cette nouvelle politique a été sévèrement critiquée par divers organismes craignant que les conjointes parrainées victimes de violence ne soient pas protégées par l’exemption prévue (Conseil canadien pour les réfugiés, 2012). Le Conseil canadien pour les réfugiés s’oppose fermement à cette politique et souligne que la mesure proposée risque de nuire aux conjointes parrainées qui sont délaissées par leur mari.

Cependant, on observe de plus en plus de cas de citoyennes victimes de mariage de complaisance, forcé ou arrangé, qui sont délaissées par leur conjoint parrainé, une fois que celui-ci a obtenu sa résidence, comme en témoignent les cas rapportés précédemment (voir section 3.5.2). Plusieurs intervenants des organismes communautaires confrontés à cette réalité reconnaissent donc la nécessité de mesures préventives visant à protéger les femmes contre les mariages frauduleux. La diversité des situations associées au parrainage de conjoints témoigne de la difficulté d’une règle unique qui serait équitable pour tous.

La Direction de la protection de la jeunesse (DPJ)

À la suite de l’affaire Shafia, dans laquelle le Centre de la jeunesse et de la famille Batshaw et la DPJ, ainsi que la police ont été appelés à intervenir auprès des jeunes victimes, une réflexion a été amorcée au sein de divers milieux, pour chercher à comprendre comment ce drame aurait pu être évité. La réflexion menée par la DPJ l’a amenée à revoir certaines procédures en ce qui concerne la réception et le traitement du signalement en cas d’abus. Cependant, un examen sommaire des ajustements apportés indique que les responsables ne remettent pas en cause l’approche sur le plan de l’évaluation des risques ni en ce qui concerne les mesures de protection proposées.

Selon la Loi sur la protection de la jeunesse qui encadre les interventions de la DPJ, les motifs pouvant justifier l’intervention sont : la négligence des parents (les cas les plus fréquents), l’abandon, l’abus sexuel ou encore les allégations d’abus physique ou psychologique. Les critères utilisés pour l’évaluation des risques d’abus reposent sur quatre catégories distinctes : les caractéristiques de l’enfant (âge, handicap, vulnérabilité); les événements allégués (gravité, fréquence, chronicité); la capacité et la motivation des parents à prendre les mesures appropriées pour assurer la sécurité de l’enfant; les ressources disponibles dans la communauté permettant aux parents et à l’enfant de faire face à la situation (l’école, le centre communautaire, etc.). De plus, cette loi privilégie la participation active des parents à la prise de décision concernant leur enfant (article 2.3), ainsi que le maintien dans le milieu familial (article 4).

À la lumière de l’analyse qui précède concernant les crimes d’honneur, il est clair que la loi actuelle et les critères d’intervention de la DPJ ne sont pas adaptés aux réalités des violences basées sur l’honneur. L’exemple d’intervention qui suit montre les limites inhérentes à cette approche.

Cas de Fatou (nom fictif), 16 ans

C’est le cas d’une adolescente, Fatou (nom fictif), âgée de 16 ans, pour qui la DPJ avait retenu un signalement pour cause de mauvais traitement psychologique. D’après le signalement retenu, la famille, originaire du Pakistan, vivrait selon les us et coutumes de son pays. Les parents ayant découvert que leur fille avait un copain qu’elle fréquentait à leur insu, lui auraient coupé les cheveux et l’auraient obligée de porter le voile, en plus de contrôler ses allées et venues. Ses parents l’auraient également menacée de lui raser la tête et de la marier de force au Pakistan, s’ils apprenaient qu’elle fréquentait toujours ce jeune homme. La jeune fille affirme avoir maintenu des contacts avec son copain. De plus, le frère aîné de Fatou l’épierait afin de s’assurer qu’elle porte le voile lorsqu’elle est à l’extérieur de la maison, et il aurait confirmé que Fatou quitterait sous peu pour le Pakistan. L’école confirme que la jeune fille s’absente de l’école depuis plusieurs jours et décrit Fatou comme étant une adolescente plutôt soumise.

Lors de l’évaluation du signalement, Fatou est rencontrée aux bureaux de la DPJ, accompagnée d’un membre de sa famille. Fatou nie catégoriquement les faits rapportés au signalement. Mais lorsqu’elle est seule avec l’intervenante, elle confirme les éléments signalés et rapporte qu’une de ses sœurs fouille dans ses effets personnels, afin de s’assurer qu’elle respecte les directives de leurs parents, sous peine de la dénoncer. Fatou craint que ses parents l’amènent dans leur pays d’origine afin de planifier un mariage forcé. Ses parents lui ont dit que sa marraine était gravement malade.

Lorsque le père est rencontré par la DPJ, il nie en bloc les allégations du signalement et réfute les allégations du mariage forcé. Il confirme cependant le voyage au Pakistan, dont le seul objectif serait de visiter la marraine malade. Afin de s’assurer que Fatou est en sécurité, une intervention assidue de la DPJ est faite auprès de l’adolescente et de ses parents. À la suite de cette intervention, la jeune fille affirme que les menaces ont cessé et qu’elle ne craint plus sa présence à la maison. Le personnel scolaire confirme qu’elle est maintenant présente à l’école tous les jours.

À la lumière de ces renseignements, la DPJ considère que les faits sont fondés, mais que la sécurité et le développement de Fatou ne sont pas compromis au sens de la Loi sur la protection de la jeunesse. L’adolescente et ses parents sont rencontrés pour leur expliquer la fermeture du dossier.

Compte tenu de toute l’analyse qui précède concernant les mariages forcés et les violences basées sur l’honneur, la décision de la DPJ de fermer ce dossier est très préoccupante. De nombreux indices permettent de soupçonner l’existence d’une menace réelle et imminente de mariage forcé pour Fatou. Premièrement, il faut savoir que le prétexte de visiter une parente malade est une stratégie couramment utilisée par des parents immigrants qui veulent emmener leur fille dans leur pays d’origine, où ils planifient un mariage forcé à son insu. Deuxièmement, le harcèlement psychologique, les menaces, le contrôle excessif et la surveillance constante sont des indices indéniables de violences basées sur l’honneur. Troisièmement, comme pour le drame des Shafia et bien d’autres, l’expérience nous montre que l’adoption d’une période d’accalmie dans les pressions exercées n’est pas garante de la sécurité de la victime. Cette accalmie vise généralement à réduire la méfiance de la victime et à écarter les intervenants sociaux du dossier, s’il y a eu signalement.

Par conséquent, la décision de fermer le dossier de Fatou, quelques mois après un signalement lié au mariage forcé et aux VBH, ignore gravement les risques sérieux de la situation. Dans ce cas, tous les indices réunis laissent croire qu’une fois à l’étranger, le risque que Fatou soit soumise aux pressions familiales la poussant à épouser le conjoint choisi par ses parents est très élevé. L’expérience nous montre qu’une fois mariée, Fatou risque d’être abandonnée sans papiers dans le pays d’origine pour y vivre avec son mari, sinon tenue de le parrainer au retour. Outre les répercussions négatives d’un tel mariage sur la vie d’une adolescente (abandon des études, dépendance économique à long terme, grossesses précoces et non désirées, etc.), celle-ci risque aussi d’être prise dans l’engrenage des violences conjugales souvent associées au mariage forcé.

On voit ainsi qu’en dépit du fait que l’intervention de la DPJ respecte à la lettre la loi et les critères établis, elle sous-estime gravement le niveau de risque auquel Fatou est exposée, compte tenu des réalités des VBH. Cependant, comme le souligne Aruna Papp, une pionnière et spécialiste de la question, on ne peut blâmer les intervenants sociaux, s’ils ne sont pas formés aux réalités de ce type de violences.

Les formations offertes présentement aux personnes intervenantes sociales sont censées les habiliter à évaluer les risques pouvant justifier une intervention, tout en tenant compte des différences et des sensibilités culturelles. Partant d’un objectif louable, cette approche, qui relève du relativisme culturel, tend à banaliser certains comportements sociaux, tel le contrôle familial excessif, ce qui ne permet pas de saisir toute la gravité des situations liées au mariage forcé et aux VBH. L’exemple de Fatou témoigne des limites de cette approche. Dans son cas, une évaluation plus adéquate des risques, tenant compte des réalités des VBH, aurait exigé des mesures de suivi et d’accompagnement à plus long terme afin d’assurer sa sécurité.

Le drame des jeunes filles Shafia et d’autres crimes d’honneur évitables démontrent l’urgence d’effectuer une révision globale de l’approche adoptée jusqu’ici, particulièrement dans les centres de protection de la jeunesse, mais dans d’autres milieux aussi, afin de tenir compte de cette réalité complexe. Ils démontrent aussi l’importance cruciale d’une formation axée sur les VBH, ainsi que la nécessité de concevoir une grille d’analyse des risques et des mesures de suivi adaptées à cette réalité, afin d’assurer la protection des victimes. Or tous ces éléments font cruellement défaut en ce moment.

Les services de police régionaux

À la suite de l’affaire Shafia, certains services de police régionaux ont commencé à sensibiliser leurs effectifs aux VBH. Au Québec, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a intégré dans son plan d’action stratégique 2013-2017 en matière de violence conjugale et intrafamiliale un objectif visant tout particulièrement à sensibiliser les policiers aux violences basées sur l’honneur. Le SPVM se propose de cerner l’ampleur du problème, de former les policiers et de développer des outils visant à mieux établir et évaluer les risques liés aux VBH. De plus, il se propose de créer des « passerelles » entre les policiers et les services adaptés aux besoins des personnes vulnérables, telle la collaboration avec l’organisme Bouclier d’Athéna, afin de surmonter les barrières linguistiques, économiques et autres qui freinent l’accès de ces personnes aux services offerts (SPVM, 2013 : 16-17). Il faut espérer que des mesures concrètes soient adoptées prochainement pour l’atteinte de ces objectifs.

Pour sa part, le service de police de Calgary (Alberta) semble avoir une longueur d’avance en la matière. L’exemple d’intervention qui suit illustre concrètement comment la formation des policiers peut faire toute la différence pour assurer la sécurité d’une victime de VBH.

Cas de Leila (nom fictif), 16 ans, interceptée à l’aéroport de Calgary57

« Si vous laissez cette jeune fille monter dans l’avion, elle est morte!» C’est par cet ultimatum que le sergent Simon Watts de la police de Calgary a tiré la sonnette d’alarme incitant ses supérieurs à déclencher une opération de sauvetage inédite au Canada.

Leila (nom fictif), âgée de 16 ans, avait grandi à Fort McMurray (un centre urbain situé dans le nord de l’Alberta), dans une famille originaire de Libye. Leila avait un amoureux et se rebellait de plus en plus contre les règles jugées trop strictes de sa famille. Une amie de la famille (de même origine), inquiète pour l’adolescente, appela un jour la police pour l’avertir que les parents de Leila étaient sur le point de la ramener de force en Libye, avec l’intention de la punir pour son comportement jugé déshonorant.

Le sergent Watts prit cet appel très au sérieux. S’appuyant sur son expérience au sein de la police britannique, il savait quoi faire pour tenter de sauver cette jeune fille du sort qui l’attendait. Il commença par contacter les services sociaux proches du lieu de résidence de la famille, pour vérifier s’ils connaissaient la jeune fille. Il apprit que celle-ci avait été battue par ses parents, tenue en isolement, et qu’elle avait déjà fugué une fois pour demander l’aide des services sociaux. Mais, comme pour les jeunes filles Shafia, les intervenants sociaux, ignorant tout des VBH, avaient décidé de la renvoyer dans sa famille, estimant que le niveau de risque n’était pas très élevé dans son cas.

La jeune fille étant mineure, le sergent Watts s’adressa alors au service de protection de l’enfance de Calgary pour demander sa collaboration. Ce dernier se montra réticent à intervenir dans ce dossier, compte tenu de ce que la jeune fille relevait d’un autre service social, lequel avait déjà évalué son cas et jugé qu’il ne représentait pas un haut niveau de risque. Le sergent dut insister pour convaincre les responsables de l’urgence d’empêcher le départ de l’adolescente, dont on ne pourrait autrement assurer la sécurité.

Quelques minutes avant le décollage de l’avion, des policiers de Calgary, accompagnés d’un représentant du service de protection de l’enfance, ont intercepté Leila à l’aéroport, juste avant son passage dans la zone d’embarquement. La jeune fille fut interrogée à l’écart des membres de sa famille, et confirma sa réticence à partir et ses craintes pour sa vie. Un membre de sa famille l’avait menacée de mort si elle contactait la police. Le sergent Watts demanda immédiatement à la Cour un ordre de protection d’urgence, intimant au père de la jeune fille de ne pas entrer en contact avec elle, afin de la protéger contre des représailles.

La jeune fille fut donc ramenée au poste de police de Calgary, mais la question se posait à savoir que faire avec elle? Étant mineure, Leila ne pouvait être hébergée dans un refuge pour femmes, et on jugea inapproprié de la placer dans un centre d’hébergement abritant des jeunes délinquants. La solution est venue de l’amie de la famille qui avait alerté la police sur son cas. Cette dernière accepta d’héberger la jeune fille durant une année entière. Parallèlement, des négociations furent menées avec le père de la jeune fille pour le convaincre de laisser sa fille achever ses études au Canada. Aujourd’hui, Leila a obtenu son diplôme collégial, s’est trouvé du travail et se dit heureuse d’avoir échappé au sort qui l’attendait.

Cette intervention réussie est tributaire tout d’abord de la détermination du sergent Simon Watts, lequel bénéficiait d’une expérience britannique et venait de suivre à Calgary un atelier sur les VBH, présenté par Aruna Papp, conseillère spécialisée dans ce type de violences. Il était donc bien outillé pour évaluer adéquatement les risques que comportait la situation et savait quoi faire pour assurer la sécurité de la jeune fille. Cette opération policière réussie a également bénéficié de la conjoncture, car l’incident s’est produit en 2010, alors que le procès Shafia était sous le feu des médias. Le service de police de Calgary était sans doute plus réceptif à cette intervention inusitée, par souci d’éviter un crime d’honneur.

Cet exemple démontre l’importance cruciale d’une formation axée sur les réalités des VBH pour tous les intervenants. Comme le faisait remarquer un officier de police de Calgary, lors de la table ronde de Calgary sur les stratégies de lutte contre les violences basées sur l’honneur,

Cela fait 32 ans que nous avons des formations sur la diversité culturelle, mais nous ignorions tout des réalités des violences basées sur l’honneur. Or c’est seulement lorsqu’on sait ce qu’on cherche, qu’on peut trouver les indices liés aux VBH. (Traduction libre)

Un autre policier de Calgary faisait remarquer que l’évaluation du risque repose largement sur une connaissance de l’histoire familiale. Cela signifie concrètement, dit-il, que lorsqu’on soupçonne un cas de VBH, il faut creuser davantage pour savoir s’il y a eu d’autres incidents liés à l’honneur, touchant la victime ou d’autres membres de la famille. En effet, chaque incident pris séparément peut sembler anodin ou à faible risque. Ce n’est qu’en reliant tous les points ensemble (comme dans les dessins d’enfants), qu’on peut voir se dégager une image plus complète de la situation, permettant ainsi d’évaluer adéquatement les risques et d’intervenir de façon à éviter l’escalade pouvant mener jusqu’au meurtre.

À la suite de l’intervention de sauvetage réussie, le sergent Watts a mis sur pied, en 2011, un atelier de sensibilisation destiné aux policiers de Calgary, afin de leur apprendre à détecter les signes de VBH, à poser les bonnes questions et à intervenir rapidement. Résultat concret des efforts de sensibilisation effectués, la police de Calgary a réussi à identifier en quelques mois une quarantaine de cas de violence qu’on soupçonne être liés à l’honneur.

La police de Calgary a décidé, à partir de septembre 2012, d’intégrer dans son programme de formation destiné aux nouvelles recrues, une session portant tout particulièrement sur les VBH, en plus de la formation relative à la diversité culturelle. Cette formation serait offerte à tous ses effectifs, dans un objectif de prévention, afin d’éviter que des incidents liés à l’honneur se terminent tragiquement.

S’inspirant du modèle britannique, la police de Calgary a également décidé de miser sur le développement de liens de confiance avec les membres des communautés concernées, afin de surmonter leur méfiance à l’égard de la police. Cette dernière espère par ce moyen encourager les personnes victimes ou témoins de VBH ou d’autres formes de violence à rapporter ces abus, sachant que la police les prendra au sérieux et s’efforcera de les aider. Il s’agit d’un projet à long terme, qui bénéficie de l’existence, au sein du service de police de Calgary, d’une unité spéciale formée d’une dizaine d’officiers d’origines diverses, dont la mission principale est la consolidation des liens avec les membres des diverses communautés. Bien qu’il reste encore beaucoup à faire pour contrer les VBH, c’est un pas dans la bonne direction.

5.1.6 Le milieu de la santé et des services sociaux

Les professionnels de la santé au Québec comme ailleurs sont confrontés à certaines pratiques liées à l’importance accordée à la chasteté des femmes dans le système de l’honneur, dont la pratique des mutilations génitales féminines (MGF), ainsi que des demandes pour l’hyménoplastie et pour un certificat de virginité.

Les mutilations génitales féminines (MGF)

Notons tout d’abord qu’il existe une controverse entourant la terminologie utilisée pour désigner l’excision et l’infibulation. Certains milieux critiquent le terme de « mutilation génitale féminine », estimant qu’il évoque une condamnation morale implicite, sans égard aux sensibilités des femmes qui y sont soumises. Par conséquent, certains groupes, y compris des femmes excisées, préfèrent utiliser le terme « excision », jugé plus neutre, ou celui de « circoncision féminine ». Mais ce dernier terme prête à confusion, car il laisse entendre que la pratique serait comparable à la circoncision masculine, alors qu’il n’en est rien58. Toutefois, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande l’usage du terme « mutilations génitales féminines (MGF) », couramment utilisé sur la scène internationale.

Définitions des termes

L’OMS définit ainsi la pratique de l’excision et de l’infibulation, également désignée par le terme de mutilations génitales féminines :

toutes les interventions incluant l’ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme ou toute autre lésion des organes génitaux féminins qui sont pratiquées pour des raisons non médicales59.

L’excision, dont il existe plusieurs variantes selon les pays et les régions, implique l’ablation totale ou partielle du clitoris, parfois aussi des grandes et des petites lèvres. L’infibulation, pratiquée dans environ 10 % à 15 % des cas d’excision, consiste à souder ensemble les tissus restants et les grandes lèvres, de façon à recouvrir la vulve, ne laissant qu’un petit orifice pour laisser passer l’urine et le sang menstruel. L’infibulation nécessite une incision la nuit de noces pour élargir l’ouverture, ainsi qu’une réinfibulation après chaque accouchement.

Ampleur et justifications des mutilations génitales féminines (MGF)

Selon l’OMS, les MGF touchent aujourd’hui entre 100 et 140 millions de femmes et de filles dans le monde, et près de 3 millions de fillettes, âgées de 4 à 12 ans, y seraient soumises chaque année. Certains estiment que ces chiffres sont bien en deçà de la réalité, compte tenu du tabou entourant cette pratique et du fait qu’elle n’est pas recensée (Vallette, 2013).

L’OMS souligne que la pratique des MGF est très répandue da ns plusieurs pays d’Afrique (environ 28 pays) et, dans une moindre mesure, dans certains pays du Moyen-Orient et d’Asie. Les pays occidentaux y sont de plus en plus confrontés, à travers l’immigration issue de ces pays. Les conséquences négatives de cette pratique ont été amplement documentées60. Elle est source de graves traumatismes affectant la santé physique et psychologique des femmes et des filles qui y sont soumises, et peut mettre leur vie en danger.

Promue au nom des traditions et de la culture, la pratique des MGF est souvent perçue comme un rite de passage ou un marqueur identitaire aux yeux des communautés concernées. Sans nier les diverses justifications culturelles sous-jacentes, le principal objectif des MGF est le contrôle de la sexualité et de la chasteté des femmes et des filles, au nom de l’honneur, par la réduction de leurs pulsions sexuelles (Vissandjée et collab., 2013; Firmin, 2013; IKWRO, 2012). L’infibulation vise à empêcher physiquement tout rapport sexuel. Il est donc admis à présent que la pratique des MGF fait partie intégrante des violences basées sur l’honneur.

Considérant qu’il s’agit d’une atteinte aux droits humains des femmes et des filles, l’ONU a maintes fois soulevé la question des MGF, dès 1952. Lors de la première conférence européenne portant sur les mutilations génitales féminines, qui a abouti à la promulgation de la Déclaration de Londres, en 1992, un vaste consensus international a été établi en faveur d’une action concertée visant l’éradication de cette pratique patriarcale et le refus de sa médicalisation (Vissandjée et collab., 2013 : 195).

Les efforts consentis ont permis d’enregistrer un recul des MGF dans certaines communautés d’Afrique. Mais il semble qu’ailleurs, notamment en Indonésie et en Malaisie, on observe une progression de cette pratique, promue activement par un certain courant religieux islamique (Vallette, 2013). Bien que cette coutume millénaire ait peu à voir avec la religion et que sa pratique touche des groupes de confessions très diverses (y compris des chrétiens, des juifs d’Éthiopie et des tribus animistes), certains groupes islamistes s’opposent vigoureusement à son interdiction, en invoquant leurs valeurs traditionnelles.

Concernant la pratique des mutilations génitales féminines au Canada, certains témoignages indiquent que des fillettes issues de l’immigration sont parfois excisées ici ou lors d’une visite dans leur pays d’origine. Des médecins témoignent avoir reçu des demandes d’effectuer l’excision ou encore être obligés de réparer les dégâts à la suite d’un accouchement, d’une hémorragie ou d’une infection résultant des MGF. Bien qu’aucune statistique n’existe à ce sujet, il ne fait aucun doute que des professionnels de la santé sont confrontés aux conséquences des MGF, pour lesquelles ils ne sont pas préparés.

À partir des années 1990, avec la diversification de l’immigration, plusieurs milieux dont celui de la santé ont commencé à s’intéresser à la question des MGF. Un groupe fédéral interdépartemental de travail a été mandaté pour examiner les implications de cette pratique au Canada61. Une consultation portant sur la pratique des MGF a été tenue à Montréal et à Ottawa, en février et mars 1995, avec des membres de diverses communautés concernées, suivie d’une consultation nationale, menée en septembre 1999, auprès des représentantes de divers organismes, afin de proposer des stratégies de prévention. Le résultat de ces consultations pointait vers la nécessité de miser sur l’éducation et sur une meilleure compréhension mutuelle entre les professionnels de la santé et les femmes excisées, considérés comme des facteurs clés pour l’élimination des MGF (Hussein, 1995; Huston, s. d.).

Dès 1992, la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada (SOGC) a pris position contre la pratique des MGF, demandant à ses membres de refuser d’y participer, mais de traiter avec dignité et compassion les femmes et les filles ayant subi cette intervention, tout en leur offrant les soins appropriés à leur état (Lalonde, 1995). Dans sa nouvelle déclaration de principe, adoptée en 2012, la SOGC avise ses membres « qu’il est obligatoire de signaler aux services appropriés de protection de l’enfance toute jeune fille soupçonnée d’avoir été soumise à une excision ou mutilation génitale féminine ou qui risque de l’être » (SOGC, 2012). On ignore dans quelle mesure cette directive est suivie.

Au Québec, un groupe de travail a été formé, en 2004, composé de quatre directions du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), afin d’établir les actions et l’approche à privilégier pour assurer des services répondant aux besoins des femmes excisées. Un dépliant de sensibilisation sur les MGF62, destiné aux professionnels de la santé, a été produit en 2006, et un guide d’intervention63, à l’intention des intervenants en santé et en services sociaux, a été réalisé, en 2007, par le

MSSS, lequel aborde la question du soutien à procurer aux femmes excisées (MSSS, 2007 : 33-35). Un autre document produit en 2010, destiné aux instances dirigeantes et aux responsables de la planification d’activités du réseau de la santé et des services sociaux, aborde l’approche à privilégier pour mieux répondre aux besoins des femmes touchées par les MGF64.

De plus, le plan d’action du MSSS 2010-201365 et le plan d’action gouvernemental pour l’égalité entre les femmes et les hommes 2011-201566 soulignent tous les deux la nécessité d’adapter les services de santé et les services sociaux aux besoins des femmes concernées par les MGF. Finalement, les orientations ministérielles du MSSS, adoptées en 2012, prévoient une offre de formation, destinée aux intervenantes et intervenants du réseau, laquelle inclurait les MGF dans le contexte plus global d’une formation interculturelle.

Comme on peut le constater, tant dans les documents produits que dans les plans d’action, l’accent est mis sur l’amélioration des services offerts aux femmes excisées et non sur l’éradication de la pratique des MGF comme telle. Ainsi, aucune mesure visant à éradiquer cette pratique n’a été adoptée jusqu’ici. On note également que dans le dépliant de sensibilisation sur les MGF du MSSS, il est précisé que « toute personne qui soupçonne qu’une fillette risque de subir cette pratique est en droit de procéder à un signalement à la Direction de la protection de la jeunesse». Or cette formulation semble moins contraignante que celle de la SOGC, laquelle affirmait qu’il s’agit d’une « obligation » de signalement. À notre connaissance, aucun cas n’a fait l’objet de signalement ni de retrait préventif. Par ailleurs, il existe des précédents légaux au Canada accordant un statut de réfugié à des femmes menacées de subir une mutilation génitale dans leur pays contre leur volonté.

Il est clair que l’approche de « réduction des méfaits » a été privilégiée dans le domaine de la santé et des services sociaux. Cette approche consiste à adapter les services aux besoins des groupes vulnérables, touchés par l’excision ou par d’autres pratiques préjudiciables pour la santé (telles que la toxicomanie ou la prostitution), ce qui est déjà appréciable. Toutefois, elle ne prévoit pas d’intervention visant à éradiquer ces pratiques préjudiciables, sous prétexte de ne pas juger les personnes. S’inspirant de cette approche pragmatique qui interdit de porter un jugement de valeur sur ces pratiques, certains professionnels de la santé ont déjà exprimé leurs inquiétudes quant aux conséquences éthiques de « l’interdiction des MGF » sur les femmes déjà excisées et sur leurs filles, qui risqueraient d’être ostracisée par leur communauté et de ne pas trouver de mari, si elles ne sont pas excisées (Vissandjée et collab. 2013).

L’approche uniquement basée sur la « réduction des méfaits » conduit finalement à subordonner l’objectif d’éradiquer certaines pratiques préjudiciables, qui portent atteinte à la sécurité des femmes et des filles, à celui, jugé prioritaire, d’éviter la stigmatisation de l’individu ou du groupe. Comme s’il fallait toujours sacrifier l’un pour l’autre. Le danger de cette position, qui s’inspire du relativisme culturel, c’est qu’elle risque de banaliser la pratique des MGF et surtout de freiner l’adoption de mesures plus efficaces visant son éradication à long terme. À notre avis, il faut travailler sur les deux plans à la fois : faire preuve de sensibilité à l’égard des femmes excisées et mettre les ressources nécessaires pour éradiquer les MGF. Les professionnels de la santé sont parmi les mieux placés pour faire de la sensibilisation en faveur de l’abandon de cette pratique auprès des femmes excisées qui accouchent ou consultent pour des problèmes de santé souvent associés aux MGF.

Dans le domaine de la santé, il est reconnu qu’il ne suffit pas de soigner les symptômes, mais qu’il faut s’attaquer à la source du problème. Même si les défis sont grands, il est faux de croire qu’on ne peut changer des coutumes ancestrales, comme en témoignent ces deux petits exemples d’espoir.

Deux exemples inspirants du Sénégal

Au Sénégal, dans le village reculé de Malicounda Bambara, ce sont les femmes elles-mêmes qui ont pris l’engagement public de ne plus permettre l’excision de leurs filles. Dans son livre intitulé Ascent of Women, la journaliste Sally Amstrong (2013) explique que cette soudaine prise de conscience est survenue grâce à un programme éducatif baptisé Tostan, qui incite les Africaines à agir collectivement afin d’éviter d’être mises au ban de leur communauté si elles contestent individuellement cette coutume. Une trentaine de villages ont suivi cet exemple et interdit les mutilations génitales féminines.

L’éducation des filles est aussi un facteur qui fait reculer certaines coutumes préjudiciables, telles que le mariage précoce assimilé au mariage forcé. Dans le village de Polel Diawbé, des jeunes se sont rebellés après qu’une élève de 10 ans, Khadia, ait été retirée de l’école pour être mariée de force à son cousin de 22 ans. Toutes les amies de Khadia sont allées manifester devant le bureau du chef du village pour dénoncer les mariages forcés. La mobilisation a grandi et, 48 heures plus tard, les plans de mariage étaient abandonnés.

L’hyménoplastie ou la reconstruction de l’hymen

Dans la logique de l’honneur qui accorde une importance capitale à la virginité, de nombreuses jeunes femmes ont tendance à recourir à l’hyménoplastie, à la veille de leur nuit de noces. De marginale qu’elle était, cette chirurgie plastique de reconstruction de l’hymen est devenue très populaire au Moyen-Orient, et la demande pour cette opération mineure, mais très lucrative pour les médecins, s’est accrue en Europe comme au Canada.

Au Québec, certaines cliniques de Montréal et de Laval font ouvertement la promotion de l’hyménoplastie sur leur site67. Malgré son coût relativement élevé (autour de 3 000 $), il semble que l’efficacité de cette opération quant à l’effet attendu ne soit pas garantie. En effet, le saignement à la rupture de l’hymen, que la mariée doit produire comme preuve de sa virginité, n’est pas toujours au rendez-vous.

Cette pratique médicale a semé la controverse en Europe, où certains font remarquer qu’elle soulève un problème éthique, à savoir s’il vaut mieux répondre à la demande ou résister, afin de susciter des remises en question nécessaires. Les critiques à l’endroit de cette pratique font valoir qu’en acceptant d’offrir cette opération, le corps médical se rend ainsi complice d’une violation de l’intégrité et de la liberté des femmes, au nom du concept patriarcal de l’honneur.

Il est intéressant de souligner que l’hyménoplastie s’inscrit aujourd’hui dans le cadre plus général des chirurgies plastiques visant le remodelage du corps des femmes, en fonction de critères esthétiques dictés par les impératifs de la mode et du marché. Après le remodelage du nez, des seins et des cuisses, la « chirurgie esthétique du vagin », lancée aux États-Unis – qui comprend le remodelage des grandes et des petites lèvres, du vagin et du clitoris – répond à de nouveaux critères esthétiques dictés par l’industrie pornographique. Entre le contrôle du corps des femmes au nom de l’honneur et son contrôle par les forces du marché, au nom d’une fausse notion de liberté individuelle, l’intégrité des femmes s’en trouve menacée.

Les demandes de certificat de virginité

Dans la logique du contrôle sexuel dicté par l’honneur, des professionnels de la santé sont confrontés à la demande insistante de certains parents de soumettre leur fille célibataire, parfois adolescente, à un examen gynécologique pour vérifier sa virginité. En apparence anodine, cette demande risque d’avoir des conséquences désastreuses s’il s’avérait que la jeune fille n’est plus vierge sans être mariée. Mal à l’aise et ne sachant comment faire face à ces demandes, des professionnels de la santé ont soumis la question à un comité d’éthique clinique.

Après avoir examiné la question sous divers aspects scientifiques, légaux et sociaux, le comité d’éthique du CSSS de Laval a produit récemment un avis judicieux et nuancé, tenant compte des enjeux sous-jacents liés à la culture de l’honneur. Le comité conclut qu’un médecin devrait s’abstenir de délivrer un certificat de virginité et qu’une telle demande de la part de parents devrait s’accompagner d’une vérification de la sécurité de la jeune fille, ainsi que de la prise de mesures de protection à son endroit, le cas échéant. Il recommande aussi que des lignes de conduite claires interdisant les certificats de virginité soient définies par le Collège des médecins du Québec et l’Association des obstétriciens et gynécologues du Québec, et qu’elles soient largement diffusées à tous les intervenants du milieu de la santé.

S’inspirant de cet avis, le Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens (CMDP) du CSSS de Saint-Léonard et Saint-Michel a adopté, le 20 février 2013, une résolution allant dans le même sens que les recommandations du comité d’éthique. Le collège des médecins du Québec estime lui aussi que l’émission de certificats de virginité enfreindrait de nombreux articles du Code de déontologie des médecins68.

Notons qu’un élément distingue les demandes pour l’hyménoplastie de celle du certificat de virginité. Bien que les deux demandes soit dictées par la logique patriarcale de l’honneur, qui mérite une remise en question, la première émane des personnes vulnérables, en guise de protection immédiate, tandis que la seconde provient le plus souvent des parents et comporte une menace en cas de résultat négatif. Dans les deux cas, des mesures de protection pour les personnes vulnérables aux violences basées sur l’honneur devraient s’appliquer.

5.1.7 Le milieu scolaire

Comme mentionné précédemment, plusieurs intervenantes et intervenants scolaires sont placés devant la réalité des jeunes filles menacées de mariage forcé ou subissant un contrôle excessif lié à l’honneur. C’est généralement à l’adolescence, donc à l’enseignement secondaire, que les conflits liés à l’honneur se manifestent. Dès la puberté, certaines jeunes filles ne sont plus autorisées à participer aux activités parascolaires ni à socialiser avec leurs camarades après l’école. Cela a pour effet de freiner leur intégration sociale, de les isoler et de les rendre encore plus vulnérables aux VBH. De plus, ces jeunes vivent un stress important, qui n’est pas sans conséquences à l’école, entraînant parfois des difficultés d’apprentissage, émotionnelles, interpersonnelles et autres. Certaines deviennent dépressives ou se désintéressent tout à coup de leurs études, sachant qu’elles devront y renoncer sous peu pour se soumettre au mariage imposé par leurs parents.

Lorsque ces jeunes trouvent le courage de confier leurs angoisses à l’école, bien souvent, les enseignantes et enseignants de même que les intervenantes et intervenants scolaires ne savent pas quoi faire ni comment les aider. À l’approche de l’été, certains intervenants scolaires voient partir avec appréhension des jeunes filles soumises aux pressions liées à l’honneur. Après les vacances, plusieurs écoles constatent la « disparition » de jeunes filles qu’on soupçonne avoir été obligées de se marier. Aucune statistique n’existe à ce sujet, car rien ne permet d’identifier ces cas ni de les répertorier. Mais le phénomène existe et mériterait qu’on s’y attarde.

Bien entendu, il n’est pas toujours facile de faire la part des choses pour départager les conflits opposant couramment parents et adolescents, des cas plus sérieux de VBH. Contrairement aux conflits habituels, qui se résorbent généralement par la négociation, les tensions liées à l’honneur risquent de déraper et de mener au drame, si elles sont ignorées. D’où l’importance de la formation sur les réalités des VBH pour tous les intervenants scolaires, particulièrement dans les quartiers multiethniques où la fréquence de ce type de violences peut être élevée.

Exemple de l’école secondaire La Voie

Les élèves de cette école secondaire située dans le quartier multiethnique de Côte-desNeiges sont originaires de plus de 80 pays. Le directeur de l’école considère cette diversité comme une grande richesse qui demande toutefois une importante sensibilité culturelle et des efforts pour faciliter l’intégration harmonieuse de tous, ainsi que leur réussite. Il est entouré d’une équipe de professionnels et d’intervenants psychosociaux dévoués qui sont à l’écoute des jeunes, attentifs à leurs problèmes et qui s’efforcent de les aider à surmonter les obstacles.

L’école La Voie est réputée pour avoir mis au point une approche psychosociale intéressante. À travers des rencontres thématiques hebdomadaires en petits groupes, les jeunes sont encouragés à s’exprimer sur leurs problèmes personnels ou familiaux et à s’entraider. Les jeunes y apprennent entre autres à négocier avec leurs parents, qui se montrent parfois trop contrôlants par souci de préserver leurs valeurs. L’accompagnement et le suivi régulier auprès de ces jeunes, et parfois auprès de leurs parents au besoin, sont un moyen efficace permettant de désamorcer une crise ou de trouver des solutions à un problème. Mais les ressources étant limitées, les intervenants n’arrivent pas toujours à suivre de très près tous les cas qui le nécessiteraient.

Cet exemple inspirant mérite d’être approfondi et élargi à d’autres écoles placées devant des défis similaires. Toutefois, le directeur de l’école insiste pour mettre en garde contre l’imposition d’un modèle unique à tous. Pour faire face aux réalités multiples liées à la diversité culturelle, l’adoption du même modèle n’est pas la solution. Il faut donc faire preuve d’imagination et d’innovation, pour répondre le mieux possible aux besoins propres à chaque milieu.

5.2 Le volet législatif

Au Canada, la pratique des mutilations génitales féminines (MGF) était implicitement interdite en vertu du Code criminel, notamment de l’article 267 (concernant l’agression armée ou l’infliction de lésions corporelles) et de l’article 268 (concernant les voies de faits graves). Néanmoins, en 1997, le Code criminel canadien a été amendé afin d’interdire explicitement la pratique de l’excision et de l’infibulation (article 268), y compris sa pratique à l’étranger, sur « une personne résidant habituellement au Canada » (article 273.3). Cet amendement présenté (en septembre 1994) et défendu au Parlement canadien (en mars 1995) par une députée du Québec, Mme Christiane Gagnon (Bloc québécois), a fait l’objet d’un débat animé69.

Il est intéressant de rappeler que les opinions divergeaient sur la question, non pas que quiconque se soit porté à la défense des MGF, mais plusieurs députés de toutes allégeances mettaient en doute la nécessité d’une loi spécifique à cet effet. Les opposants à la loi, y compris le ministre de la Justice, estimaient que d’autres lois en vigueur portant sur les voies de fait et les lésions corporelles pouvaient être invoquées à l’encontre de cette pratique, sauf qu’elles ne l’avaient jamais été. Ils arguaient aussi qu’il vaut mieux miser sur l’éducation plutôt que sur l’interdiction formelle, estimant que la criminalisation risque de pousser davantage cette pratique dans la clandestinité.

À la défense du projet de loi (C-277), la députée québécoise fit valoir que cette loi poursuivait un double objectif, celui de protéger les victimes et de punir les auteurs de cette pratique. Il s’agissait, selon elle, d’envoyer un message clair aux membres des communautés concernées, voulant qu’une telle pratique porte atteinte aux droits et à l’intégrité des femmes et des filles, et qu’elle est considérée comme inacceptable selon les valeurs canadiennes, ajoutant que :

En plus du besoin de précision juridique, l’adoption du projet de loi répondrait à un autre besoin auquel le gouvernement ne s’adresse que rarement, la délimitation de la politique sociale du multiculturalisme. (…) C’est donc pour remédier à ce problème qu’il nous faut circonscrire officiellement les limites de la politique gouvernementale en énonçant clairement les pratiques culturelles qui ne sont pas acceptables et vont à l’encontre des principes de notre société70.

La loi (C-27) interdisant l’excision et l’infibulation au Canada a donc été adoptée en 1997. Cette position converge avec celle du Royaume-Uni et de plusieurs pays, y compris certains pays africains, qui ont interdit la pratique des MGF. Cette position est appuyée par de nombreux organismes canadiens, dont la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada (SOGC, 2012), la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse au Québec (CDPDJ, 1994) et la Commission ontarienne des droits de la personne (CODP, 1996). Elle s’inscrit également en appui aux principes défendus dans diverses conventions internationales, dont le Canada est signataire, telles la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant, qui incite les États à agir « contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales» (article 19) et « en vue d’abolir les pratiques traditionnelles préjudiciables à la santé des enfants » (article 24 (3)).

L’exemple qui suit est un des rares cas, sinon le seul, à notre connaissance, de poursuite en vertu de la loi canadienne interdisant les MGF.

Cas d’une fillette de 11 ans excisée en Ontario

En 2002, une famille soudanaise résidant à St. Catharines en Ontario a été accusée d’avoir soumis sa fille de 11 ans à l’excision. Les parents ont été détenus et leurs enfants pris en charge par les services sociaux, mais les accusations ont dû être retirées par la suite, lorsqu’il a été admis que l’opération avait eu lieu avant l’entrée en vigueur de la loi. (Owens, 2002)

À l’occasion de cette affaire, certains critiques ont relevé que l’opération policière et juridique entourant ce cas avait causé beaucoup de perturbations émotives aux membres de la famille et à leur entourage (Vissandjée, 2013 : 196). Par ailleurs, des représentantes de groupes de femmes issues des communautés pratiquant l’excision interrogées par les médias ont reconnu qu’il est très difficile d’aborder le sujet avec leurs membres qui se montrent souvent réticentes à en parler (Owens, 2002).

Ces réactions témoignent du défi que représente l’application d’une loi interdisant une pratique préjudiciable, liée à des croyances profondément ancrées chez les populations qui y adhèrent pour diverses raisons. Ce constat ne signifie pas que la loi est inutile, mais que l’éradication des MGF exige davantage que l’approche judiciaire. Elle exige surtout des ressources soutenues à long terme, destinées à la sensibilisation des membres des communautés concernées quant aux conséquences négatives des MGF sur la santé des femmes et des filles. C’est là qu’on observe des lacunes évidentes, en l’absence d’un plan d’action visant non seulement à répondre aux besoins des femmes excisées, selon l’approche de « réduction des méfaits », mais aussi à lutter plus activement contre cette pratique pour que la nouvelle génération n’ait plus à la subir.

5.3 Le volet communautaire

Une des retombées positives de la surexposition médiatique du procès Shafi c’est que nul groupe communautaire ou organisme du Québec ne peut prétendre ignorer à présent le phénomène. Cette prise de conscience collective a poussé plusieurs à faire des efforts pour chercher à comprendre cette réalité, tout en tenant compte des besoins des personnes victimes ou menacées de VBH.

De 2006 à 2013, une quinzaine de projets communautaires touchant le thème des VBH et des pratiques culturelles préjudiciables ont été financés par l’agence fédérale, Condition féminine Canada, totalisant 2 865 378 $. Parmi ces projets, trois sont mis sur pied au Québec, par des organismes communautaires. Il s’agit du Bouclier d’Athéna, du Centre social d’aide aux immigrants et de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes. Les deux derniers projets ne faisaient que débuter en 2013, tandis que le premier, dont nous donnons un aperçu ici, a été amorcé depuis plus d’un an.

Le Bouclier d’Athéna71, créé en 1991, est un organisme à but non lucratif, situé dans le quartier multiethnique de Parc-Extension, à Montréal. Il offre aux victimes de violence familiale des services de soutien, d’intervention et de prévention, adaptés aux niveaux culturel et linguistique, ainsi qu’un abri d’urgence pour les femmes et leurs enfants. Au fil des ans, l’organisme a permis à des milliers de femmes et d’enfants de reconstruire leur vie. Chef de file en matière de sensibilisation communautaire, le Bouclier d’Athéna a reçu, en mars 2012, un appui financier fédéral pour un projet de trois ans, visant spécifiquement la prévention des crimes d’honneur, auprès de cinq communautés identifiées comme étant à haut risque. Il s’agit des communautés pakistanaise, sri lankaise, indienne, bangladaise et afghane.

Ce projet comprend un volet d’information, de formation et de réseautage. Il vise premièrement, à favoriser le dépistage des situations à risque de VBH, à travers la formation d’intervenantes, formant un réseau de vigilantes, issues des communautés à risque. Deuxièmement, il entend briser le tabou entourant les VBH et outiller les femmes concernées par ce type de violences, grâce à une meilleure connaissance de leurs droits et au soutien nécessaire pour dénoncer ces situations. Troisièmement, il cherche à créer un espace d’échange entre des représentants de diverses institutions et partenaires communautaires, afin de trouver des pistes de prévention et d’intervention pour contrer les VBH. Dans la poursuite de ce dernier objectif, un comité de travail multisectoriel a été mis sur pied, qui se propose de concevoir une grille de dépistage, à partir d’une définition commune des VBH, permettant de recenser les cas observés dans divers milieux. Cette démarche collective vise à mieux cerner l’ampleur du phénomène et à définir des mesures concrètes d’intervention pour répondre aux besoins des victimes.

Un des obstacles majeurs constaté par le comité de travail, c’est le manque de ressources d’hébergement adaptées pour des jeunes filles menacées de mariage forcé ou de VBH. Bien que le réseau actuel des ressources d’hébergement puisse les prendre en charge, les refuges sont majoritairement spécialisés dans l’accueil et l’intervention auprès des victimes de violence conjugale. Les démarches que doivent entreprendre ces jeunes filles requièrent un accompagnement très spécifique qui, parfois, demandera un temps d’intervention plus long tant durant qu’après le séjour en maison d’hébergement. Quant aux centres jeunesse, leur clientèle est souvent composée de jeunes victimes de négligence, d’abus sexuel, ou ayant des problèmes de toxicomanie, de prostitution ou autres. Tous s’entendent pour dire qu’il est nécessaire d’avoir des centres adaptés aux besoins des jeunes filles issues d’un milieu familial conservateur et surprotecteur, au point d’en être étouffant.

Autrement dit, il n’existe pas encore de services adéquats permettant de répondre aux besoins des victimes menacées de mariage forcé ou de violences basées sur l’honneur, ce qui limite largement la capacité des milieux scolaire, policier ou social désireux de protéger les victimes. Cela signifie qu’en plus de la formation nécessaire pour sensibiliser les intervenantes et intervenants dans divers milieux aux réalités des VBH, il est primordial d’instaurer aussi des services adaptés aux besoins des victimes.

Des initiatives privées

Il est important de rappeler qu’à l’avant-garde des initiatives visant à lutter contre les VBH, on trouve souvent d’anciennes victimes ayant survécu à ce type de violences. Aruna Papp72, considérée comme une pionnière et une experte sur le sujet, est une Canadienne d’origine indienne vivant à Toronto. Née en Inde et mariée de force à 17 ans à un homme beaucoup plus âgé qu’elle, Aruna a survécu à ce mariage abusif. Elle a fondé trois organismes venant en aide aux femmes victimes de VBH et a beaucoup écrit sur le sujet, dont un livre intitulé Unworthy Creature: A Punjabi Daughter’s Memoir of Honour, Shame and Love (2012), lequel rapporte le parcours de cette battante73.

Aruna intervient, depuis une trentaine d’années, comme conseillère thérapeutique auprès de familles faisant face aux VBH. Elle offre également des ateliers de formation aux policiers et aux intervenantes et intervenants sociaux dans divers milieux : juridique, hospitalier, scolaire et autres74. Aruna n’hésite pas à faire de la médiation entre des parents et leurs enfants, considérant que la rupture brutale avec la famille est parfois pire que le mal qu’on voudrait combattre. Elle affirme que :

Les personnes qui choisissent l’indépendance au-dessus de leurs obligations culturelles sont parmi les plus seules au monde. C’est pourquoi tant de personnes retournent avec leur abuseur, en se disant je vais tolérer l’abus pour ne pas être seule. (Traduction libre75, Aruna Papp, dans CBC/Radio-Canada, 2012)

Elle soutient donc qu’il faudrait aider les parents à développer leurs compétences parentales et encourager les deux parties à faire des compromis, dans des limites raisonnables. Sa position s’appuie sur certaines recherches dans le domaine de la maltraitance des enfants, qui soutiennent que la meilleure façon de prévenir la violence intrafamiliale, c’est de soutenir les parents et de mieux répondre à leurs besoins. C’est là une piste d’intervention à explorer, qui semble avoir été écartée dans le modèle britannique, présenté dans le chapitre suivant. Elle exige toutefois la mise en place d’un système d’accompagnement à plus long terme, afin d’assurer la sécurité des personnes vulnérables, ainsi que des efforts soutenus visant à favoriser une remise en question des valeurs axées sur le concept patriarcal de l’honneur.

CHAPITRE 6
Le modèle britannique

Multicultural sensitivity is no excuse for moral blindness76.
Mike O’Brien, ministre de Home Office, dans BBC, 2000

Le Royaume-Uni enregistre chaque année une douzaine de crimes d’honneur sur son territoire. Depuis une décennie environ, les autorités britanniques ont adopté une politique et déployé des efforts considérables visant à contrer les mariages forcés et les violences basées sur l’honneur (VBH). Nous présentons ici les composantes du plan d’action, adopté en 2010, illustrées à l’aide d’exemples de mesures concrètes et enrichies par l’expérience des divers acteurs engagés dans leur mise en application.

6.1 Le contexte

La plus importante minorité culturelle au Royaume-Uni est constituée de 4,2 millions de personnes d’origine sud-asiatique, principalement issues de l’Inde, du Pakistan, du Bangladesh et du Sri Lanka, ce qui représente environ 7,5 % de la population. À Londres, on estime qu’il y aurait près de 55 % de non-Blancs et, dans certains arrondissements, jusqu’à 35 % de personnes d’origine sud-asiatique. Compte tenu de cette réalité démographique, plusieurs crimes d’honneur commis au Royaume-Uni touchent des familles sud-asiatiques (y compris d’Afghanistan), mais ces crimes touchent aussi des ressortissants d’autres pays, tels la Turquie, l’Iran, les communautés kurdes d’Irak, ainsi que des pays du Moyen-Orient.

Les autorités britanniques reconnaissent que les meurtres liés à l’honneur ne représentent qu’une infime partie des VBH. Pour mieux cerner cette réalité, les autorités ont conçu un système permettant de répertorier de façon distincte les violences basées sur l’honneur, afin de mettre au point des stratégies visant à contrer ce type de violences. Ces efforts ont permis à la police de répertorier près de 3 000 incidents de VBH chaque année. Mais les organismes de la société civile affirment que des milliers de femmes subissent en silence des violences de ce genre, qui ne sont rapportées aux autorités que lorsque le niveau de pression devient intolérable pour elles. Par conséquent, on estime que le nombre réel de cas est beaucoup plus élevé que le nombre d’incidents répertoriés.

6.2 Le déclencheur

Comme pour l’affaire Shafia au Québec, dans la plupart des pays européens, un crime d’honneur largement médiatisé a été l’élément déclencheur d’une prise de conscience collective, qui a poussé l’État à agir pour faire face à la situation. En Suède, ce fut le meurtre de Fadime Sahindal, en 2002; en Allemagne, le meurtre de Hatun Sürücu, en 2005; au Danemark, le meurtre de Ghazala Khan, en 2005. Au Royaume-Uni, ce fut le meurtre de Rukshana Naz, en 1998, qui capta l’attention des médias et des autorités. À la suite de ce meurtre, un groupe de travail a été créé, en 1999, afin d’examiner la question des mariages forcés. Mais deux autres meurtres liés à l’honneur, survenus quelques années plus tard, ont marqué le point tournant majeur ayant conduit à un véritable changement de politique visant à faire face à ce phénomène. La présentation qui suit de ces deux cas nous permet de tracer les jalons du chemin parcouru.

Cas de Heshu Yunes – octobre 2002

Heshu, une jeune kurde d’Irak âgée de 16 ans, a été poignardée par son père parce qu’elle avait un amoureux qu’il désapprouvait. Lorsque le père de Heshu a découvert son idylle, il a soumis sa fille à un test de virginité et lui a interdit de fréquenter son amoureux. Puis, lors d’un voyage subséquent en Irak, il a voulu lui imposer un mariage forcé avec un cousin. Devant les supplications de Heshu, il a accepté d’y renoncer, à condition qu’elle promette de ne plus revoir son amoureux. Une fois de retour à Londres, Heshu a continué à fréquenter son amoureux et a été soumise à des pressions croissantes. Ayant confié à son enseignante qu’elle subissait des abus dans sa famille, celle-ci l’a dirigée vers un organisme d’aide aux femmes victimes de violence, où une conseillère familiale l’a rencontrée mais a sous-estimé les risques liés à sa situation. Quelques semaines plus tard, Heshu a été tuée par son père.

Après le meurtre, pour écarter tout soupçon, le père a allégué que des opposants politiques, membres d’Al-Qaïda, s’étaient introduits dans sa maison et avaient tué sa fille pour se venger de lui. La police était donc à la recherche d’un meurtrier étranger à la famille. L’entourage de la victime savait que le père de Heshu menaçait de la tuer, mais personne n’osait en parler. Ayant entendu des allégations à ce sujet, la directrice de l’Iranian and Kurdish Women’s Rights Organisation (IKWRO), qui connaissait bien cette réalité, les a prises très au sérieux et a contacté immédiatement le responsable de l’enquête pour l’informer qu’il s’agissait d’un crime d’honneur. Au début, raconte-t-elle, la police s’est montrée incrédule. Mais lorsque l’enquête policière a été réorientée, tenant compte de ces allégations, elle a réussi à incriminer le père, qui a avoué le meurtre de sa fille et présenté une défense basée sur l’honneur. Ce procès, largement médiatisé en 2003, a contribué grandement à une prise de conscience collective au Royaume-Uni concernant les crimes d’honneur.

À la suite de ce meurtre, l’IKWRO a lancé une campagne de sensibilisation du public, intitulée Remember Heshu, appuyée par d’autres organismes, tels que la KMEWO77, dans le but de briser les tabous entourant les crimes d’honneur. Le cas de Heshu a incité la police de Londres à déployer des efforts accrus visant à sensibiliser ses troupes aux réalités des crimes d’honneur, avec la collaboration d’organismes communautaires bien au fait de la problématique. Moins de trois ans plus tard, un autre meurtre, celui de Banaz Mahmod, a révélé des lacunes importantes dans la capacité de la police de protéger les victimes menacées de crimes d’honneur.

Cas de Banaz Mahmod – janvier 2006

Banaz Mahmod, d’origine kurde d’Irak (comme Heshu), âgée de 20 ans, avait réussi à se libérer d’un mariage forcé, imposé par ses parents alors qu’elle n’avait que 17 ans. Elle venait de s’engager dans une relation amoureuse avec un jeune homme qu’elle avait choisi ellemême. Se sachant menacée par sa famille, qui désapprouvait sa nouvelle relation, Banaz avait demandé la protection de la police britannique pour elle et son amoureux. Elle avait rapporté à la police qu’elle était constamment surveillée et suivie par des membres de sa communauté, et lui avait même fourni une liste des personnes susceptibles de la tuer.

Lorsque Banaz a disparu, c’est son copain qui a averti la police, la famille de la jeune fille n’avait pas signalé sa disparition. Après une longue et difficile enquête judiciaire qui piétinait sans preuves, c’est grâce au témoignage de la sœur de la victime si le corps de Banaz a été découvert, trois mois après le meurtre, caché dans une valise enfouie dans le jardin d’une maison de Birmingham. L’enquête a révélé que Banaz avait été violée et battue avant d’être étranglée par ses agresseurs. Le meurtre avait été commandé par le père et l’oncle de Banaz, et exécuté par deux cousins, qui étaient retournés en Irak après leur crime pour échapper à la justice britannique. Finalement, le père et l’oncle de la victime, ainsi que les deux cousins impliqués, lesquels ont dû être extradés d’Irak pour être jugés au Royaume-Uni, ont été condamnés à la prison à vie, en octobre 2009. Cependant, la sœur et le copain de Banaz continuent à vivre dans la clandestinité, car leur vie est menacée en raison de leur dénonciation du crime.

Il est intéressant de souligner que c’est grâce à une campagne, intitulée Justice for Banaz, lancée par l’IKWRO avec l’appui d’autres organismes tel Karma Nirvana78, si les deux cousins de Banaz impliqués dans son meurtre ont pu être extradés d’Irak pour être traduits en justice au RoyaumeUni, une première de ce genre.

Ces deux exemples montrent le rôle crucial joué par les organisations de la société civile dans la sensibilisation de l’opinion publique et des autorités qu’il ne faudrait pas sous-estimer. Leur travail de plaidoyer est à l’origine de l’adoption de la politique nationale britannique visant à lutter contre les violences basées sur l’honneur. Auparavant traitées comme de la violence domestique ordinaire, l’incompréhension de ce phénomène et l’absence de stratégies spécifiques tenant compte de cette réalité avaient pour effet d’occulter les risques accrus liés à ce type de violences et de rendre inefficaces les mesures de protection habituelles.

6.3 Le volet institutionnel et la politique publique

Pour faire face au phénomène des VBH, tout en évitant la stigmatisation, le gouvernement britannique a choisi d’inscrire cette problématique dans le cadre d’un plan d’action national, visant globalement l’éradication des violences à l’égard des femmes et des filles. Comme pour la violence domestique, ce plan d’action préconise une approche holistique qui vise à la fois la prévention, la protection des victimes et la pénalisation des agresseurs. De plus, les stratégies développées impliquent la collaboration de divers milieux, y compris des acteurs étatiques aussi bien que ceux de la société civile, ce qui contribue à créer une synergie permettant de renforcer l’impact des mesures adoptées.

La réalisation du plan d’action national, intitulé A Call to End Violence against Women and Girls, adopté en 2010 (remis à jour en mars 201379), a été placée sous la gouverne du Home Office80. Ce plan d’action sollicite la participation de plusieurs ministères, notamment ceux de la Santé et de la Justice, pour la mise en œuvre des mesures préconisées pour l’atteinte des objectifs communs, visant entre autres à contrer les VBH. De plus, le plan d’action, qui comprend une centaine de mesures concrètes, a été accompagné de l’octroi de près de 40 millions de livres sterling par an (jusqu’en 2015), en appui aux services spécialisés, destinés aux femmes et aux filles victimes de violences domestique et sexuelle. Ces services doivent tenir compte des vulnérabilités particulières des personnes soumises aux VBH.

Il est intéressant de souligner que, pour tenir compte de certaines caractéristiques liées aux VBH dans le plan d’action, la définition de la violence domestique a été étendue pour inclure les victimes âgées de 16 à 17 ans, ainsi que le contrôle excessif. De plus, considérant que les mariages forcés constituent la pierre angulaire sur laquelle reposent en bonne partie les VBH, tant avant qu’après le mariage, le plan d’action met un accent particulier sur l’objectif de l’éradication des mariages forcés. Selon les estimations, les mariages forcés représentent près de la moitié des VBH, lesquelles incluent le contrôle excessif, la séquestration, le harcèlement, les menaces et les violences physiques et psychologiques, émotives, fi es et sexuelles, ainsi que les mutilations génitales féminines.

Les mutilations génitales féminines (MGF)

L’excision est interdite depuis longtemps au Royaume-Uni, mais une nouvelle loi, adoptée en 2003, interdisait sa pratique à l’étranger, sur une résidente britannique, même si l’excision est légale dans ce pays. En dépit de l’interdiction formelle, aucune poursuite n’a été intentée à ce jour, en vertu de cette loi.

Une étude récente menée au Royaume-Uni estimait que 66 000 femmes avaient subi des mutilations génitales et que 20 000 fillettes seraient à risque d’être excisées (Dorkenoo, Morison et MacFarlane, 2007). Autre indice inquiétant, l’association britannique pour la protection de l’enfance, la National Society for the Prevention of Cruelty for Children (NSPCC), a révélé, en juin 2013, que 1 700 victimes de MGF avaient été adressées depuis deux ans à des cliniques spécialisées pour obtenir un traitement, et que ce nombre ne représente qu’une fraction du nombre de femmes touchées au Royaume-Uni (Topping, 2013). La plus jeune de ces victimes avait 7 ans.

Parmi les mesures adoptées pour tenter de freiner la pratique des MGF, le Home Office a instauré une ligne d’appel téléphonique et a produit un dépliant sur les MGF, diffusé auprès des jeunes et dans divers milieux, rappelant qu’il est illégal de pratiquer les MGF même à l’étranger, et incitant les victimes et leurs proches à dénoncer cette pratique. De plus, des directives ont été données aux travailleurs des milieux scolaires, médicaux et autres, les encourageant à intervenir en rapportant les cas de fillettes soupçonnées d’être menacées ou victimes de MGF. Malgré ces directives, seule une poignée de cas sont rapportés chaque année de manière préventive.

Les autorités constatent que les MGF ne sont ni repérées ni reconnues comme un problème sérieux. Un des obstacles rencontrés dans l’application de la loi, c’est que les intervenants hésitent à agir par crainte d’être accusés de racisme. Le chef de l’équipe Violence Against Women (VAW) du Home Office dénonce cette attitude passéiste, et proclame que : « FGM is child abuse and must be treated as such! ». Autrement dit, il faut voir cette pratique comme une maltraitance à l’égard des enfants, ce qui exige une intervention ferme pour assurer leur protection.

Le gouvernement britannique a annoncé récemment, lors de la 57e Commission des Nations Unies sur le statut des femmes, tenue à New York en mars 2013, l’allocation d’une somme de 35 millions de livres sterling, pour l’éradication des MGF dans le monde « en une seule génération! ». Cette somme est la plus élevée jamais allouée par un pays à cette fin, ce qui semble refléter une volonté sérieuse de s’attaquer à cette problématique. Plusieurs groupes nationaux espèrent que cette somme permettra la mise en place de nouvelles stratégies efficaces, non seulement à l’étranger mais également au niveau national. Les autorités britanniques reconnaissent qu’il leur reste encore beaucoup à faire, et que l’éradication des MGF doit devenir une priorité dans les prochaines années.

6.3.1 La Forced Marriage Unit (FMU)

En 2005, le gouvernement britannique a mis sur pied une unité spéciale, nommée Forced Marriage Unit (FMU), lancée conjointement par le Foreign and Commonwealth Offi et le Home Offi Cette unité, formée de sept membres, a pour objectif de soutenir concrètement les victimes menacées ou soumises à un mariage forcé, et de fournir des conseils utiles aux personnes de leur entourage souhaitant leur venir en aide.

La définition du mariage forcé retenue par la FMU désigne un mariage dans lequel « l’une des parties ou les deux n’ont pas consenti ou ne peuvent pas consentir au mariage (dans le cas d’une personne ayant une incapacité physique ou d’apprentissage) et que des pressions ou des abus sont exercés à leur encontre pour les inciter à se marier »81. Cette définition a l’avantage de reconnaître que divers types de pressions peuvent être exercées pour pousser une personne à « consentir » au mariage, tel le recours à la violence ou aux menaces physiques, émotives, psychologiques, financières ou sexuelles.

La FMU a ciblé trois priorités d’action, soit l’appui concret aux victimes menacées ou soumises au mariage forcé, la sensibilisation du public et des intervenants sociaux, et l’intervention au chapitre des politiques publiques.

L’appui concret aux victimes menacées ou soumises au mariage forcé

La FMU distingue trois contextes différents pour son intervention : les cas domestiques, où le mariage forcé se déroule sur le territoire britannique; les cas outre-mer, impliquant une personne citoyenne âgée de 16 ans ou plus menacée de mariage forcé à l’étranger; et les cas concernant le parrainage d’une conjointe ou d’un conjoint non désiré à la suite d’un mariage forcé. Dans ce dernier cas, la FMU travaille étroitement avec les hauts-commissariats et a le pouvoir nécessaire au sein de l’appareil gouvernemental pour faire en sorte que le visa de la conjointe ou du conjoint parrainé soit refusé.

La FMU offre également une ligne téléphonique d’aide aux personnes menacées d’un mariage forcé, au pays ou à l’étranger, et à leurs proches qui désirent les aider. Dans les cas domestiques, la police peut intervenir rapidement auprès de la victime pour la soustraire au mariage forcé et assurer sa sécurité. S’il s’agit d’une mineure, âgée de moins de 16 ans, les autorités avertissent les services sociaux qui interviennent alors pour lui venir en aide. Pour mieux joindre les jeunes, qui sont les plus à risque de subir un mariage forcé, une nouvelle application pour téléphone cellulaire a été lancée, en mars 2013, par un organisme de protection des enfants, Freedom Charity82, conjointement avec la Forced Marriage Unit83. Cette application permettrait aux jeunes adultes et enfants menacés d’un mariage forcé d’entrer directement en contact avec la police pour obtenir rapidement de l’aide.

La sensibilisation du public et des intervenants sociaux

Ce volet comprend entre autres des tournées dans les écoles auprès des jeunes ainsi que des formations destinées aux professionnels du secteur public, y compris les enseignants, le personnel médical et les travailleurs sociaux. Une campagne de sensibilisation nationale sur les mariages forcés a été lancée, durant l’été 2012, et plusieurs outils ont été diffusés dans divers milieux, dont un site Web, des affiches et des dépliants84.

De plus, divers guides pratiques ont été produits ciblant des publics bien précis, tels que les personnes ayant survécu à un mariage forcé85, les victimes et les tierces parties86, les membres du Parlement et des bureaux de circonscription87, ainsi que les professionnels de première ligne88, susceptibles d’entrer en contact avec la victime d’un mariage forcé. Cette série de guides pratiques donne des directives précises, adaptées à chaque public cible, sur les démarches à suivre pour faire face à cette réalité.

L’intervention au chapitre des politiques publiques

La FMU joue également un rôle central en ce qui a trait à l’élaboration de politiques publiques tenant compte des mariages forcés. Les membres de l’équipe interviennent comme conseillers experts auprès de diverses instances juridiques, consulaires, policières et autres, afin de les aider à élaborer des politiques et des stratégies visant l’éradication des mariages forcés.

Un des acquis de l’approche britannique est d’avoir incité divers milieux à développer des outils permettant d’identifier et de répertorier les violences basées sur l’honneur. Il s’agit d’une étape nécessaire pour mieux cerner l’ampleur du problème, mais également pour rendre compte des effets des mesures adoptées et pour orienter les actions futures. C’est ainsi que la FMU et la police sont en mesure de chiffrer le nombre de victimes secourues et d’établir leurs caractéristiques sociodémographiques.

Quelques statistiques concernant les interventions de la FMU en 201289

Ces statistiques révèlent premièrement que les victimes de mariage forcé sont très jeunes : plus du tiers des cas concernaient des personnes mineures (35 %), et près de la moitié avaient entre 18 et 25 ans (49 %). Deuxièmement, les chiffres indiquent que les mariages forcés n’épargnent pas les hommes, 18 % des cas (soit 267 cas), et qu’ils visent parfois des lesbiennes, des gais, des personnes bisexuelles ou transgenres (22 cas).

Opinion de certains jeunes gens sur les mariages forcés

Selon des jeunes hommes âgés de 17 à 24 ans, rencontrés dans un centre communautaire sud-asiatique de Blackburn – une ville du Lancashire abritant une importante minorité indienne et pakistanaise, représentant près de 30 % de la population, concentrée dans un seul secteur de l’agglomération – les garçons jouissent davantage de liberté de mouvement que les filles, mais doivent néanmoins épouser une personne que leurs parents approuvent, souvent une cousine.

Bien que nés en sol britannique, les jeunes gens rencontrés jugeaient essentiel que les jeunes filles soient vierges jusqu’au mariage et que les parents prennent toutes les mesures nécessaires pour préserver la chasteté de leurs filles. L’un des jeunes rapportait qu’il a accepté d’épouser, six ans auparavant (donc très jeune lui-même), une adolescente de 17 ans, choisie par ses parents au Pakistan. Sa jeune épouse parrainée ne parle pas bien l’anglais, dit-il, « mais elle connaît les règles, elle les suit et elle s’occupe de nos deux enfants ».

Il semble donc que ces traditions se perpétuent dans la deuxième et même la troisième génération d’immigrants. Selon un sondage récent réalisé par BBC Panorama (2012), portant sur l’attitude des jeunes d’origine sud-asiatique envers le concept de l’honneur, plus des deux tiers des 500 jeunes, âgés de 16 à 34 ans, interrogés au Royaume-Uni, se disaient d’accord avec l’idée que la famille doit vivre selon le concept de l’honneur ou izzat (terme urdu couramment utilisé en Inde et au Pakistan pour désigner l’honneur). Et 18 % des personnes interrogées estimaient que certains actes féminins perçus comme étant source de déshonneur, tels la désobéissance au père, le fait d’épouser la « mauvaise » personne ou de vouloir divorcer, pouvaient justifier une coercition physique.

Concernant les mariages forcés de personnes inaptes à consentir au mariage (114 cas ayant nécessité une intervention de la FMU en 2012), la codirectrice de la FMU rapporte que certains citoyens britanniques issus de l’immigration vont dans leur pays d’origine chercher une épouse pour leur fils handicapé, sans nécessairement avertir la conjointe de la condition de l’époux. Lorsque ces cas lui sont rapportés, dit-elle, la FMU soumet la personne handicapée à un test pour déterminer si elle est capable de consentir au mariage, à défaut de quoi le mariage est annulé. Cependant, ajoute-t-elle, il n’est pas toujours possible de renvoyer la conjointe dans son pays d’origine, si les risques sont trop grands pour elle.

Dans les cas de conjoints parrainés, la période de probation a été prolongée récemment (en juillet 2012) de deux à cinq ans, pour être admissible à la résidence permanente. Le Home Office considère que si le mariage est rompu au cours de la période de probation, la personne parrainée est renvoyée dans son pays d’origine, sauf s’il s’agit d’un cas de violence domestique avérée, qui doit être appuyée par un rapport de police ou un rapport médical. Certains organismes d’aide aux victimes de violence déplorent cette exigence, arguant que plusieurs épouses parrainées, notamment issues de pays sud-asiatiques, vivent comme des esclaves et sont soumises à des violences de la part de l’époux ou de leur belle-mère, mais qu’elles n’osent pas dénoncer les abus, par peur des représailles ou par crainte d’être renvoyées dans leur pays d’origine (Bano, 2010).

Cette réalité est corroborée par les statistiques du Home Office qui confirme qu’en 2008 et 2009, plus de la moitié des demandes de résidence en provenance d’épouses sud-asiatiques parrainées (soit plus de 500 cas), affirmant avoir été victimes de violence domestique, ont été rejetées et les femmes déportées, faute de pouvoir fournir une preuve de leur maltraitance (Bano, 2010). C’est là une lacune sérieuse, dénoncée par les organismes d’aide aux victimes, tels IMKAAN90 et le Women’s Aid Forum91, qui réclament des mesures correctives pour tenir compte de cette réalité.

Collaboration avec l’ambassade canadienne

Par ailleurs, l’équipe de la FMU entretient des liens étroits avec des membres de l’ambassade canadienne de Londres. Certains conseillers politiques travaillent régulièrement dans les bureaux de la FMU pour se familiariser avec le modèle d’intervention britannique et traiter de dossiers communs touchant des citoyennes canadiennes transitant par Londres, craignant de subir un mariage forcé dans leur pays d’origine.

6.3.2 Les hauts-commissariats britanniques

Le personnel des consulats britanniques, particulièrement dans les pays concernés par cette pratique, a reçu une formation spéciale liée aux mariages forcés. Les hauts-commissariats ont entre autres pour mandat de secourir toute personne citoyenne britannique, âgée de 16 ans ou plus, menacée d’un mariage forcé à l’étranger, qui en fait la demande.

Des opérations de sauvetage ont été menées dans divers pays, au cours des dernières années. Des citoyennes menacées de mariage forcé ont été secourues avec succès avec l’aide des autorités policières locales, qui les ont escortées de leur maison jusqu’à l’ambassade britannique. En attendant leur rapatriement, les victimes sont temporairement hébergées dans un lieu sécuritaire, avec l’aide d’une ONG locale, s’il en existe. Il est parfois nécessaire de leur procurer un nouveau passeport et des papiers d’identité qui leur ont été confisqués. De retour au Royaume-Uni, les victimes secourues sont dirigées vers une ONG locale pouvant les accueillir et assurer leur sécurité. Il est généralement admis que ces victimes, souvent très jeunes, auront besoin d’un accompagnement à long terme pour les aider à reprendre leur vie en main, poursuivre leurs études ou se trouver du travail, de façon à favoriser leur autonomie.

Le nombre d’interventions concernant les mariages forcés menées à l’étranger, avec l’aide de la FMU et des hauts-commissariats, se situe entre 150 et 200 annuellement. Au Pakistan seulement, il y aurait un cas d’intervention chaque semaine, soit près d’une cinquantaine par an. Compte tenu de la fréquence des cas rapportés dans ce pays, des efforts de prévention ont été faits localement par le haut-commissariat d’Islamabad. Ce dernier a commandité la production de trois courts films d’animation92, diffusés en 2010, en langue locale (sous-titrés en anglais), visant à sensibiliser les membres de la communauté pakistanaise à la problématique des mariages forcés qui briment les droits des victimes.

Les deux exemples qui suivent illustrent des cas d’intervention réussie par les hauts-commissariats britanniques.

Cas d’une pakistanaise de 15 ans rapatriée pour échapper à un mariage forcé93

En 2008, un tribunal de la famille a accepté de rapatrier du Pakistan une jeune fille âgée de 15 ans, ayant la double nationalité, dont le cas est jugé exceptionnel, vu qu’elle n’avait jamais résidé au Royaume-Uni auparavant. Née au Pakistan de père britannique et de mère pakistanaise, laquelle voulait marier la marier à un homme beaucoup plus âgé qu’elle, présumé alcoolique, la jeune fille, détentrice d’un passeport britannique, s’était rendue elle-même au haut-commissariat d’Islamabad pour demander la protection, afin de la soustraire au mariage forcé. Compte tenu des circonstances exceptionnelles de son cas, le haut-commissariat a contacté la FMU qui a demandé et obtenu l’appui d’une cour britannique lui permettant d’intervenir. Le juge a accepté de considérer que ce mariage était doublement illégal, car non seulement il était contraire à la volonté de la jeune fille, mais celle-ci n’avait pas l’âge légal (fixé à 16 ans) pour se marier au Royaume-Uni. Ayant un demi-frère vivant en Écosse qui acceptait de l’accueillir, la jeune fille a été amenée au Royaume-Uni pour échapper au mariage forcé que sa mère lui réservait.

Cas d’une fillette de 11 ans originaire du Bengladesh forcée à se marier94

Lors d’un séjour au Bangladesh, l’aînée d’une famille résidant au Royaume-Uni, âgée de 11 ans, a été mariée à un homme âgé de 20 ans. À la suite de ce mariage, la mère a abandonné sa fille à son nouveau mari et elle est retournée avec ses autres enfants vivre au Royaume-Uni. Alertée sur ce cas, la FMU est intervenue. Considérant que ce mariage n’avait aucune valeur juridique, la fillette de 11 ans, citoyenne britannique, a été mise sous la protection du tribunal, puis a été rapatriée et placée chez une tante vivant au Royaume-Uni. Mais à 12 ans, la fillette a exprimé le désir de retourner vivre chez sa mère et de faire venir au Royaume-Uni l’homme à qui sa mère l’avait mariée. Sa demande a été rejetée, les travailleurs sociaux britanniques engagés dans son dossier ayant estimé que l’enfant serait en danger si elle retournait vivre chez sa mère. Le juge a donc statué qu’il était dans le meilleur intérêt de l’enfant de demeurer chez sa tante.

Bien entendu, le défi que représentent de telles opérations de sauvetage est d’autant plus délicat lorsqu’il s’agit de personnes mineures. De plus, ces opérations à l’étranger sont coûteuses. Par conséquent, les autorités britanniques encouragent les personnes qui ont des raisons de craindre un mariage forcé à l’étranger, à demander de l’aide avant de quitter le pays et, lorsque le risque est jugé trop important, à refuser de partir.

6.3.3 L’Association of Chief Police Officers (ACPO)

L’ACPO, l’association des chefs de police qui regroupe tous les services de police britanniques organisés en quarante-trois services indépendants, répartis dans toutes les régions, a pour objectif de contribuer à unifier les stratégies adoptées par les divers services afin d’accroître leur efficacité. L’ACPO joue donc un rôle important dans la poursuite de l’objectif commun visant l’éradication des violences à l’égard des femmes et des filles, y compris les VBH.

Une des mesures adoptées par l’ACPO, en 2008, a été d’offrir aux policiers une formation concernant l’évaluation des risques associés aux VBH. Jusqu’ici, 130 000 policiers ont reçu cette formation, et chaque service de police peut compter sur un ou plusieurs spécialistes aptes à intervenir rapidement auprès des victimes, notamment en cas de menace de mariage forcé. La rapidité de l’intervention est considérée comme un élément crucial pour sauver des vies.

De plus, un guide pratique destiné aux policiers de première ligne a été produit, lequel comprend une grille d’évaluation des risques en cas de violences domestiques qui tient compte des VBH95. Cette grille permet d’identifier diverses formes de pressions, d’abus de contrôle ou de harcèlement liés à l’honneur, souvent exercés par des membres de la famille élargie ou de la communauté, en plus de tenir compte des risques de dépression ou de suicide chez les victimes.

Des études indiquent qu’au Royaume-Uni, le taux de suicide chez les femmes sud-asiatiques est trois fois plus élevé que la moyenne nationale (Ineichen, 2008). Plusieurs groupes communautaires concernés attribuent ce taux élevé aux VBH.

Les résultats des formations offertes aux policiers outillés d’une grille d’évaluation des risques tenant compte des VBH sont très encourageants. En 2012, la police britannique a pu répertorier 344 cas de violences basées sur l’honneur et 166 cas de mariages forcés. La police londonienne a également effectué la révision de 178 meurtres, commis à Londres au cours des dernières années, ce qui a permis d’identifier 22 cas de meurtres liés à l’honneur. L’ACPO reconnaît que les efforts de formation des policiers doivent se poursuivre, afin d’outiller le plus grand nombre d’entre eux et leur permettre d’identifier et d’intervenir adéquatement auprès des victimes menacées de VBH.

Selon le commandant de la police métropolitaine de Londres, un des défis soulevés par l’intervention en cas de mariage forcé ou d’autres formes de VBH, c’est qu’une large proportion des victimes (de 60 à 80 %, selon les estimations) refuse une intervention policière, par souci d’éviter des poursuites criminelles à l’encontre des membres de leur famille. Il s’agit souvent, selon lui, de très jeunes femmes n’ayant pas beaucoup de ressources. De plus, on rencontre une résistance au sein des communautés concernées qui refusent de dénoncer ces situations, considérant qu’il s’agit de coutumes culturelles. Le défi est double, ajoute-t-il, car il faut d’une part, changer les mentalités pour que les membres des communautés concernées cessent de considérer ces pratiques comme acceptables, d’autre part, il faut donner aux victimes la confiance nécessaire pour les inciter à porter plainte.

La formation des policiers aux réalités des VBH a également favorisé une collaboration étroite avec les groupes et les membres des communautés touchées par cette réalité. Au Lancashire, par exemple, un service de police a engagé une conseillère indépendante, Saima Afzal, d’origine sud-asiatique, laquelle est elle-même une survivante de ce type de violences, afin de les aider à adapter leurs interventions aux besoins des victimes. Le résumé qui suit concernant son parcours de vie est très instructif.

Cas de Saima Afzal : de victime à conseillère communautaire

Saima Afzal, Pakistanaise d’origine, est aujourd’hui âgée de 42 ans. Devenue conseillère auprès des autorités policières, elle témoigne publiquement de son expérience douloureuse liée à un mariage forcé suivi de violences conjugales, dans le cadre de sessions de formation destinées à sensibiliser les policiers aux réalités des violences basées sur l’honneur.

À l’âge de 22 ans, cette étudiante douée, l’aînée d’une famille immigrante de onze enfants, s’est résignée à une union forcée au Pakistan, après que son père a menacé de tuer sa mère et ses sœurs si elle refusait le mariage avec un lointain parent dans son pays d’origine. Ce mariage forcé était motivé par le désir du père de réunir des terres et des propriétés au Pakistan. « Tu ne nous appartiens plus! » lui avait dit sa mère, avant de l’abandonner aux mains de ce conjoint, un étranger à ses yeux, qu’elle n’avait jamais vu avant son mariage. Saima rapporte que son mari l’a violée dès sa nuit de noces et que la violence sexuelle a continué après leur retour en Grande-Bretagne.

Saima Afzal raconte que lorsque ses parents ont émigré au Royaume-Uni, elle était alors âgée de 4 ans. Résidant dans la ville de Blackburn, au Lancashire, la famille vivait en ghetto au sein de la communauté sud-asiatique de la région. Enfant, sa vie se passait entre l’école, la mosquée et l’intérieur de la maison familiale. Saima n’avait pas le droit d’aller jouer dehors ni d’avoir le moindre contact avec des garçons. Même la baignade avec les élèves de l’école lui était interdite par son père, qui exerçait un contrôle abusif sur ses filles pour préserver l’honneur de la famille. Saima réussissait de temps en temps à contourner les interdits, avec la complicité de sa mère. Ce mode de vie l’a conduite au mariage forcé et à la violence sexuelle qu’elle subissait en silence, puis à la naissance de son fils. Deux ans après son mariage, son père ayant été témoin du comportement sexuel violent du mari de Saima à son égard, c’est lui-même qui le chassa de la maison. Le calvaire de Saima prit donc fin avec son divorce. Cet épisode douloureux de sa vie, dit-elle, a eu au moins le mérite d’épargner à ses huit sœurs le même sort. Tenant compte de son expérience désastreuse, le père a renoncé à imposer un mari à ses filles par la suite.

La collaboration de Saima Afzal ainsi que celle d’autres membres issus des communautés sud-asiatiques ont fait une énorme différence dans les services de police, explique un sergent de la police du Lancashire. À présent, dit-il, on voit des femmes et des jeunes victimes de mariage forcé ou d’autres VBH qui n’hésitent pas à venir chercher refuge dans notre poste de police. Cela signifie que ces personnes nous font confiance et que notre crédibilité a été rehaussée aux yeux de leur communauté, affirme-t-il.

Résultat concret des liens plus étroits tissés avec les membres des communautés desservies, les policiers ont à présent accès en tout temps à une banque téléphonique d’interprètes dans plusieurs langues, qui peuvent traduire sur le champ, par téléphone, les questions d’un policier et les réponses d’une victime lors d’un signalement. Ce département de police est devenu une référence en matière d’interventions communautaires et les nouvelles recrues de police y sont envoyées pour effectuer un stage.

Tirant des leçons des erreurs du passé, les forces policières interpellées par cette problématique ont mis en place des stratégies tenant compte des réalités complexes des VBH.

Stratégies policières mises en place

Concrètement, les interventions policières couvrent une large gamme d’actions, allant de simples conseils donnés aux victimes, jusqu’au changement d’identité, destiné à leur permettre de reconstruire leur vie ailleurs, loin de leurs agresseurs, dans une autre ville ou un autre pays si elles le désirent. Cependant, même en ayant acquis une nouvelle identité, les personnes vulnérables aux crimes d’honneur ne sont pas au bout de leur peine. Elles sont parfois poursuivies et recherchées par leur famille, pendant des années, et donc obligées de mener une vie tel un fugitif, ce qui affecte négativement leur vie sociale, affective et professionnelle, comme en témoigne l’exemple qui suit.

Cas de Jack et Zena, un couple contraint de vivre tels des fugitifs

Il y a quelques années, le cas fort médiatisé d’un couple formé d’un homme blanc britannique et d’une jeune fille née au Royaume-Uni, issue d’une famille pakistanaise, a révélé un autre aspect méconnu lié aux VBH (Rawstorne, 2009). Âgée de 21 ans, Zena, qui était promise à son cousin dès l’enfance, tomba amoureuse de Jack et défia sa famille pour l’épouser. Menacé de crime d’honneur, le couple, aidé par la police, a dû changer d’identité et de ville. Pendant une quinzaine d’années, Jack et Zena ont été obligés de vivre comme des fugitifs, constamment sur le qui-vive, et durent déménager une trentaine de fois. Durement éprouvé par ce mode de vie instable, le couple finit par se séparer, en 2009. Ironiquement, leur séparation ne suffit pas à écarter la menace de crime d’honneur qui pèse toujours sur eux, plus particulièrement sur Zena, vu que sa famille estime que son honneur a été souillé et ne pourra être restauré que par le sang.

Cet exemple témoigne du fait qu’en dépit de toutes les mesures de sécurité visant à sauver des vies à court terme, on ne peut faire l’économie d’autres mesures nécessaires pour s’attaquer à la source du problème à plus long terme. Des mesures éducatives s’imposent pour favoriser un changement des mentalités au sein des communautés concernées, à travers une remise en question du concept de l’honneur attaché à la sexualité des femmes.

Le milieu médical

En principe, tous les professionnels de la santé ont la responsabilité d’assurer la protection des enfants et doivent faire preuve de vigilance pour détecter et rapporter les cas de maltraitance. Au Royaume-Uni, chaque hôpital est doté d’une équipe assurant la protection des enfants vulnérables (Safeguarding Team). De plus, toute femme qui accouche à l’hôpital a droit aux services d’une sage-femme. En pratique, les hôpitaux misent sur les sages-femmes et sur les infirmières pour signaler les cas de violences domestiques, y compris les mutilations génitales féminines (MGF). Les sages-femmes jouent donc un rôle crucial auprès des femmes excisées qui accouchent. Elles doivent les informer que cette pratique est illégale au pays et que les parents s’exposent aux poursuites s’ils font exciser leurs filles, même à l’étranger. Cette intervention est faite au nom de la protection de l’enfant à naître.

Pour lutter plus efficacement contre les MGF, le ministère de la Santé britannique envisage la possibilité d’exiger des hôpitaux britanniques de compiler tous les cas de MGF observés, dans une banque de données, afin de mesurer l’ampleur du phénomène en plus de connaître l’identité des fillettes à risque pour assurer leur protection (Boseley, 2013). Le Collège royal des sagesfemmes demande en retour un protocole clair pour savoir quoi faire concrètement relativement aux femmes déjà excisées et parfois même infibulées, s’il faut, par exemple, leur proposer une chirurgie de reconstruction ou de l’aide psychologique.

À l’hôpital général de Burnley – une ville du Lancashire abritant une importante communauté sud-asiatique – l’administration envisage l’adoption d’une politique spécifique pour traiter les cas de VBH, qui sont autrement ignorés dans la politique générale. Une formation spéciale a été offerte au personnel de première ligne, y compris les sages-femmes, pour lui permettre de détecter ce type de violences. Selon une infirmière responsable de la Safeguarding Team, d’après le protocole de l’hôpital, lorsqu’une femme s’y présente, le personnel médical doit essayer de la rencontrer seule, surtout s’il y a des indices de violence domestique. En général, souligne-t-elle, on constate une augmentation de 30 % de la violence domestique durant les grossesses. Mais les femmes des communautés vulnérables aux VBH courent d’autres risques également, notamment les risques de malformations cONGénitales, qui sont plus élevés dans les cas de mariages consanguins, entre cousins, une pratique fréquente au sein de certaines communautés.

Les bénéfices d’une formation spéciale sur les VBH ne font aucun doute aux yeux des administrateurs de l’hôpital. À titre d’exemple, une administratrice rapporte que le personnel médical avait noté plusieurs cas de femmes sud-asiatiques victimes de brûlures au kérosène, qu’on attribuait à un accident domestique. Cela nous a pris du temps, dit-elle, pour réaliser qu’il s’agissait en fait d’un acte criminel. Pour punir une femme désobéissante, son mari l’enfermait dans la cuisine et y mettait le feu à l’aide de l’essence à briquet. Cette technique s’inspire du sari burning, mentionné précédemment, lequel est une pratique répandue en Inde où, pour se débarrasser d’une épouse devenue indésirable, le mari ou la belle-famille asperge son sari de kérosène et y mettent le feu, prétextant ensuite un accident domestique (Bedi, 2012).

6.3.5 Le milieu scolaire

Au Royaume-Uni comme dans d’autres pays d’Europe, les écoles font état chaque année d’un certain nombre d’enfants issus de l’immigration qui disparaissent du système scolaire après les vacances et qu’on soupçonne avoir été mariés de force (Tickle, 2012). Dans le cadre du plan d’action britannique, les autorités scolaires sont encouragées à sensibiliser les jeunes aux risques du mariage forcé et à être plus proactives, en se servant de la loi de protection contre les mariages forcés dont il sera question plus loin. Les enseignantes et enseignants, en qui les jeunes ont confiance, sont considérés comme des intervenants de première ligne parmi les mieux placés pour détecter les cas de jeunes menacés de subir un mariage forcé. Cependant, il semble que le milieu scolaire hésite trop souvent à intervenir activement dans ce domaine (Stobart, 2008).

6.3.6 Collaboration multisectorielle

À la suite de la prise de conscience qu’une approche globale est nécessaire pour faire face au phénomène complexe des VBH, une instance nommée la Multi Agency Risk Assessment Conference (MARAC)96 a été mise sur pied pour assurer la liaison entre les divers secteurs appelés à intervenir dans les cas de violence domestique, notamment la police, la santé et les services sociaux, ainsi que les groupes communautaires.

La MARAC se réunit une fois par mois pour discuter des cas de violence rapportés, y compris les VBH, favorisant ainsi un échange d’information entre les divers acteurs. Pour assurer la confidentialité des victimes, tous les participants à la MARAC signent un protocole d’entente à cet effet. Ces rencontres mensuelles permettent d’effectuer collectivement une évaluation des risques et des services requis pour chaque cas, puis d’établir un plan d’intervention destiné à assurer la sécurité des victimes, tenant compte de l’ensemble de leurs besoins (santé, logement et autres), ainsi que du bien-être de leurs enfants. La MARAC est coordonnée par le Community Safety Partnership (CSP), un comité composé de personnes représentant la police communautaire et des organismes locaux venant en aide aux victimes de violence. Le CSP offre aussi une formation de deux jours sur les violences domestiques aux personnes qui participent à la MARAC.

6.4 Le volet législatif

Les autorités britanniques ont mené une vaste consultation populaire auprès des membres de diverses communautés concernées, ainsi que des organismes engagés auprès des victimes, afin d’examiner la pertinence d’une loi qui interdirait les mariages forcés. L’enjeu de la criminalisation a été discuté avec plusieurs groupes concernés par cette réalité. Plusieurs craignaient que la criminalisation ne décourage les victimes de porter plainte, compte tenu de ce que la majorité d’entre elles seraient réticentes à envoyer des membres de leur famille en prison. Tenant compte de cette préoccupation, c’est une loi de protection civile qui a été adoptée. Parallèlement, l’âge du mariage pour parrainer un conjoint d’outre-mer avait été porté de 18 à 21 ans, mais cette mesure, jugée discriminatoire par la Cour suprême britannique, a été abandonnée en 2011.

En 2007, le Parlement britannique a donc adopté une loi civile, le Forced Marriage (Civil Protection) Act97, entrée en vigueur en 2008. Cette loi vise la protection des enfants et des adultes menacés de mariage forcé, sans pour autant criminaliser leurs parents. En cas de menace de mariage forcé, elle permet d’émettre une injonction intimant aux parents de s’abstenir d’imposer un mariage à la victime et, si le mariage est projeté outre-mer, l’obligation de ramener la victime au Royaume-Uni. Le refus de se conformer à une telle ordonnance étant considéré comme un outrage au tribunal, il peut entraîner des sanctions à l’endroit des contrevenants, telles qu’une pénalité pécuniaire ou encore la confiscation de leur passeport jusqu’au retour de la victime en sol britannique.

Durant la première année suivant son entrée en vigueur, 500 ordonnances de protection civile ont été émises en vertu de cette loi. Cette dernière englobe en fait plusieurs lois existantes relatives aux menaces, à la séquestration et aux contraintes physiques. Concernant l’efficacité de cette loi, selon les avocates rencontrées, la plupart des personnes visées par une ordonnance la respectent, car elles ne souhaitent pas avoir des démêlés avec la justice britannique.

Les juristes engagés auprès des victimes de mariage forcé apprécient la souplesse et la portée élargie de cette loi. Celle-ci permet d’inclure plusieurs éléments dans l’injonction émise, comme le fait d’assurer le transport d’une victime menacée de mariage forcé à l’étranger, du point A au point B, avant une date précise. De plus, cette loi reconnaît l’existence possible de plusieurs agresseurs et de plusieurs victimes, en relation avec un même cas. En effet, il arrive souvent que les menaces en vue d’un mariage forcé visent non seulement la victime directe, mais également sa mère ou ses sœurs, afin de pousser la victime à acquiescer au mariage, comme en témoigne le cas de Saima Afzal rapporté plus haut. Par ailleurs, plusieurs personnes sont parfois à l’origine des pressions exercées. Celles-ci peuvent impliquer non seulement les parents de la victime, mais ses frères, ses oncles, ses cousins ou des membres influents de sa communauté, comme en témoignent les cas de Banaz Mahmod et d’autres. Par conséquent, une ordonnance de protection en vertu de la loi peut inclure plusieurs personnes, victimes ou agresseurs, sans se limiter aux membres de la famille directe. La loi permet aussi à un tiers d’y recourir, s’il estime qu’une personne est menacée de mariage forcé. C’est en ce sens qu’un guide a été produit pour aider les professionnels à s’en servir98. De plus, une aide juridique est offerte aux victimes, afin de rendre la loi plus accessible.

Quoique jugée nécessaire, la loi ne suffit pas à elle seule à assurer la protection des victimes, comme en témoigne le cas du couple Jack et Zena. Les autorités juridiques et policières reconnaissent le rôle essentiel des organismes de la société civile, qui soutiennent concrètement les victimes et s’efforcent de répondre à leurs besoins. Leur rôle est d’autant plus crucial, qu’après une ordonnance de protection émise par la loi, les victimes sont souvent isolées en raison de l’ostracisme exercé par leur entourage.

Selon Me Anne-Marie Hutchinson, avocate et partenaire dans une firme privée basée à Londres, qui traite une cinquantaine de cas de mariages forcés par an, près de 60 % des victimes secourues choisissent de retourner auprès de leurs parents et acceptent parfois de se soumettre au mariage qui leur est imposé, pour ne pas rompre les liens familiaux auxquels elles tiennent malgré tout. Il ne faut pas perdre de vue, que près de la moitié des injonctions émises contre les mariages forcés, au cours des deux dernières années, touchaient des enfants de moins de 17 ans (Tickle, 2012).

Cas de Karima (nom fictif) : un conflit de loyauté

Il s’agit d’une jeune femme de 25 ans, diplômée en droit, née au Royaume-Uni, issue de parents immigrants d’Irak, tous les deux médecins. La jeune femme, dont il faut taire l’identité par mesure de sécurité, a obtenu, en 2011, une ordonnance de protection contre un mariage forcé que ses parents voulaient lui imposer avec un cousin résidant en Irak. Karima (nom fictif) a été battue durant des mois, par ses parents et son grand frère, car elle était tombée amoureuse d’un jeune homme britannique et refusait le mariage envisagé par ses parents. Ayant été séquestrée durant un mois dans la maison familiale, Karima a réussi un jour à s’enfuir, à 4 heures du matin, et a couru se réfugier dans un poste de police. Aujourd’hui, la jeune femme, obligée de vivre sous une fausse identité, se prépare à épouser son amoureux et à émigrer avec lui dans un autre pays, pour échapper au crime d’honneur qui menace le couple.

Il est intéressant de souligner que Karima, qui était bien au fait de la loi de protection contre les mariages forcés, avait longtemps hésité à s’en servir, car elle ne voulait pas faire de tort à sa famille. Dans une déclaration présentée à son avocate, en mars 2012, Karima écrivait :

J’ai été à l’encontre de ma culture et j’ai perdu ma famille à tout jamais. Bien que nous ne nous entendions pas sur plusieurs questions, c’est toujours ma famille, je l’aime et elle me manque beaucoup. (Traduction libre, document polycopié)

Ces propos témoignent du conflit de loyauté souvent vécu par les victimes de VBH. Malgré les bénéfices indéniables de la loi, qui permet de prévenir le mariage forcé, il est difficile de nier les répercussions négatives d’une injonction de protection sur les rapports familiaux. Lorsqu’elles dénoncent les abus subis, les victimes sont rejetées par leurs proches et privées de leur affection, et souvent traitées comme des parias aux yeux de leur communauté. L’ostracisme exercé à l’encontre d’une victime ayant dénoncé les abus liés à l’honneur représente une dure réalité, que toutes ne sont pas prêtes à assumer. On comprend dès lors pourquoi plusieurs hésitent à dénoncer le mariage forcé et les autres formes de violences liées à l’honneur. De plus, l’ostracisme qui prive les victimes de leur réseau familial et social les rend vulnérables à d’autres formes d’abus par la suite.

L’exemple de Karima témoigne du fait que les mariages forcés et les VBH ne sont pas nécessairement liés à un manque d’éducation, d’intégration ou de moyens financiers. Dans ce cas, les parents et la victime sont tous diplômés universitaires, établis au Royaume-Uni depuis plusieurs années et ont une vie professionnelle réussie. Cela signifie que les VBH transcendent les classes sociales et ne sont pas limitées à un statut social particulier.

Finalement, estimant que la loi de protection civile est parfois insuffisante, les autorités britanniques ont annoncé l’adoption prochaine d’une nouvelle loi criminalisant le mariage forcé (Travis, 2012). Ce projet de loi, dont l’adoption est prévue prochainement (fin 2013 ou début 2014), ne fait pas l’unanimité. Certains groupes l’appuient alors que d’autres s’y opposent, craignant ses effets dissuasifs aux yeux des victimes. La nouvelle loi vise à renforcer la protection des personnes menacées de mariage forcé. Elle prévoit entre autres rendre criminelle et passible d’arrestation toute personne ayant violé une ordonnance de protection civile contre le mariage forcé, mais serait offerte en option, laissant à la victime la possibilité d’y recourir ou non99.

6.5 Le volet communautaire

Rappelons qu’antérieurement à l’engagement de l’État en faveur de l’éradication des VBH, plusieurs groupes et organismes de la société civile britannique venaient en aide aux femmes victimes de violences issues des minorités. Compte tenu du nombre important de ressortissants de pays sud-asiatiques, plusieurs associations ont émergé au fil des ans pour répondre aux besoins spécifiques des femmes appartenant à ces communautés. Les autorités britanniques reconnaissent l’expertise et le rôle du secteur communautaire, dont le travail est jugé essentiel et complémentaire aux interventions des institutions.

On estime aujourd’hui qu’il existe au Royaume-Uni près de 200 associations de la société civile, réparties dans diverses régions, engagées dans la lutte contre les mariages forcés et venant en aide aux victimes de VBH. Nous en avons rencontré trois, basées à Londres, que nous présentons brièvement ici, afin de rendre compte de leur rôle primordial. Ces associations ont un statut d’organisme de charité reconnu, ce qui leur permet de recevoir du financement sous forme de dons privés, en plus des fonds publics provenant des gouvernements de divers niveaux (municipal, régional et national) qui les soutiennent.

Iranian and Kurdish Women’s Rights Organisation (IKWRO)

Fondée en 2002, l’IKWRO100 est la plus jeune des trois organisations rencontrées. Son objectif principal est d’aider les victimes de violences basées sur l’honneur. Ayant débuté de façon bénévole, l’IKWRO a connu une croissance très rapide et regroupe à présent une équipe de quatorze employées. L’organisme bénéficie de l’appui de nombreux bénéficiaires, y compris le Home Office.

Contrairement aux deux autres organisations plus anciennes, qui desservent surtout des communautés sud-asiatiques, l’IKWRO joint dans leur langue des femmes et des filles issues des communautés iranienne, kurde, turque, afghane, irakienne, ainsi que d’autres pays du MoyenOrient. Dès sa création, l’IKWRO a joué un rôle de pionnier en s’attaquant aux tabous entourant les crimes d’honneur, notamment avec les campagnes lancées autour des meurtres de Heshu Yunes et de Banaz Mahmod, ce qui a contribué à lui conférer une notoriété publique.

Sa fondatrice et directrice, Diana Nammi, rapporte qu’au début, elle a dû faire face à l’hostilité de certains membres de sa propre communauté l’accusant de les déshonorer en exposant les crimes d’honneur aux yeux du public. Certains, dit-elle, craignaient que le fait de dénoncer les crimes d’honneur n’encourage le racisme à leur égard. Diana Nammi a été elle-même menacée à quelques reprises et accusée de traîtrise par des extrémistes voulant préserver à tout prix leur image publique. Certains, affirme-t-elle, estimaient que les femmes tuées méritaient leur sort, car elles donnaient le mauvais exemple à d’autres femmes de leur communauté qui risqueraient de vouloir les imiter. Un autre défi rencontré, ajoute-t-elle, était le fait que certains organismes venant en aide aux victimes de violences soutenaient qu’il ne fallait pas traiter de façon distincte les crimes d’honneur, mais les considérer comme une forme de violence domestique.

À tous ses détracteurs, Mme Nammi réplique avec aplomb, premièrement, que c’est le fait de tuer des femmes qui est déshonorant et non le fait de défendre leurs droits. Deuxièmement, que c’est le refus de distinguer les crimes d’honneur des autres formes de violence domestique qui met la vie des femmes en danger, car cela conduit à ignorer les risques et les besoins de protection des femmes vulnérables à ce type de violences.

Grâce à l’attention médiatique et à une reconnaissance publique accrue, l’IKWRO a acquis une crédibilité aux yeux des femmes des communautés concernées, qui font de plus en plus appel à ses services, affirme sa directrice. En 2009, l’IKWRO a répondu à 1 700 appels de personnes menacées de violence, dont 500 nécessitaient une aide intensive. L’organisme n’offre pas de refuge, mais dirige les cas urgents vers la police et vers d’autres refuges.

L’action de l’IKWRO se situe sur plusieurs plans. Outre le soutien direct aux victimes, l’organisme mène des activités de plaidoyer, de sensibilisation, de formation et de réseautage international, lequel contribue à son rayonnement qui dépasse les frontières. Par son travail intensif au chapitre du plaidoyer, l’IKWRO a contribué à modifier les politiques publiques en faveur des victimes de violences basées sur l’honneur. L’organisation réclame depuis longtemps entre autres la criminalisation des mariages forcés au pays. Elle procure des formations aux professionnels de divers milieux, en plus d’offrir son expertise à la police pour l’évaluation des risques concernant les incidents de VBH. Elle organise aussi des évènements et des campagnes de sensibilisation, telle la campagne internationale Stop honour killings, lancée en 2005. L’IKWRO a reçu divers prix en reconnaissance de sa contribution.

Southall Black Sisters (SBS)

Fondée en 1979, SBS101 est une organisation dont l’objectif principal est la défense des droits des femmes noires et issues des minorités, notamment des pays d’Asie du Sud, d’Afrique et des Caraïbes, qui sont victimes de violence sexiste incluant les mariages forcés. L’équipe de SBS est composée de cinq à six personnes à temps plein, de quatre à temps partiel, ainsi que de plusieurs volontaires.

Œuvrant depuis plus de trente ans et lauréate de plusieurs prix de reconnaissance, SBS a acquis une notoriété publique au début des années 1990, en se portant à la défense de Kiranjit Ahluwalia, une victime de violence conjugale, condamnée par une cour britannique à la prison à vie pour avoir tué son mari, sans égard aux circonstances atténuantes. En lançant une campagne d’appui en faveur de l’accusée102, SBS a réussi à faire porter sa cause en appel et à obtenir sa libération. Cette cause célèbre a reçu l’appui de nombreux organismes et a contribué à sensibiliser l’opinion publique concernant le biais du système juridique à l’encontre des femmes violentées qui en viennent à tuer leur abuseur.

L’organisation SBS a mené plus récemment d’autres activités de plaidoyer remarquées, telles que la campagne intitulée Abolish No Recourse to Public Fund103, qui vise à améliorer le statut précaire des épouses parrainées, victimes de violence domestique, ainsi que la campagne autour du cas de Nosheen Azam104. Cette dernière est une survivante d’une tentative de suicide par le feu qui l’a laissée dans un état végétatif, tentative liée à la maltraitance subie par la victime aux mains de sa belle-famille. Selon l’estimation du Home Office, une dizaine de femmes sont poussées au suicide chaque semaine au pays, après avoir subi des abus au sein de leur famille. Présentement, rien dans la loi ne permet de poursuivre les abuseurs qui poussent leur victime au suicide. Ces dernières n’osant pas dénoncer les abus subis, leurs abuseurs jouissent d’une impunité totale après le suicide de la victime. Avec la campagne lancée en mars 2012, autour du cas de Nosheen Azam, SBS réclame une loi spéciale permettant de tenir criminellement responsable toute personne qui en a poussé une autre au suicide, en usant de harcèlement ou de violence à son égard. Une telle loi engloberait d’autres situations, telles que des jeunes usant d’intimidation cybernétique, ou d’autres formes de harcèlement qui conduisent une autre personne au suicide. Étant donné la portée d’une telle loi, cette revendication ne fait pas l’unanimité parmi les groupes concernés par les violences domestiques ou autres.

En ce qui concerne les mariages forcés, contrairement à l’IKWRO, SBS s’oppose fermement à la criminalisation par crainte de décourager les victimes de porter plainte. Comme on peut le constater, il existe des divergences de position entre les organismes concernés par cette problématique, ce qui reflète la complexité des situations et des effets pervers associés à toute mesure coercitive.

SBS offre une panoplie de services aux femmes victimes de violence, tels une ligne d’aide téléphonique, l’accompagnement et des conseils juridiques. SBS répond à environ 3 500 demandes d’aide par année, dont près de 20 % touchent des jeunes filles de moins de 18 ans. La plupart des cas concernent des victimes de violence domestique, d’abus sexuels ou d’abus liés à la dot, ou encore de VBH, y compris les mariages forcés. Plusieurs cas leur sont adressés par d’autres agences et institutions.

SBS offre son expertise à diverses agences gouvernementales (la Forced Marriage Unit, la police et d’autres), notamment en produisant des rapports d’experts pour des cas de crimes d’honneur ou de suicides qu’on soupçonne liés aux abus subis par la victime. SBS donne également des formations, tels des séminaires sur les mariages forcés destinés aux intervenants dans diverses agences. L’organisme intervient aussi dans deux écoles, selon une approche holistique intituée A whole school approach, où sont offertes des sessions de formation aux professeurs, aux parents et aux jeunes en classe.

Les éléments qui suivent sont tirés du séminaire sur les mariages forcés offert par SBS, le 19 mars 2013, auquel nous avons participé. Ils donnent un aperçu des meilleures pratiques et des actions à éviter, qui semblent faire consensus chez les intervenants de divers milieux.

Parmi les meilleures pratiques (To Do)

Parmi les pratiques à éviter (Don’t)

Asha

Fondé en 1984, Asha105, qui signifie « espoir », semble avoir un profil plus modeste que les deux autres organismes. Asha est issu d’une initiative d’un groupe de femmes sud-asiatiques désirant aider d’autres femmes de même origine, victimes de violence domestique, lesquelles ne se sentent pas comprises dans les autres refuges pour femmes, à cause du racisme et des barrières linguistiques, culturelles ou religieuses. Les représentantes de cet organisme estiment donc important que les travailleuses dans les refuges soient de même origine que les victimes, car elles peuvent mieux comprendre leur vécu et leur contexte socioculturel, et ainsi adapter leurs interventions aux réalités de ces femmes.

Asha offre des services de première ligne, y compris des maisons de refuge. L’organisme vient en aide à plus de 500 femmes et jeunes filles annuellement, dont la moitié sont des cas de mariage forcé. Selon les intervenantes, cette proportion élevée de mariages forcés n’est pas représentative, et serait due au fait que d’autres refuges leur adressent souvent de tels cas.

Les services offerts par Asha comprennent un service-conseil, ainsi que trois maisons de refuge ayant une capacité de dix-neuf lits, spécialement destinées aux femmes sud-asiatiques et leurs enfants. L’un des trois refuges est réservé aux jeunes filles, âgées de 16 à 25 ans, menacées de mariage forcé. Dans le cas de mineures, l’organisme avertit simplement les parents que leur fille se trouve en sécurité, sans donner d’autres détails. Asha a pour politique d’assurer la confidentialité des clientes et de ne jamais tenter de médiation avec leurs parents, afin de préserver la relation de confiance avec les victimes.

Asha privilégie les services personnalisés. Ainsi, lorsqu’une femme arrive au refuge, on lui assigne une intervenante qui la suivra durant tout son séjour, de façon à créer un lien de confiance. Une intervenante rapporte que les femmes arrivent au refuge pour diverses raisons et ce n’est qu’après quelque temps, notamment après avoir échangé avec d’autres femmes sur leur situation, qu’elles réalisent qu’elles ont été victimes de VBH.

Les visites de la part des membres de la famille posent un défi de taille aux refuges, car les abuseurs peuvent être d’autres femmes, telles que la mère, la sœur, la tante ou la belle-mère d’une victime. Chaque visite est donc potentiellement dangereuse. Sans vouloir empêcher les jeunes filles menacées de mariage forcé d’avoir des contacts avec leur famille, les intervenantes tentent de s’assurer que les rencontres familiales se passent dans des conditions sécuritaires, en dehors des refuges dont l’adresse est tenue secrète. Si la jeune fille ne revient pas au refuge dans les 48 heures après une visite familiale, l’organisme avertit la police et la rapporte comme étant disparue. C’est alors à la police d’enquêter et de s’assurer que la jeune fille n’est pas en danger.

Asha offre aux femmes un soutien et un accompagnement au niveau personnel, notamment un soutien sur le plan émotionnel, et au niveau collectif, à travers des séances hebdomadaires incluant des conseils pratiques et de l’information sur les ressources existantes. Les intervenantes sont parfois appelées à jouer un rôle d’intermédiaire entre les femmes et les institutions, concernant l’aspect administratif, tels les contacts avec la police, l’école, les services sociaux, juridiques, de santé, etc.

L’hébergement dans une maison de refuge est considéré comme une mesure temporaire. La durée du séjour varie de six à neuf mois, mais peut être prolongée selon les besoins. Toutefois, les restrictions budgétaires, liées à la récession des dernières années, ont grugé la capacité de l’organisme d’offrir les services nécessaires aux victimes, en réduisant par exemple la durée du séjour. Passée la période de crise qui amène des femmes ou des filles au refuge, les intervenantes les aident à planifier leur vie à long terme, notamment à se trouver un emploi et à se reloger. L’organisme leur offre aussi de demeurer en contact pour des conseils et des suivis à plus long terme, après leur départ du refuge. Des rencontres périodiques sont organisées entre les résidantes des refuges et celles qui en sont sorties. Selon les responsables, ces échanges sont très importants, car ils donnent de l’espoir aux femmes hébergées et permettent aux plus anciennes de se sentir utiles en offrant leur soutien moral à d’autres.

Outre le soutien concret offert dans les refuges, Asha participe à des activités de plaidoyer et offre des formations dans les écoles, auprès des jeunes et des professionnels, pour les sensibiliser aux réalités des mariages forcés et d’autres formes de VBH. Les intervenantes estiment que la question des mariages forcés doit être traitée à l’école, dans le cadre de l’éducation sexuelle, qui devrait couvrir non seulement l’aspect technique et médical concernant la protection contre les maladies transmises sexuellement, comme c’est le cas présentement, mais aborder tout l’aspect relationnel, dans lequel la notion de « consentement » est centrale.

Finalement, le modèle britannique présenté ici n’est sans doute pas parfait, mais il est très inspirant. Il faut espérer que certaines lacunes observées, tel le manque de ressources accordées aux organismes de la société civile, aggravé par les restrictions budgétaires, seront corrigées à l’avenir. Le manque de financement adéquat ne permet pas aux organismes venant en aide aux victimes de VBH de répondre aux besoins croissants, qui résultent d’une amélioration des interventions aux niveaux policier et juridique. Il ne faut pas perdre de vue que le rôle de ces acteurs sociaux est essentiel pour aider les victimes à surmonter les traumatismes liés aux VBH et à reprendre leur vie en main. Par ailleurs, le changement des mentalités à long terme liées à l’honneur patriarcal ne semble pas faire partie des objectifs des divers acteurs. Les organismes de la société civile, trop occupés à répondre aux urgences et aux besoins des victimes, ne sont pas équipés pour remplir ce rôle pourtant essentiel. L’appui de l’État pour développer ce volet paraît donc nécessaire.

Conclusion de la troisième partie

Comme on a pu le constater au chapitre cinq, malgré l’intérêt des initiatives québécoises et canadiennes visant à contrer les violences basées sur l’honneur, celles-ci ne s’inscrivent pas dans une politique et un plan d’action global permettant de renforcer leur impact. De plus, la situation décrite dénote des lacunes importantes sur plusieurs points. Tout d’abord, le manque de formation des intervenants de première ligne, concernant les réalités complexes liées à l’honneur, est largement admis dans tous les milieux. Ensuite, les exemples d’interventions dans les cas de VBH montrent la déconnexion qui existe trop souvent entre les services sociaux, la DPJ et la police, ce qui ne permet pas d’assurer la protection adéquate des victimes.

En outre, les situations rapportées montrent ce que plusieurs femmes des minorités savent déjà, qu’il existe un manque flagrant de ressources d’hébergement et de services adaptés à leurs besoins. Ainsi, les refuges pour femmes s’adressent surtout aux cas de violence conjugale, tandis que les centres jeunesse accueillent en grande partie des jeunes ayant des problèmes associés à la négligence, aux abus sexuels, à la toxicomanie, etc. Ces refuges ne sont pas adaptés aux cas de jeunes victimes d’abus liés à l’honneur, qui ont surtout besoin d’un milieu structuré et de suivis de plus longue durée. Par conséquent, les victimes de VBH n’ont souvent nulle part où aller pour se soustraire aux abus. Finalement, malgré les initiatives intéressantes mais éparses, mises en avant dans divers milieux soucieux de faire face aux réalités des VBH, le besoin de se doter d’une politique et d’un plan d’action national visant à contrer ce phénomène est indéniable.

Pour sa part, le modèle britannique, présenté au chapitre six, montre que la politique et le plan d’action national visant à contrer les violences basées sur l’honneur est avant-gardiste à plusieurs égards. Bien qu’il reste encore beaucoup à faire pour éradiquer les VBH, l’approche adoptée au Royaume-Uni, laquelle mise sur la contribution de plusieurs acteurs sociaux dans la poursuite de cet objectif commun, est des plus prometteuses.

En inscrivant la lutte contre les VBH dans une approche globale et cohérente visant à lutter contre toutes les formes de violence à l’égard des femmes, ce modèle permet d’éviter la stigmatisation des minorités concernées. De plus, en misant sur un système de justice pénale, comportant un ensemble de mesures, notamment la formation des policiers et des intervenants dans divers milieux (scolaire, juridique, sociaux, etc.) visant à les habiliter à identifier les signes liés aux VBH, à évaluer adéquatement les risques afin de protéger les victimes, ainsi que la possibilité d’entreprendre des poursuites à l’encontre de leurs agresseurs, le modèle britannique a tracé la voie d’un modèle novateur dans la lutte contre ce phénomène. En outre, ce modèle présente l’avantage de miser sur des stratégies unifiées, mettant à contribution des acteurs issus de tous les milieux, tant de l’État que de la société civile, créant ainsi une synergie dans la poursuite d’un objectif commun visant la protection des victimes de VBH.

Toutefois, malgré les progrès considérables réalisés au Royaume-Uni dans la lutte contre les VBH, la dimension socioculturelle ne semble pas avoir reçu toute l’attention et les ressources qu’elle mérite. S’il veut demeurer un véritable chef de file dans ce domaine, le Royaume-Uni aurait tout intérêt à développer davantage le volet de la prévention à long terme, car il ne suffit pas de pénaliser les agresseurs et d’offrir les services nécessaires aux victimes pour assurer leur sécurité. Les cas de victimes et de couples obligés de changer d’identité et de vivre comme des fugitifs pour échapper aux VBH témoignent bien des limites de cette approche. Il est essentiel d’agir en amont, en visant le changement des mentalités à long terme concernant la justification morale des violences basées sur l’honneur.

Chapitre 7
Conclusion et pistes d’action

Comme on peut le constater, le phénomène des mariages forcés et d’autres formes de violences basées sur l’honneur est devenu une réalité incontournable, ici comme ailleurs. Certaines personnes optimistes s’imaginent que le problème se résorbera tout seul, avec les nouvelles générations, à mesure que les membres issus des communautés concernées intègreront les valeurs égalitaires. Or, comme le souligne avec lucidité une travailleuse sociale œuvrant à Londres auprès des victimes de violences basées sur l’honneur (VBH), le changement souhaité ne se fera pas tout seul.

À moins de nous unir pour prendre une position honnête et forte, intelligente et ouverte sur cette question maintenant, vous êtes susceptibles de voir un retour en force du traditionalisme à travers les jeunes, en particulier les jeunes hommes, comme moyen de défense contre les valeurs occidentales qui les menacent ainsi que leur position traditionnelle106. (Traduction libre, Shamshad Hussain citée dans Burke, 2000)

7.1 Les obligations internationales du Canada

En vertu des conventions internationales dont le Canada est signataire, lesquelles engagent également le Québec, les États ont la responsabilité de protéger les personnes vulnérables aux violences basées sur l’honneur et d’assurer le respect de leurs droits.

L’article 5 a) de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) incite les États signataires à

Modifier les schémas et modèles de comportement socioculturel de l’homme et de la femme en vue de parvenir à l’élimination des préjugés et des pratiques coutumières, ou de tout autre type, qui sont fondés sur l’idée de l’infériorité ou de la supériorité de l’un ou l’autre sexe ou d’un rôle stéréotypé des hommes et des femmes…

L’article 4 de la Déclaration des Nations Unies sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes107, stipule que :

Les États devraient condamner la violence à l’égard des femmes et ne pas invoquer de considérations de coutume, de tradition ou de religion pour se soustraire à l’obligation de l’éliminer. Les États devraient mettre en œuvre sans retard, par tous les moyens appropriés, une politique visant à éliminer la violence à l’égard des femmes et, à cet effet :

(…)

d) Prévoir dans la législation nationale pénale, civile, du travail ou administrative les sanctions voulues pour punir et réparer les torts causés aux femmes soumises à la violence; les femmes victimes d’actes de violence devraient avoir accès à l’appareil judiciaire et la législation nationale devrait prévoir des réparations justes et efficaces du dommage subi; les États devraient en outre informer les femmes de leur droit à obtenir réparation par le biais de ces mécanismes;

e) Examiner la possibilité d’élaborer des plans d’action nationaux visant à promouvoir la protection de la femme contre toute forme de violence, ou d’inclure des dispositions à cet effet dans les plans existants, en tenant compte, le cas échéant, de la coopération que sont en mesure d’apporter les organisations non gouvernementales, notamment celles qu’intéresse plus particulièrement la question;

f) Élaborer des stratégies de prévention et toutes mesures de caractère juridique, politique, administratif et culturel propres à favoriser la protection des femmes contre la violence et à garantir que les femmes ne se verront pas infliger un surcroît de violence du fait de lois, de modes de répression ou d’interventions d’un autre ordre ne prenant pas en considération les caractéristiques propres à chaque sexe; (…)

Par ailleurs, une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies, adoptée en 2002, concernant spécifiquement les crimes d’honneur, considère que « ces crimes sont incompatibles avec toutes les valeurs religieuses et culturelles », précisant que :

Les crimes d’honneur commis contre les femmes relèvent des droits de la personne et que les États sont tenus d’agir avec la diligence voulue pour prévenir de tels crimes, enquêter à leur sujet et en punir les auteurs, ainsi que d’offrir une protection aux victimes, et que le fait de manquer à cette obligation constitue une violation des droits de la personne et des libertés fondamentales, ainsi qu’une restriction ou un obstacle à la jouissance de ces droits et libertés108.

Quant au mariage forcé, il est condamné dans diverses conventions et déclarations internationales, y compris la Déclaration universelle des droits de l’homme (article 16.2), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (article 23.3), la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (article 16), ainsi que la Convention sur le consentement au mariage, l’âge minimum du mariage et l’enregistrement des mariages. Bien que le Canada ne soit pas signataire de cette dernière convention, le gouvernement fédéral reconnaît que le mariage forcé est interdit en vertu du droit international109.

L’inexistence d’une politique canadienne ou québécoise visant à lutter contre les VBH, conjuguée au manque de formation des intervenantes et intervenants, et à l’absence d’outils et de stratégies permettant de faire face à cette réalité est de plus en plus admise. Si rien n’est fait pour corriger ces lacunes, les mariages forcés et d’autres formes de VBH continueront à prendre de l’ampleur jusqu’à devenir endémiques. Outre les coûts humains que cela entraînerait, le prix à payer sera plus grand demain pour redresser cette situation qu’il faudra inévitablement affronter.

7.2 Quelques stratégies et balises éthiques

Avant de présenter nos recommandations, il convient de préciser quelques balises éthiques qui devraient orienter les stratégies et les pistes d’action à mettre en œuvre.

Premièrement, il est nécessaire de nommer le phénomène qu’on veut combattre, sans quoi on ne peut comprendre cette réalité ni agir efficacement sur elle. Pour éviter la stigmatisation des communautés concernées, il est nécessaire d’adopter une position à la fois féministe et antiraciste.

Deuxièmement, il faudrait miser sur la formation des intervenantes et intervenants de première ligne aux réalités des VBH. Il est clair que la formation interculturelle offerte présentement pour tenir compte des sensibilités culturelles est insuffisante, comme en témoignent l’affaire Shafia et d’autres drames évitables.

Troisièmement, compte tenu des caractéristiques propres aux VBH, lesquelles sont justifiées moralement au nom de la culture et des traditions, il est essentiel d’agir en amont, afin de favoriser les remises en question qui s’imposent concernant le concept patriarcal de l’honneur au sein des communautés concernées.

Finalement, toute initiative de l’État devrait miser sur le partenariat avec les communautés concernées et la participation active des membres des minorités, qu’il faut considérer dorénavant comme faisant partie des solutions et non seulement du problème.

Plus globalement, au-delà de ces initiatives ciblées, il ne faut pas perdre de vue que les changements de mentalités passent également par l’accès au travail et l’intégration des minorités à la société d’accueil.

7.3 Recommandations et pistes d’action

Il est urgent d’agir pour contrer les violences basées sur l’honneur. Pour commencer, il faut reconnaître que la protection des personnes vulnérables aux violences basées sur l’honneur est plus importante que le désir de certaines personnes d’éluder la question pour éviter la stigmatisation ou le désir de préserver certaines coutumes culturelles patriarcales, qui portent atteinte aux droits et aux libertés des femmes et des jeunes.

7.3.1 Le volet politique et institutionnel

Rappelons que le Québec s’est doté d’une politique d’intervention en matière de violence conjugale111, remise à jour dans le plan d’action 2012-2017112. Cette politique est le résultat du travail d’un comité regroupant plusieurs ministères113, s’appuyant sur une vaste consultation auprès des associations de femmes et de groupes communautaires. Cet exemple de collaboration multisectorielle devrait servir de modèle pour l’élaboration d’une politique et d’un plan d’action adaptés aux réalités des violences basées sur l’honneur, jusqu’ici ignorées.

Le Conseil recommande donc :
1. Que la ministre responsable de la condition féminine mandate le Secrétariat à la condition féminine pour l’élaboration d’une politique nationale de lutte contre les violences basées sur l’honneur, en consultant les ministères, les groupes de femmes et les organismes communautaires concernés.

Concernant la formation des intervenantes et intervenants sociaux

Les crimes d’honneur commis ces dernières années ont révélé des lacunes importantes au chapitre de la formation des intervenantes et intervenants sociaux dans divers milieux concernant les réalités des violences basées sur l’honneur. La formation psychosociale offerte présentement, axée sur la diversité culturelle, comporte des limites sérieuses car elle ne permet pas de saisir toute la gravité des situations liées à ce type de violences. De fait, une formation sur la diversité culturelle ne peut remplacer une formation spécifique sur les violences basées sur l’honneur, car les deux poursuivent des objectifs différents. La première favorise une meilleure compréhension et une attitude d’ouverture respectueuse à l’égard des minorités culturelles, tandis que la seconde vise à apprendre à reconnaître les signes de violences basées sur l’honneur, afin d’assurer la protection des victimes et de prévenir l’escalade pouvant mener jusqu’au meurtre. Or les intervenantes et intervenants de première ligne doivent à la fois faire preuve de sensibilité aux différences culturelles et être en mesure d’évaluer adéquatement les risques accrus dans les cas de violences basées sur l’honneur.

Afin d’outiller adéquatement les personnes qui interviennent auprès des victimes de violences liées à l’honneur et d’assurer la mise en œuvre sur le terrain d’une nouvelle politique nationale, le Conseil recommande :

2. Qu’un plan d’action comprenne les mesures suivantes :

  1. La formation de tous les intervenants sociaux appelés à interagir avec des personnes qui risquent de subir des violences basées sur l’honneur – y compris les mariages forcés et les mutilations génitales féminines – qu’il s’agisse des professionnels de la DPJ ou des milieux policier, juridique, scolaire ou médical;

  2. L’élaboration d’outils visant à permettre aux intervenants de dépister les signes de violences basées sur l’honneur et d’évaluer adéquatement les risques pour la victime principale et les autres personnes vulnérables de son entourage;

  3. L’information des femmes issues des minorités touchées par les violences basées sur l’honneur concernant leurs droits et les ressources disponibles pour les aider;

  4. Le financement accru des organismes venant en aide aux femmes aux prises avec des violences basées sur l’honneur afin qu’elles puissent bénéficier d’un suivi, d’un accompagnement prolongé et d’un hébergement adapté;

  5. L’élaboration d’actions visant en particulier les jeunes, comme la publication d’un guide sur la prévention des crimes d’honneur ou sur les droits de la personne et de la jeunesse au Canada.

Concernant les mutilations génitales féminines (MGF)

L’approche actuelle axée sur la « réduction des méfaits », adoptée dans le milieu médical, qui consiste à offrir des services mieux adaptés aux besoins des femmes excisées, ne suffit pas à contrer la pratique des mutilations génitales féminines en vue de son éradication à long terme. Il faut aussi dénoncer ces pratiques pour que la prochaine génération de filles soit épargnée. Ainsi, le Conseil recommande :

3. Que le ministère de la Santé et des Services sociaux revoie sa stratégie afin de lutter contre la pratique des mutilations génitales féminines et s’assure que :

  1. Les professionnels de la santé informent les femmes excisées qui accouchent, ou qui les consultent pendant leur grossesse, sur le fait que les mutilations génitales féminines sont une pratique dangereuse pour la santé et que si elles soumettaient leurs propres filles à cette pratique, il s’agirait d’un acte illégal;

  2. Une campagne de sensibilisation sur les mutilations génitales féminines informe les communautés concernées de l’illégalité et des conséquences négatives liées à cette pratique.

Concernant le mariage frauduleux ou abusif associé au parrainage de conjoints

Compte tenu de la fréquence des mariages arrangés et parfois forcés dans certaines communautés, lesquels sont parfois associés aux violences basées sur l’honneur et impliquent souvent le parrainage de conjoints issus du pays d’origine, certaines mesures s’imposent pour protéger les femmes contre les mariages frauduleux ou abusifs.

Rappelons tout d’abord que la pratique du parrainage d’un conjoint n’a rien de répréhensible en soi. Dans la majorité des cas, il s’agit de couples de bonne foi, désireux de fonder un foyer avec une personne de même origine. Toutefois, les risques liés au mariage frauduleux ou abusif, entre conjoints qui se connaissent à peine, ne peuvent être niés. En témoignent les cas de plus en plus fréquents de femmes aux prises avec des abus associés au parrainage de conjoints, surtout motivés par l’immigration (voir section 3.5.2). Il en est ainsi des cas de femmes abandonnées par leur conjoint parrainé, une fois qu’il a obtenu ses papiers, ou des cas de conjointes parrainées victimes de violence conjugale et menacées de renvoi dans leur pays d’origine si elles dénoncent les abus. Il faut bien reconnaître que les femmes, parrainées ou répondantes, sont souvent plus vulnérables que d’autres. Aucune mesure unique – telle l’adoption récente d’une période de résidence permanente conditionnelle de deux ans pour certains conjoints parrainés – ne peut répondre adéquatement à toutes les situations. Cela signifie que toute politique en la matière doit être appliquée avec flexibilité et discernement, en priorisant la protection des personnes les plus vulnérables ainsi que l’intérêt des enfants. À cet égard, le Conseil recommande :

4. Que le ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles mette en place des mécanismes flexibles visant à protéger les femmes en situation de parrainage entre conjoints et visant à les informer de leurs droits et des recours possibles en cas de fraude ou de violence. Qu’un accompagnement personnalisé des femmes parrainées soit prévu jusqu’à l’obtention de leur citoyenneté, afin d’assurer leur sécurité et le respect de leurs droits.

7.3.2 Le volet juridique

Le crime d’honneur n’est pas une notion distincte dans le droit pénal canadien. Il n’y a pas de raison objective de créer une nouvelle catégorie de crimes à cet effet, compte tenu de ce que les auteurs de tels crimes ne bénéficient d’aucune clémence dans le système juridique canadien. Selon une étude récente, la peine maximale a été imposée dans 78 % des cas de crimes d’honneur commis au Canada (Robert, 2012). Néanmoins, il y a lieu de se doter d’un outil juridique visant à contrer la pratique croissante du mariage forcé, corroborée par certaines études et des témoignages (Radio-Canada, 2012b, 2013).

Concernant le mariage forcé

L’expérience nous montre que les personnes menacées de mariage forcé hésitent souvent à dénoncer leurs abuseurs, surtout s’il s’agit de très jeunes filles (quelques fois de garçons), par crainte d’envoyer leurs parents en prison. La loi civile adoptée en Grande-Bretagne, le Forced Marriage (Civil Protection) Act, représente un modèle déjà éprouvé depuis son entrée en vigueur en 2008. Le Conseil du statut de la femme recommande donc :

5. En s’inspirant du modèle britannique, que le ministère de la Justice examine nos lois afin de s’assurer que les enfants et les adultes menacés de mariage forcé soient tout aussi bien protégés par notre législation et, au besoin, qu’il demande au gouvernement fédéral de modifier sa propre législation dans la poursuite du même objectif.

Concernant le cadre d’intervention de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) Le cas des jeunes filles Shafia et d’autres dossiers liés à l’honneur ayant nécessité l’intervention de la DPJ révèlent des lacunes en ce qui a trait au cadre d’intervention délimité par la Loi sur la protection de la jeunesse. De fait, les critères d’évaluation des risques ainsi que le cadre d’intervention ne tiennent pas compte des risques accrus liés à l’honneur. De plus, il est primordial d’assurer les suivis à plus long terme des personnes menacées de mariage forcé ou d’autres formes de violences justifiées par l’honneur pour assurer leur sécurité. Pour le Conseil, il importe :

6. Que le ministère de la Justice et le ministère de la Santé et des Services sociaux révisent la Loi sur la protection de la jeunesse, ainsi que les critères d’évaluation et d’intervention de la DPJ, en tenant compte des risques particuliers liés aux violences basées sur l’honneur, afin d’assurer la protection des jeunes les plus vulnérables à ce type de violences.

7.3.3 Le volet social
Agir en amont pour changer les mentalités

Il ne suffit pas d’améliorer les interventions et les ressources pour venir en aide aux victimes de violences basées sur l’honneur, il faut également déployer des efforts pour faire cesser les abus moralement justifiés par l’honneur. Le changement des mentalités est un processus à long terme qui repose sur l’éducation soutenue. Les mieux placés pour en parler sont les membres issus des communautés concernées. Le Conseil recommande :

7. Que le Secrétariat à la condition féminine, en collaboration avec le ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles, coordonne la mise en œuvre d’une stratégie de sensibilisation visant une remise en question critique du concept patriarcal de l’honneur au sein des communautés concernées et à promouvoir activement l’égalité entre les femmes et les hommes.

Annexe I – Profil des femmes immigrantes interviewées

Tableau qui montre le profil des femmes immigrantes interviewées avec les colonnes numéro, âge, état civil, nombre d'enfants, année d'arrivée, pays natal, identité religieuse, statut, plus haut diplôme obtenu et occupation.

No

Âge

État civil

Nombre d’enfants

Année d’arrivée

Pays natal

Identité religieuse

Statut

Plus haut diplôme obtenu

Occupation

1

35

Mariée

2

2002

Maroc

Musulmane

Citoyenne canadienne

Maîtrise

Femme au foyer

2

34

Mariée

1

2006

Tunisie

Musulmane

Citoyenne canadienne

Maîtrise

Travailleuse autonome

3

31

Mariée

2

2003

Sénégal

Musulmane

Résidente permanente

Baccalauréat

Travailleuse autonome

4

28

Séparée

2

1995

Bangladesh

Musulmane

Citoyenne canadienne

DEC

Femme au foyer

5

39

Mariée

3

2003

Tunisie

Musulmane

Citoyenne canadienne

DEC

Éducatrice

6

24

Mariée

0

1996

Bangladesh

Musulmane

Citoyenne canadienne

DES

Serveuse

7

26

Célibataire

0

2010

Togo

Catholique

Résidente permanente (en attente)

Certificat universitaire

En recherche d’emploi

8

33

Séparée

3

2003

Sri Lanka

Hindoue

Résidente permanente

DEC

Femme au foyer

9

38

Mariée

2

2000

Pakistan

Musulmane

Citoyenne canadienne

Maîtrise

Organisatrice communautaire

10

51

Mariée

3

2006

Pakistan

Musulmane

Citoyenne canadienne

Maîtrise en psychologie

Secteur communautaire

11

32

Veuve

2

2010

Cameroun

Catholique

Résidente permanente (en attente)

Licence

Aide familiale résidente

12

19

Célibataire

0

Née ici

Canada (parents égyptiens)

Athée

Citoyenne canadienne

DEC

Étudiante en psychologie

13

24

Fiancée

0

1998

Afghanistan

Athée

Citoyenne canadienne

DEC

Étudiante

14

43

Mariée

0

2008

Philippines

Catholique

Résidente permanente (en attente)

DEC

Aide familiale résidente

Annexe II – Guide de discussion1*

  1. Groupe 1 : Femmes immigrantes interviewées

    Thème No 1 : Signification de l'honneur

    Questions d’ouverture

    Qu’est-ce que l’honneur veut dire pour vous? Pour votre famille? Pour votre communauté? Qu’est-ce que le déshonneur veut dire pour vous? Pour votre famille? Pour votre communauté?

    Questions de transition

    Est-ce que l’honneur voulait dire autrefois quelque chose et ne veut plus dire la même aujourd’hui? Est-ce que son sens est resté le même pour vous?

    Dans votre famille, lorsque vous étiez enfant, qu’est-ce que les adultes disaient ou racontaient lorsqu’ils parlaient d’honneur?

    À quelle image ou situation avez-vous associé l’honneur lorsque vous étiez enfants et aujourd’hui à l’âge adulte?

    Questions clés

    Selon vous, est-ce qu’il y a des facteurs qui influencent la signification donnée à l’honneur? Si oui, pourriez-vous me donner quelques exemples?

    Selon vous, dans votre pays d’origine, les gens vivant dans les villes et ceux vivant dans les campagnes donnent-ils une signification similaire ou différente à l’honneur?

    Selon vous, vos compatriotes vivant ici et ceux vivant dans votre pays d’origine donnent-ils une signification similaire ou différente à l’honneur?

    Selon vous, vos parents donnent-ils une signification similaire ou différente à l’honneur comparativement à vous?

    Selon vous, le sens et l’importance accordés à l’honneur peuvent-ils différer en fonction de la religion et du groupe ethnique auxquels s’identifient les personnes ? Si oui, pourriez-vous mieux me l’expliquer avec quelques exemples à l’appui?

    Question de fermeture
    Nous allons maintenant passer à un autre thème mais avant, j’aimerais savoir si vous souhaiteriez ajouter quelque chose.

    Question de résumé
    Donc, si nous résumons ce qui a été dit concernant le sens général de l’honneur, c’est…

    Thème No 2: Agents de socialisation de l'honneur

    La prochaine série de questions concerne l’importance de l’honneur aux yeux de votre famille et de votre communauté. Les questions porteront sur le rôle de différentes structures dans la transmission de l’honneur dans la vie des enfants.

    Question d’ouverture
    À travers quelles structures (l’école, les amis, la famille, la religion et la communauté) les enfants apprennent-ils l’importance de l’honneur dans leur vie?

    Question d’introduction
    Parmi les structures énumérées, lesquelles considèrent l’honneur comme une valeur plus importante?

    Questions de transition
    De quelles manières l’honneur est-il transmis aux enfants dans la société?

    Pouvez-vous me dire comment l’école, la famille, la religion et la communauté apprennent l’honneur aux enfants?

    Questions concernant les garçons
    Selon vous, comment les jeunes garçons doivent-ils se comporter pour montrer qu’ils respectent l’honneur de leur famille et de leur communauté?

    Qu’est-ce qu’on dira d’un garçon s’il se comporte conformément aux attentes de sa famille et de sa communauté?

    Qu’est-ce qu’on dira d’un garçon s’il ne se comporte pas conformément aux attentes de sa famille et de sa communauté?

    Quels comportements doivent éviter les garçons pour ne pas déshonorer leur famille?

    Questions concernant les filles
    Selon vous, comment les jeunes filles doivent-elles se comporter pour montrer qu’elles respectent l’honneur de leur famille et de leur communauté?

    Qu’est-ce qu’on dira d’une jeune fille si elle se comporte conformément aux attentes de sa famille et de sa communauté?

    Qu’est-ce qu’on dira d’une jeune fille si elle ne se comporte pas conformément aux attentes de sa famille et de sa communauté?

    Quels comportements doivent éviter les jeunes filles pour ne pas déshonorer leur famille?

    Question de fermeture
    Nous allons maintenant passer à un autre thème mais avant, j’aimerais savoir si vous souhaiteriez ajouter quelque chose.

    Question de résumé
    Donc, si nous résumons ce qui a été dit concernant la façon dont les structures sociales transmettent l’honneur aux enfants, c’est...

    Thème No 3: Les pratiques éducatives parentales

    La prochaine série de questions concerne les façons dont vous inculquez l’honneur à vos enfants, autrement dit la manière dont vous les éduquez.

    Question d’ouverture
    L’honneur joue-t-il au sein des familles de votre communauté un rôle important dans l’éducation des enfants? Si oui, donnez-nous des exemples. Si non, pouvez-vous en expliquer les raisons?

    Question d’introduction
    L’honneur joue-t-il au sein de votre famille un rôle important dans l’éducation de vos enfants? Si oui, donnez-nous des exemples. Si non, pouvez-vous en expliquer les raisons?

    Question de transition
    Est-ce que parmi les membres de votre famille, il y en a qui doivent particulièrement faire attention pour ne pas nuire à l’honneur familial? Si oui, pouvez-vous nous donner plus d’explications?

    Questions concernant les garçons
    Avez-vous des attentes par rapport à votre garçon quant au respect de l’honneur familial? Si oui, pouvez-vous nous dire quelles sont ces attentes?

    Qu’est-ce que vous exigez de votre garçon (ce qu’il doit faire, ce qu’il doit dire et envers qui) pour vous montrer qu’il a intégré le sens de l’honneur dans ses comportements?

    Lorsque votre garçon se comporte conformément à vos exigences en ce qui a trait à l’honneur, que lui dites-vous? Que faites-vous? Est-ce que vous le récompensez? Si oui, comment?

    S’il arrive que votre garçon ne se comporte pas comme vous le désirez en ce qui a trait à l’honneur, que faites-vous? Que lui dites-vous? Est-ce que vous le punissez? Si oui, comment?

    Questions concernant les filles
    Avez-vous des attentes par rapport à votre fille quant au respect de l’honneur familial? Si oui, pouvez-vous nous dire quelles sont ces attentes?

    Qu’est-ce que vous exigez de votre fille (ce qu’elle doit faire, ce qu’elle doit dire et envers qui) pour vous montrer qu’elle a intégré l’importance de l’honneur dans ses comportements?

    Lorsque votre fille se comporte conformément à vos exigences en ce qui a trait à l’honneur, que lui dites-vous? Que faites-vous? Est-ce que vous la récompensez? Si oui, comment?

    S’il arrive que votre fille ne se comporte pas comme vous le désirez en ce qui a trait à l’honneur, que faites-vous? Que lui dites-vous? Est-ce que vous la punissez? Si oui, comment?

    Avez-vous les mêmes attentes envers vos filles et vos garçons pour la pratique de la religion, le mariage, le respect des règles familiales, d’un code vestimentaire, le partage des tâches domestiques, les sorties nocturnes… Si oui, pourquoi? Si non, pourquoi?

    Le fait de vivre au Québec vous a-t-il amenée à revoir les règles de conduite que doivent respecter vos enfants? Si oui, pourquoi? Si non, pourquoi?

    En quoi le fait de vivre au Québec facilite-t-il ou rend-il plus difficile l’éducation de vos filles et de vos garçons?

    Question de fermeture
    Nous allons maintenant terminer le thème de l’éducation des enfants mais avant, j’aimerais savoir si vous souhaiteriez ajouter quelque chose.

    Question de résumé
    Donc, si nous résumons ce qui a été dit concernant la façon dont vous élevez vos enfants pour qu’ils intègrent l’honneur dans leurs comportements, cela se résume à…

    Thème No 4: Vie conjugale et familiale

    Êtes-vous mariée présentement? Si non, pourquoi? Si oui, depuis combien de temps? Si mariée : Votre mariage a-t-il eu lieu au Canada ou dans votre pays d’origine?

    Si c’est au Canada, pourquoi? Si au pays d’origine, pourquoi?

    Vos parents ont-ils assisté à votre mariage? Si non pourquoi? Si oui, quelles responsabilités ont-ils assumées (témoins, marraine, parrain…)?

    Avez-vous choisi vous-même votre époux? Si oui pourquoi? Si non pourquoi?

    Comment partagez-vous les tâches domestiques avec votre époux? Exemples : tâches domestiques, éducation des enfants.

    Thème No 5: Implication sociocommunautaire et religieuse

    Maintenant, si vous me le permettez bien, nous allons parler de votre implication dans différentes activités au Québec.

    Implication sociocommunautaire

    Depuis votre arrivée, avez-vous été impliquée dans des activités sociocommunautaires (ex. : membre d’une association, comité de parents, activité bénévole)? Si oui, lesquelles (nature et noms des organismes)? Si non, pourquoi?

    Entretenez-vous des liens avec des femmes québécoises? Si non, pourquoi? Si oui, voulez-vous me parler de la façon dont vous les avez connues et de la nature des activités que vous faites avec ces femmes (partage de repas, activités socioculturelles, jeux de société, sorties en clubs, cinéma, sorties familiales…)?

    Implication religieuse

    Êtes-vous pratiquante? Si oui, fréquentez-vous régulièrement des lieux de culte depuis votre arrivée au Canada? Si non, pourquoi?

    Est-ce que vous fréquentez le lieu de culte à d’autres fins que celui de la prière? Si oui, pourquoi? Si non, pourquoi?

    Est-ce que vous êtes impliquée dans les activités organisées par votre lieu de culte? Si oui, pourquoi et quelle est la nature des activités organisées? Si non, pourquoi?

    Vos enfants suivent-ils un enseignement religieux?

    Sollicitez-vous l’aide et le soutien de votre lieu de culte lorsque vous avez un problème familial ou personnel? Si oui, quelle est la nature des services ou du soutien dont vous bénéficiez?

    Thème No 6: L'honneur et la violence contre les femmes

    Les questions suivantes nous amèneront à explorer s’il existe des liens entre la violence faite aux femmes et l’interprétation de l’honneur par les parents.

    Questions d’ouverture

    Avez-vous été confrontée à des situations de violence depuis que vous êtes au Canada qui ont affecté votre vie et qui vous a amenée à solliciter de l’aide? Si oui, voulez-vous me décrire la nature de ces problèmes et le type d’aide que vous avez reçue?

    Avez-vous été satisfaite du soutien reçu? Si non pourquoi?

    Quels sont les organismes ou ressources qui vont apporter plus d’aide ou de soutien : CLSC, amis, famille, etc.?

    Selon vous, qu’est-ce qui est à améliorer dans le soutien ou le service rendu quant à ce type de violence?

    Question de transition

    Y a-t-il des liens à faire entre l’honneur et les violences contre les femmes? Si oui, pouvez-vous nous donner des exemples où ce lien existe ?

    Questions clés

    Avec ce que vous nous avez dit sur la manière dont vous éduquez votre fille et votre fils en ce qui concerne l’honneur, pensez-vous que cela influence les relations entre les frères et sœurs?

    Pensez-vous que votre éducation amène votre fille et votre fils à prendre des rôles spécifiques dans les relations qu’ils entretiennent? Si oui, comment décririez-vous le rôle pris par votre fille et celui pris par votre fils dans les relations qu’ils ont ensemble?

    À travers l’éducation concernant l’honneur, pensez-vous que votre fille et votre fils apprennent quelque chose de particulier concernant les personnes de l’autre sexe?

    Comment pensez-vous que ce que votre fils et votre fille apprennent aujourd’hui se manifestera dans leurs relations amoureuses une fois qu’ils seront adultes?

    Comment cela se manifestera-t-il, selon vous, dans leurs relations amoureuses avec leur mari (pour votre fille) et leur épouse (pour votre fils)?

    Pensez-vous que l’interprétation donnée à l’honneur peut amener les frères et les pères à être violents envers les sœurs/filles? À commettre un crime d’honneur par exemple?

    Pensez-vous que l’éducation concernant l’honneur amène les sœurs à tolérer la violence qu’elles subissent de la part de leur frère?

    En général, pensez-vous que l’éducation à l’honneur favorise la violence faite par les hommes contre les femmes dans votre communauté?

    Question de fermeture

    Souhaitez-vous aborder d’autres questions que vous jugez importantes que nous n’avons pas évoquées au cours de cet entretien?

    Avez-vous auparavant participé à un entretien de ce type?

    Avant de nous quitter je vais vous poser quelques questions personnelles à des fins statistiques…

  2. Groupes 2 et 3 : Personnes intervenantes et expertes interviewées

    Thème No 1: Présentation de l'organisme et de sa clientèle :

    Voulez-vous bien me présenter votre institution, association, organisme?

    Voulez-vous me présenter les services offerts par votre institution à votre clientèle féminine?

    Quelles sont les caractéristiques de la clientèle féminine qui fréquente votre institution : religion, pays d’origine, etc.?

    Y a-t-il une clientèle dominante? Si oui, quelles sont les caractéristiques de la clientèle dominante fréquentant votre institution?

    Thème No 2: Les services de l'organisme

    Question d’ouverture

    Avez-vous des services spécialement dédiés aux femmes et aux jeunes filles immigrantes? Si oui, voulez-vous me décrire les différents services que vous leur offrez?

    Questions d’introduction

    Est-ce que votre organisme a eu à intervenir dans des cas où des femmes ou des jeunes filles auraient subi des violences? Si oui, pourriez-vous me dire quelles sont les formes de violences les plus courantes que ces femmes et jeunes filles ont vécues?

    Ces violences ont-elles un rapport avec de la violence familiale, de la violence liée à l’honneur ou au crime d’honneur (ex. : mariage forcés, mariages arrangés, excision)? Si oui, comment avez-vous traité ces dossiers?

    Questions clés

    Comment organisez-vous votre intervention lorsque vous recevez des femmes qui font face à ces formes de violences?

    Comment êtes-vous mis au courant des cas de violences qui sont liées à l’honneur et qui sont vécues par les femmes immigrantes?

    Vos interventions sont-elles différentes selon les formes de violences vécues par les femmes? Si oui, pourquoi? Si non, pourquoi?

    Selon vous, y a-t-il des liens à faire entre la valeur accordée à l’honneur dans certaines communautés et la nature des violences vécues par les femmes dans ces communautés? Si oui, pourquoi? Si non, pourquoi?

    Avez-vous reçu davantage de femmes ou de jeunes aux prises avec des cas de violences liées à l’honneur depuis la publication de l’affaire Shafia? Si oui, pourquoi?

    Avez-vous été surpris que l’affaire Shafia soit survenue? Si oui, pourquoi? Si non, pourquoi?

    Questions de transition

    Avez-vous rencontré des cas de violences liées à l’honneur dans le cadre de votre travail ici? Si oui, pourriez-vous me dire la nature de ces violences?

    Les formes de violences rencontrées sont-elles différentes selon l’origine, l’âge ou la religion des femmes et des jeunes filles?

    Quel type de soutien votre organisme apporte-t-il aux femmes et jeunes filles qui se disent victimes de violences liées à l’honneur?

    Comment organisez-vous votre intervention lorsque vous avez connaissance de cas identifiables à ce type de violences au sein d’une famille ou d’une communauté?

    En cas de violence avérée, votre intervention cible-t-elle uniquement les femmes et les jeunes filles ou cible-t-elle l’ensemble des membres de la famille ou de la communauté? Par exemple, les membres de la famille sont-ils rencontrés séparément ou les rencontrez-vous ensemble : femmes et enfants, maris et épouses?

    Pourriez-vous m’expliquer la nature du soutien et des services qui sont offerts aux femmes et jeunes filles qui vous consultent pour des cas de violences liées à l’honneur?

    Avez-vous déjà organisé des activités de prévention et de sensibilisation portant sur les violences liées à l’honneur à l’intention de femmes et de jeunes filles fréquentant votre organisme? Si oui, quels sont les éléments autour desquels étaient structurées vos activités de prévention et de sensibilisation?

    Avez-vous organisé ces activités en collaboration avec d’autres organismes de votre milieu ou avec d’autres partenaires? Si oui, quels sont vos partenaires? Si non, pourquoi?

    Pensez-vous qu’il y a une distinction à faire entre la violence conjugale et les violences liées à l’honneur dont entre autres les crimes d’honneur?

    Thème No 3: Rôle des acteurs dans la prévention des violences liées à l'honneur

    La prochaine série de questions porte sur le rôle que devraient jouer certaines institutions dans la prévention des violences liées à l’honneur.

    Questions d’ouverture

    Selon vous, quel est le rôle que devraient jouer les institutions comme l’école, les services sociaux (DPJ, CLSC, etc.), la police, la famille, les leaders religieux et les leaders sociocommunautaires dans la prévention des violences liées à l’honneur dont peuvent être victimes les femmes et les jeunes filles?

    Comment ces entités devraient-elles s’organiser et collaborer éventuellement afin d’optimiser leur intervention visant à prévenir ce type de violences?

    Votre organisme entretient-il des liens de collaboration avec l’une ou l’autre de ces institutions? Si oui, quelle est la nature de cette collaboration? Autour de quelle problématique est établie cette collaboration? Si non, pourquoi?

    Question d’introduction

    Parmi les structures énumérées, lesquelles selon vous devraient jouer un rôle de leader dans la mobilisation des autres acteurs du milieu pour la prévention de ce type de violences?

    Questions de transition

    Comment voyez-vous votre rôle et celui de votre organisme par rapport à celui de chacune de ces institutions (comme l’école, les services sociaux, la police, la famille, les leaders religieux et les leaders sociocommunautaires) dans la prévention des violences contre les femmes dans notre société?

    Pouvez-vous me dire comment chacune de ces institutions peut aider à faire de la prévention et à assurer la protection des femmes et des enfants?

    Questions concernant le rôle de la DPJ

    Selon vous, la DPJ est-elle bien préparée pour reconnaître et intervenir dans des cas de violences liées à l’honneur dans les familles immigrantes? Si oui, pourquoi? Si non, pourquoi?

    Comment devraient réagir la DPJ et ses intervenants et intervenantes lorsqu’ils ou elles soupçonnent des cas de violences liées à l’honneur au sein de familles immigrantes? Sortir les enfants d’une famille où le père est violent? Traduire les parents fautifs devant la justice? Tenter de les sensibiliser et de les accompagner?

    Selon vous, la DPJ devrait-elle être plus accommodante avec les parents immigrants qui posent des actes de violence envers leurs enfants?

    Pensez-vous que les intervenants et intervenantes de la DPJ interviennent ou agissent différemment avec les familles immigrantes lorsqu’il y a des signalements de cas de violence envers les enfants? Si oui, pourquoi? Si non, pourquoi?

    Questions concernant le rôle de la police

    Quel rôle devrait jouer la police lorsqu’elle fait face à un cas de violence liée à l’honneur?

    La police est-elle bien outillée pour reconnaître et intervenir dans des cas de violences liées à l’honneur dans des familles immigrantes? Si oui, pourquoi? Si non, pourquoi?

    Comment devraient agir les policiers lorsqu’ils sont confrontés à des cas de violences liées à l’honneur impliquant des membres des communautés immigrantes?

    Les policiers devraient-ils agir de la même manière dans des cas de violence domestique et dans des cas de violences liées l’honneur? Si oui, pourquoi? Si non, pourquoi?

    Questions concernant le rôle du milieu scolaire

    Quel rôle devrait jouer l’école dans la prévention des violences liées à l’honneur dans les familles immigrantes?

    L’école est-elle préparée pour identifier chez les élèves les signes annonciateurs de cas de violences liées à l’honneur? Si oui, comment l’école peut-elle intervenir dans les familles immigrantes lorsqu’il y a soupçon de violence? Si non, pourquoi?

    Les directeurs ou directrices d’école sont-ils outillés pour identifier ce type de violences chez leurs élèves? Si oui, comment peuvent-ils intervenir lorsqu’ils soupçonnent des cas de violences liées à l’honneur chez des élèves de leur école?

    Les enseignants et enseignantes sont-ils outillés pour identifier et intervenir face à ce type de violences chez leurs élèves? Si oui, pourquoi? Si non, pourquoi?

    Comment devraient réagir les enseignants et les enseignantes lorsqu’ils sont confrontés à des cas de violences liées à l’honneur impliquant des élèves de leur classe?

    Sont-ils plus conciliants avec les parents immigrants qui posent des actes de violence envers leurs enfants et par conséquent moins enclins à faire des signalements?

    Devraient-ils agir de la même manière avec les parents immigrants comme ils le font avec les parents natifs? Si oui, pourquoi? Si non, pourquoi?

    Questions concernant les organismes sociocommunautaires

    Selon vous, les organismes sociocommunautaires (association nationale, organismes d’intégration, etc.) sont-ils bien préparés pour reconnaître et intervenir dans des cas de violences liées à l’honneur dans les familles immigrantes? Si oui, pourquoi? Si non, pourquoi?

    Comment percevez-vous le type de collaboration à établir entre les organismes sociocommunautaires et les services sociaux, éducatifs, policiers et religieux afin d’identifier et de prévenir ce type de violences dans les familles immigrantes?

    Comment ces organismes peuvent-ils compléter l’intervention des autres acteurs visant à prévenir et éliminer les cas de violences liées à l’honneur au sein des familles immigrantes?

    Questions concernant les milieux religieux

    Selon vous, le milieu religieux (mosquée, temple, église, etc.) est-il préparé pour reconnaître des cas de violences liées à l’honneur dans les familles immigrantes et pour intervenir?

    Comment le travail des leaders religieux peut-il compléter l’intervention des autres acteurs visant à prévenir et à éliminer les cas de violences liées à l’honneur au sein des familles immigrantes?

    Questions concernant l’intervention du gouvernement

    Comment le gouvernement peut-il s’y prendre pour aider les organismes comme le vôtre à mieux lutter contre les violences liées à l’honneur au Québec?

    Quels sont les moyens que vous considérez comme efficaces que le gouvernement devrait prendre pour éliminer ce type de violences au sein de notre société?

    Comment le gouvernement peut-il collaborer avec les organismes d’aide aux femmes immigrantes et avec les organismes d’intégration des personnes immigrantes pour lutter contre les violences liées à l’honneur?

    Sur quelle base devrait reposer cette collaboration?

    Questions concernant les moyens et les solutions

    Avez-vous connaissance de politiques ou d’actions novatrices élaborées par d’autres pays occidentaux qui ont permis de contrer les violences liées aux crimes d’honneur?

    D’après vous, comment les gouvernements et les organismes œuvrant pour l’intégration des femmes et des jeunes filles immigrantes pourraient-ils travailler ensemble afin de déterminer des mesures visant à contrer les violences liées aux crimes d’honneur?

    Y a-t-il des groupes et associations avec lesquels vous jugez que le gouvernement devrait travailler?

    Quels sont les groupes, associations et milieux à cibler afin d’optimiser les interventions auprès des femmes et des jeunes filles exposées aux violences liées aux crimes d’honneur?

    Que pensez-vous de la création de refuges spécifiquement dédiés aux victimes de ce type de violences?

    Questions de fermeture

    Nous sommes presque rendus à la fin de notre entretien mais avant, j’aimerais savoir si vous souhaiteriez ajouter quelque chose.

    Souhaitez-vous par exemple aborder d’autres questions que vous jugez importantes que nous n’avons pas évoquées au cours de cet entretien?

    Avez-vous auparavant participé à un entretien de ce type?

    Avant de nous quitter je vais vous poser quelques questions à des fi de compilations statistiques…

1*. Ce guide de discussion s’inspire de l’outil développé au moment de la préparation d’une thèse de maîtrise en service social présentée à l’Université Laval portant sur les crimes d’honneur au Liban (Paré, 2009).

ANNEXE III – Liste des personnes interviewées ou consultées

Personnes intervenantes interviewées au Québec (n = 11) :

Personnes expertes interviewées au Québec (n = 13) :

Autres personnes consultées au Québec et au Canada :

Personnes consultées au Royaume-Uni :

Définitions

  1. Comme nous le verrons plus loin, il existe une controverse autour de l’usage du terme « crime d’honneur ». À l’instar de nombreux auteurs, nous avons choisi d’utiliser ce terme sans guillemets, plutôt que celui de « crimes dits d’honneur », par souci d’alléger la lecture, étant bien entendu que nous ne cautionnons nullement les justifications des auteurs de tels crimes.

  2. Mahmoud Houzan est le responsable à l’étranger d’une organisation non gouvernementale, l’Organisation pour la liberté des femmes en Irak (Organisation for Women Freedom in Irak [OWFI]). Voir à ce sujet : http://bataillesocialiste.files.wordpress.com/2007/04/conference-sur-les-crimes.pdf (consulté le 5 mars 2013).

  3. Diana Nammi, réfugiée kurde iranienne vivant en Grande Bretagne, est la fondatrice et la directrice de l’Iranian and Kurdish Women’s Rights Organisation (IKWRO) et l’initiatrice de l’International Campaign Against Honour Killings (ICAHK).

  4. Titre d’un documentaire réalisé par Raymonde Provencher, « Ces crimes sans honneur ».

  5. Il s’agit de l’entité des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes. Voir à ce sujet : http://www.unwomen.org/fr (consulté le ).

  6. Source : http://www.endvawnow.org/fr/articles/731-definition-des-crimes-dhonneur-.html ().

  7. Au Royaume-Uni, l’abréviation anglaise HBV (pour Honour Based Violence) est couramment utilisée dans les textes officiels afin de faciliter la lecture. C’est ce que nous ferons aussi parfois, en recourant à l’abréviation française VBH.

  8. Shahrzad Mojab est une professeure d’origine iranienne enseignant au Département de l’Éducation aux adultes de l’Université de Toronto. Elle est intervenue comme experte auprès de la Cour dans des procès liés à des crimes d’honneur au Canada, notamment dans l’affaire Shafia et le cas Sadiqui.

  9. Dre Purna Sen a été directrice de l’unité des Droits humains du Secrétariat du Commonwealth, en Grande-Bretagne jusqu’à 2011, ainsi que directrice de la section Asie-Pacifique d’Amnistie internationale.

  10. Citation originale : “There are lots of girls with broken ribs, broken arms, cuts on their backs, on their heads… Once you have been beaten really badly, then, you don’t have to be beaten again, because the threat is there…” Voir à ce sujet : http://www.reduitnational.com/?p=20482.

  11. Journaliste, activiste politique et écrivain colombien de renommée internationale, Gabriel Garcia Marquez a été le lauréat du prix Nobel de littérature en 1982.

  12. Les hadiths relatent les actes et les dires du Prophète Mohamed et constituent la Tradition (la Sunna) qui doit inspirer le comportement des fidèles.

  13. La charia regroupe un vaste ensemble de normes et de lois, qui varient d’un pays à l’autre, rédigées par des juristes musulmans ayant tenté de codifier les préceptes de l’islam, tout en préservant certaines lois coutumières de leur pays.

  14. Source : http://ledroitcriminel.free.fr/la_legislation_criminelle/anciens_textes/code_penal_1810/code_penal_1810_3.htm (consulté le ).

  15. Voir à ce sujet : http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/07/22/la-norvegienne-condamnee-apres-avoir-ete-violee-a-dubai-a-ete-graciee_3451012_3218.html (consulté le ).

  16. Des exemples de cas sont rapportés dans les sites suivants : http://www.stophonourkillings.com/?q=node/4034 et http://sisyphe.org/spip.php?article3130 (consultés le ).

  17. Les exemples qui suivent sont tirés du site mis en ligne par le réseau international Femmes sous lois musulmanes : http://www.violenceisnotourculture.org (consulté le ).

  18. Voir à ce sujet : www.radio-canada.ca/regions/Ontario/2012/02/04/003-imams-crimes-fatwa-toronto.shtml.

  19. Citation originale : “Honour is the value of a person in his own eyes, but also in the eyes of his society. It is his estimation of his own worth, his claim to pride, but it is also the acknowledgement of that claim, his excellence recognized by society, his right to pride. (…) The right to pride is the right to status (in the popular as well as the anthropological sense of the word), and status is established through the recognition of a certain social identity.”

  20. Religion secrète peu connue résultant d’un syncrétisme mêlant l’islam soufi à d’autres éléments issus du zoroastrisme, ancienne religion autrefois connue en Iran.

  21. Stoning of Du’a Khalil Aswad sur YouTube : www.youtube.com/watch?v=EUJ1wuB3YIU (consulté le ).

  22. Licence to kill, film produit pour la BBC. BBC News, . http://news.bbc.co.uk/2/hi/programmes/correspondent/909948.stm (consulté le ).

  23. Me Hina Jilani est avocate à la Cour Suprême du Pakistan et membre du Conseil des droits de l’homme de l’ONU.

  24. Source : hhttp://libertefemmepalestine.chez-alice.fr/Laver_la_honte.html.

  25. Ruchira Gupta est une militante indienne de renommée internationale, fondatrice de APNE AAP, une ONG qui lutte contre la traite des femmes à des fins d’exploitation sexuelle. Voir à ce sujet : http://apneaap.org/founder/founder-profile/profile-ruchira-gupta.

  26. L’Église catholique exige une dispense du pape pour autoriser le mariage entre cousins germains.

  27. Le texte de la Convention peut être consulté à l’adresse : http://www2.ohchr.org/french/law/mariage.htm.

  28. Madeline Lamboley est doctorante en criminologie, à l’Université de Montréal. Dans le cadre de sa thèse, dont la publication est prévue en 2014, qui porte sur le mariage forcé au Québec, elle a interviewé une douzaine de femmes ayant vécu ou qui sont menacées de vivre un mariage forcé.

  29. Source : Statistique Canada, « Enquête nationale auprès des ménages de 2011 : Immigration, lieu de naissance, citoyenneté, origine ethnique, minorités visibles, langue et religion », dans Le Quotidien, . Voir à ce sujet : http://www.statcan.gc.ca/daily-quotidien/130508/dq130508b-fra.pdf (consulté le ).

  30. Source : Statistique Canada, Figure 2, Région de naissance des immigrants récents du Canada, 1971 à 2006, Série Analyse du Recensement 2006. Voir à ce sujet : http://www12.statcan.ca/census-recensement/2006/as-sa/97-557/figures/c2-fra.cfm (consulté le ).

  31. Source : Tableau 10a, Immigrants admis au Québec selon le pays de naissance, 2007-2011, Ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles, Direction de la recherche et de l’analyse prospective. Voir à ce sujet : http://www.micc.gouv.qc.ca/publications/fr/recherches-statistiques/Immigration-Quebec-2007-2011.pdf (consulté le ).

  32. Source : Statistique Canada, Tableau 1, Les dix pays de naissance en tête de liste pour les immigrants récents, 1981 à 2006. Voir à ce sujet : http://www12.statcan.ca/census-recensement/2006/as-sa/97-557/table/t1-fra.cfm (consulté le ).

  33. Le hidjab (ou voile dit islamique) désigne le vêtement qui recouvre les cheveux ainsi que les oreilles et le cou, laissant le visage à découvert, alors que les termes niquab et burqa désignent le vêtement qui recouvre tout le corps, la tête et le visage, ne laissant qu’une fente ou un grillage pour les yeux.

  34. Le terme sud-asiatique désigne des populations dont l’origine remonte au sous-continent indien, y inclus l’Inde, le Pakistan, le Bangladesh et le Sri Lanka, parfois aussi l’Afghanistan, ainsi que le Népal, le Bhoutan et les Maldives.

  35. Afin d’assurer la confidentialité du cas rapporté, nous avons omis volontairement de mentionner le nom de l’école. Précisons que, contrairement aux autres cas et citations rapportés dans ce chapitre, cet exemple provient d’une entrevue réalisée ultérieurement.

  36. Le sujet de l’hypersexualisation des filles a été traité dans un dossier de la Gazette des femmes (sept.-oct. 2005) et dans un avis du Conseil du statut de la femme ().

  37. Reportage de Dorothée Giroux sur le choc des cultures vécu par certaines familles immigrées, diffusé par Radio-Canada, la première chaîne, le (17 h 37).

  38. Ces demandes ont le plus souvent été agréées au Québec et ailleurs au Canada, afin d’éviter la discrimination conformément à la Charte canadienne et à la Loi sur le multiculturalisme canadien (R.S.C. [1985] ch. 24 [4e suppl.]).

  39. Le plus ancien cas date de 1954 (R. c. Tripoli), le deuxième de 1972 (R. c. Tatlay) et le troisième de 1983 (R. c. Ly).

  40. Voir à ce sujet : www.justiceforjassi.com.

  41. Voir l’émission The Fifth Estate de Radio-Canada traitant du cas de Jassi : http://www.cbc.ca/fifth/murderedbride/video.html.

  42. Bien que l’islam autorise un homme à épouser une non-musulmane, il est interdit pour une musulmane d’épouser un nonmusulman, à moins que celui-ci ne se convertisse à l’islam.

  43. Cette réalité a été analysée dans un autre avis du Conseil du statut de la femme, intitulé La polygamie au regard du droit des femmes, 2010.

  44. Citation originale : “She wants to dishonour me. She is a whore. She is a dirty curse to me. She is a dirty woman. (…) She is a prostitute.”

  45. Citation originale : “There is nothing more valuable than my honour. I am telling you now and I was telling you before that, whoever plays with my honour, my answer is the same…There is no value of life without honour.”

  46. Pour en savoir plus sur la South Asian Legal Clinic of Ontario (SALCO), voir le site : http://www.salc.on.ca.

  47. Le rapport de la 3e conférence tenue en 2013 par ce réseau est accessible sur le site : http://www.socialservicesnetwork.org/Portals/0/Documents/Family%20Violence%20Conference%202013%20-%20Sponsorship%20Package.pdf.

  48. Pour en savoir plus sur cet événement, voir le site : http://www.calendrier.umontreal.ca/?com=detail&eID=219680 (consulté le ).

  49. Pour en savoir plus sur cette fondation, voir le site : http://www.chumirethicsfoundation.ca/main/page.php?page_id=2 (consulté le ).

  50. Pour plus d’information sur cette campagne, voir le site : http://amnistie.ca/site/droitssexuels/index.php.

  51. Voir film documentaire de Raymonde Provencher, Ces crimes sans honneur: http://www.cescrimessanshonneur.com. Voir aussi l’émission télévisée, Enjeux, diffusée par Radio-Canada, le , concernant les mariages forcés.

  52. Les résultats préliminaires de cette étude ont été rapportés par les médias, ainsi que lors d’une conférence tenue le à Montréal. Voir à ce sujet : http://www.radio-canada.ca/regions/ontario/2013/02/23/007-conference-esclavage-toronto.shtml. L’étude est disponible sur le site de la SALCO : http://bit.ly/19NNINA.

  53. Voir le site : http://voyage.gc.ca/assistance/info-d-urgence/mariage-force (consulté le ).

  54. Source : Contact personnel avec un agent consulaire du haut-commissariat du Canada à Londres.

  55. Ce groupe de travail est coprésidé par le ministère de la Justice Canada et Condition féminine Canada, et compte parmi ses membres des représentants de quinze ministères fédéraux.

  56. Ces publications sont accessibles sur le site du ministère de la Justice Canada : http://www.justice.gc.ca/fra/prrp/jp-cj/vf-fv/fa-fe/index.html.

  57. Les détails concernant ce cas sont issus d’un entretien téléphonique privé avec le sergent Watts, effectué le .

  58. Pour en savoir plus sur cette controverse, lire Vissandjée et collab. (2013).

  59. Voir à ce sujet : http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs241/fr (consulté le ).

  60. Parmi les conséquences sur la santé physique, les MGF sont reconnues comme étant sources d’infections récurrentes, d’incontinence urinaire, de complications diverses à l’accouchement, et de risques accrus de fistules et de transmission du VIH, sans parler des conséquences relationnelles entre conjoints. Pour en savoir plus, voir le site de l’OMS : http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs241/en.

  61. Ce groupe était composé entre autres de représentants de Santé Canada, Justice, Citoyenneté et Immigration, ainsi que de Condition féminine Canada.

  62. Les mutilations génitales féminines. Qu’en savez-vous? http://msssa4.msss.gouv.qc.ca/fr/document/publication.nsf/4b1768b3f849519c852568fd0061480d/bb402879a8f25d7e852571400056f029?OpenDocument.

  63. Guide d’intervention auprès des familles d’immigration récente. Naître ici et Venir d’ailleurs. http://publications.msss.gouv.qc.ca/acrobat/f/documentation/2006/06-836-01.pdf.

  64. « Agir au Québec auprès des personnes touchées par les pratiques d’excision et d’infibulation ou à risque de l’être : État de situation et recommandations ». Ce document interne n’est pas accessible électroniquement.

  65. Plan d’action 20102013, Au féminin… À l’écoute de nos besoins.

  66. Plan d’action 2011-2015, Pour que l’égalité de droit devienne une égalité de fait.

  67. Voir à ce sujet : http://www.estheticon.fr/chirurgiens/hymenoplastie/canada/montreal; http://hymenoplastie.ca (consultés le ).

  68. Voir la note du Dr Charles Bernard, en date du : http://blog.cmq.org (consulté le ).

  69. Voir à ce sujet le site : http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?pub=Hansard&doc=212&Language=F&Mode=1&Parl=35&Ses=1#13350.

  70. Voir à ce sujet le site : http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?pub=Hansard&doc=212&Language=F&Mode=1&Parl=35&Ses=1#13352.

  71. Pour en savoir plus sur cet organisme, voir le site : http://shieldofathena.com/fr/(consulté le ).

  72. Pour en savoir plus sur cette conseillère, voir son site : http://www.preventhonorbasedviolence.com/7_contact.html (consulté le ).

  73. Voir l’annonce du livre : http://www.freedompress.ca/Unworthy-Creature.php.

  74. Pour en savoir plus sur les ateliers de formation offerts et sur les autres activités d’Aruna Papp, voir le site : http://www.preventhonorbasedviolence.com/index.html.

  75. Citation originale : “Those who choose independence over cultural obligations are amongst the loneliest in the world. That’s why so many go back to their abuser, thinking I will tolerate the abuse, so I won’t be alone.”

  76. Propos tenu par le ministre O’Brien parlant des mariages forcés, à la bbc radio, émission du , intitulée « 4’s Today ». http://news.bbc.co.uk/2/hi/uk_news/865419.stm (consulté le ). Traduction libre : « La sensibilité envers le multiculturalisme n’est pas une excuse pour l’aveuglement moral. »

  77. Voir à ce sujet : Kurdish and Middle Easter Women’s Organisation (KMEWO) : http://www.kmewo.org/Remember%20Heshu.html.

  78. Karma Nirvana a été créé en 1993 pour lutter spécifiquement contre les violences basées sur l’honneur. Pour en savoir plus sur cet organisme, voir le site : http://www.karmanirvana.org.uk.

  79. Accessible sur: www.homeoffice.gov.uk/publications/crime/call-end-violence-women-girls/vawg-action-plan-2013.

  80. Pour plus d’information sur le Home Office, voir le site : https://www.gov.uk/government/organisations/home-office/about.

  81. Source : Dépliant publié par la Forced Marriage Unit, intitulé What is a forced marriage? Citation originale : “A forced marriage is a marriage where one or both people do not or (in the case of some people with learning or physical disabilities) cannot consent to the marriage and pressure or abuse is used.”

  82. Pour en savoir plus sur l’organisme, voir le site : www.freedomcharity.org.uk.

  83. Voir à ce sujet : http://www.sourcewire.com/news/76658/freedom-charity-launch-forced-marriage-smartphone-app-as-new-government.

  84. Voir à ce sujet : https://www.gov.uk/forced-marriage#forced-marriage-unit et Dealing with forced marriage:https://www.fmelearning.co.uk/login/index.php.

  85. Forced Marriage, a Survivors Handbook : https://www.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/149854/FM_Survivors6.pdf.

  86. Guidance for victims and potential victims of forced marriage and for their friends and families: http://www.ukba.homeoffice.gov.uk/visas-immigration/partners-families/forced-marriage/forcedmarriageunit/victims.

  87. Guidance for Members of Parliament and constituency offices:https://www.gov.uk/forced-marriage#guidance-for-members-of-parliament-and-constituency-offices.

  88. Multi-agency practical guidelines for professionals: https://www.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/35530/forced-marriage-guidelines09.pdf.

  89. Statistiques présentées sur le site : http://www.familylawweek.co.uk/site.aspx?i=ed112192.

  90. Pour en savoir plus sur IMKAAN, qui se définit comme une organisation de féministes noires, vouée à la lutte contre la violence à l’égard des femmes et des filles, voir le site http://imkaan.org.uk.

  91. Pour en savoir plus sur le Women’s Aid Forum, voir le site www.womensaid.org.uk.

  92. Ces films peuvent être visionnés sur YouTube :

  93. Afin de préserver l’identité de la victime, seul le numéro du dossier est indiqué ici : B; RB v FB and MA (2008) EWHC 1436 (Fam), Hogg J., 15 avril 2008.

  94. Numéro de dossier : SB v RB (2008) EWHC 938 (Fam), Sumner J., 23 avril 2008.

  95. Domestic Abuse, Stalking and Harassment and Honour Based Violence (DASH, 2009) Risk Model: http://www.dashriskchecklist.co.uk/index.php?page=dash-2009-model-for-practitioners.

  96. Pour en savoir plus sur la MARAC, voir le site : http://www.richmond.gov.uk/domestic_abuse_multi-agency_risk_assessment_conference.

  97. Voir le texte de loi au : http://www.legislation.gov.uk/ukpga/2007/20/pdfs/ukpga_20070020_en.pdf.

  98. Voir le guide intitulé The Right to Choose au https://www.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/35532/fmu-right-to-choose.pdf.

  99. Voir à ce sujet le site : https://www.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/201068/Fact_sheet_Forced_marriage.pdf (consulté le ).

  100. Pour en savoir plus sur cet organisme, voir le site http://ikwro.org.uk/

  101. Pour en savoir plus sur cet organisme, voir le site : http://www.southallblacksisters.org.uk.

  102. Pour plus de détails, voir le site : http://www.southallblacksisters.org.uk/campaigns/kiranjit-ahluwalia.

  103. Voir à ce sujet : http://www.southallblacksisters.org.uk/campaigns/abolish-no-recourse-to-public-funds.

  104. Voir à ce sujet : http://www.southallblacksisters.org.uk/campaigns/nosheen-azam (consulté le 17 avril 2013).

  105. Pour en savoir plus sur cet organisme, voir le site http://www.ashaprojects.org.uk.

  106. Citation originale : “Unless we all unite to take an honest and strong, intelligent and open stance on this issue now, you are likely to see a backlash of traditionalism by young people, particularly young men, as a defence against Western values that threaten them and their traditional position.”

  107. Résolution 48/104 de l’Assemblée générale du 20 décembre 1993. http://www.unhchr.ch/huridocda/huridoca.nsf/%28Symbol%29/A.RES.48.104.fr (consulté le ).

  108. Résolution 57/179 adoptée par l’Assemblée générale, le 18 décembre 2002, intitulée Mesures à prendre en vue d’éliminer les crimes d’honneur commis contre les femmes, 3e paragraphe. http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/RES/57/179&Lang=F (consulté le le )).

  109. Voir le site : http://voyage.gc.ca/assistance/info-d-urgence/mariage-force (consulté le ).

  110. Loi sur l’instruction publique, c. I-13.3, a. 14.

  111. Prévenir, dépister, contrer la violence conjugale. http://publications.msss.gouv.qc.ca/acrobat/f/documentation/2000/00-807/95-842.pdf.

  112. http://www.scf.gouv.qc.ca/fileadmin/publications/Violence/Plan_d_action_2012-2017_version_francaise.pdf.

  113. Il s’agit du Comité interministériel de coordination en matière de violence conjugale, familiale et sexuelle, lequel regroupe plusieurs ministères, dont ceux de l’Éducation, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, de l’Immigration et des Communautés culturelles, de la Justice, de la Santé et des Services sociaux et de la Sécurité publique.

Bibliographie

Sites consultés (octobre 2012 – octobre 2013) :